Déclaration de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, sur l'actualité sociale, la participation des communistes au gouvernement et la situation en Corse, Aubagne le 26 août 2001.

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Circonstance : Université d'été du PCF à Aubagne (Bouches du Rhône) du 24 au 26 août 2001

Texte intégral

Cher(e)s camarades,
Notre Université d'été s'achève à deux mois de la tenue du prochain Congrès du Parti communiste.
Le débat animé hier par Michel Duffour a témoigné, à la fois, de la vitalité et de la qualité de la réflexion déjà entreprise pour l'élaboration du projet communiste, et des efforts importants qu'il reste à accomplir.
En même temps, une vaste discussion est engagée dans le Parti sur les statuts dont il doit se doter pour devenir, véritablement, le parti du nouveau communisme auquel nous travaillons à donner un contenu visible et convaincant.
C'est l'une et l'autre chose que je veux évoquer ce matin devant vous. Et aussi, bien sûr, le rapport étroit entre ce profond effort de novation politique et les choix essentiels que les Françaises et les Français auront à accomplir au cours du premier semestre de l'année 2002, à l'occasion de l'élection présidentielle, puis des élections législatives.
Permettez-moi, à cet égard, une courte citation du propos que j'avais tenu en mai dernier devant le conseil national du Parti : " l'actualité montre quel handicap de plus en plus grave constitue l'absence de perspective politique quand s'affirment des valeurs, des exigences, des besoins de civilisation d'une haute portée disant, ou plutôt criant, le besoin de changer la société, de changer le monde ".
Oui, c'est bien aussi d'actualité qu'il s'agit pour nous, et non pas d'un projet lointain, se limitant à esquisser les contours d'un futur hypothétique dont il faudrait, d'abord, convaincre qu'il est possible avant d'entreprendre de le construire.
Du reste, les événements de ces derniers mois, de ces derniers jours, même, ne démentent, ni simplement n'atténuent, ce besoin d'ouvrir la perspective de ce qu'il faut bien appeler une "autre politique à gauche".
C'est tout le contraire : la multiplication des plans de licenciement, la force des exigences exprimées à Gênes par les manifestants anti-mondialisation capitaliste - et de nombreux militants et responsables communistes étaient parmi eux - et aussi, plus près de nous, les évolutions de la situation en Corse soulignent l'impasse dans laquelle conduisent, à coup sûr, les politiques libérales, et l'impuissance de plus en plus flagrante, des réponses social-démocrates pour en dégager la société.
Dans les deux premiers cas - les licenciements et la mondialisation sous les auspices du capitalisme - les uns et les autres se soumettent à la logique ultra-libérale, quand ils n'appellent pas de leurs vux son renforcement, sa domination encore élargie à toutes les sphères des activités humaines.
Comme les conséquences en sont terribles et le rejet grandissant, ils adaptent certes quelque peu leur discours. Et l'on voit ainsi, parfois, des partisans du libéralisme en fustiger les effets . mais sans proposer quoi que ce soit - et pour cause ! - susceptible de les combattre.
Jacques Chirac n'est pas, dans ce genre d'exercice, le dernier à dégainer. Après avoir vilipendé la " fracture sociale ", il se présente volontiers en champion de la défense de l'environnement. Mais que survienne - au-delà des mots - un choix capable de bousculer concrètement les exigences libérales, et il retrouve sa posture réactionnaire. C'est ainsi que, le 14 juillet dernier, il a dit tout le mal qu'il pensait de ce que la loi anti-licenciements contient de positif, grâce à l'action des militants et parlementaires communistes, au bénéfice des salariés et de leurs organisations.
Quant aux Partis socialistes ou sociaux démocrates, on le sait, c'est dans une logique d'aménagement, de réformes " a minima " du système capitaliste qu'ils inscrivent leur action.
