Texte intégral
Mesdames et messieurs,
Je suis heureuse dêtre aujourdhui à vos côtés et douvrir les 2èmes rencontres nationales des Conseils Locaux de Santé Mentale (CLSM).
I/ « Ville et santé mentale » : le thème qui a été choisi cette année, comme fil rouge de la « semaine dinformation sur la santé mentale », est directement lié au travail quotidien mené par les CLSM.
La conviction que nous partageons, cest que le traitement de la maladie ne peut pas se limiter à une prise en charge médicale : il doit, comme vous le rappelez souvent, « souvrir à la 2 cité », sinscrire dans un territoire et mobiliser ainsi toutes les forces qui le composent.
Tel est le sens profond de la stratégie nationale de santé que jai lancée avec le Premier ministre.
La ville est un lieu de vie, de travail et de loisir. Elle est un espace déchanges, où lon est constamment confronté à laltérité. Dans le même temps, la ville est aussi un lieu disolement, où beaucoup se sentent seuls parmi les autres, marginalisés, marqués par les insécurités tant sociales que physiques. A tous les âges de la vie, ces situations ont un impact direct sur la santé mentale des individus. Elles peuvent être lorigine et la cause, parmi dautres, de troubles psychiques.
Il y a un lien entre le fait de résider dans des quartiers défavorisés en proie à une précarisation des conditions de vie et celui dêtre plus vulnérable face aux souffrances psychiques.
La prise en compte de lenvironnement et de lensemble des déterminants de santé est donc primordiale pour assurer la qualité de laccompagnement et de la prise en charge.
Dans le champ de la santé mentale, les inégalités sociales sont particulièrement marquées. Les personnes sans domicile fixe sont, par exemple, 8 fois plus touchées par les troubles psychotiques. Le sexe est également déterminant : les femmes sont deux fois plus atteintes par lépisode dépressif, alors que les hommes semblent emprunter dautres voies dexpression du mal-être, comme les comportements daddiction. Les différences entre les régions sont aussi frappantes : ainsi, le taux de suicide en Bretagne est presque 3 fois plus élevé quen Ile de France. A lintérieur des régions elles-mêmes, les inégalités entre territoires sont plus fortes encore.
Trop souvent, la maladie mentale stigmatise. Elle affaiblit lestime de soi, elle diffuse un sentiment de honte, de culpabilité, voire dinfériorité. Elle rend plus difficiles linsertion sur le marché du travail, lacquisition dun logement, la poursuite détudes scolaires et laccès aux soins.
Les troubles psychiques sont régulièrement perçus comme une « inquiétante étrangeté ». Ils semblent parfois indéfectiblement liés à certains stéréotypes. Les personnes schizophrènes seraient violentes, voire incontrôlables. Celles dépressives manqueraient de volonté. Dautres auraient un caractère enfantin ou seraient simples desprit. Les personnes souffrant de troubles psychiques sont aussi perçues comme dépendantes des autres ou comme un fardeau pour la société.
Ces dernières décennies, la psychiatrie a radicalement évolué. Les années 1960 ont mis un terme au temps de lasile, cette « haute forteresse » décrite par Michel Foucault et Robert Castel, qui conférait au médecin des pouvoirs extraordinaires. La sectorisation, dont chacun saccorde aujourdhui à reconnaître le caractère précurseur, visait à inscrire la psychiatrie dans son siècle. En développant la prise en charge en ville et « hors les murs », en sortant de lhospitalocentrisme, elle a représenté une véritable révolution.
Il nous faut accélérer le décloisonnement de la prise en charge psychiatrique. Nous devons lui permettre de sintégrer dans le système de soins primaires et de travailler en meilleure coordination avec les services et les acteurs sociaux. Cest là le meilleur moyen de lutter contre les inégalités de santé, de renforcer nos actions de prévention et de favoriser lémergence de parcours de soins adaptés.
II/ Aujourdhui, ces ambitions sont portées, au niveau local, par les CLSM.
Actuellement, 63 structures sont opérationnelles. Leur nombre sera bientôt doublé. Je me réjouis de la montée en puissance des CLSM dont je veux soutenir le déploiement sur lensemble du territoire.
Le développement des conseils locaux de santé mentale a dailleurs été préconisé par plusieurs plans et rapports récents. Je tiens à profiter de loccasion qui mest donnée pour saluer le rôle joué par le centre collaborateur de lOMS, dirigé par Jean-Luc Roelandt, ainsi que lassociation « Elus, santé publique et territoires » (ESPT), qui milite chaque jour pour développer et déployer ces structures. La force des CSLM, cest de rassembler des professionnels, des associations et des élus de tous horizons.
Ils constituent une plateforme de concertation et de coordination entre les élus locaux dun territoire, la psychiatrie publique, les usagers et leur famille. Cest un lieu de discussion et de partage. Cette écoute et ces instants déchanges sont indispensables, car ils contribuent directement à déstigmatiser la maladie mentale. Les CLSM sont aussi un lieu dinterface pour la mise en uvre de mesures locales de santé mentale et pour la concrétisation des politiques nationales. Le succès de la politique que nous souhaitons conduire repose sur notre capacité à apporter des réponses coordonnées en proximité.
Leur efficacité repose aussi sur la diversité de leur champ daction.
Ils initient des campagnes dinformation et de lutte contre la stigmatisation de la maladie mentale dans les quartiers prioritaires. Ils mettent en place un accompagnement spécifique auprès des personnes âgées. Ils aident les individus en souffrance à se loger et à trouver un lieu de vie adapté à leur maladie. Ils forment des groupes de prévention pour lutter contre la solitude. Ils encouragent limplication des personnes malades dans lanimation socioculturelle et sportive.
