Déclaration de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, sur le traitement la prise en charge et la prévention de la maladie mentale, Paris le 22 mars 2013.

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Circonstance : 2ème rencontre nationale des Conseils locaux de santé mentale à Paris le 22 mars 2013

Texte intégral


Mesdames et messieurs,
Je suis heureuse d’être aujourd’hui à vos côtés et d’ouvrir les 2èmes rencontres nationales des Conseils Locaux de Santé Mentale (CLSM).
I/ « Ville et santé mentale » : le thème qui a été choisi cette année, comme fil rouge de la « semaine d’information sur la santé mentale », est directement lié au travail quotidien mené par les CLSM.
La conviction que nous partageons, c’est que le traitement de la maladie ne peut pas se limiter à une prise en charge médicale : il doit, comme vous le rappelez souvent, « s’ouvrir à la 2 cité », s’inscrire dans un territoire et mobiliser ainsi toutes les forces qui le composent.
Tel est le sens profond de la stratégie nationale de santé que j’ai lancée avec le Premier ministre.
La ville est un lieu de vie, de travail et de loisir. Elle est un espace d’échanges, où l’on est constamment confronté à l’altérité. Dans le même temps, la ville est aussi un lieu d’isolement, où beaucoup se sentent seuls parmi les autres, marginalisés, marqués par les insécurités tant sociales que physiques. A tous les âges de la vie, ces situations ont un impact direct sur la santé mentale des individus. Elles peuvent être l’origine et la cause, parmi d’autres, de troubles psychiques.
Il y a un lien entre le fait de résider dans des quartiers défavorisés en proie à une précarisation des conditions de vie et celui d’être plus vulnérable face aux souffrances psychiques.
La prise en compte de l’environnement et de l’ensemble des déterminants de santé est donc primordiale pour assurer la qualité de l’accompagnement et de la prise en charge.
Dans le champ de la santé mentale, les inégalités sociales sont particulièrement marquées. Les personnes sans domicile fixe sont, par exemple, 8 fois plus touchées par les troubles psychotiques. Le sexe est également déterminant : les femmes sont deux fois plus atteintes par l’épisode dépressif, alors que les hommes semblent emprunter d’autres voies d’expression du mal-être, comme les comportements d’addiction. Les différences entre les régions sont aussi frappantes : ainsi, le taux de suicide en Bretagne est presque 3 fois plus élevé qu’en Ile de France. A l’intérieur des régions elles-mêmes, les inégalités entre territoires sont plus fortes encore.
Trop souvent, la maladie mentale stigmatise. Elle affaiblit l’estime de soi, elle diffuse un sentiment de honte, de culpabilité, voire d’infériorité. Elle rend plus difficiles l’insertion sur le marché du travail, l’acquisition d’un logement, la poursuite d’études scolaires et l’accès aux soins.
Les troubles psychiques sont régulièrement perçus comme une « inquiétante étrangeté ». Ils semblent parfois indéfectiblement liés à certains stéréotypes. Les personnes schizophrènes seraient violentes, voire incontrôlables. Celles dépressives manqueraient de volonté. D’autres auraient un caractère enfantin ou seraient simples d’esprit. Les personnes souffrant de troubles psychiques sont aussi perçues comme dépendantes des autres ou comme un fardeau pour la société.
Ces dernières décennies, la psychiatrie a radicalement évolué. Les années 1960 ont mis un terme au temps de l’asile, cette « haute forteresse » décrite par Michel Foucault et Robert Castel, qui conférait au médecin des pouvoirs extraordinaires. La sectorisation, dont chacun s’accorde aujourd’hui à reconnaître le caractère précurseur, visait à inscrire la psychiatrie dans son siècle. En développant la prise en charge en ville et « hors les murs », en sortant de l’hospitalocentrisme, elle a représenté une véritable révolution.
