Texte intégral
Dans le cadre de la politique française en matière de biens spoliés aux familles juives pendant la seconde guerre mondiale, avoir lopportunité de réaliser une restitution de biens culturels MNR aux familles victimes de la barbarie, est un moment émouvant, important et solennel.
Cest un moment émouvant parce quenfin les deux familles bénéficiaires de la restitution daujourdhui peuvent recouvrer une part de leur mémoire brisée.
Cest un moment important parce que cette restitution est laboutissement de nombreux efforts pour faire valoir le droit ; cest laboutissement des efforts des familles, bien sûr ; mais cest aussi laboutissement des efforts du ministère de la Culture et de la communication et de la Commission dIndemnisation des Victimes de Spoliation.
Jai parlé de « MNR » ; derrière cet acronyme un peu mystérieux pour le public qui signifie « Musées Nationaux Récupération » se cache un ensemble de 2000 uvres environ qui ont été récupérées des spoliations nazies. Elles sont confiées à la garde des musées de France dans lattente de leur restitution aux victimes des exactions nazies et à leurs ayants droit.
Ces uvres MNR restituées aujourdhui appartenaient à lorigine à des collectionneurs étrangers, viennois et pragois. Elles ont pu être identifiées grâce à la sagacité dhistoriens et à celle des familles concernées et grâce au site Internet spécifiquement dédié à cette question des biens spoliés par le ministère de la Culture et de la communication.
Ces restitutions consacrent donc en quelque sorte la justesse de lapproche française dans la réponse à apporter à légard des uvres spoliées. Mais plus quun satisfecit, ces restitutions constituent un encouragement pour tout le personnel du ministère de la Culture et de la communication et du ministère des Affaires étrangères à continuer à relever le défi que constitue le sort des autres MNR qui, toujours orphelines, sont dans lattente dune restitution. Ces restitutions prouvent que les réparations sont encore possibles malgré le long silence des archives jusquà ce jour. Elles fournissent aussi un espoir pour toutes les familles atteintes dans leurs biens et qui sont encore dans lattente de réparation.
Aujourdhui, cest une scène de genre hollandaise du 17e siècle, un tableau de Pieter van Asch, La halte, qui est restituée aux ayants droit de Josef Wiener, banquier de Prague mort au camp de Terezin. Luvre avait été vendue à Munich sous la contrainte des événements en 1941. Cest en fait par erreur que la toile est venue en France après la guerre, à la suite dune confusion avec une autre toile de lartiste. Je suis heureuse que cette erreur soit aujourdhui réparée. M. Mandel na pas pu être présent aujourdhui mais il est représenté par son avocate, Madame Imke Gielen, du cabinet davocats berlinois von Trott zu Solz.
Nous restituons également aujourdhui pas moins de six uvres baroques des 17e et 18e siècles, italiennes et autrichiennes, à M. Thomas Selldorff, petit-fils de Richard Neumann, industriel viennois du textile. Ce nest donc pas sans émotion quil pourra retrouver les uvres quil avait vues dans son enfance chez son grand-père. Richard Neumann a fui lAutriche après lAnschluss en 1938 pour venir en France. Comme beaucoup de personnes dEurope centrale réfugiées en France après larrivée des nazis dans leurs pays dorigine, il a été victime des spoliations à deux reprises, une première fois en Autriche où il a perdu une grande part de ses biens, puis à nouveau en France, où il a été obligé de vendre à la hâte les uvres quil avait pu faire venir Il a ensuite traversé les Pyrénées pour se rendre en Espagne puis à Cuba où il devait contribuer à la fondation du musée des Beaux-Arts ; il sinstalla ensuite à New York.
La restitution réalisée aujourdhui par la France est un moment important par son ampleur puisque cest la première fois que le ministère de la Culture et de la communication et le ministère des Affaires étrangères restituent six MNR à une seule famille en même temps.
Je suis maintenant heureuse de laisser la parole à Madame Gielen qui va nous parler de M. Wiener, l'ancien propriétaire du tableau de Van Asch ; ce sera ensuite au tour de M. Selldorff de nous dire quelques mots sur son grand-père.
(seconde prise de parole)
Après la guerre, la France a fait un très important travail de restitution à travers la Commission de Restitution Artistique (CRA) ; environ 45 000 uvres et objets usuels ont ainsi été restitués à leurs propriétaires ou à leurs ayants droit sur les 60 000 revenues dAllemagne.
Lorsque la Commission de Restitution Artistique cesse ses activités, à la fin des années 1940, le reliquat est vendu par les Domaines pour aider à la reconstruction du pays, à lexception de 2000 uvres qui sont placées en dépôt dans les musées de France dans lattente de leur restitution ; il sagit des MNR.
A cette époque, à la fin des années 1940, on considérait que le travail de restitution était accompli, quon pouvait tourner la page dramatique de la guerre et regarder vers lavenir, et notamment vers cet avenir que la France et lAllemagne commençaient à bâtir ensemble, je veux parler de la construction européenne.
Par la suite, après cette phase active, les restitutions se sont fortement ralenties puisque entre 1953 et le début des années 1990, six MNR seulement furent restitués. Les raisons en sont diverses : parmi celles-ci, il faut sans doute prendre en compte le fait que les victimes de spoliation ou leurs ayants-droit butèrent sur le problème du délai légal de communicabilité des archives publiques qui leur interdisait, de fait, de trouver les documents qui auraient pu leur permettre de faire valoir leurs droits.
La chute du mur de Berlin et les bouleversements politiques qui suivirent, tout comme louverture des archives, notamment aux Etats-Unis, ont transformé l'appréhension du dossier de façon radicale.