Permettez-moi également de dire un mot du rôle des élus. Il est pour moi essentiel. Je sais quils sont de plus en plus nombreux à manifester leur vigilance quant aux questions de santé et plus particulièrement encore de santé mentale. A propos des troubles du voisinage, de linsertion sociale et professionnelle, de laccès aux soins pour tous et, plus généralement, de lexercice de la citoyenneté des personnes vulnérables : ce travail des élus, quartier par quartier, mérite à nouveau dêtre salué.
Dans ce domaine, les maires sont dautant plus concernés quils sont directement sollicités pour pallier les difficultés dinsertion, pour lutter contre lexclusion et la discrimination des personnes atteintes de troubles psychiques. Leur capacité à agir de manière transversale, sur tous les leviers de la santé mentale, en fait des acteurs dont la légitimité est pleinement reconnue.
Mesdames et messieurs,
III/ Comme la souhaité le Premier ministre, la santé mentale fera lobjet dune attention particulière dans la stratégie nationale de santé.
Les rapports sur la psychiatrie se sont accumulés ces dernières années. La majorité des constats est largement partagée. Je sais que le dernier plan santé mentale, annoncé par le gouvernement précédent en avril 2012, peine à sappliquer dans nos régions, faute dorientations claires et précises. Les attentes des acteurs du secteur de la psychiatrie sont fortes et légitimes.
Cest pourquoi je veux que nous franchissions une nouvelle étape pour forger la psychiatrie de demain. Ma politique de santé mentale se déploiera autour de quatre grands axes.
1/ Le 1er dentre eux, cest de mieux connaître la réalité de la santé mentale. Nous devons conduire une action éclairée. Il nous faut donc commencer par développer les études épidémiologiques, qui manquent aujourdhui cruellement en santé mentale. Les sujets tels que le suicide ou la dépression devront être traités en priorité. Tel est par exemple le sens de la création de lobservatoire du suicide que jai annoncée récemment.
2/ Le 2ème axe, cest la volonté dadapter la prise en charge en fonction de la situation et de la pathologie de chaque malade.
Pour ce faire, la prévention doit constituer une priorité. Nous devrons tout mettre en uvre pour coordonner les actions de la médecine scolaire et universitaire, la PMI pour les plus jeunes et la médecine du travail.
Le médecin généraliste joue aussi un rôle central pour repérer, orienter et coordonner la prise en charge des personnes. En santé mentale aussi, nous devons favoriser une logique de parcours. Une personne doit pouvoir être orientée, par son médecin généraliste, vers un psychiatre pour une prise en charge spécialisée, ou vers un hôpital psychiatrique si elle en a besoin, ou encore vers un service médico-social.
En psychiatrie, il est impensable de vouloir dissocier le soin de laccompagnement social. Le traitement doit être adapté à la situation de chacun : on ne peut prendre en charge de la même manière un jeune ou une personne âgée, une personne en situation de précarité ou un détenu. Les dispositifs daccueil et daccompagnement, ainsi que toutes les initiatives privilégiant les soins spécifiques, doivent donc être encouragés. Je pense par exemple aux programmes expérimentaux dinsertion sociale et professionnelle.
La responsabilité qui est celle des professionnels, cest daller vers le patient pour quil accepte la démarche de soins, la comprenne et y adhère, lorsque celui-ci en est très éloigné. Cest notamment le rôle des « équipes mobiles psychiatrie et précarité », dont je veux ici souligner la qualité de laction.
3/ Le 3ème axe visera à rénover la vision des soins sans consentement.
La question spécifique des soins sans consentement en psychiatrie devra être revue rapidement, compte tenu des deux dispositions de la loi du 5 juillet 2011 déclarées non constitutionnelles. Cela se fera en concertation avec les acteurs du secteur. La priorité, cest de garantir les libertés individuelles, tout en préservant la sécurité de nos concitoyens.
Nous ne pouvons pas nier que la maladie mentale peut aussi, dans certains cas, conduire à des troubles de lordre public. Mais il sagit toutefois de ne pas laborder sous le seul angle sécuritaire. Je veux être pragmatique et je prendrai donc en compte certaines avancées de cette loi, et notamment lintervention obligatoire du juge des libertés et de la détention.
Lobjectif assumé, cest quun cadre clair et cohérent soit fixé pour les soins sans consentement.
4/ Enfin, le 4ème axe de ma politique en santé mentale, cest le renforcement du rôle institutionnel des malades et de leur famille.
Le champ de la santé mentale compte encore trop peu dassociations. Leur implication dans les processus de concertation et de décision est parfois modeste dans certaines régions ou dans certains établissements. Leur rôle pour informer et accompagner les personnes en souffrance est pourtant précieux.
La participation des associations à lélaboration des politiques publiques, à la planification, à la formation, à la recherche et à lévaluation est fondamentale. Je veux ainsi renforcer leur place et leur permettre dêtre pleinement représentées au sein des structures et des différentes instances du système de santé. Le combat contre la stigmatisation doit guider lensemble de nos actions. En ce sens, les acteurs de terrain, et plus particulièrement encore les associations, doivent avoir une place centrale pour favoriser linsertion des personnes malades.
Mesdames et messieurs,
Voilà les grandes orientations qui sont celles que je porterai pour que nous améliorions ensemble la politique de santé mentale de notre pays.
Je vous remercie.
Source http://www.social-sante.gouv.fr, le 26 mars 2013