Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur le droit du travail et la loi sur la sécurisation de l'emploi, Paris le 25 mars 2013.

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Circonstance : Réunion de l'Association française de droit du travail à Paris le 25 mars 2013

Texte intégral


Je suis venu vous parler de droit du travail. Bien sûr, nous aurons si vous le souhaitez une discussion sur certains points plus techniques de l’accord du 11 janvier et de la loi à venir. Mais je ne suis pas un technicien. Je suis un politique. Et donc je vais d’abord vous parler du sens politique, et social, de cette avancée que constituent l’accord et la loi.
1. Le discours de la méthode
La loi sur la sécurisation de l’emploi est une loi particulière. Elle participe d’une nouvelle culture des relations sociales. L’accord du 11 janvier dernier a marqué l’aboutissement de l’une des plus ambitieuses séquences de négociation interprofessionnelle depuis 1968. Il fera date, j’en suis certain.
Après plusieurs décennies d’avancées positives mais partielles, d’échecs ou de renoncements, les grands enjeux de notre marché du travail ont enfin été pris à bras le corps pour fonder un équilibre neuf, un équilibre dans lequel ce que les uns gagnent n’est pas ce que les autres perdent, mais l’ouverture d’un nouveau champ de possibles.
Derrière l’accord, derrière la loi, il y a une méthode : le dialogue social à la française. « Dialogue social », chacun voit ce que cela veut dire. « A la française » mérite une explication.
Nous ne sommes pas un pays scandinave, ni même l’Allemagne où la cogestion se pratique presque indépendamment de la politique. Dans le cas qui nous occupe, c’est d’abord une impulsion politique qui a donné l’élan au dialogue social. Je veux bien sûr parler de la grande conférence sociale de juillet dernier qui a rassemblé les acteurs, partagé des constats, fixé une feuille de route commune. Je veux aussi rappeler le cap fixé par le Président de la République : « mobiliser les forces vives de notre pays vers des solutions nouvelles pour l’emploi ».
Il y a eu ensuite un document d’orientation du gouvernement pour cette négociation, conformément à l’article L1 du Code du Travail, acte politique qui engageait les partenaires sociaux à rechercher un accord « gagnant-gagnant » sur tous les sujets à la fois, et engageait l’Etat dans la mise en œuvre des changements législatifs et réglementaires qui en découleraient.
Alors est venu le temps du dialogue social. 4 mois de négociation intense pour parvenir à l’accord du 11 janvier 2013.
La balle est ensuite revenue dans notre camp, celui des acteurs politiques, pour écrire la loi. Le parlement prend désormais le relais. La transposition d’un accord n’est pas un recopiage ; un parlement n’est pas une chambre d’enregistrement. Mais il y a un double devoir politique -et pas juridique- pour le Gouvernement d’abord, pour le Parlement ensuite (d’ailleurs pas seulement à mes yeux pour la composante majoritaire qui soutient le Gouvernement) :
- Loyauté vis-à-vis des signataires de l’accord, dont l’équilibre doit être respecté sous peine de tuer toute démarche fondée sur le dialogue social dans le futur : si l’accord ne vaut rien, si son contenu peut être redéfini, à quoi bon négocier et s’engager par une signature ?
- Ecoute et transparence vis-à-vis des non-signataires, qui ont participé à la négociation et quelque part ont apporté aussi leur contribution même s’ils n'adhèrent pas à l’équilibre final
Une fois posés ces principes, le Gouvernement assume la responsabilité du projet de loi. Là où l’accord du 11 janvier laissait des ambiguïtés ou des zones d’incertitudes, là où il était silencieux, des choix clairs ont été opérés. Ils ont été faits en toute transparence avec une seule grille d’analyse : quelle est l’option la plus favorable pour répondre à l’ambition de sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels et la plus conforme à l’intérêt général ?
