Texte intégral
Madame la Présidente, Monsieur le Président de la Commission des finances, Monsieur le Rapporteur Général, Mesdames et Monsieur les Rapporteurs, Mesdames et Messieurs les Députés,
Sénèque disait qu'il faut commander à l'argent, et non pas le servir. Vingt siècles plus tard, cette maxime n'a perdu ni de son tranchant, ni en vérité de sa pertinence.
Reprendre la main face aux dérives de la finance, répondre avec précision aux causes profondes de la crise financière qui a ébranlé les économies occidentales, renforcer - et c'est votre rôle - le contrôle démocratique sur un secteur qui depuis fait l'objet d'une défiance certaine - soyons lucides à cet égard - telle est l'ambition du projet de loi soumis à votre examen, de cet effort affirmé et assumé de régulation, de moralisation et de contrôle que nous menons ensemble et que je suis fier de porter devant la représentation nationale.
Notre devoir collectif, celui de l'exécutif bien sûr, mais aussi celui de la représentation nationale, consiste à tout faire pour éviter qu'après les errances qui ont engendré la crise de 2008 et celles des années qui l'ont précédée, les mêmes causes ne produisent demain, sait-on jamais, les mêmes effets.
C'est pourquoi le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires a pour fondement une analyse à la fois précise et sans complaisance des causes de la crise financière, qui sont évidemment multiples et complexes. J'ai déjà fait part de ma lecture de ces causes à la commission des finances, dont nous examinons aujourd'hui le texte. Je me contente donc de les évoquer brièvement, pour rappeler à tous le contexte.
Si la crise financière est bien, notamment, une crise de l'endettement, c'est largement le manque de régulation de la finance et, en son sein, des activités du secteur bancaire, qui a mis le feu aux poudres. Pour être précis, c'est la conjonction de trois facteurs qui selon moi a provoqué la déflagration de 2008.
Le premier facteur, tout d'abord, tient à une mauvaise compréhension et à une mauvaise gestion des risques, liées à la complexité et au manque de transparence des acteurs financiers.
Le deuxième facteur tient à des incitations perverses pour les acteurs de la finance, largement liées à ce que l'on appelle l'aléa moral, lequel amène les États à garantir in fine les risques excessifs pris par les banques sans forcément obtenir de contrepartie adéquate. Je ne veux pas revenir ici sur le débat précédent concernant le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes : je brûlais d'envie de le faire, mais nous y reviendrons ultérieurement.
Le troisième facteur enfin repose sur une approche de la régulation trop axée sur les comportements individuels, et qui ne prend pas en compte les déséquilibres globaux - appelons-les «systémiques» - du système financier.
L'objet du projet de loi que je vous présente est donc simple : répondre, point par point, à chacune de ces défaillances, parce que si nous apurons encore aujourd'hui le passé, il nous appartient d'écrire un avenir différent. C'est même notre responsabilité.
Pas plus que cette assemblée, le gouvernement ne se résout à l'impuissance face aux dérives de la finance. Le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires vient donc, j'ai la prétention de le dire, réformer durablement le secteur. Nous ne sommes pas là en train de faire une loi de papier, une loi de circonstance, une loi éphémère. En outre, notre réforme sera la première à entrer en vigueur en Europe. Elle s'organise autour de trois grandes lignes de force.
Tout d'abord, le projet de loi s'attaque aux activités spéculatives des banques, en matérialisant notamment la promesse de campagne de François Hollande, alors candidat, de séparer «les activités des banques qui sont utiles à l'investissement et à l'emploi, de leurs opérations spéculatives» ; il s'agit là de son septième engagement.
Par ailleurs, la réforme protège les dépôts des épargnants, mais aussi les contribuables, dont l'argent ne doit plus être, comme c'est le cas aujourd'hui, le premier mis à contribution pour sauver un établissement en faillite.
Enfin, il s'agit d'instaurer un contrôle efficace et préventif des risques, au sein des banques, et plus largement pour le système financier dans son ensemble.