Le discours du 16 juillet 1995 prononcé par Jacques Chirac, alors récemment élu président de la République française, pour commémorer la rafle au Vélodrome d'Hiver a sans aucun doute fait évoluer les esprits.
En France, le dossier des biens spoliés a été rouvert à cette période : un colloque sur ce thème fut organisé en 1996 par la direction des musées de France, puis un premier répertoire des MNR fut publié par les musées de France. Dès lors, une nouvelle dynamique était enclenchée.
Cest alors quAlain Juppé, en tant que Premier Ministre, décida en 1997, la mise en place dune mission détude sur la spoliation des juifs de France dont la présidence était confiée à Jean Mattéoli, ancien résistant et président du Conseil économique et social. Cette mission était chargée d'étudier comment les biens immobiliers et mobiliers (et donc pas seulement les uvres dart) des juifs de France avaient été saisis tant par l'occupant que par les autorités du régime de Vichy entre 1940 et 1944. Elle devait également évaluer l'ampleur de la spoliation ainsi opérée, localiser ces biens et identifier leur statut juridique.
Parmi les recommandations émises par cette commission, on retiendra notamment la création de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et de la Commission dindemnisation des victimes de spoliations (CIVS).
Cest à ce moment que la communauté internationale a également décidé de rouvrir le dossier ; cette nouvelle prise de conscience s'est concrétisée par la « Déclaration de Washington » ratifiée en 1998 par 44 gouvernements, dont la France. Sy trouvait pour la première fois affirmé le principe du devoir de restitution et de lindemnisation des victimes de spoliations. Chaque Etat a répondu à sa façon à ces prescriptions non contraignantes.
On le voit par ce simple rappel de la chronologie, la France na pas été en retard dans cette réévaluation de la mémoire par rapport aux autre pays occidentaux puisquelle a entamé sa réflexion et pris linitiative de premières réalisations avant que se tienne la conférence de Washington.
Les recherches menées à cette époque sur les MNR ont conduit à la restitution, entre 1998 et 2000 de 31 MNR, nombre auquel il faut ajouter les 15 autres restitutions effectuées les années qui suivirent, entre 2002 et 2008.
En 2008, le Service des musées de France décide de laffectation dun conservateur du patrimoine pour travailler sur les biens spoliés et relancer le traitement de cette question. Le répertoire en ligne des MNR est alors réactualisé et un environnement documentaire est ajouté. Il devient le site Rose-Valland, en hommage à cette femme de musée, d'un grand courage, dont laction pour défendre le patrimoine a permis dinnombrables restitutions après la guerre. Les documents déjà mis en ligne en ont fait un site de référence salué par nos partenaires français et étrangers.
La même année, a eu lieu l'exposition "A qui appartenaient ces chefs d'uvre?", qui s'est tenue successivement au Musée d'Israël de Jérusalem, de manière très exceptionnelle, et au Musée d'art et d'histoire du judaïsme à Paris. Le remarquable catalogue de cette exposition était l'occasion de faire le point avec les meilleurs spécialistes du sujet.
Le Service des musées de France suscite également en 2011 un travail qui promet dêtre important sur les catalogues de ventes aux enchères entre 1938 et 1950. Ce travail est mené à bien au sein de lInstitut national dhistoire de lart (INHA) grâce à la participation financière et au soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Je tiens à remercier ici les directeurs de ces deux institutions, qui sont parmi nous, pour l'aide apportée dans ce travail. De nombreuses uvres vendues par des collectionneurs juifs sous la contrainte des événements devraient être identifiées ; peut-être y aura-t-il parmi elles des MNR.
Ce bref rappel des faits montre que la restitution qui nous rassemble aujourdhui ne doit rien au hasard, mais quelle est laboutissement dun travail mené depuis des années par le ministère de la Culture et de la Communication, mais aussi par les institutions partenaires comme la CIVS dont je tiens à saluer le président qui est avec nous aujourd'hui.
Cette action me permet dannoncer dès maintenant que dautres restitutions auront sans doute lieu dans le courant de cette année 2013. En effet, quelques-unes sont en cours dinstruction et je me réjouis de savoir quelles pourront être satisfaites.
Il est toujours difficile de poursuivre sans faiblir des travaux nécessitant beaucoup de persévérance, de continuité et ne permettant pas aussi fréquemment qu'on le souhaiterait des résultats comme celui que nous réunit aujourd'hui ; néanmoins, dès mon arrivée au ministère de la culture et de la communication, j'ai voulu lancer une nouvelle initiative par la mise en place d'un groupe de travail. Son installation toute récente par le directeur général des patrimoines, M. Vincent Berjot, permettra de reprendre d'une manière approfondie la recherche sur les MNR réputés spoliés. Ce groupe de travail devra remettre le résultat de ses travaux au milieu de lannée prochaine.
La recherche actuelle relative à la provenance des MNR se porte donc à la fois sur les uvres passées sur le marché de lart et sur les uvres véritablement spoliées.
Pour conclure, quil me soit permis de citer Primo Levi:
« Plus rien ne nous appartient : ils nous ont pris nos vêtements, nos chaussures, et même nos cheveux ; si nous parlons, ils ne nous écouteront pas, et même s'ils nous écoutaient, il ne nous comprendraient pas. Ils nous enlèveront jusqu'à notre nom : et si nous voulons le conserver, nous devrons trouver en nous la force nécessaire pour que derrière ce nom, quelque chose de nous, de ce que nous étions, subsiste.» (Primo Levi, Si cest un homme).
Ces tableaux, qui subsistent et qui vous attendaient, je suis heureuse quils soient enfin restitués à leurs légitimes propriétaires.
Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 21 mars 2013