Interview de Mme Dominique Bertinotti, ministre de la famille à Europe 1 le 18 février 2013, sur le divorce et la séparation, le droit de garde des enfants et notamemnt les droits des pères d'enfants de parents divorcés.

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Média : Europe 1

Texte intégral


BRUCE TOUSSAINT
Le Premier ministre Jean-Marc AYRAULT vous a demandé – ainsi qu’à madame TAUBIRA, Garde des Sceaux – de recevoir dans quelques jours les associations de défense des droits des pères. Dominique BERTINOTTI, les autorités ont-elles maintenu un contact avec monsieur Serge CHARNAY, qui est donc toujours en haut de cette grue ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Bien sûr, les autorités n’ont jamais cessé de maintenir le contact avec ce père, pour peut-être lui faire entendre que maintenant nous allons recevoir, avec ma collègues de la Justice, les associations, et peut-être rechercher surtout l’efficacité de solutions pour l’ensemble des parents qui peuvent être confrontés à ce genre de situation.
BRUCE TOUSSAINT
Mais y a-t-il une solution pour lui ? On sait depuis hier que cet homme à deux reprises s’est rendu coupable…
DOMINIQUE BERTINOTTI
Mais je vais…
BRUCE TOUSSAINT
De soustraction d’enfant, c'est-à-dire qu’il n’a pas rendu à sa mère…
DOMINIQUE BERTINOTTI
Je vais vous dire…
BRUCE TOUSSAINT
Son enfant !
DOMINIQUE BERTINOTTI
Je ne vais pas m’immiscer dans ce qui est une affaire de justice et sur l’étendue du dossier que je ne connais pas. Ce qui est important comme ministre de la Famille, c’est de voir comment on peut perfectionner les situations des enfants dans… lorsque les parents divorcent ou se séparent. Et on peut se demander si en France, le système que nous avons qui a tellement peu recours à la médiation fait que justement, on arrive à des situations très conflictuelles qui peuvent conduire jusqu’à ce type de situation.
BRUCE TOUSSAINT
Il a été condamné à de la prison ferme et a effectué même 4 mois de prison ferme, ce monsieur.
DOMINIQUE BERTINOTTI
C’est pour ça que…
BRUCE TOUSSAINT
Est-ce que ce genre de situation peut conduire à de la prison ferme, est-ce que ça vous paraît normal ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Mais je le répète, je ne commenterai pas ce qui est de l’ordre de la décision de justice. A l’inverse, on sait qu’il y a des revendications qui sont portées sur peut-être un meilleur équilibre entre père et mère. Je tiens à souligner, notre système en France manque d’un véritable système de médiation familiale. Au Québec par exemple, c’est quelque chose qui fonctionne. Il faut savoir que seuls 4 à 8 % des divorces ont fait l’objet d’une médiation, d’où… effectivement, on demande à la justice d’arbitrer des conflits de l’ordre de l’intime, c’est la justice.
BRUCE TOUSSAINT
En tout cas, vous reconnaissez qu’il y a un déséquilibre !
DOMINIQUE BERTINOTTI
Alors il peut y avoir un déséquilibre mais moi…
BRUCE TOUSSAINT
Non mais d’une façon générale, on sait, les chiffres sont là…
DOMINIQUE BERTINOTTI
Attendez…
BRUCE TOUSSAINT
73 % des enfants de divorcés qui vivent chez leur mère.
DOMINIQUE BERTINOTTI
Oui, alors…
BRUCE TOUSSAINT
C’est un déséquilibre !
DOMINIQUE BERTINOTTI
C’est un déséquilibre en termes de chiffres, mais je tiens à vous souligner un premier point, c’est que la garde alternée est en progression puisqu’il y a encore quelques années, on était à plus de 80 %. Et puis d’autre part, il ne s’agit pas… moi je ne suis pas le ministre de la mère contre le père ou du père contre la mère. Il s’agit de voir comment, dans des situations tendues que sont celles de la séparation et du divorce, on trouve un système où chacun, chaque couple trouve une meilleure adéquation au service des enfants.
BRUCE TOUSSAINT
Alors Dominique BERTINOTTI, nous sommes en ligne avec Nicolas MORENO (phon), bonjour… bonjours, vous m’entendez ? Monsieur MORENO ? Alors on va le retrouver dans quelques instants. Nicolas MORENO est un père qui, lui aussi, a été séparé de ses enfants et qui est monté sur la grue pour parler à Serge CHARNAY durant le week-end, et qui lui aussi se bat pour ses enfants mais au-delà. On dit souvent que dans les tribunaux, on ne parle pas forcément du destin de l’enfant mais que c’est le parent qui charge le plus l’autre qui obtient la garde. Est-ce que c’est une réalité et qu’est-ce que vous pouvez faire contre ça ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
C’est bien pour ça que je reviens sur ce que je vous disais à l’instant. Nous avons en France – et au-delà de la question des divorces et séparations – plutôt une culture du conflit plutôt qu’une culture de la médiation. Il faut que nous développions, ça veut dire vraiment avoir un nombre de professionnels de la médiation bien plus important qu’aujourd’hui, faire en sorte de mettre les parents autour d’une même table, de voir comment on peut trouver la meilleure des solutions pour leurs enfants. Ça n’est pas simple, c’est toujours des moments très conflictuels, très durs, la justice ne devrait intervenir qu’au final, après ce système de médiation. C’est ce sur quoi nous sommes en train de réfléchir, d’autres pays le font…
BRUCE TOUSSAINT
Dominique BERTINOTTI, ministre déléguée à la Famille, les associations de pères demandent que le juge prononcent automatiquement une garde alternée, automatiquement lorsqu’un enfant a plus de 2 ans et demi. Est-ce que ça vous paraît faisable ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Non, je réponds très clairement non, il n’y a pas un système qui puisse l’emporter sur un autre. L’important c’est que chaque couple, car c’est chaque situation particulière, puisse (je le répète) bénéficier d’une véritable écoute, d’un véritable dialogue. On sait que dans ces périodes-là, ce n’est pas simplement entre les deux… le père et la mère que cela se fera, donc je plaide pour un véritable système de médiation familiale qui, aujourd’hui, est très largement insuffisant dans notre pays.
BRUCE TOUSSAINT
Un dernier mot, combien de temps Serge CHARNAY va-t-il rester en haut de cette grue, qu’est-ce que vous allez faire… aujourd’hui par exemple, est-ce qu’on n’est pas arrivés au bout de cette situation ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Je pense qu’il faut que la raison finisse par l’emporter chez ce père. Je crois que tout le monde a été alerté sur sa situation, les mouvements se sont mobilisés… des mouvements se sont mobilisés pour lui. Je pense qu’il est temps que la raison aujourd’hui prévale.
BRUCE TOUSSAINT
Et un dernier mot enfin sur un autre sujet mais qui vous concerne directement, au fond vous êtes ministre déléguée à la Famille, je le disais, est-ce qu’il faut taxer les Allocations familiales ?
DOMINIQUE BERTINOTTI
Il faut savoir que la politique familiale, c’est des prestations mais c’est aussi des services. Les services c’est des places en crèche, les places en crèche c’est pour tout le monde. Donc il faut à la fois qu’on ait une politique familiale qui soit redistributive, l’est-elle suffisamment aujourd’hui pour permettre à la fois de mieux cibler certains publics fragiles et de mieux cibler les services ? Je pense qu’il est normal qu’on s’interroge sur l’architecture des prestations familiales.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 février 2013