J'ai parlé de trois grandes lignes de force, mais nous sommes au pays d'Alexandre Dumas, et il y en a donc forcément une quatrième - plus concrète, tournée vers les consommateurs et à laquelle je suis profondément attachée : elle permettra de renforcer la protection des clients, à commencer par les plus fragiles. Cela répond à une attente forte de nos concitoyens, qui ont eu, et ont encore - avouons-le - le sentiment que l'État se préoccupait jusqu'alors davantage des banques que de leur propre sort, idée qu'il convient de renverser.
Voilà très succinctement brossés les grands axes de ce projet de loi, les principes clés qui m'ont guidé dans son élaboration. Si ces combats doivent également être portés au niveau européen et international - nous l'avons évoqué tout à l'heure à propos des paradis fiscaux - il nous revient, ici et aujourd'hui, de tracer la voie et de faire la démonstration qu'une régulation efficace et intelligente du secteur bancaire est possible, dans la discussion et la coopération avec la majorité, dans le débat avec l'opposition - et il a été respectueux - mais en gardant toujours en tête que ce que nous faisons, nous le faisons pour notre pays, pour le redressement de notre économie et pour l'avenir de notre jeunesse.
Je vais à présent reprendre ces différents points. Le projet de loi qui vous est soumis met tout d'abord en oeuvre avec précision et fidélité - j'y insiste - l'engagement pris par le président de la République, François Hollande, de séparer les activités utiles au financement de l'économie et à l'emploi des activités spéculatives des banques. Il le fait en ayant l'ambition de changer à la fois les structures et les comportements. C'est l'une des mesures essentielles de ce texte, qui isole strictement - j'ai parlé de «mise en quarantaine» - les activités spéculatives, c'est-à-dire des activités que la banque mène pour compte propre mais en exposant au risque les dépôts de ses clients.
Les banques devront à l'avenir, si vous le décidez, créer une filiale ad hoc, soumise à une réglementation prudentielle stricte, et isoler dans cette filiale leurs activités spéculatives. Cette filiale qui, selon un amendement de la commission des finances que j'ai accepté, n'aura ni le même nom ni la même gouvernance que la maison mère devra être capitalisée et financée de manière autonome. Elle aura, en vérité, sa vie propre.
Cette disposition peut paraître technique. Elle a en réalité une portée dont il faut bien mesurer l'ampleur : la banque ne pourra plus utiliser demain les dépôts des épargnants pour financer les activités spéculatives de la filiale ou pour la sauver si cette filiale venait à rencontrer des difficultés. Ce dernier point, renforcé par le travail en commission, est essentiel : il signifie concrètement que, même en cas de difficultés, la maison mère ne pourra pas financer davantage sa filiale, quitte à la condamner. Ce sont ceux qui ont pris la responsabilité de spéculer qui devront en payer le prix.
Si le texte choisit d'isoler spécifiquement ces activités, c'est parce que ce sont elles qui ont concentré le gros des pertes que les banques françaises ont essuyées sur les marchés pendant la crise. Le cantonnement aura donc un double effet : il va à la fois protéger la maison mère et ses clients, et empêcher que les activités pour compte propre ne retrouvent leur niveau d'avant la crise, lorsqu'elles menaçaient la stabilité financière. J'insiste encore une fois : si la filiale venait à se trouver en difficulté, la loi prévoit explicitement que la maison mère ne pourrait se mettre en danger pour la sauver. Elle instaure pour cela des règles dites «d'exposition» très strictes.
Quant aux activités qui ne seront pas cantonnées dans la filiale, elles ne seront pas pour autant laissées sans surveillance. Au contraire, elles feront l'objet d'un encadrement très précis et d'une surveillance étroite de la part de l'Autorité de contrôle prudentiel, qui devient l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Au total c'est l'ensemble des activités que les banques mènent sur les marchés financiers qui seront à l'avenir soumises à des règles strictes et à un contrôle étroit.
La séparation des établissements faisait, et fait encore l'objet d'importantes attentes chez certains d'entre vous. Je veux donc vous dire ici ce qui a fondé l'approche retenue dans ce projet de loi. Si j'avais estimé que couper les banques en deux pouvait permettre d'une quelconque manière de répondre aux causes profondes de la crise, je l'aurais fait. Ce n'est pas par compromission ou à la suite de je ne sais quelle intervention que ma main a tremblé ; ce n'était simplement pas ma conviction. J'ai donc fait le choix, assumé, de ne pas poursuivre au nom d'une pureté des formes qui pouvait pourtant être séduisante une option qui aurait risqué, compte tenu de la spécificité du modèle bancaire français, de mettre en danger le financement de nos entreprises sans pour autant traiter les causes de la crise.
