Interview de M. Bernard Cazeneuve, ministre du budget, à "RTL" le 20 mars 2013, sur son arrivée au ministère du budget après la démission de Jérôme Cahuzac, et sur le plan européen de sauvetage pour Chypre.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

JEAN-MICHEL APHATIE
Jérôme CAHUZAC a démissionné hier soir du gouvernement, vous le remplacez au ministère du Budget ce matin, la succession est difficile ?
BERNARD CAZENEUVE
Une succession est toujours difficile lorsqu’on succède à un ministre qui incarnait une fonction, qui l’a incarné avec excellence, qui a été brillant, performant dans l’exercice de sa responsabilité. Et c’est difficile aussi pour moi parce que je succède à un ami, donc on peut succéder à Jérôme CAHUZAC, on ne peut pas le remplacer.
JEAN-MICHEL APHATIE
Donc vous succédez à un ami, est-ce que la proximité, l’amitié vous a amené depuis le début du mois de décembre à évoquer avec lui les accusations qui étaient portées contre lui, qui le concernait, son compte en Suisse, vous en avez parlé avec lui ?
BERNARD CAZENEUVE
Bien entendu les relations de l’amitié font que lorsque quelqu’un dont on est proche est confronté à une épreuve on le soutien, donc il m’est arrivé de le faire et par conséquent il m’est arrivé d’évoquer ce sujet avec lui.
JEAN-MICHEL APHATIE
Il ment depuis le premier jour a dit hier Edwy PLENEL, qui est le président du site Médiapart, qui a apporté au moins l’enregistrement et puis quant à l’existence du compte suisse, nous verrons ; il ment depuis le premier jour.
BERNARD CAZENEUVE
Ce n’est pas ce que je pense.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous pensez que ?
BERNARD CAZENEUVE
Je crois à la sincérité de Jérôme CAHUZAC, j’ai déjà eu l’occasion de le dire et je le redis ce matin, au moment où il est confronté à cette épreuve.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et vous pensez que sa démission était, est utile, est nécessaire, est indispensable ?
BERNARD CAZENEUVE
Je pense que, ce que disait Alain DUHAMEL à l’instant, est juste, le fonctionnement des institutions aujourd'hui fait que lorsque des circonstances comme celles auxquelles Jérôme CAHUZAC se trouve confronté adviennent, il n’y a pas d’autre chemin. Mais cela ne change rien quant à mon sentiment le concernant et concernant la véracité de ses propres affirmations.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous êtes d’ores et déjà ministre du Budget, la passation de pouvoirs est faite…
BERNARD CAZENEUVE
Non elle aura lieu en fin de matinée.
JEAN-MICHEL APHATIE
En fin de matinée, donc vous deviendrez ministre du Budget, vous allez vous approprier tous les dossiers de ce ministère compliqué, technique, l’élaboration du budget 2014 est en cours, ça doit être difficile de prendre en main tous ces dossiers.
BERNARD CAZENEUVE
Oui enfin vous savez, le ministère que je quitte n’était pas le ministère de la poésie, c’était un ministère technique, difficile, compliqué, avec beaucoup d’enjeux. Lorsque je suis arrivé il fallait engager une relation avec les institutions de l’Union européennes qui crée de la confiance, en même temps qui permette de faire passer le message du président de la République de la réorientation de la politique de l’Union européenne. Il a fallu procéder au débat parlementaire sur la ratification du traité budgétaire et chacun qui connait l’Europe sait à quel point ces sujets sont techniques. Donc je n’ai pas peur de la technicité des choses, j’ai par ailleurs une seule boussole dans l’exercice de ma vie publique, c’est le sens de l’Etat, le pays est dans une situation difficile, nous sommes engagés dans une stratégie de redressement et par conséquent, dès que j’aurai pris possession de mon bureau à Bercy, je me plongerai dans les dossiers et je ferai en sorte de pouvoir exercer ma responsabilité aussi bien que Jérôme CAHUZAC l’a fait si cela toutefois est possible.
JEAN-MICHEL APHATIE
Alors nous aurons l’occasion plus tard de reparler des problèmes budgétaires avec vous Bernard CAZENEUVE, parlons des affaires européennes que vous venez donc de quitter…
BERNARD CAZENEUVE
Il y a un lien d’ailleurs entre les deux.
JEAN-MICHEL APHATIE
On le comprend bien, hier soir le parlement de Chypre a refusé de ratifier le plan de sauvetage des banques mis au point par les instances européennes, ceci menace-t-il la stabilité de la zone euro ?
BERNARD CAZENEUVE
Je ne crois pas que cela menace la stabilité de la zone euro. Beaucoup de mesures ont été prises pour assurer la stabilité de la zone euro qui sont des mesures structurelles, j’en rappellerai quelques unes : la mise en place d’une législation sur la supervision bancaire qui sera suivi d’un dispositif sur la résolution des crises bancaires, la garantie des dépôts. Nous avons en Europe maintenant une véritable union bancaire qui permettra d’éviter que les errements spéculatifs d’hier ne se reproduisent…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais Chypre ?
BERNARD CAZENEUVE
Mais tout ça est lié. Nous avons pris aussi des dispositions pour que les mécanismes de solidarité, la banque centrale, interviennent sur le marché secondaire des dettes souveraines et par ailleurs, pour ce qui concerne Chypre, nous avons proposé un dispositif extrêmement précis. L’impasse de Chypre c’était 17 milliards d’euros, 17 milliards d’euros ça correspond à 100% du PIB de Chypre et par ailleurs le système bancaire à Chypre a un niveau de dépôt qui représente 5 à 6 fois le PIB du pays. Par conséquent il fallait intervenir dans une situation très particulière, avec des banques qui ne sont pas parmi les plus transparentes du monde, qui accueille 45% de non résidents qui sont pour une grande partie d’entre eux des oligarques russes et nous avons voulu à la fois la solidarité et des exigences…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais si le plan est refusé, qu’est-ce qu’il faut faire ?
