Interview de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, à "RTL" le 11 mars 2013, sur les choix gouvernementaux en matière budgétaire.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

JEAN-MICHEL APHATIE
Les consignes budgétaires du Premier ministre sont connues depuis vendredi dernier, il veut que l’année prochaine, les dépenses de l’Etat baissent en valeur absolue, d’un milliard et demi d’euros, ce qui ne s’est pas vu depuis très très longtemps, des dépenses qui baissent, pour appeler un chat, un chat, c’est une politique d’austérité.
PIERRE MOSCOVICI
Non, je voudrais qu’on replace les choses quand même dans la perspective. Nous sommes arrivés aux responsabilités c’était le 15 mai, bientôt un an et on nous avait laissé une situation, je ne veux pas faire le coup de l’héritage, qui était une situation dans laquelle les déficits avaient augmenté de 600 milliards d’euros. Les déficits cumulés, c’était la dette, les déficits annuels étaient au-dessus de 5%, le chômage avait pris un million, la compétitivité française s’est dégradée très fortement et s’est marquée par notre déficit du commerce extérieur. Il faut redresser la France parce qu’elle s’est trouvée dans une situation dégradée et la redresser ça veut dire deux choses qui sont liées, c'est redresser ses comptes publics, parce qu’un pays qui s’endette est un pays qui s’affaiblit, c’est insupportable, chaque euro consacré à la dette publique est un euro perdu pour l’éducation, pour le service public, pour l’hôpital ou pour l’économie tout simplement. Et puis il faut en même temps redresser notre tissu productif et notre perspective à nous puisque, pardonnez-moi ce détour, ce n’est pas l’austérité, c'est la croissance, c’est l’emploi…
JEAN-MICHEL APHATIE
Au point de baisser les dépenses de l’Etat, jamais personne ne nous avait dit, pendant la campagne électorale que vous avez menée il y a un an aux côtés de François HOLLANDE vous connaissiez la situation économique budgétaire, jamais vous n’avez dit, les dépenses de l’Etat vont baisser.
PIERRE MOSCOVICI
Eh bien prenons, puisque vous parlez de ça, la situation telle qu’elle était prévue par le précédent gouvernement il y a plus d’un an. C’était 1,7% quand nous sommes arrivés pour 2013. Nous avons tout de suite rectifié la prévision de croissance à 1,2 puis à 0,8. Le résultat c'est que la Commission européenne nous dit 0,1 dans un contexte qui n’est pas un contexte français, mais un contexte européen puisque la zone euro devrait être en récession malheureusement, de l’ordre de 0,3% pour l’année 2013. Nous sommes contraints de nous adapter à cette situation et nous devons absolument doper le potentiel de croissance française. C’est la raison pour laquelle la politique de ce gouvernement ce n’est pas une politique d’austérité, d’abord c’est une politique qui ne fera pas de plan de rigueur supplémentaire en 2013, il n’y en aura pas.
JEAN-MICHEL APHATIE
Tout le monde est sceptique quand on entend ça, mais bon…
PIERRE MOSCOVICI
Non, je suis en train de discuter avec la Commission européenne un délai sur l’application de la réduction des déficits en deçà de 3% de 2013 à 2014 parce que justement je ne souhaite pas, le président de la République ne souhaite pas qu’on ajoute de l’austérité à la stagnation économique. Si nous faisions ça, à ce moment-là la France entrerait en récession et ce que nous souhaitons au contraire c’est qu’elle reparte de l’avant. Donc en 2013, ça c’est important pour ceux qui nous écoutent parce qu’on mélange des chiffres, on ne sait pas à quoi ça s’applique, il n’y aura pas de plan d’ajustement supplémentaire, nous laisserons jouer ce qu’on appelle les stabilisateurs automatiques, c’est-à-dire de faire en sorte que, pour le coup, alors que nous avons déjà demandé un effort très important aux Français en 2013, 30 milliards d’euros, eh bien la dépense publique contribue à la croissance. Et puis pour 2014 et c’est là le sens des lettres de cadrage…
JEAN-MICHEL APHATIE
Dépenses qui baissent, 5 milliards d’économies…
PIERRE MOSCOVICI
Oui absolument et ça c’est nécessaire…
JEAN-MICHEL APHATIE
…et une partie de la gauche dit, ce type de politique, ça tue la croissance. Déjà l’espoir de croissance est faible et avec une politique comme ça, l’espoir de croissance est nul.