J'ai eu l'occasion de le dire souvent, je le redis devant la représentation nationale : je suis le ministre de tutelle des banques et, à ce titre - personne ne m'en voudra ! - le partenaire des banquiers ; mais je ne suis ni leur avocat, ni leur défenseur - je le dis avec la même tranquillité. Nous avons eu, pour préparer ce projet de loi, des échanges nombreux, courtois - c'est bien le moins - mais aussi vifs et parfois tendus - ce qui est également normal. Les banquiers ne souhaitaient sans doute pas ce texte, ils n'étaient pas demandeurs ; il fallait néanmoins faire cette réforme. Ils la trouvent à certains égards trop dure : je l'assume ; ils peuvent sans doute vivre avec : je l'assume aussi. Car au final, mon but n'est pas de faire mal aux banques ! C'est de faire mieux pour le financement de l'économie. En vérité, l'amélioration du financement de l'économie est compatible avec une vraie réforme.
Nous avons longuement évoqué ce sujet en commission des finances, je ne m'y attarde donc pas. Je voudrais simplement rappeler quelques faits. D'abord, aucun type de banque n'a été épargné par la crise. Des banques d'investissements comme des banques commerciales ont dû être sauvées, alors que nos banques universelles, combinant banques de dépôt et banques d'investissement, ont plutôt mieux résisté. Nous discutions ce matin, au conseil Ecofin, des principes du FMI et de l'évaluation qu'il fait des systèmes bancaires nationaux : les ratios de solvabilité ou de liquidité de nos banques ont plutôt de quoi nous rassurer, ce qui n'est pas une mauvaise chose.
Le problème n'est donc pas là, et l'ensemble des acteurs que j'ai consultés, au premier rang desquels les syndicats, sont d'ailleurs en accord sur ce point. Ensuite, couper les banques en deux aurait impliqué de créer - ou recréer - des banques d'investissement indépendantes. Or la crise a montré la très grande fragilité de ces acteurs, qui ont presque tous disparu depuis, à l'exception de Goldman Sachs et Morgan Stanley, lesquels ont joué, chacun à leur manière, un rôle particulier pendant la crise. Comme responsable du financement de notre économie, mais tout autant comme homme de gauche, je ne recommande pas ces modèles à nos établissements. Je ne vois pas l'intérêt de créer en France des banques de dépôt privées d'accès aux financements de marché et des banques d'affaires moins compétitives, et donc vulnérables et soumise aux prédations internationales. Enfin, ayons conscience du fait que couper les banques en deux conduirait à faire disparaître une offre de services que les banques françaises peuvent aujourd'hui proposer à nos entreprises, et que ces dernières devraient sinon aller chercher ailleurs, auprès des banques étrangères. J'y vois donc non seulement une question de financement de l'économie, mais aussi de souveraineté.
Ceci posé, il y avait un curseur à placer, et j'ai d'emblée fait part de ma disponibilité pour discuter avec vous, mesdames et messieurs les députés, du juste équilibre à trouver. J'ai entendu les critiques exprimées sur la taille jugée trop modeste des filiales cantonnées - on a parlé de 1 à 3 % - ainsi que les doutes sur la nature réelle des activités dites de tenue de marché, ce que l'on nomme en anglais le market making. Celles-ci, comme l'ont dit aussi bien la Banque centrale européenne que le commissaire européen chargé de la réforme bancaire, Michel Barnier, ne peuvent être considérées comme purement spéculatives, même s'il est vrai que de la spéculation peut s'y dissimuler, ce dont nous devions tenir compte.
