Interview de M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, à "France Inter" le 20 mars 2013, sur la démission de Jérôme Cahuzac et sur la mobilisation de l'Etat pour la relance de la politique industrielle.

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Média : France Inter

Texte intégral

PATRICK COHEN
Un ministre contraint à la démission, c'est forcément un coup porté au gouvernement auquel il appartenait. C'est une tache sur la République exemplaire ?
ARNAUD MONTEBOURG
Je crois que c'est une décision qui conforte l’exemplarité des partis politiques. Le président de la République, dans sa candidature, en avait fait un des points d’honneur, sa pratique est en conformité avec ses engagements. Je crois qu’il a pris une décision forte, mais nécessaire.
PATRICK COHEN
Mais pas tardive, Arnaud MONTEBOURG ?
ARNAUD MONTEBOURG
Je crois que, quand on passe de l’accusation médiatique à l’accusation judiciaire, on change de nature.
PATRICK COHEN
L’enquête préliminaire a été ouverte début janvier par le Parquet de Paris et ça a…
ARNAUD MONTEBOURG
Mais, une enquête…
PATRICK COHEN
…créé une situation objective de conflits d’intérêts.
ARNAUD MONTEBOURG
Une enquête préliminaire, comme on dit, elle est préliminaire, pour vérifier s’il y a des éléments de sérieux, dès lors qu’un magistrat du Parquet, indépendant du gouvernement, aujourd'hui, décide de poursuivre les enquêtes et de demander à un juge indépendant d’agir, c'est qu’il y a matière.
PATRICK COHEN
Si Jérôme CAHUZAC n'est pas parti, c'est aussi parce que François HOLLANDE a cru à la parole de son ministre. C'est aussi votre cas ?
ARNAUD MONTEBOURG
C'est aussi le cas de nous tous, bien sûr.
PATRICK COHEN
Vous croyez en la sincérité de Jérôme CAHUZAC.
ARNAUD MONTEBOURG
En tout cas, je crois qu’il s’est exprimé très clairement, et c'est à lui, maintenant, de se battre et de se défendre.
PATRICK COHEN
Vous n’avez pas répondu. Vous croyez en la sincérité de Jérôme CAHUZAC ?
ARNAUD MONTEBOURG
J’ai répondu que oui.
PATRICK COHEN
Soupçon de blanchiment de fraude fiscale et donc d’enrichissement personnel, c'est sans doute l’accusation la plus grave que l’on puisse porter contre un ministre du Budget, vous en convenez ?
ARNAUD MONTEBOURG
Bien sûr, c'est d’ailleurs la raison pour laquelle le président de la République a eu raison de donner suite à la demande de démission de Jérôme CAHUZAC.
PATRICK COHEN
Sur un plan politique, et j’allais dire technique ou financier, c'est un départ qui arrive à un très mauvais moment, alors que les discussions budgétaires commencent, est-ce que l’équilibre gouvernement s’en trouve modifié, est-ce que la rigueur en est modifiée ?
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien, je ne le crois pas, nous sommes dans une période de sérieux budgétaire, c'est-à-dire que finalement nous remboursons, nous limitons le poids de la dette qui nous a été délégué, 600 milliards ce n'est quand même pas une paille. Nous étions, nous sommes passés de 7 en 2010, nous sommes aujourd'hui à des niveaux qui sont beaucoup plus faibles, on est passé à 5,2, on descend vers 4, on veut descendre en-dessous de 4, puis 3, c'est un travail très difficile, mais qui est la protection de la souveraineté financière et budgétaire de la France.
PATRICK COHEN
On dit que Bernard CAZENEUVE, qui va donc succéder à Jérôme CAHUZAC, serait plus sensible à l’industrie que son prédécesseur.
ARNAUD MONTEBOURG
Je n’ai pas senti ça dans Jérôme CAHUZAC. Bernard CAZENEUVE est un homme qui est dans une région industrielle, c'est vrai…
PATRICK COHEN
La Manche.
ARNAUD MONTEBOURG
La Manche, Cherbourg, qui connait bien le problème des industries de défense, l’industrie nucléaire, c'est vrai que cela fait 30 ans que nous partageons finalement des convictions communes. Nous avions été tous les deux des porteurs du non au Traité constitutionnel européen, donc il y a là des affinités, Bernard a fait un travail extraordinaire pour convaincre nos partenaires européens de se battre, eux aussi, pour la croissance.