Ce n'est d'ailleurs pas nouveau, et ne saurait par conséquent nous surprendre. Ce qui est nouveau, en revanche, c'est que cette politique sociale-démocrate dispose d'un espace toujours plus restreint pour se déployer, tout simplement parce que pour l'essentiel elle se plie aux dogmes du libéralisme qui exigent priorité absolue au profit financier, déresponsabilisation sociale, effacement du politique. En ce sens, répétons-le, nous vivons un véritable " changement d'époque ". Toutes ces questions posées à la société, aux femmes et aux hommes, aux jeunes contiennent des dimensions qui intéressent directement le sort de l'humanité en ce 21ème siècle débutant, et l'avenir immédiat de la civilisation.
C'est bien pour cela que ce qui est devant nous, avec le projet d'alternative politique du Parti communiste, est de contribuer à ouvrir des perspectives - ici et maintenant, pour notre pays et pour une mondialisation de partage et de progrès - aux attentes, aux besoins urgents d'une autre organisation de la société, radicalement nouvelle et véritablement alternative au capitalisme, et de proposer les moyens d'avancer dans cette direction.
Disons-le sans détour, à l'exception des communistes, personne à gauche ne se propose sérieusement de relever ce défi. Bien sûr quelques-uns des dirigeants socialistes tentent d'épouser les aspirations exprimées, par exemple, par les manifestants réunis à Gênes en juillet dernier. Dans une récente tribune publiée par le journal " Le Monde ", deux d'entre eux affirment qu'elles rejoignent le projet socialiste. C'est aller bien vite en besogne et, pour tout dire, passablement " récupérateur " quand, dans le même temps, ils confirment que ce projet ne vise qu'à réguler le système capitaliste, mais en aucun cas à en contester la logique, et l'inhumanité, les régressions, les désastres environnementaux dont elle est responsable.
Au fond, ils confirment ce que nous constatons, et que les Françaises et les Français vérifient concrètement : les limites étroites dans lesquelles le Parti socialiste inscrit ses ambitions. Et, du même coup, un étiolement des ambitions socialistes elles-mêmes, pouvant sérieusement hypothéquer toute la gauche lors des échéances de 2002, au-delà des mots choisis pour les présenter sous le jour le meilleur.
Depuis 1997 un certain nombre de réformes ont, certes, été engagées. De sorte que la France ne ressemble ni à la Grande Bretagne ni à l'Allemagne, nations actuellement gouvernées également par la sociale-démocratie ; ni à l'Italie, où elle fut au pouvoir, avant de décevoir profondément, et de laisser presque naturellement la place à des forces de droite fortement teintées d'un populisme brun. La différence entre ces pays et le nôtre c'est, bien sûr, la présence communiste dans la majorité et au gouvernement de la France. Et nous revendiquons les apports positifs au bilan de cette majorité, de ce gouvernement. Mais cela dit, que d'efforts faut-il déployer pour parvenir à des résultats qui, s'ils ne sont pas indifférents à celles et ceux qui en bénéficient, restent très en-deça des attentes populaires et des exigences de modernisation politique, sociale, démocratique qu'appelle la situation de la France !
Les communistes n'ont, me semble-t-il, aucune raison de regretter aujourd'hui leur décision de participation au gouvernement. Nous y avons pris notre place et nous y travaillons loyalement, de façon constructive et responsable, en dépit de la suprématie pesante que le parti socialiste y exerce. Et - précisément à cause de cette suprématie - en dépit du fait qu'il faut souvent, dépenser une énergie considérable pour obtenir des résultats. Mais, je le dis sans ambiguïté, nous ne pouvons en rester là. Cela ne peut et ne pourra continuer ainsi dans les années à venir.
C'est pourquoi, j'y insiste, il faut à présent - et nous voulons mettre cette question au cur des échéances électorales à venir -faire grandir la réflexion, le débat, la confrontation d'idées et de propositions sur ce que j'ai appelé précédemment " l'autre politique à gauche ".
L'ambition des communistes ne peut nullement, c'est bien évident, se cantonner à jouer un rôle d'appoint au sein d'une majorité dominée par le parti socialiste. Il ne peut s'agir pour nous de contribuer à "gauchir", quand les circonstances l'exigent, ou quand le Parti socialiste y est contraint, tel ou tel aspect de sa politique. Je le répète, la politique du Parti socialiste et de Lionel Jospin reste souvent tiède dans ses objectifs et terriblement "palichônne" dans ses résultats parce qu'elle se refuse à contester "au fond" les règles du capitalisme. Dire cela c'est souligner une nouvelle fois que la stratégie du Parti communiste n'est pas enfermée dans la question de sa participation ou non au gouvernement.