C'est pourquoi il fallait aller plus loin que la rédaction initiale du projet, pour donner la main au politique. Les propositions de la commission - et je veux saluer ici les solutions ambitieuses et intelligentes de la rapporteure, Karine Berger, tout particulièrement sur ce sujet - ont permis de renforcer la séparation des opérations spéculatives des banques de leurs activités utiles à l'économie réelle, autour d'un mécanisme à la fois précis et souple. Le texte prévoit aussi d'encadrer l'activité de tenue de marché en la définissant strictement, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent, grâce à une série d'indicateurs proposés dans un amendement adopté à l'initiative de Laurent Baumel, pour que les banques ne puissent y dissimuler des opérations spéculatives. Tout cela donne au ministre de l'économie et des finances le pouvoir de limiter le montant des opérations de tenue de marché conservées dans la banque universelle.
En permettant au gouvernement de disposer de ciseaux ou, en d'autres termes, d'élargir le périmètre des filiales dans lesquelles seront cantonnées demain les activités spéculatives ou les activités pour compte propre des banques, et en donnant au ministre - à tous les ministres qui se succéderont à Bercy - le pouvoir de fixer le seuil à partir duquel les activités de tenue de marché pourront être filialisées, le texte vient donc garantir - ce qui est une avancée essentielle - que le régulateur puisse s'adapter aux évolutions de la spéculation, sans peser à l'excès sur le financement de l'économie. Et je crois sincèrement que le travail fait par votre commission des finances sur ce sujet est exemplaire.
Ces filiales seraient sans doute aujourd'hui beaucoup plus petites qu'elles ne l'auraient été en 2008, car la spéculation a diminué dans nos banques. Qui s'en plaindrait ? Pas moi. Elles pourraient aussi, si le politique en décide, et notamment si une spéculation exubérante devait reprendre demain, devenir beaucoup plus importantes. Notre démarche conjugue donc fermeté et souplesse. Nous avons là - et j'en remercie la majorité, qui a oeuvré bien seule lors de l'examen du texte en commission - une avancée majeure du texte, qui préserve ses grands objectifs et à laquelle chacun, je pense, peut aujourd'hui se rallier.
Mais le projet de loi ne vise pas seulement à changer les structures : il veut aussi et avant tout peser sur les comportements. De ce point de vue, les dispositions relatives à la «résolution» des banques en difficulté sont un complément indispensable du volet «séparation».
Observez d'ailleurs - et je reparlerai de l'Europe - que, quand nous parlons d'union bancaire à l'échelle européenne, nous ne parlons pas uniquement de la supervision mais également de la résolution et de la garantie des dépôts, dimensions que notre projet de loi prend toutes en compte.
Il s'attaque en effet directement à l'«aléa moral» qui existe aujourd'hui dans les banques et qui, de manière particulièrement choquante pour nos concitoyens, est l'une des causes essentielles de la crise. J'appelle chacun d'entre vous ici à y réfléchir, car je lis parfois que cette réforme serait une réforme pour rien. C'est ignorer que nos concitoyens attendent, eux, un véritable changement - qu'il est certains comportements qu'ils ne supportent plus.
Souvenons-nous de 2008 : à l'époque, des États ont été contraints d'intervenir avec l'argent des contribuables pour empêcher des faillites de banque, qui auraient eu des conséquences désastreuses pour l'économie. Ces banques avaient pris des risques excessifs, anticipant qu'en cas de banqueroute l'État viendrait à la rescousse. En d'autres termes, elles ont risqué l'argent des déposants tout en étant assurées que le contribuable viendrait à leur secours. Il est essentiel de désamorcer ce mécanisme, non seulement, et évidemment, amoral - d'où l'expression «aléa moral» - mais qui conduit même à maximiser la prise de risque, précisément parce que les spéculateurs savent qu'in fine ils ne seront pas les payeurs. Je résumerai donc un peu sommairement le volet «résolution» du projet de loi par la formule «qui faute, paie», en ajoutant que celui qui faute ne doit plus pouvoir décider : il doit être sanctionné.
L'objectif est de protéger les déposants et les contribuables en renforçant la capacité d'intervention des autorités publiques, qui doivent pouvoir prendre la main lorsque cela est nécessaire.
Le projet de loi prévoit tout d'abord de doter le superviseur bancaire, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, de vrais pouvoirs d'intervention dans la structure et le fonctionnement de la banque. Ces pouvoirs doivent lui permettre d'empêcher qu'une banque en difficulté ne fasse faillite, par exemple en transférant ou en cédant d'office tout ou partie de ses actifs ou de son activité, en nommant un administrateur provisoire ou en créant une banque relais en vue d'une cession.
