Interview de M. Jean-Luc Cazettes, président de la CFE CGC, à RMC le 19 juin 2001, sur les relations entre le gouvernement et les syndicats, le financement des 35 heures et la volonté du MEDEF de se retirer des organismes paritaires de la sécurité sociale.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

P. Lapousterle - Vous êtes président de la Fédération des cadres. Combien de cadres en France ?
- "A peu près 3 millions de cadres si l'on prend les chiffres de l'AGIRC, c'est-à-dire du régime de retraite des cadres."
Le chiffre augmente ?
- "Le chiffre augmente au fur et à mesure à cause du développement de notre société technique, nous avons de plus en plus besoin de gens qualifiés et, malheureusement, de moins en moins d'emplois non qualifiés."
Dans deux heures, vous allez rentrer dans le bureau du Premier ministre à la tête de la délégation de votre syndicat. Qu'allez-vous lui dire ?
- "Nous allons lui rappeler le déficit de communication qui existe entre les pouvoirs publics, le Gouvernement et les organisations syndicales sur les derniers projets, qu'il s'agisse de la loi de modernisation sociale ou du financement des 35 heures."
Vous n'avez pas eu votre mot à dire ?
- "La concertation s'est limitée bien souvent à de l'information après coup sur des dossiers qui étaient fixés. Il ne faut pas s'arrêter sur le passé. S'il y a réellement une volonté de travailler un peu plus avec les organisations syndicales, on a un certain nombre de projets à proposer au Premier ministre pour engager des chantiers de négociation avec lui pendant la durée de la mandature qui reste."
Par exemple ?
- "Je reprends cet exemple des 35 heures et de son financement. On a actuellement un système d'exonération de cotisations sociales des entreprises, qui comporte 47 ou 48 mesures différentes et personne n'y comprend plus rien ! Même les agents de l'Urssaf, chargés du recouvrement, n'arrivent plus à comprendre la totalité du dossier. Je demande à ce que l'on mette tout cela sur la table une bonne fois pour toute et qu'on regarde l'efficacité de ces meures. Est-ce que réellement toutes ces mesures ont apporté un plus en matière d'emploi ? Qu'on mette aussi sur la table ce que l'on conserve et la façon dont on va le financer !"
Vous ne demandez pas le retrait des 35 heures quand même ?
- "Non pas du tout. On demande simplement la façon dont on va pouvoir financer tout cela. On fait un grand cinéma autour du prélèvement de 3,5 milliards sur la Sécurité sociale, c'est-à-dire sur nos cotisations. Si ce n'est pas la Sécurité sociale, ce sera le budget de l'Etat et si c'est ce budget, ce sera aussi nos impôts. En bout de course, c'est quand même bien nous qui allons payer tout cela. Alors, qu'on essaye de se mettre d'accord pour voir de quelle façon les choses peuvent se passer le mieux possible. Il y a donc un grand chantier à faire."
Vous êtes pratiquement le seul syndicaliste aujourd'hui à dire que ce n'est pas si grave que l'Etat ponctionne sur les surplus de la Sécurité sociale pour financer un partie des 35 heures ?
- "Sur le principe, ce n'est pas normal parce que la protection sociale est faite pour rembourser des dépenses de maladie, pour verser les allocations familiales et des retraites. Même si elle a quelques excédents aujourd'hui, malheureusement, on craint que cela ne dure pas très longtemps. Donc le principe n'est pas bon. Ceci étant, ce n'est pas pour autant, en fin de compte, que cela vient ponctionner particulièrement les salariés. Ce que l'on ne paye pas dans les cotisations sociales, de toutes les façons, on le paye dans les impôts. Pour ces 3,5 milliards, bien sûr qu'on s'insurge et que nous ne sommes pas d'accord. Simplement, on n'en fait pas un plat dans la mesure où le Medef a abandonné 11 milliards de cotisations dans les régimes de retraite par l'accord du mois de février."
Justement le Medef va probablement annoncer aujourd'hui qu'il se retirera des organismes paritaires de Sécurité sociale si l'Etat ponctionne dans les caisses de la Sécu pour payer les 35 heures.
- "Premièrement, il ne va se retirer : il va éviter de renouveler ses nouveaux administrateurs - ce n'est pas tout à fait pareil. Le retrait entraîne forcément des réactions parmi ses mandants ; là ce sera sans doute moins le cas. Cette menace, il l'agite déjà depuis plusieurs mois. Ce coup-ci, on a l'impression que, effectivement, il va passer à l'acte. Il n'a pas forcément choisi le meilleur moment et le meilleur argument mais il n'en demeure pas moins que pour la Sécurité sociale, ce n'est pas la fin du paritarisme car la Sécu n'a jamais été le paritarisme. Le paritarisme c'est quand il y a des conventions collectives signées entre les employeurs et les organisations syndicales : le régime du chômage, les retraites complémentaires sont du paritarisme. La Sécurité sociale est un système dans lequel l'Etat décide quasiment de tout. Il décide des recettes, des dépenses et toutes nos décisions sont soumises à l'agrément de la tutelle. Il faut donc essayer d'imaginer un mode de fonctionnement associant l'Etat, les employeurs et les organisations syndicales."
Donc si le Medef ne nomme plus d'administrateurs et l'annonce ce soir, cela ne vous paraît pas la fin du monde ?
- "Non, ce n'est pas la fin du monde. Il restera toujours les administrateurs représentant les employeurs car je n'ai pas l'impression l'UPA - pour ne parler que d'elle - ait dit qu'elle suivait en quoi que ce soit la décision du Medef. Les ordonnances de 1996 d'A. Juppé ont fait en sorte qu'il reste un quorum dans les conseils d'administration et que ces conseils peuvent se réunir et statuer. Ce qu'il faut, c'est que nous trouvions rapidement un mode de fonctionnement plus convenable et plus correct. Les partenaires sociaux n'ont pas seuls la légitimité à gérer la Sécurité sociale, c'est clair, mais l'Etat n'a pas non plus seul la légitimité de le faire. Il faut que l'on s'associe."
Sur la loi anti-licenciement votée avec beaucoup de difficultés, de quel côté êtes-vous ? Du côté du Gouvernement qui dit que c'est un progrès pour les salariés ou bien du côté de M. Fabius qui, à titre personnel, craint une baisse des investissements et des conséquences négatives sur l'emploi ?
- "Je suis toujours inquiet quand on légifère dans l'urgence. Sur ce problème des licenciements, il y a un certain nombre de mesures dont je ne suis pas persuadé qu'elles seront très efficaces. Elles vont peut-être un peu améliorer les choses. D'un autre côté, il faut effectivement éviter que les entreprises se délocalisent encore plus vite. Il aurait fallu associer les salariés en amont des décisions par une présence, par exemple, dans les conseils d'administration, et puis éventuellement mettre à la charge des groupes bénéficiaires qui licencient une véritable obligation de résultat dans le reclassement de leurs salariés."
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 19 juin 2001)