Penser et agir ainsi ce serait, de fait, renoncer à notre raison d'être de communistes modernes, animés de la volonté de faire grandir une politique permettant de sortir du consensus frustrant qui vise à contraindre notre peuple à ne pouvoir choisir qu'entre néolibéralisme ou social-libéralisme.
Nous voulons contribuer à ouvrir d'autres perspectives : celles d'une véritable transformation sociale. C'est donc partout où il en est question, si peu que ce soit, sous quelque forme que ce soit, dans la diversité des approches, des rassemblements, des actions engagées que nous voulons inscrire et faire grandir l'action politique communiste. Et cela vaut, bien sûr, pour notre présence dans la vie politique française mais aussi à l'échelle internationale, dans nos rapports de coopération avec toutes ces forces, de plus en plus nombreuses, qui s'efforcent de frayer la voie à des pratiques et des objectifs politiques renouvelés pour libérer le monde du capitalisme.
C'est bien, je crois, dans cette stratégie constructive que doit s'inscrire le Parti communiste. Celle d'une dynamique d'alternative à gauche, à laquelle nous entendons apporter pleinement le concours des communistes. Une dynamique permettant à la gauche, par de nouveaux équilibres en son sein, d'étendre l'influence de ses forces dans la société, ce que l'hégémonie de l'une d'entre elles sur les autres ne permet pas.
Telles sont, à mes yeux, les questions qui nous sont posées, et auxquelles nous nous efforçons de répondre avec le travail d'élaboration du projet d'alternative politique du Parti communiste. Et simultanément, parce qu'il ne peut pas en être autrement sous peine de passer à côté de nos objectifs, en accomplissant un effort qui se doit d'être décisif sur le Parti lui-même, son mode d'organisation, le rôle de ses directions - jusqu'au plus haut niveau - sa capacité à s'ouvrir bien davantage sur la société et à conduire une activité de proximité en direction des femmes et des hommes qui ne sont pas membres du Parti communiste. Avec pour fil conducteur ceci, qui est essentiel : comment permettre, par quels moyens nouveaux, l'exercice en toutes circonstances de la pleine souveraineté des adhérentes et des adhérents, afin que ce soit bien eux, dans leur diversité, qui décident de la politique de leur parti ?
Vous l'avez constaté, cher-e-s camarades, pour ma part - et dans la continuité de ce que je m'efforce de faire depuis plusieurs années - j'ai la conviction que le moment est venu, pour le projet du Parti communiste et pour le renouvellement de nos pratiques politiques, de donner corps à ce que nous avons appelé un " nouveau communisme ".
Je dis bien, le moment est venu : c'est dans deux mois tout juste, dans deux mois seulement, qu'il nous faut tenir, ainsi que nous l'avons décidé, un congrès extraordinaire qui doit être le débouché concret de cette volonté.
Le défi à relever n'est pas mince. Ce à quoi nous prétendons, c'est au statut de parti politique moderne, capable de relayer et d'appuyer la contestation du système capitaliste et la résistance aux régressions dont il est responsable. Mais pas seulement. Nous affirmons, en même temps, la nécessité d'un apport politique communiste à la diversité des rassemblements qui sont engagés dans cette contestation. Un apport politique communiste visible, utile à ces luttes, et à tout le nouveau qui en émerge, en termes de pratiques sociales, d'idées et de propositions, d'exigences à l'égard de la politique.
J'ai dit, il y a quelques mois, que l'horizon des communistes ne se bornait pas à la gauche plurielle. Je le confirme aujourd'hui. La visée communiste n'est pas, ne peut pas être étroitement dépendante, conditionnée et, au bout du compte, prisonnière de ce qu'il est possible, ou non, de réaliser en participant à un gouvernement dont l'action est pour l'essentiel inspirée par la vision de la société et les projets du Parti socialiste.