Depuis neuf mois que j'occupe mes fonctions au ministère des finances, il m'eut été utile de disposer de tels outils dans des situations concrètes que je ne peux évoquer ici.
Surtout, cette nouvelle autorité pourra en premier lieu faire peser les pertes d'une banque sur ses actionnaires et certains créanciers plutôt que sur les épargnants ou les contribuables. Ce dispositif est l'un des piliers de ce texte. Il met un terme à la socialisation des pertes des banques en faillite en imputant le coût des risques excessifs d'abord à ceux qui les ont pris au lieu de les faire porter par la collectivité.
Et comme l'aléa moral est aussi et d'abord celui des dirigeants, il est prévu que l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution puisse les révoquer lorsque leur banque connaît des difficultés.
À ceux pour qui ces mesures paraissent cosmétiques ou trop faibles, on peut donc opposer la réalité de ce texte.
Enfin, le Fonds de garantie des dépôts et de résolution constitue un troisième rempart entre la faillite d'une banque et les dépôts des épargnants ou l'argent du contribuable. C'est le troisième volet que nous attendons de l'Union européenne. Le texte prévoit que le secteur bancaire lui-même soit sollicité en cas de défaillance d'une banque. Il existe aujourd'hui un fonds, doté de 2 milliards d'euros. Nous voulons le porter à 10 milliards d'ici à 2020 pour donner une garantie supplémentaire aux clients de la banque et aux contribuables : celle qu'ils ne seront appelés qu'en tout dernier ressort. Je le répète, c'est celui qui commet une faute qui doit payer, et non la victime.
Grâce à ces deux armes, la séparation et la résolution, nous nous donnons les moyens de lutter contre la spéculation, de réduire l'aléa moral, de protéger les dépôts et l'argent du contribuable et de moraliser certaines pratiques du secteur.
Je veux à présent saluer un autre apport majeur des débats en commission, grâce au dialogue constructif qui s'est noué entre le gouvernement et les députés. Il s'agit de l'amendement d'Éric Alauzet et du groupe écologiste, appuyé par le groupe socialiste qui concerne l'obligation de transparence des activités des banques, pays par pays, paradis fiscaux inclus. L'amendement, adopté par la commission des finances, prévoit que les banques publient, dès l'exercice 2013, une liste de leurs filiales et des activités qu'elles mènent dans chaque pays du monde, ainsi que, de manière agrégée, le produit net bancaire et les effectifs en personnel. Cette mesure, attendue par les ONG, réclamée par la gauche depuis des années, permettra de faire ressortir les pays dans lesquels nos banques ont une présence et une activité et, le cas échéant, les amènera à s'expliquer sur ce choix d'implantation. Ce nouveau dispositif est une première dans le monde. Aucun État au monde ne l'a fait jusqu'à présent.
La France doit se souvenir de temps en temps, monsieur le président, qu'elle a des exemples à donner au monde. Qu'elle ne soit donc pas toujours à suivre ou attendre ce qui peut se passer ailleurs ! Les Gaullistes que vous êtes, paraît-il, devraient le comprendre aisément.
Je veux généraliser ce nouveau dispositif dans les instances européennes et internationales. Que le président de la commission des finances, et d'autres, se rassurent : il résulte d'un bon compromis, qu'il ne me semble pas souhaitable de remettre en question, entre le champ très vaste des pays couverts et les informations que les banques auront à rendre publiques. Nous devons aussi veiller à ce que notre système de financement de l'économie soit performant.
Deuxième axe fort de ce projet de loi : le contrôle efficace et préventif des risques.
Pour comprendre l'accent que le projet de loi met sur le contrôle, il faut rappeler ce que j'ai dit en introduction : parmi les causes de la crise de 2008 figure le manque de supervision des risques du système pris dans son ensemble - ce que l'on appelle le risque systémique. En effet, jusqu'à présent, on n'appréciait pas le risque pris par le système mais le risque pris par tel ou tel individu ou telle banque spécifique.