PATRICK COHEN
On a aussi entendu, moins que dans des affaires précédentes, mais on a aussi entendu, parfois, dénoncer un harcèlement médiatique ou des accusations sans preuve, est-ce que vous trouvez que, là, dans cette affaire CAHUZAC, que la presse, et en l’occurrence le site Mediapart a joué son rôle ?
ARNAUD MONTEBOURG
Mediapart est un site qui procède à des investigations, il a déjà, d’ailleurs, fait un très gros travail dans le passé, bref, c'est le travail de la presse. La presse apporte des informations à la connaissance du public et elle est constitutionnellement protégée.
PATRICK COHEN
Mediapart a donc joué son rôle, c'est un site que vous aviez soutenu à son lancement.
ARNAUD MONTEBOURG
Je suis abonné, comme vous, monsieur…
PATRICK COHEN
Vous ne le reniez pas.
ARNAUD MONTEBOURG
… monsieur COHEN, et je considère que c'est un… c'est une nouvelle forme de presse, qu’elle appartient à ce que l’on appelle des contre-pouvoirs, qui sont nécessaires dans un état de droit, une démocratie moderne.
PATRICK COHEN
Mediapart qui, et là je change de sujet, début décembre, appelait à votre démission après que vous ayez été désavoué par Matignon et par l'Elysée sur l’affaire ArcelorMittal, vous avez résolu définitivement la question de l’utilité, de votre utilité au gouvernement ?
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien je me bats, puisque vous me donnez l’occasion de parler de choses sérieuses, c'est-à-dire de ce que je fais tous les jours…
PATRICK COHEN
Ce que nous n’avons jamais cessé de faire.
ARNAUD MONTEBOURG
… Nous nous battons pour reconstruire l’industrie de ce pays, qui a été bien abimée pendant ces dernières années. Nous construisons pierre après pierre, une sorte de renouveau industriel, avec des caps technologiques, dans le véhicule, c'est le véhicule 2 litres, d’ailleurs PSA vient de sortir, au Salon de Genève, un procédé nouveau, qui permettra dans l’hybridation, d’être le leader mondial dans quelques années, de l’hybridation, il est déjà leader européen, aujourd'hui, nous faisons la même chose dans le ferroviaire, le TGV deuxième génération du futur, nous le faisons également dans la navale, les bateaux, les navires écologiques que nous finançons, nous le faisons dans la robotique, puisque Louis GALLOIS, dans son rapport, expliquait que nous étions finalement en retard sur l’Allemagne et l’Italie, dans la robotisation de notre industrie, et nous reconstruisons une compétitivité perdue. C'est un travail extrêmement lent, qui demande finalement l’alliance de tous, autour de l’appareil productif et industriel. Les syndicats, les partenaires sociaux, les salariés, les cadres, les ingénieurs, les petits patrons, les grands, les grandes entreprises, les petites, les collectivités locales, c'est ce que j’appelle finalement la renaissance. Elle est lente, mais ce sont les industries du futur, que nous implantons dans notre pays. Partout dans le monde, dans cette guerre économique mondiale, vous avez une déferlante technologique de tous les Etats qui financent leur industrie. Donc, notre bataille vis-à-vis de l’Union européenne, est de demander la possibilité de nous mettre à niveau, dans cette compétition mondiale déloyale, que nous subissons.
PATRICK COHEN
Et en attendant, la mutation est douloureuse, les salariés, les syndicats de PSA, PEUGEOT CITROËN, qui étaient à vos côtés quand vous montriez, quand vous montiez au front contre la Direction de PEUGEOT, eh bien 7 à 8 mois plus tard, c'est à vous qu’ils s’adressent et c'est vous qui êtes chahuté, une centaine de grévistes d’Aulnay vous ont empêché de siffler le départ du Train innovation et industrie, hier, à la gare de Lyon, qu'est-ce qui s’est passé ?
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien d’abord, il y a 5 syndicats sur 6, qui ont signé le plan social et les mesures de réindustrialisation, qui d'ailleurs met en oeuvre un des engagements du gouvernement, que la Direction de PSA a pris.