Elle ne consiste pas davantage à marteler sans répit un discours strictement protestataire, en refusant d'être présents et d'intervenir là où se prennent les décisions, afin de les infléchir dans le sens des attentes des citoyennes et des citoyens chaque fois que possible.
Je reviens, à ce propos, au projet communiste.
J'ai dit d'emblée que nous voulions contribuer à construire des perspectives, à éclairer les moyens, les cheminements par lesquels, en partant des besoins et des potentialités de la société, il est possible de la révolutionner, de la libérer du capitalisme, pour lui substituer un autre ordre économique et social, organisé autour de la satisfaction des besoins humains.
Et s'il est vrai que nous ne voulons pas proposer un corps de doctrine accompagné d'un " prêt à agir " - nous sommes " vaccinés " contre cette tentation - nous sommes attendus, et c'est normal, sur les moyens et les propositions concrètes permettant d'aller dans ce sens.
Il faut donc de l'invention et de la précision à notre projet. Pas pour clore le débat, mais pour le nourrir, le stimuler et pour lui donner des prolongements en termes d'action.
Je ne prends que quelques exemples : comment le nouveau communisme envisage-t-il les questions économiques, les problèmes de la propriété, privée et publique ? De quoi parlons-nous quand nous évoquons une " nouvelle mixité " ? Quel rapport entre tout cela et les droits nouveaux, l'essor de la démocratie et de la citoyenneté que nous préconisons ?
J'énumère ici ces quelques questions - et la liste n'en est pas exhaustive - pour souligner ceci, qui me semble essentiel : c'est la possibilité d'une nouvelle cohérence qu'il nous faut donner à voir.
Nous partons d'une proposition fondamentale : il faut renverser les priorités de cette société : priorité au bonheur et à la liberté pour chacune et chacun, et pour toutes et tous ensemble, plutôt qu'au profit et aux dominations pour quelques-uns. D'où, immédiatement, notre combat et nos propositions pour un essor sans précédent de la démocratie participative, à tous les niveaux, dans tous les lieux où les femmes et les hommes vivent, créent, produisent, échangent. Dans les entreprises, bien sûr, et ce n'est pas le terrain sur lequel nous sommes le plus démunis de propositions. Mais aussi dans la gestion des grands équipements ; dans la répartition des financements ; dans la définition et la mise en uvre des politiques sociales ; dans la gestion de toutes les collectivités, jusqu'au plus haut niveau des institutions nationales et internationales.
C'est par ces moyens, par la convergence de ces véritables percées de la citoyenneté que pourront s'installer les conditions d'une maîtrise sociale des grands moyens de production et d'échange pour un développement durable et humain. C'est par des droits effectifs, concrets, au bénéfice des salariés, des femmes, des jeunes, que l'on pourra progresser vers un droit plus large, fondamental, et encore jamais installé dans quelque société que ce soit : le droit à la diversité et aux moyens de son respect pour tous.
J'ai évoqué les problèmes de la propriété. C'est bien sûr de la propriété des grands moyens de production et d'échange qu'il s'agit, et non de la propriété des biens personnels des individus. Ne faut-il pas, quel que soit le statut actuel de cette propriété, qu'elle soit privée ou publique, prendre comme point de départ la nécessaire reconnaissance du fait que les grandes entreprises et les grands groupes dont il est ici question ne doivent plus, depuis fort longtemps, leur existence au seul fait que du capital privé s'y investit. C'est aussi, et surtout, le fruit du travail de générations de salariés qui s'y est investi, ainsi que des masses énormes de capitaux publics consacrés par la collectivité à la formation des travailleurs, à leur santé, à leurs conditions d'existence, ou directement au soutien de l'activité de l'entreprise, par des subventions, des tarifs publics préférentiels, des marchés publics considérables, etc ...