Un vrai travail devait être réalisé pour renforcer la prévention et le contrôle, et le texte propose un ensemble très complet de dispositions dans cette optique. Je me félicite d'ailleurs qu'il n'ait été contesté par personne - pour ne pas dire qu'il soit approuvé par tous car c'est à vous, mesdames et messieurs les députés, qu'il revient de dire si vous l'acceptez ou non.
Sans être exhaustif, je voudrais mettre quelques-unes de ces dispositions en exergue.
Tout d'abord, les structures et les compétences en matière de contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution sont renforcées. Ainsi, le texte prévoit que chaque établissement bancaire prépare un «plan préventif de résolution» - dans le jargon, un «testament» bancaire - pour faciliter l'intervention du superviseur en cas de risque de défaut. L'Autorité de contrôle validera ce testament. Elle pourra aussi exiger, «à froid», d'une banque dont l'organisation serait trop complexe toutes les modifications de structure qui permettraient de faciliter son intervention en cas de problème - vous voyez bien là, aussi, qu'un pouvoir nouveau et important est conféré à cette autorité.
Ensuite, le projet de loi créé une nouvelle autorité, le Conseil de stabilité financière, qui remplacera le conseil de régulation financière et du risque systémique, avec une double mission : prévenir et surveiller les risques systémiques que j'évoquais il y a quelques minutes. Ce CSF aura de vrais pouvoirs d'intervention, juridiquement contraignants, ce qui n'est pas le cas de l'instance qu'il viendra remplacer. Il pourra ainsi imposer aux établissements de crédit des exigences de fonds propres supplémentaires. La discussion en commission a par ailleurs permis, et j'en remercie plusieurs députés, dont la rapporteure pour avis de la commission des lois, d'enrichir la gouvernance et le contrôle du CSF avec l'instauration d'un objectif de parité dans cette instance, la possibilité pour son président d'être entendu, sur leur demande, par les commissions des finances des assemblées - j'y consens d'autant plus volontiers que le président du CSF est le ministre des finances - ou encore la nomination de deux des trois personnalités qui siégeront au sein du CSF par les présidents des deux assemblées.
Autre mesure importante : l'Autorité de contrôle pourra purement et simplement interdire à un établissement de se livrer à des activités qui présenteraient des risques excessifs, soit pour lui-même, soit pour le reste du système bancaire et financier.
Ces pouvoirs renforcés vont considérablement accroître la régulation du système financier. Croyez-moi, j'ai souvent regretté que les autorités publiques ne puissent pas en disposer quand je suis arrivé au ministère, il y a neuf mois, et qu'il m'a fallu traiter de sinistres financiers comme Dexia ou le Crédit immobilier de France. Eh oui, je mets les pieds dans le plat ! Si nous avions eu de telles dispositions, les pouvoirs publics auraient pu amener plus tôt les dirigeants à adopter un comportement plus responsable, ou bien, le cas échéant, les changer. Cela nous aurait, croyez-le, épargné bien des difficultés. J'ai une pensée ici pour les salariés du CIF, à qui je veux dire qu'ils ne sont pas oubliés et que leur sort est au coeur de mes préoccupations.
Je suis heureux que nous puissions disposer à l'avenir, si de telles situations venaient à se reproduire, de tels outils.
Enfin, je veux dire un mot sur le dernier grand axe structurant de ce projet de loi, celui de la protection des clients, et en particulier des plus fragiles.
On en avait jusqu'à présent peu parlé, car ce volet se distingue des deux précédents. Il n'en reste pas moins important et concret pour nos concitoyens, dans la lignée des travaux que je revendique en matière de lutte contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, dont il intégrera les conclusions grâce à plusieurs amendements que nous allons examiner lors de nos débats. J'ai spécifiquement souhaité que la loi de séparation et de régulation des activités bancaires intègre cette dimension «consommateur et citoyen».
Sans entrer dans le détail ici, je mets en lumière trois avancées du projet de loi.