Dans quelques semaines, la loi aura donc inscrit l’accord dans notre ordre juridique – c’est bien ce qui nous intéresse ce soir – avec le poids des engagements qui sont nés des acteurs sociaux eux-mêmes. A la force du dialogue s’ajoutera la force de la loi, son complément nécessaire. Nécessaire, car c’est la loi qui porte l’intérêt général ; nécessaire car la France est un pays qui s’est construit par le droit. Nous sommes ici au centre de notre modèle social français en mouvement, avec une articulation utile et croissante du contrat et de la loi.
2. Le cadre et le fond
La question qui nous est posée est la suivante : « Que veut-on pour notre droit du travail ? ».
Le projet de loi ouvre aux salariés des droits nouveaux, importants, qui feront avancer le progrès social, incarnés par la complémentaire santé et le compte personnel de formation (d’ailleurs largement salués). Il met également en place de nouveaux instruments de lutte contre la précarité : rendre la préférence au CDI en taxant les contrats courts ; instaurer une durée minimale pour le temps partiel ; créer des droits rechargeables à l’assurance chômage, c’est-à-dire autant d’avancées à destination de ceux qui ne sont pas dans l’emploi le plus sécurisé !
Mais en face de ces progrès, que les partenaires sociaux comme le gouvernement ont voulu, il y a une profonde nouveauté de ce texte qui alimente un débat, des interprétations contradictoires, des inquiétudes ou des critiques radicales pour certains et un espoir pour d’autres : ce sont les nouveaux pouvoirs de négociation donnés aux acteurs économiques et sociaux. Concrètement je veux parler bien sûr des accords de mobilité dans les accords GPEC, des accords de maintien de l’emploi, de l’entrée des salariés dans les conseils d’administration des grandes entreprises, des modalités de meilleure information des IRP -car avoir le pouvoir de négocier suppose d’être suffisamment informé- ou encore de la possibilité de conclure des accords valant PSE.
C’est là que se cristallisent les enjeux… et les critiques aussi. Le débat doit avoir lieu, pas sur des slogans ou des approximations mais sur le contenu réel de la loi, et sur la logique politique qui l’anime.
Il y a à la base de ces dispositions une double conviction.
- La conviction, d’abord, que les salariés et leurs représentants, les délégués élus et les organisations syndicales, ont la capacité et la légitimité à négocier, dans les entreprises, sur les sujets de l’emploi et des compétences que visent l’accord et la loi. Dès lors que leur légitimité est garantie –et même renforcée par la règle de majorité positive (qui entre parenthèses n’est même pas exigée pour voter une loi !). Et dès lors que l’Etat d’une part, notre système judiciaire d’autre part, restent au final garants du respect de l’ordre public social et de la faculté de chacun de faire valoir ses droits devant un juge.
Ceux qui contestent cette capacité et cette légitimité, qui considèrent les syndicats -mêmes majoritaires- comme « des jaunes » ou « des marionnettes » entre les mains des patrons, ou ceux qui les considèrent à l’inverse comme des irresponsables idéologues et archaïques, je comprends qu’ils combattent cet accord. Ce sont les mêmes, les uns et les autres, qui combattaient hier les lois Auroux ! Si l’on suit ce type de raisonnement, la notion même d’accord d’entreprise disparait, les salariés n’ont plus qu’à attendre tout de la loi, et les patrons n’ont qu’à exercer librement et unilatéralement leur rapport de force.
Soyons clairs : je ne suis pas un « bisounours ». Je comprends que certains aient des craintes car les forces ne sont pas égales dans l’entreprise. Je sais que nous avons besoin d’un « ordre public social » qui n’est d’ailleurs en rien remis en cause par le projet de loi.
Je n’ai jamais cédé à cette illusion -parfois entretenue dans une vision naïve du dialogue social- qu’il n’y aurait pas de divergence d’intérêts fondamentale entre les employeurs et les salariés. Au contraire, c’est parce que des intérêts diffèrent qu’un compromis est possible.
La négociation n’est pas l’effacement des divergences, elle permet le dépassement ! Et je prétends que cet accord et cette loi aideront ce dépassement précisément parce qu’ils donnent de nouvelles armes aux salariés et à leur représentants !