PIERRE MOSCOVICI
Dans quel environnement vivons-nous ? Nous sommes en Europe, nous sommes dans une économie mondialisée et nous sommes aussi dans une économie où nous avons une dette publique, dont le service annuel est de l’ordre de 50 milliards d’euros et pour ça, nous versons des taux d’intérêts, c’est le coût de ces services annuels. Si la dette publique continue de s’accroitre, si le déficit public s’accroît, à ce moment-là le taux d’intérêt augmente et chaque dixième de point, on appelle ça des spread sur les taux d’intérêts, c’est un coût en plus pour l’Etat et c’est un coût en plus y compris pour les entreprises.
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais c'est une partie de la gauche qui conteste cela Pierre MOSCOVICI, qui dit vous allez tuer le faible espoir de croissance.
PIERRE MOSCOVICI
Non je lui réponds le contraire, je dis que le désendettement est un facteur de croissance, qu’une économie qui se désendette c’est une économie qui retrouve des marges de manoeuvre, qu’à partir du moment où on est désendetté on pourra faire plus demain pour l’Education nationale, pour la protection sociale, pour la lutte contre la compétitivité… pour la compétitivité, pour la lutte contre le chômage. Et j’ai parlé de compétitivité il y a une seconde, la vraie politique que nous menons c’est de désendetter l’Etat pour trouver des ressources pour faire en sorte de relancer la croissance. C’est le pacte de compétitivité de croissance et d’emploi, c’est le crédit d’impôt compétitivité emploi. Je vais vous quitter dans quelques minutes, j’irai à Clermont-Ferrand tout à l’heure, je serai avec Nicolas DUFOURCQ, le directeur général de la Banque Publique d’Investissement et nous signerons les premiers contrats de préfinancement du crédit d’impôt compétitivité emploi, c’est-à-dire des entreprises qui peuvent investir et embaucher. Et donc il faut absolument qu’on retrouve des marges et franchement, quand on a comme nous, 57% ou presque de dépenses publiques dans le PIB, je pense qu’on peut faire cet effort et cet effort nous le demandons. J’ajoute que ce n’est pas de l’argent en moins, ce n’est pas un Etat qui s’appauvrit c’est un Etat qui se réforme et parce qu’il y a une différence de méthode fondamentale dans ce que nous faisons, c’est ce qu’on appelle la modernisation de l’action publique ; nous ne sommes pas en train de dire ministère par ministère voilà où sont les économies, la lettre de cadrage de Jean-Marc AYRAULT c'est de demander aux ministres de faire des propositions d’ici la fin mars, ensuite Jérôme CAHUZAC et moi nous les rencontrerons et puis à la fin juin, il y aura ce qu’on appelle les lettres plafond qui seront ensuite discutées par le Parlement qui sont le projet de budget et c’est comme ça que nous ferons, ça s’appelle la modernisation de l’action publique que les opérateurs de l’Etat et l’Etat lui-même se réforment en profondeur. C’est ce qu’ont fait d’autres, les Suédois, les Canadiens jadis, nous devons le faire.
JEAN-MICHEL APHATIE
Aucune autre politique que celle de la rigueur que vous décrivez Pierre MOSCOVICI n’est possible aujourd’hui en France ?