Tout d'abord, le texte prévoit de plafonner les commissions d'intervention, c'est-à-dire ces commissions que les banques prélèvent à un client quand son compte fonctionne de manière irrégulière, par exemple quand la banque autorise le paiement d'un chèque sans provision. Le montant moyen est de l'ordre de 8 euros, mais il peut être bien supérieur dans certains cas et, mises bout à bout, ces commissions peuvent atteindre à la fin du mois 200 ou 300 euros, ce qui est insupportable pour une population déjà fragile. Nous avons donc décidé de plafonner ces sommes pour les populations en proie à des difficultés financières.
Les banques auront également l'obligation, j'insiste sur le terme, d'offrir à ces populations des moyens de paiement adaptés à leur situation et permettant notamment de prévenir les incidents. Je sais que nous allons débattre de l'éventualité d'adopter une mesure plus générale s'agissant des commissions d'intervention. J'y suis ouvert, à condition toutefois de trouver le bon équilibre pour qu'une telle mesure ne compromette pas la présence bancaire sur le territoire, à laquelle nous sommes tous attachés. Je pense notamment aux banques d'essence mutualiste.
Le texte propose aussi des dispositions pour accroître la transparence et la concurrence dans le domaine des assurances emprunteurs, ces assurances que la banque exige, dans les faits, quand un client contracte un crédit immobilier par exemple. Prenons le cas d'un crédit immobilier de 150 000 euros sur vingt ans à un taux de 3,75 %. Une assurance de 0,36 % souscrite avec ce crédit représente un coût de 11 000 euros sur la durée de vie du prêt. La concurrence en la matière est pratiquement inexistante aujourd'hui : en vous accordant le prêt, on vous suggère avec insistance l'assureur... Si la concurrence, à laquelle je reconnais des mérites, tout homme de gauche que je suis, jouait pleinement son rôle et qu'elle permettait, par exemple, de passer de 0,36 à 0,30 %, ce serait 1 500 euros d'économie pour l'emprunteur, et autant en plus pour le pouvoir d'achat des ménages, surtout les plus fragilisés ! Je salue à cette occasion l'amendement d'ores et déjà adopté en commission à l'initiative de Pierre-Alain Muet qui tend à garantir que le choix d'une assurance concurrente ne remette pas en cause l'offre de prêt, car la concurrence va de pair avec la liberté.
Enfin, le projet de loi prévoit de faciliter le recours à la procédure du «droit au compte» pour ceux qui n'ont pas accès à un compte bancaire. Cette procédure permet à toute personne d'obtenir de la Banque de France qu'elle désigne une banque proche de son domicile pour lui ouvrir un compte accompagné d'un ensemble de services bancaires de base gratuits. Quant au surendettement, le projet propose de simplifier la procédure afin de réduire la durée d'examen de certains dossiers et de permettre la suspension effective du cours des intérêts des crédits dès que la commission de surendettement reconnaît la recevabilité du dossier, ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui.
Voilà un certain nombre des progrès concrets que contient ce texte et que notre discussion permettra sans doute d'améliorer encore. Je suis ouvert à toute proposition.
Je m'en tiens là, Mesdames et Messieurs les Députés.
Ce texte propose une approche globale et ambitieuse, en réponse aux causes profondes de la crise financière. Il couvre les structures mais aussi les comportements. Il couvre les banques mais aussi le reste de la chaîne, comme les superviseurs, parce que la crise n'a pas été causée par la défaillance d'un seul facteur, ni par un seul acteur.
Ce projet de loi ouvre une page dans l'histoire de notre système financier. Il a fait l'objet de débats nourris, et je m'en félicite. De larges consultations ont été conduites, éclairant le gouvernement dans ses choix, avec les banques, évidemment, mais aussi avec les représentants des entreprises, en tant que clientes des banques, avec les associations de consommateurs ou encore avec les organisations syndicales. Ce texte va poser un cadre et définir des paramètres pour faire émerger un secteur bancaire plus sûr et plus stable, et prenant mieux en compte les préoccupations de ses clients.
Surtout, ce projet de loi va continuer de bénéficier, comme il l'a déjà fait en commission, des enrichissements que lui apportera la représentation nationale. J'ai eu l'occasion de l'indiquer en décembre dernier quand j'ai présenté ce texte, j'en ai fait l'illustration la semaine dernière en commission des finances : je conçois le débat avec un esprit d'ouverture et d'écoute sur certains aspects que cette assemblée et, ultérieurement, le Sénat souhaiteraient voir précisés ou amendés.