PATRICK COHEN
Donc la colère qui s’est exprimée hier, elle est minoritaire ?
ARNAUD MONTEBOURG
Que… attendez… non non. Eh bien, 5 syndicats sur 6, vous aviez le 6ème…
PATRICK COHEN
La CGT.
ARNAUD MONTEBOURG
Enfin, la CGT courant Lutte ouvrière, hein, puisque monsieur MERCIER est un militant politique, et évidemment ce n'est pas tout-à-fait la même chose, finalement, que finalement on pourrait dire la CGT en général.
PATRICK COHEN
Ce n'est pas la même chose que la centrale.
ARNAUD MONTEBOURG
Je crois ! Ce que je peux dire, c'est que 5 syndicats sur 6 ont signé l’accord, qu’il y a chez PSA un effort commun du gouvernement, de la Nation toute entière, des syndicats, de vouloir éviter, et c'est un engagement personnel que j’ai prix vis-à-vis des salariés d’Aulnay, et de Rennes, c'est que personne n’aille à Pôle emploi, c'est-à-dire que nous trouvions la transition de passer d’un contrat de travail à un autre, et nous travaillons à cette industrialisation, pour permettre aux ouvriers d’Aulnay d’avoir un travail qui ressemble à leurs qualifications, qui soit dans leurs cordes. C'est un travail, d'ailleurs assez unique, d’habitude on envoie tout le monde à Pôle emploi et puis on se dit « ils se débrouilleront bien ». Eh bien ce n'est pas notre engagement, donc plus on utilise l’épreuve de force, plus on radicalise et moins on rend possible cet engagement. Donc moi je souhaite, et je l’ai dit à monsieur MERCIER, j’ai attendu deux heures qu’il veuille bien venir me voir, pour me dire ce qu’ils avaient à me dire, finalement ils ont voté à 70, puisqu’ils étaient rassemblés à la gare de Lyon, pour décider de ne pas venir me voir. Donc ils ne cherchent pas le dialogue. Nous, nous travaillons dans le dialogue. C'est nécessaire dans la période d’affaissement économique que nous vivons dans toute l’Europe. Nous avons besoin de nous unir, les partenaires sociaux, c'est le sens par exemple de ce qui s’est passé chez RENAULT. Chez RENAULT, un accord a été conclu. Quel est l’avantage de cet accord ? C’est la relocalisation, c'est historique, de 200 000 véhicules, sur notre territoire, et y compris de constructeurs partenaires qui ne sont pas français, qui vont venir faire travailler nos usine, c'est-à-dire finalement, RENAULT met en oeuvre notre politique de relocalisation industrielle sur le sol français. Donc, nous pouvons travailler ensemble, avoir des résultats extraordinaires.
PATRICK COHEN
Donc, chez PSA, la CGT ne joue pas le jeu, et la Direction, elle fait ce qu’il faut ?
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien, la Direction, elle doit elle aussi participer au dialogue, c'est ce que je lui dis tous les jours, c'est notre travail.
PATRICK COHEN
Elle ne le fait pas assez ?
ARNAUD MONTEBOURG
Eh bien il faut que nous fassions en sorte que les partenaires sociaux trouvent des points de rencontre et d’accords. Donc, ça suppose que tout le monde mette de l’eau dans son vin, voilà, c'est-à-dire que l’on échange des concessions réciproques.
PATRICK COHEN
Vous avez déjà utilisé l’expression pour GOODYEAR.
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, c'est nécessaire. On peut décider, sur les échecs économiques, de rajouter de l’affrontement social, mais est-ce que c'est constructif ? Est-ce que ça crée des solutions de reprise ? La réponse est non. Est-ce que ça crée les conditions d’emploi pour les travailleurs qui ont perdu leur travail, la réponse est non.
PATRICK COHEN
La CGT pourrait vous répondre que ça crée un rapport de force qui peut être nécessaire à la solution d’un conflit.
ARNAUD MONTEBOURG
Parfois, le rapport de force peut conduire à l’aggravation de la situation. Parfois c'est nécessaire. Il suffit, finalement, d’être avisé. Nous pouvons tous l’être, et nous en avons besoin, dans la période actuelle.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 mars 2013