C'est ainsi qu'elles sont devenues comme l'indique, vous l'avez bien sûr noté, le texte sur lequel nous travaillons pour l'élaboration du projet, je cite : " des réalités économiques et sociales où s'organisent et éventuellement se confrontent les relations entre les différents intérêts sociaux concernés : ceux des femmes et des hommes qui y travaillent, des collectivités publiques dans lesquelles s'inscrit leur activité, du capital investi, des organismes de crédit, des fournisseurs et des sous-traitants, des PME - PMI, des consommateurs, etc "
Reconnaître ce fait historiquement nouveau conduit bien évidemment à mettre en cause le "droit divin" que les propriétaires de capitaux privés s'arrogent sur ces grandes entreprises, tout autant que la gestion étatiste des entreprises publiques. C'est pourquoi nous proposons une conception radicalement nouvelle, contestant concrètement les droits exorbitants aujourd'hui accaparés par le capital privé ou l'Etat, et donnant des droits réels d'intervention et de décision aux citoyens, c'est-à-dire aux salariés mais aussi aux autres représentants des différents intérêts qui se confrontent dans la gestion de l'entreprise, afin d'aboutir à une véritable maîtrise sociale de ces grands moyens de production et d'échange.
C'est une condition à mes yeux indispensable pour que naisse et se développe une autre logique, une cohérence solide entre l'économique, le social et le politique, pour un développement réel de tout ce qui a pour objectif les " services à la personne " et la satisfaction des besoins matériels, sociaux, culturels des individus, avec les moyens humains et matériels correspondant. Dans cet esprit, il nous faut, je crois, affirmer l'exigence d'une ambition en terme de politique industrielle non productiviste, car il y a fort à faire, partant d'une société profondément inégalitaire et dominée par les activités financières, pour satisfaire les besoins humains immédiats et garantir leur satisfaction dans l'avenir. Dans ce cadre et avec cet objectif, ne craignons pas de le dire, il y a besoin de moderniser la France, d'y conduire une grande politique d'équipement et d'aménagement.
Ce qui pose immédiatement la question du financement de cette politique, de la mobilisation des moyens qui lui sont nécessaires, partout où ils sont disponibles.
Au niveau de l'Etat, mais pas seulement. Ce sont les ressources et les dépenses de la nation qu'il faut envisager tout autrement, démocratiquement, dans la transparence. La nation dans toutes ses composantes, donc sans oublier les responsabilités des capitaux privés.
Je ne veux pas développer davantage ici ces quelques exemples. Encore une fois, je plaide, vous l'aurez compris, pour un projet d'alternative politique tourné vers l'avenir, occupé des immenses questions posées à l'Humanité. Mais naturellement pas " suspendu en l'air ".
C'est pourquoi j'attache une grande importance à ce que de notre projet découlent bien, sur chaque question, non seulement les objectifs proposés mais, inséparablement les moyens politiques pour y parvenir : les luttes à mener, les rassemblements à construire, les politiques à mettre en place et à construire, à tous les niveaux de la vie publique : des collectivités locales jusqu'à l'Etat-.
C'est dans cet esprit que je fais un lien entre le projet sur lequel nous travaillons et les prochaines échéances électorales. C'est en soumettant ce projet à la discussion et au jugement des Françaises et des Français que je propose que nous abordions ces échéances. Ce sera le moyen de montrer - et, je l'espère, de convaincre - qu'une autre voie est possible ; que l'on n'est pas condamné à devoir choisir entre néolibéralisme et social-libéralisme. Et ce sera pour nos concitoyens qui le souhaiteront le moyen de peser pour " l'autre politique à gauche ", prenant en compte les propositions communistes pour aller dans le sens des transformations profondes nécessaires.
Le débat d'hier matin l'a montré, c'est bien dans cette voie que les communistes entendent engager leur parti, avec un projet susceptible de surgir, de s'imposer dans le débat sur les alternatives politiques, en le bouleversant parce qu'il peut permettre de réaccorder la politique et en les préoccupations des citoyennes et des citoyens.
Je voulais dire ceci devant vous - sans doute rapidement - comme un encouragement à l'audace, à l'invention, à la rigueur. C'est sous ces conditions seulement que nous pourrons approcher les objectifs que nous nous fixons.
Je veux à présent aborder deux dossiers d'actualité particulièrement importants.