Mais je veux vous redire ma conviction que nous avons là un très bon projet, dont je suis fier, bien sûr, mais dont nous pourrons, demain, être collectivement fiers. Mon rôle de ministre de l'économie et des finances est de réguler la finance - c'est ce que je fais au travers de ce projet de loi -, mais aussi de m'assurer que nos entreprises, et nos PME en particulier, puissent se financer à de bonnes conditions. Il n'y a pas lieu, Mesdames et Messieurs les Députés, de menacer ce financement, dès lors que le projet, enrichi de vos amendements, apporte toutes les garanties en matière de lutte contre la spéculation. Et nous avons besoin de banques françaises capables d'accompagner les entreprises de notre pays dans la crise.
Nous avons, je le crois, au fil des débats, trouvé avec ce texte un bon équilibre entre l'ambition réformatrice attendue par nos concitoyens et l'efficacité économique indispensable dans cette période de crise. Je souhaite des banques plus solides, mieux régulées, plus à l'écoute de leurs clients, même si je ne veux pas d'un secteur financier faible, replié sur lui-même ou hors d'état de répondre aux besoins du financement de notre économie.
Un mot à présent pour conclure : sur l'Europe. Avec ce projet, nous sommes pionniers. On m'objecte parfois, pour souligner la prétendue modestie de notre projet, les grandes ambitions ou les grandes décisions de certains de nos partenaires. Mesdames et Messieurs les Députés, regardons plutôt les choses en face. Certes, il y a des travaux, ici ou là. Londres a déposé un premier projet, dans une optique fondamentalement différente de la nôtre puisqu'il s'agit surtout de préserver la puissance de la City aux portes de l'Europe, alors que nous, nous sommes au coeur de l'Europe. Mais rien, rien qui ne puisse s'appliquer avant 2019 !
La réforme qui vous est soumise, elle, s'appliquera avant 2015, soit quatre ans avant ! Nous anticipons sur ce que fait l'Europe, mais j'ajoute, parlant de ce qui se décide en ce moment - et je veux citer la discussion qui a eu lieu ce matin même au conseil Ecofin -, que nous sommes totalement en phase avec ce que propose l'Union européenne. Je vous signale aussi - vous le critiquerez peut-être, mesdames et messieurs de l'opposition - que le gouvernement allemand s'apprête à adopter, dans les tout prochains jours, une loi quasi identique à la nôtre. J'en ai parlé encore ce matin avec mon homologue Wolfgang Schäuble. Avec ce texte, la France va envoyer un message très fort, alors que, dans les six prochains mois, l'Europe doit transformer l'essai en matière de stabilité financière, d'union bancaire et de régulation des marchés.
Sur ces textes dont l'Union européenne s'apprête à se doter, il ne faut pas relâcher l'attention ni la pression. Il faut, au contraire, continuer à travailler pour que notre secteur bancaire fonctionne de nouveau comme il le devrait. Si nous voulons que nos efforts ne soient pas vains - et je le souhaite ardemment -, si nous voulons poursuivre notre ambition réformatrice sur la finance, nous devons nous en donner les moyens au niveau européen. Avec cette loi, nous manifesterons l'engagement de la France et sa capacité à faire preuve de leadership en Europe.
Mesdames et Messieurs les Députés, ce projet de loi est un texte précurseur. C'est un texte ambitieux, qui permet de moraliser, de réguler, de contrôler la finance sans entraver la distribution du crédit, essentielle à notre économie. C'est un texte animé par des valeurs, et en même temps réaliste. Enfin, le projet de loi a été enrichi par le dialogue constructif et ouvert entre le gouvernement et les parlementaires de la majorité de la commission des finances auxquels s'est joint le président que je remercie - c'était, il est vrai, sa fonction. Ce texte sera, j'en suis sûr, encore amélioré par nos débats ici, en séance. C'est pourquoi, ou ouvrant cette discussion, je souhaite que cette réforme puisse trouver, dans vos rangs, le large et, pourquoi pas, le très large soutien qu'elle mérite.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 février 2013