- La conviction, ensuite, que les acteurs de l’entreprise –managers, DRH, organisations syndicales, IRP, salariés – sauront se saisir de ces nouvelles opportunités, de ces nouvelles armes et développer ces nouveaux droits. La conviction qu’une dynamique d’actions défensives mais aussi offensives et anticipatrices pour sauvegarder l’emploi, est souhaitable
Nous aurons tous un rôle à jouer pour cela, vous aussi. Et je suis certains que vous ne serez pas les derniers à conseiller sur ces opportunités, et les organisations syndicales sur le terrain –y compris non signataires de l’accord du 11 janvier- pas les dernières à les utiliser.
Bernard Thibault disait il y a peu que les travailleurs ont l’impression de ne plus avoir prise sur l’organisation et le contenu de leur travail. Voilà de quoi inverser la vapeur, cette mauvaise vapeur du dessaisissement de chacun du contenu de son travail. Et quand l’on n’a plus prise sur rien, quand tout changement est une régression et que l’on est balloté au gré de logiques qui vous échappent, on ne peut plus que résister et s’opposer. Je comprends que quand il n’y a rien à négocier, on soit dans le blocage ou le « gagner du temps » pour retarder les échéances. Mais à l’inverse quand on a des pouvoirs, des responsabilités, de véritables possibilités d’influer sur le cours des choses, alors la donne peut changer.
Les syndicalistes sont souvent appelés à la « responsabilité ». Je dis une chose : pour être responsable, il faut avoir des responsabilités ! Voilà la vérité. Et si demain les syndicats en ont de véritables, alors ils attireront davantage, et n’en seront que plus forts !
Reste bien sûr la question que j’évoquais à l’instant, qui vous tient particulièrement à cœur, celle des garanties apportées à cette démocratie nouvelle dans l’entreprise. Quelles sont les leviers qui empêcheront dérives et blocages du processus vertueux que je viens de décrire ? Quel rôle pour l’Etat –et singulièrement pour mes services dans les Direcctes et l’inspection du travail – et quel rôle pour les juges –de l’ordre judiciaire comme de l’ordre administratif ?
Le texte de loi apporte des réponses, la jurisprudence le fera aussi bien sûr. Je récuse l’expression de « déjudiciarisation » (dure à dire) parfois utilisée à propos de ce texte car elle est trompeuse si elle est assimilée à la suppression de la possibilité de faire appel au juge pour faire valoir ses droits. Ce n’est évidement pas de cela dont il s’agit ici, mais de l’encouragement à trouver par le dialogue social une autre voie, à la fois plus sûre et plus équilibrée, qui rende aussi inutile que possible le recours au juge.
Souvent, notre société préfère interroger le cadre (c’est-à-dire les conditions du licenciement) ou l’entorse au processus (c’est-à-dire l’abus et donc le droit qui protège contre), plutôt que le fond (les conditions et la négociation créatrice). Je sais qu’il faut envisager l’échec, je sais que la question de l’abus est le point de départ de toute régulation, mais je pose une question : à quel moment cette question de l’abus devient-elle trop dévorante dans le débat public ? A quel moment la crainte de l’abus nous pousse à déclarer les acteurs irresponsables ou incapables et à finalement restreindre leurs droits au motif que tous les abus sont possibles, et à généraliser l’incertitude juridique ? Comment faire pour que le cadre ne prenne pas le pas sur le fond, que l’on ne parle plus que des conditions du licenciement alors que l’enjeu de fond, c’est la préservation commune de l’emploi ?
A ces question l’accord et désormais le projet de loi s’efforcent d’apporter une réponse à la fois pragmatique et ambitieuse, dans laquelle la sécurisation dans l’emploi des uns, les salariés, va de pair avec la sécurisation juridique de l’autre, l’entreprise.
Je vous remercie et suis prêt à répondre à vos questions et à engager le débat.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 3 avril 2013