Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Cet accord sur le contrat dédition à lère du numérique intervient dans un contexte où léconomie numérique est en plein essor : le Gouvernement en prend la pleine mesure et, comme vous le savez, le Gouvernement a élaboré à la fin du mois dernier, à lissue dun séminaire gouvernemental, une véritable « feuille de route » pour faciliter cet essor. Or lère numérique, ce nest pas seulement lère des équipements, des matériels, des objets connectés ou du haut débit se focaliser uniquement sur ces aspects, aussi importants soient-ils, développer linternet pour linternet, ce serait tomber dans le fétichisme technologique.
Lère numérique, cest aussi, et au moins autant, lère des contenus. Cest parce quil existe des contenus diversifiés, de qualité, que lenvironnement numérique prend tout son sens et quil peut y avoir un véritable « écosystème » numérique. Lintérêt de posséder un objet (« device », comme on entend aujourdhui), connecté au haut débit, cest de pouvoir accéder à des contenus notamment et surtout des contenus culturels : musique, cinéma, presse, livres, émissions de télévision (télévision connectée, télévision de rattrapage, etc.), podcasts ou encore jeux vidéos. Les fournisseurs daccès à internet ne sy trompent pas, qui sappuient sur les usages en mettant en avant dans leurs offres autant de sésames vers des univers culturels. Cest en tout cas ces contenus que mobilisent les usagers.
Cest pourquoi mon ministère est particulièrement soucieux dencourager lessor de la création et de sa diffusion dans le monde numérique, à la fois dans une optique de politique industrielle (il sagit de préserver et de développer des savoirs faire et de lemploi), mais aussi de politique culturelle visant à favoriser la création et la diversité.
Lenjeu nest pas mince . Il est pourtant historique.
Cest la raison pour laquelle, dès mon arrivée au ministère, jai voulu me saisir de ce dossier du contrat dédition à lère numérique. Je me suis mobilisée auprès des acteurs concernés, consciente de limportance de lenjeu.
Concernant les discussions entre les auteurs et les éditeurs sur le contrat dédition à lère du numérique, les travaux de la Commission spécialisée du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) navaient pas permis daboutir à un accord sur les termes exacts dune modification du code de la propriété intellectuelle. Certains principes avaient pu être dégagés mais de forts désaccords persistaient.
Mais il me paraissait impossible de renoncer : permettre à léconomie du secteur de continuer de pouvoir récompenser laudace et la novation mest apparu essentielle.
Pour y parvenir, jai proposé un changement de méthode.
Dune part, parce que le travail entrepris jusquen mai 2012 se limitait aux seuls aspects numériques du contrat dédition et regardait indifféremment tous les secteurs concernés par ces contrats. Dautre part, parce que certaines résistances des auteurs tenaient autant à la crainte face aux incertitudes liées au développement et à la diffusion numérique quà une certaine perte de confiance, de manière générale, vis-à-vis des éditeurs.
Pour progresser vers un accord, il fallait apporter aux auteurs des garanties pour une plus grande transparence et une plus grande souplesse des conditions auxquelles ils cédaient leurs droits pour lexploitation numérique mais aussi, surtout, restaurer la confiance entre auteurs et éditeurs.
En septembre dernier, jai donc souhaité relancer la réflexion sur l'adaptation du contrat d'édition à l'ère du numérique. J'ai demandé à Pierre Sirinelli de poursuivre son travail de médiation avec un mandat élargi. Je lui ai confié la mission de coordonner la reprise de la discussion en vue de propositions pour améliorer lensemble des dispositions encadrant le contrat dédition, et non plus seulement lédition numérique.
A partir de lautomne 2012, des réunions de travail se sont tenues presque toutes les semaines, la plupart du temps ici, au ministère, réunissant le Syndicat national de lédition (SNE) et le Conseil permanent des écrivains (CPE). Dans un premier temps, les représentants des auteurs et des éditeurs ont été entendus séparément puis les propositions des deux parties ont été mises en commun et les deux collèges de négociateurs ont été regroupés dans le but de rapprocher les positions.
Jai suivi avec attention le déroulement des travaux pour massurer quun accord équilibré puisse être trouvé, dans des termes raisonnables. Je voudrais remercier chaleureusement tous ceux qui ont activement contribué au bon déroulement de ces travaux, et notamment :
- les représentants du CPE : Valérie Barthez, Jean-Claude Bologne, Geoffroy Pelletier, Emmanuel de Rengervé, Hervé Rony et Marie Sellier ;
- ceux du SNE : Alban Cerisier, Antoine Gallimard, Patrice Hoffman, Nathalie Jouven, Christine de Mazières, Vincent Montagne, Isabelle Ramond-Bailly, Arnaud Robert et Lore Vialle-Tournaille.
Je tiens à saluer lengagement de Pierre Sirinelli et son travail remarquable. Je remercie aussi Liliane de Carvalho, alors agent du service du livre et de la lecture, de lavoir appuyé dans sa mission.
Au cours de ces négociations, un dialogue a été noué qui navait jusqualors jamais été poussé à ce point : auteurs et éditeurs se sont parlé, ils se sont mieux compris et ils ont pu travailler ensemble à des propositions qui vont modifier durablement les rapports de force entre auteurs et éditeurs pour permettre une relation plus équilibrée.
A lissue de plusieurs mois de négociation, le CPE et le SNE se sont donc entendus sur ladaptation des règles propres au contrat dédition dans le secteur du livre dans le cadre dune réforme audacieuse, dune ampleur inédite depuis 1957.
Basé sur un nouveau dialogue entre auteurs et éditeurs, cet accord ouvre la voie pour des réformes de trois natures.