Il nous faut accélérer le décloisonnement de la prise en charge psychiatrique. Nous devons lui permettre de s’intégrer dans le système de soins primaires et de travailler en meilleure coordination avec les services et les acteurs sociaux. C’est là le meilleur moyen de lutter contre les inégalités de santé, de renforcer nos actions de prévention et de favoriser l’émergence de parcours de soins adaptés.
II/ Aujourd’hui, ces ambitions sont portées, au niveau local, par les CLSM.
Actuellement, 63 structures sont opérationnelles. Leur nombre sera bientôt doublé. Je me réjouis de la montée en puissance des CLSM dont je veux soutenir le déploiement sur l’ensemble du territoire.
Le développement des conseils locaux de santé mentale a d’ailleurs été préconisé par plusieurs plans et rapports récents. Je tiens à profiter de l’occasion qui m’est donnée pour saluer le rôle joué par le centre collaborateur de l’OMS, dirigé par Jean-Luc Roelandt, ainsi que l’association « Elus, santé publique et territoires » (ESPT), qui milite chaque jour pour développer et déployer ces structures. La force des CSLM, c’est de rassembler des professionnels, des associations et des élus de tous horizons.
Ils constituent une plateforme de concertation et de coordination entre les élus locaux d’un territoire, la psychiatrie publique, les usagers et leur famille. C’est un lieu de discussion et de partage. Cette écoute et ces instants d’échanges sont indispensables, car ils contribuent directement à déstigmatiser la maladie mentale. Les CLSM sont aussi un lieu d’interface pour la mise en œuvre de mesures locales de santé mentale et pour la concrétisation des politiques nationales. Le succès de la politique que nous souhaitons conduire repose sur notre capacité à apporter des réponses coordonnées en proximité.
Leur efficacité repose aussi sur la diversité de leur champ d’action.
Ils initient des campagnes d’information et de lutte contre la stigmatisation de la maladie mentale dans les quartiers prioritaires. Ils mettent en place un accompagnement spécifique auprès des personnes âgées. Ils aident les individus en souffrance à se loger et à trouver un lieu de vie adapté à leur maladie. Ils forment des groupes de prévention pour lutter contre la solitude. Ils encouragent l’implication des personnes malades dans l’animation socioculturelle et sportive.
Permettez-moi également de dire un mot du rôle des élus. Il est pour moi essentiel. Je sais qu’ils sont de plus en plus nombreux à manifester leur vigilance quant aux questions de santé et plus particulièrement encore de santé mentale. A propos des troubles du voisinage, de l’insertion sociale et professionnelle, de l’accès aux soins pour tous et, plus généralement, de l’exercice de la citoyenneté des personnes vulnérables : ce travail des élus, quartier par quartier, mérite à nouveau d’être salué.
Dans ce domaine, les maires sont d’autant plus concernés qu’ils sont directement sollicités pour pallier les difficultés d’insertion, pour lutter contre l’exclusion et la discrimination des personnes atteintes de troubles psychiques. Leur capacité à agir de manière transversale, sur tous les leviers de la santé mentale, en fait des acteurs dont la légitimité est pleinement reconnue.
Mesdames et messieurs,
III/ Comme l’a souhaité le Premier ministre, la santé mentale fera l’objet d’une attention particulière dans la stratégie nationale de santé.
Les rapports sur la psychiatrie se sont accumulés ces dernières années. La majorité des constats est largement partagée. Je sais que le dernier plan santé mentale, annoncé par le gouvernement précédent en avril 2012, peine à s’appliquer dans nos régions, faute d’orientations claires et précises. Les attentes des acteurs du secteur de la psychiatrie sont fortes et légitimes.
C’est pourquoi je veux que nous franchissions une nouvelle étape pour forger la psychiatrie de demain. Ma politique de santé mentale se déploiera autour de quatre grands axes.