La situation en Corse, d'abord, que j'évoquais au tout début de mon intervention.
Les nouveaux assassinats qui viennent d'y être commis témoignent de la profondeur et de la gravité des pratiques politico-mafieuses en vigueur dans l'île depuis 25 ans. Elles se sont d'autant plus installées que, longtemps, les gouvernements qui se sont succédés les ont objectivement encouragées, par leur refus obstiné d'examiner l'ensemble de la situation en Corse. En se cantonnant à un tête-à-tête plus au moins complaisant avec les extrémistes les plus résolus, cette attitude a creusé les difficultés et favorisé l'expansion de la violence.
Un fait nouveau est intervenu avec ce que l'on appelle le " processus de Matignon ", affichant l'objectif d'engager simultanément un effort dans trois directions : la reconnaissance de la singularité corse et les moyens de son épanouissement dans le cadre de la République ; le développement de l'économie et des services dans l'Ile ; la lutte contre la violence.
Pour cette raison, nous avons soutenu le principe général ainsi exposé, même si les députés communistes se sont abstenus à l'Assemblée nationale, au moment où celle-ci était appelée à se prononcer, parce qu'ils estimaient, avec raison, qu'il fallait plus de précisions quant au calendrier et à la nature des réformes à engager. Nos camarades corses élus à l'Assemblée territoriale ont exprimé une exigence identique.
Et précisément : du temps s'est écoulé depuis que ce processus a été initié, et le doute commence de s'installer sur la volonté de lui donner corps rapidement, et de façon significative.
De sorte qu'il se trouve aujourd'hui fragilisé, et attaqué aussi de toutes parts, y compris au nom d'un républicanisme de caserne, cachant derrière des attitudes se voulant martiales, son incapacité au dialogue et à la consultation populaire. Dialogue et consultation que redoute, en fait, la plupart des partenaires du lamentable jeu politicien et affairiste qui se joue sur l'île, au détriment tout à la fois du peuple corse et de la France.
Il ne suffit pas de dire que le processus doit se poursuivre : il faut l'engager effectivement, et sortir du tête-à-tête entre les pouvoirs publics d'une part et l'attelage libéraux - nationalistes d'autre part.
Il est urgent, je le dis aujourd'hui devant vous, que le gouvernement expose précisément ses intentions dans les trois domaines où il a annoncé vouloir agir ; et il est impératif d'étendre et de systématiser le dialogue et l'action avec les Corses eux-mêmes. Ils y sont disponibles ; ils souhaitent pouvoir le faire dans le cadre républicain. Toutes les enquêtes d'opinion en attestent. Alors, et sans ignorer naturellement les élus de l'île, il faut leur proposer les moyens de cette intervention citoyenne. Il faut, je ne crains pas de le dire, en faire les interlocuteurs privilégiés d'un processus réellement novateur. C'est l'absence d'engagement en ce sens qui contribue à bloquer la situation en Corse ; qui installe le doute, le manque de confiance et la crainte chez beaucoup des femmes et des hommes qui y vivent et y travaillent.
A l'inverse, qu'ils soient associés pleinement à tout ce qui concerne leur vie quotidienne et leur avenir, et le petit nombre de ceux qui veulent perpétuer dans l'île les pratiques anciennes, parfois " relookées " aux couleurs de tel ou tel groupe de pression ou organisation politico-économique se trouvera isolé et contraint d'en rabattre sur ses prétentions à dicter sa loi.
L'heure n'est plus à discuter de la validité - ou pas - des accords de Matignon. Chacun peut avoir son opinion. Ce que je viens de dire est significatif de ce qu'est la nôtre. L'heure devrait être plutôt à l'action avec les Corses eux-mêmes, faute de quoi la violence continuera de prospérer dans une société minée par les difficultés et la peur. Et le doute demeurera sur les origines diverses de cette violence, de ses instigateurs et de ses bénéficiaires.