BERNARD CAZENEUVE
Il faut renégocier avec la Troïka, donc la Troïka va de nouveau engager la discussion avec Chypre. Je veux simplement rappeler que ce que nous avons décidé pour Chypre est assez simple, la solidarité avec 10 milliards de contribution de l’Union européenne au plan de sauvetage de Chypre et par ailleurs, un appel à contribution des déposants parmi les plus importants puisque au dessous de 100.000 euros il avait été décidé qu’il n’y aurait pas d’appel aux déposants des banques chypriotes, c’est au dessus de 100.000 euros qu’ils étaient appelés à contribution et je n’étais personnellement pas choqué qu’on appelle un certain nombre d’oligarques russes à procéder au redressement du pays.
JEAN-MICHEL APHATIE
C’est le principe qui est choquant, voilà quelqu’un qui a, un chypriote peu importe, quelqu’un a un compte en banque quelque part et la puissance européenne, parce que là pour le coup on peut parler de puissance, lui dit : on va taxer votre compte en banque, c’est quand même incroyable de faire ça, à part du racket je ne vois pas comment on peut aller ça autrement.
BERNARD CAZENEUVE
Je ne partage pas votre sentiment. Pourquoi ? Parce que lorsque nous sommes dans une situation de difficulté bancaire comme celle à laquelle Chypre s’est trouvée confrontée avec des banques qui ne sont pas dans des activités transparentes, un niveau d’impôt sur les sociétés qui est parmi l’un des plus bas du monde, avec des activités qui justifient aujourd'hui que l’on mette en place audits. Il y a deux solutions lorsqu’on veut redresser la situation, lorsqu’on veut couper le lien entre dette bancaire et dette souveraine, la première solution c’est d’appeler à la solidarité européenne et d’appeler le contribuable européen à faire en sorte que le système bancaire puisse refinancer l’économie réelle sans quoi il n’y a pas de croissance possible et la deuxième solution c’est d’appeler ceux qui spéculent dans le système à contribuer à son redressement.
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais alors on taxe tous les comptes le principe d’inviolabilité des comptes bancaires, des dépôts bancaires est écorné.
BERNARD CAZENEUVE
Non, non, on ne taxe pas tous les comptes, on taxe les comptes…
JEAN-MICHEL APHATIE
Ah bah si ! Un Chypriote honnête qui a 100.000 euros de dépôts, eh bien il est taxé !!
BERNARD CAZENEUVE
Oui mais à partir du moment où nous sommes dans une situation où il faut soit redresser les comptes…
JEAN-MICHEL APHATIE
Ca ne vous choque pas ??
BERNARD CAZENEUVE
Ce qui ne me choque pas…
JEAN-MICHEL APHATIE
C’est curieux !
BERNARD CAZENEUVE
…c’est qu’un système bancaire totalement opaque dont on sait qu’il a pu contribuer à engager des activités qui ne sont pas celles que l’on veut voir prévaloir dans le système…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais il y a des déposants honnêtes dans un système opaque.
BERNARD CAZENEUVE
D’accord…
JEAN-MICHEL APHATIE
Et même les déposants honnêtes sont taxés ! C’est ça le problème.
BERNARD CAZENEUVE
Monsieur APHATIE qu’il s’agisse du rétablissement des comptes ou qu’il s’agisse de couper le lien entre dette bancaire et dette souveraine, à un moment donné, lorsque la situation est aussi grave, il faut appeler à la solidarité…
JEAN-MICHEL APHATIE
…populisme anti européen…
BERNARD CAZENEUVE
Je ne crois pas que le populisme européen soit amplifié par le fait qu’on appelle les déposants et les contribuables les plus riches à contribuer au redressement des comptes ou au redressement de la situation de la finance en Europe comme dans le monde devenue démente.
JEAN-MICHEL APHATIE
Voilà, c’était votre dernière interview de ministre aux Affaires européennes Bernard CAZENEUVE et la prochaine ce sera celle du ministre du Budget.
LAURENT BAZIN
Maintenant que vous êtes ministre du Budget, vous imaginez une telle mesure en France si la situation devenait aussi grave ?
BERNARD CAZENEUVE
Bien entendu que non, cette mesure elle est tout à fait spécifique, elle s’explique par l’opacité du système bancaire…
LAURENT BAZIN
Donc, pas en France ?
BERNARD CAZENEUVE
Bien entendu que non.
LAURENT BAZIN
Jamais de la vie ?
BERNARD CAZENEUVE
Jamais de la vie, d’ailleurs ce que nous avons mis en place à travers l’union bancaire, c’est-à-dire la résolution des crises bancaires, la garantie des dépôts, la supervision bancaire permettra à l’Europe d’avoir un dispositif bancaire tout à fait stabilisé qui reposera sur des principes de transparence, qui permettra de lutter contre la spéculation, ce qui a été fait d’ailleurs avec la taxe sur les transactions financières procède de cet esprit et l’Union européenne en prenant ces dispositifs législatifs a garanti la stabilité du système bancaire, sa transparence et son …. C’est une législation très importante, c'est un pas considérable que fait l’Union européenne dans la mise en oeuvre d’un dispositif visant à faire en sorte que la finance soit au service de l’économie réelle.
LAURENT BAZIN
Vous êtes prêt Bernard CAZENEUVE, ministre du Budget donc désormais, merci d’avoir réservé à RTL votre premier interview. Merci Jean-Michel.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 mars 2013