1/ Le 1er d’entre eux, c’est de mieux connaître la réalité de la santé mentale. Nous devons conduire une action éclairée. Il nous faut donc commencer par développer les études épidémiologiques, qui manquent aujourd’hui cruellement en santé mentale. Les sujets tels que le suicide ou la dépression devront être traités en priorité. Tel est par exemple le sens de la création de l’observatoire du suicide que j’ai annoncée récemment.
2/ Le 2ème axe, c’est la volonté d’adapter la prise en charge en fonction de la situation et de la pathologie de chaque malade.
Pour ce faire, la prévention doit constituer une priorité. Nous devrons tout mettre en œuvre pour coordonner les actions de la médecine scolaire et universitaire, la PMI pour les plus jeunes et la médecine du travail.
Le médecin généraliste joue aussi un rôle central pour repérer, orienter et coordonner la prise en charge des personnes. En santé mentale aussi, nous devons favoriser une logique de parcours. Une personne doit pouvoir être orientée, par son médecin généraliste, vers un psychiatre pour une prise en charge spécialisée, ou vers un hôpital psychiatrique si elle en a besoin, ou encore vers un service médico-social.
En psychiatrie, il est impensable de vouloir dissocier le soin de l’accompagnement social. Le traitement doit être adapté à la situation de chacun : on ne peut prendre en charge de la même manière un jeune ou une personne âgée, une personne en situation de précarité ou un détenu. Les dispositifs d’accueil et d’accompagnement, ainsi que toutes les initiatives privilégiant les soins spécifiques, doivent donc être encouragés. Je pense par exemple aux programmes expérimentaux d’insertion sociale et professionnelle.
La responsabilité qui est celle des professionnels, c’est d’aller vers le patient pour qu’il accepte la démarche de soins, la comprenne et y adhère, lorsque celui-ci en est très éloigné. C’est notamment le rôle des « équipes mobiles psychiatrie et précarité », dont je veux ici souligner la qualité de l’action.
3/ Le 3ème axe visera à rénover la vision des soins sans consentement.
La question spécifique des soins sans consentement en psychiatrie devra être revue rapidement, compte tenu des deux dispositions de la loi du 5 juillet 2011 déclarées non constitutionnelles. Cela se fera en concertation avec les acteurs du secteur. La priorité, c’est de garantir les libertés individuelles, tout en préservant la sécurité de nos concitoyens.
Nous ne pouvons pas nier que la maladie mentale peut aussi, dans certains cas, conduire à des troubles de l’ordre public. Mais il s’agit toutefois de ne pas l’aborder sous le seul angle sécuritaire. Je veux être pragmatique et je prendrai donc en compte certaines avancées de cette loi, et notamment l’intervention obligatoire du juge des libertés et de la détention.
L’objectif assumé, c’est qu’un cadre clair et cohérent soit fixé pour les soins sans consentement.
4/ Enfin, le 4ème axe de ma politique en santé mentale, c’est le renforcement du rôle institutionnel des malades et de leur famille.
Le champ de la santé mentale compte encore trop peu d’associations. Leur implication dans les processus de concertation et de décision est parfois modeste dans certaines régions ou dans certains établissements. Leur rôle pour informer et accompagner les personnes en souffrance est pourtant précieux.
La participation des associations à l’élaboration des politiques publiques, à la planification, à la formation, à la recherche et à l’évaluation est fondamentale. Je veux ainsi renforcer leur place et leur permettre d’être pleinement représentées au sein des structures et des différentes instances du système de santé. Le combat contre la stigmatisation doit guider l’ensemble de nos actions. En ce sens, les acteurs de terrain, et plus particulièrement encore les associations, doivent avoir une place centrale pour favoriser l’insertion des personnes malades.
Mesdames et messieurs,
Voilà les grandes orientations qui sont celles que je porterai pour que nous améliorions ensemble la politique de santé mentale de notre pays.
Je vous remercie.
Source http://www.social-sante.gouv.fr, le 26 mars 2013