Et puis, dans un tout autre domaine, je veux dire également que les communistes, et les parlementaires communistes, députés et sénateurs, seront particulièrement attentifs et combatifs lors de l'examen du budget à l'Assemblée nationale et au Sénat. Pas moins, on peut en être sûr, que lors de la discussion du volet anti-licenciement de la loi de modernisation sociale. D'autant plus que, je ne le cache pas, ce que nous savons déjà des intentions du gouvernement nous préoccupe particulièrement. A l'évidence il y a la volonté, pour ne pas dire le choix politique fabiusien, de ne pas " sortir des clous " fixés par la banque centrale européenne. La dépense publique continue d'être stigmatisée, tandis que les revendications salariales, et celles d'une augmentation sensible des minima sociaux et des retraites se heurtent, pour les mêmes raisons, à l'intransigeance gouvernementale.
De tout cela découle un renforcement des inégalités et des exclusions, en même temps que la croissance se trouve fragilisée, au moment même où elle commence d'être hypothéquée par un retournement de la conjoncture internationale. C'est une question de fond. Elle nous oppose aux libéraux mais aussi à ceux, dans la majorité et le gouvernement, qui plaident dans le même sens. Chacun doit bien savoir que dans les semaines et les mois à venir les communistes seront, particulièrement sur cette question, au premier plan de l'offensive sociale et politique.
Cher-e-s camarades,
Je suis particulièrement bien placé pour savoir que ce que nous avons à accomplir dans les semaines à venir n'est pas, comme on dit, " joué d'avance ". Pour autant, je n'en éprouve aucune tentation de ralentir l'allure. Au contraire, je suis intimement convaincu qu'il ne nous faut surtout pas rester au " milieu du gué ". L'enquête audio-visuelle réalisée à notre demande est, me semble-t-il, assez claire sur les attentes à notre égard, et la hauteur des efforts à produire pour ne pas les décevoir.
Quant à moi, je suis résolu, à la responsabilité que j'exerce, à tout faire pour que de notre congrès extraordinaire sorte le Parti communiste auquel nous aspirons, le Parti du nouveau communisme. Nouveau - j'ai déjà eu l'occasion de le dire et il n'y a strictement aucune ambiguïté là-dessus - non pas en reniant le Parti communiste fondé en 1920, mais nouveau par son projet et ses pratiques, et parce qu'en phase avec les défis et les possibilités transformatrices présents dans la société et le monde au début du 21ème siècle. Nouveau parce que porteur d'un projet politique prenant toute la mesure de ces défis et de ces possibilités. Nouveau par les formes d'organisation et les pratiques politiques correspondant à ces ambitions.
Nous avons un calendrier chargé. Dans trois semaines il y aura la fête de l'Humanité, dont tout indique qu'elle peut être un puissant lieu d'attraction, de convivialité et de débats politiques stimulants pour des dizaines et des dizaines de milliers de visiteurs.
Nous aurons dans les semaines qui viennent à désigner le candidat ou la candidate communiste à l'élection présidentielle, par un moyen nouveau, démocratique, qui s'adresse à chacune et à chacun des membres du Parti.
Nous avons à poursuivre et à approfondir nos discussions - entre nous, bien sûr, et aussi avec le plus grand nombre de femmes et d'hommes qui s'intéressent à nos efforts - dans la perspective du congrès extraordinaire de fin octobre.
Et parce que les communistes ne mettent jamais entre parenthèses leur intervention dans la vie politique, dans les luttes - les occasions ne manquent pas, j'en ai évoqué quelques-unes - nous aurons à renforcer sensiblement notre présence militante confiante et offensive partout : dans les quartiers et dans les entreprises, dans les assemblées et toutes les institutions où nous pouvons faire entendre notre voix.
C'est donc une rentrée active - davantage même : résolument offensive - qui nous attend. A en juger par les débats de cette université d'été les communistes y sont prêts. Bon courage donc. Et bon succès pour vous toutes et tous, pour notre Parti communiste ; pour le communisme du 21ème siècle qu'ensemble nous construisons et ambitionnons de faire vivre et lutter.
Au service de notre peuple ; pour changer la société, changer le monde, en le libérant du capitalisme, afin que les êtres humains maîtrisent enfin leur destin.

(source http://www.pcf.fr, le 27 août 2001)