Pour lensemble des contrats dédition, il appelle à renforcer considérablement la transparence que les éditeurs doivent aux auteurs sur les fruits de lexploitation, ce qu'on appelle « la reddition des comptes ». Ce thème me tenait particulièrement à cur et, à de nombreuses reprises, j'ai porté ce point d'attention lors de mes rencontres avec les éditeurs. Cet accord permet aussi à lauteur ou à léditeur de mettre fin à ce contrat sur le simple constat de la fin de la vie économique du livre. Je me réjouis du caractère éminemment moderne de cette disposition fondée sur une conception de lédition ouverte à lensemble des exploitations possibles de luvre.
Pour ce qui est de lexploitation numérique, laccord précise ce qui est attendu dun éditeur en matière de commercialisation et permet aux auteurs de faire réviser les conditions de leur rémunération au regard des évolutions du secteur. Il pose des garde-fous et permet de faciliter ladaptation du secteur de lédition au numérique, démontrant ainsi que les acteurs traditionnels du secteur de lédition ont aujourdhui parfaitement intégré lévolution numérique de leur secteur.
Pour la seule exploitation imprimée, enfin, laccord définit avec précision létendue de lobligation qui pèse sur léditeur en matière dexploitation permanente et suivi et de diffusion commerciale des uvres. Pour lauteur, il facilite considérablement les recours lorsque les obligations de léditeur ne sont pas remplies. Cet élément de laccord constitue donc un double progrès, pour léditeur comme pour lauteur.
Cet accord repose à la fois sur une modification des dispositions générales du code de la propriété intellectuelle (CPI) relatives au contrat d'édition qui fixeront les grands principes et sur la rédaction d'un code des usages, beaucoup plus aisé à faire évoluer. En conséquence, cet accord impliquera une modification par la loi du CPI en ses dispositions relatives au contrat d'édition, et une approbation ultérieure par arrêté du code des usages. Il me reviendra de déposer un projet de loi portant modification du code de la propriété intellectuelle, puis d'approuver par arrêté le code des usages auquel les professionnels ont abouti. Ce projet de loi sera préparé en 2013.
Je voudrais insister sur le caractère novateur et équilibré de cet accord qui, en restaurant fortement la dignité et la responsabilité de lauteur, ouvre la voie à un nouveau dialogue entre éditeurs et auteurs, tel quil nen existe nulle part ailleurs dans le monde. Les éditeurs gagnent en visibilité et de nombreuses garanties sont apportées aux auteurs. Par limportance quil confère à lauteur et à ses droits, cet accord inscrit les auteurs et les éditeurs français au cur de lexception culturelle française et de l'adaptation de nos instruments de politique culturelle au numérique telles que je veux les promouvoir.
Cette concertation que vous avez su mettre en uvre pour les contrats est également à luvre entre auteurs, éditeurs, services du Ministère de la Culture et Bibliothèque Nationale de France, pour nous permettre de relire les uvres indisponibles.
Est en effet publiée aujourdhui, sur le site Relire.bnf.fr, la première liste de 50.000 uvres indisponibles destinées à retrouver une nouvelle vie grâce au support numérique.
Le projet Relire, consiste à pouvoir à nouveau donner accès au public, grâce au support numérique, aux livres indisponibles du XXe siècle, cest-à-dire aux livres qui, encore sous droits, ne sont plus diffusés commercialement sous forme imprimée.
Ce projet naurait pas été possible sans la participation des auteurs comme des éditeurs à la conception dun nouveau système de gestion collective des droits, respectueux des grands principes du droit dauteur, mais capable de sadapter aux réalités du monde virtuel.
Laccord-cadre qui va être signé aujourdhui de même que le Registre des uvres indisponibles illustrent parfaitement ma volonté de mettre uvre un « Acte II de lexception culturelle » : Nous avons la chance davoir, en France, des industries culturelles de premier ordre, créatrices de valeur et sources demplois. Ce nest pas le fruit du hasard. Depuis de nombreuses années, les pouvoirs publics se sont préoccupés de mettre en place un certain nombre de mécanismes, fondés sur la solidarité entre laval et lamont de chaque filière, propres à favoriser la diversité de la création. Or ces différents outils, dont beaucoup ont été mis en place dans les années 1980-1990, alors quémergeait lidée dune « exception culturelle », sont remis en cause aujourdhui par la révolution numérique, qui transforme les relations entre les créateurs, les usagers et les fournisseurs daccès et de services par internet. Il faut donc refonder lexception culturelle dans ce nouvel environnement numérique. Cest le sens de la mission que jai confiée à Pierre Lescure : redonner à nos outils de lexception culturelle leur efficacité dans le monde numérique, en partant dune vision large, englobant tous les secteurs concernés (édition, cinéma, audiovisuel, musique, jeux vidéos ), afin de ne pas traiter les questions de manière partielle et partiale mais de trouver de nouveaux équilibres.
Parallèlement à la mission Lescure, mon ministère na pas attendu pour traiter les urgences : nous avons entamé très vite les négociations sur la TST-D, agi pour quintervienne la décision sur les barèmes de copie privée pour lannée 2013, suivi de très près les négociations entre les éditeurs de la presse IPG et Google en préparant, en cas déchec de ces négociations, un projet de loi permettant un nouveau partage de la valeur entre ces acteurs. Cest dans ce contexte quintervient laccord daujourdhui. Il est plein de promesses car il ouvre des pistes nouvelles, pose des principes essentiels et propose un équilibre nouveau entre les acteurs du secteur. Cest dans le but de parvenir à ce type déquilibre que jexaminerai les propositions qui seront formulées par la mission Lescure dans les prochaines semaines.
Je vous remercie.
Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 26 mars 2013