PIERRE MOSCOVICI
Je ne décris franchement pas une politique de rigueur. Je décris une politique de…
JEAN-MICHEL APHATIE
Il n’y a pas beaucoup de…
PIERRE MOSCOVICI
Pardonnez-moi, nous allons conserver encore une fois ces dépenses publiques qui sont utiles pour l’emploi, pour la protection sociale, pour l’éducation qui ne sera pas touchée, en tout cas dans ses emplois, pour la sécurité, pour la gendarmerie, pour la justice et aussi pour la défense contre le chômage. Tout ça c’est maintenu, nous avons en France un Etat social et un Etat tout court qui va rester extrêmement fort. C’est 1,5 milliard en moins que nous demandons pour 2014, je dis que c’est supportable et je dis que les Français ne veulent pas qu’il y ait un matraquage fiscal dans ce pays. Ils considèrent en effet que la dépense publique doit contribuer davantage à l’effort commun.
JEAN-MICHEL APHATIE
Faut-il augmenter, Pierre MOSCOVICI, la fiscalité du diesel, c’est un débat qui est devant vous, oui si on regarde ça du côté de l’écologie, non si on regarde ça du côté de l’économie. Votre réponse ?
PIERRE MOSCOVICI
Je n’ai pas du tout l’intention moi de contribuer au débat sur la fiscalité, pourquoi, parce qu’il faut faire les choses dans l’ordre. Commençons par réfléchir aux économies de dépenses et j’ai dit ici même, c’était la semaine dernière, j’étais invité du « Grand Jury », que je souhaitais que l’effort s’inverse par rapport à ce qui s’est passé en 2013. En 2013 nous avons demandé les deux tiers à la fiscalité et puis un tiers aux dépenses parce que c’était de l’action de court terme et qu’on ne peut pas aller vite en la matière. Dès lors que nous réformons l’Etat en profondeur, ça doit être la dépense publique qui est davantage sollicitée que la fiscalité et puis les impôts c’est pour plus tard et je ne souhaite pas moi, encore une fois, qu’on multiplie l’inventivité fiscale, je souhaite qu’il y ait, en gros, de la stabilité et de la simplification en matière fiscale.
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est dit : de GAULLE plus BLUM égal CHAVEZ ! C'est votre collègue de l’Outre-Mer, Victorin LUREL qui a dit cela.
PIERRE MOSCOVICI
Ecoutez, moi je trouve que, je veux bien vous répondre…
JEAN-MICHEL APHATIE
Eh ben, c'est gentil !
PIERRE MOSCOVICI
Ce n’est pas exactement ma sensibilité mais surtout, ce qu’on attend du ministre de l’Economie et des finances, là je vais le dire comme Alain DUHAMEL, c’est d’être aux avant-postes de la lutte contre le chômage, de la lutte pour la compétitivité, de la lutte pour l’investissement, de la lutte pour la croissance, c’est ça que les Français attendent.
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais on en a parlé, on en a parlé et juste deux mots, quand un ministre de la République dit : de GAULLE plus BLUM égal CHAVEZ, il est dans l’épure de ce qu’est la République ou il dit une énormité pour reprendre le mot d’Alain ?
PIERRE MOSCOVICI
Vous savez, je crois qu’il s’est en effet trouvé dans une ambiance qui devait être une ambiance formidable, CHAVEZ a fait des choses, il y en a d’autres qu’il n’a pas faites. Moi je n’ai pas envie de commenter ça beaucoup, franchement, parce que le sujet ne me passionne pas.
JEAN-MICHEL APHATIE
Quand on est embêté, c’est un peu ce qu’on dit !
PIERRE MOSCOVICI
Non pas du tout, c’est la vérité, moi je suis mobilisé sur une cause, on parlait tout à l’heure de gravité, on parlait de service public, nous sommes un gouvernement d’intérêt général, le président de la République a marqué un cap, il va le défendre et en France, en Province, aujourd’hui à Dijon et puis plus tard, il s’expliquera devant les Français et il le fera sans doute dès que nécessaire et autant que nécessaire c’est ça qui est important, la mobilisation du pas pour l’emploi, pour la croissance, ça passe par le sérieux, mais le sérieux n’est pas une fin en soi et le redressement des comptes publics c’est une nécessité mais ce n’est pas un objectif qui se distingue de notre volonté de relancer la croissance dans ce pays.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 11 mars 2013