Texte intégral
Je suis venu vous parler de droit du travail. Bien sûr, nous aurons si vous le souhaitez une discussion sur certains points plus techniques de laccord du 11 janvier et de la loi à venir. Mais je ne suis pas un technicien. Je suis un politique. Et donc je vais dabord vous parler du sens politique, et social, de cette avancée que constituent laccord et la loi.
1. Le discours de la méthode
La loi sur la sécurisation de lemploi est une loi particulière. Elle participe dune nouvelle culture des relations sociales. Laccord du 11 janvier dernier a marqué laboutissement de lune des plus ambitieuses séquences de négociation interprofessionnelle depuis 1968. Il fera date, jen suis certain.
Après plusieurs décennies davancées positives mais partielles, déchecs ou de renoncements, les grands enjeux de notre marché du travail ont enfin été pris à bras le corps pour fonder un équilibre neuf, un équilibre dans lequel ce que les uns gagnent nest pas ce que les autres perdent, mais louverture dun nouveau champ de possibles.
Derrière laccord, derrière la loi, il y a une méthode : le dialogue social à la française. « Dialogue social », chacun voit ce que cela veut dire. « A la française » mérite une explication.
Nous ne sommes pas un pays scandinave, ni même lAllemagne où la cogestion se pratique presque indépendamment de la politique. Dans le cas qui nous occupe, cest dabord une impulsion politique qui a donné lélan au dialogue social. Je veux bien sûr parler de la grande conférence sociale de juillet dernier qui a rassemblé les acteurs, partagé des constats, fixé une feuille de route commune. Je veux aussi rappeler le cap fixé par le Président de la République : « mobiliser les forces vives de notre pays vers des solutions nouvelles pour lemploi ».
Il y a eu ensuite un document dorientation du gouvernement pour cette négociation, conformément à larticle L1 du Code du Travail, acte politique qui engageait les partenaires sociaux à rechercher un accord « gagnant-gagnant » sur tous les sujets à la fois, et engageait lEtat dans la mise en uvre des changements législatifs et réglementaires qui en découleraient.
Alors est venu le temps du dialogue social. 4 mois de négociation intense pour parvenir à laccord du 11 janvier 2013.
La balle est ensuite revenue dans notre camp, celui des acteurs politiques, pour écrire la loi. Le parlement prend désormais le relais. La transposition dun accord nest pas un recopiage ; un parlement nest pas une chambre denregistrement. Mais il y a un double devoir politique -et pas juridique- pour le Gouvernement dabord, pour le Parlement ensuite (dailleurs pas seulement à mes yeux pour la composante majoritaire qui soutient le Gouvernement) :
- Loyauté vis-à-vis des signataires de laccord, dont léquilibre doit être respecté sous peine de tuer toute démarche fondée sur le dialogue social dans le futur : si laccord ne vaut rien, si son contenu peut être redéfini, à quoi bon négocier et sengager par une signature ?
- Ecoute et transparence vis-à-vis des non-signataires, qui ont participé à la négociation et quelque part ont apporté aussi leur contribution même sils n'adhèrent pas à léquilibre final
Une fois posés ces principes, le Gouvernement assume la responsabilité du projet de loi. Là où laccord du 11 janvier laissait des ambiguïtés ou des zones dincertitudes, là où il était silencieux, des choix clairs ont été opérés. Ils ont été faits en toute transparence avec une seule grille danalyse : quelle est loption la plus favorable pour répondre à lambition de sécurisation de lemploi et des parcours professionnels et la plus conforme à lintérêt général ?
Dans quelques semaines, la loi aura donc inscrit laccord dans notre ordre juridique cest bien ce qui nous intéresse ce soir avec le poids des engagements qui sont nés des acteurs sociaux eux-mêmes. A la force du dialogue sajoutera la force de la loi, son complément nécessaire. Nécessaire, car cest la loi qui porte lintérêt général ; nécessaire car la France est un pays qui sest construit par le droit. Nous sommes ici au centre de notre modèle social français en mouvement, avec une articulation utile et croissante du contrat et de la loi.
2. Le cadre et le fond
La question qui nous est posée est la suivante : « Que veut-on pour notre droit du travail ? ».
Le projet de loi ouvre aux salariés des droits nouveaux, importants, qui feront avancer le progrès social, incarnés par la complémentaire santé et le compte personnel de formation (dailleurs largement salués). Il met également en place de nouveaux instruments de lutte contre la précarité : rendre la préférence au CDI en taxant les contrats courts ; instaurer une durée minimale pour le temps partiel ; créer des droits rechargeables à lassurance chômage, cest-à-dire autant davancées à destination de ceux qui ne sont pas dans lemploi le plus sécurisé !
Mais en face de ces progrès, que les partenaires sociaux comme le gouvernement ont voulu, il y a une profonde nouveauté de ce texte qui alimente un débat, des interprétations contradictoires, des inquiétudes ou des critiques radicales pour certains et un espoir pour dautres : ce sont les nouveaux pouvoirs de négociation donnés aux acteurs économiques et sociaux. Concrètement je veux parler bien sûr des accords de mobilité dans les accords GPEC, des accords de maintien de lemploi, de lentrée des salariés dans les conseils dadministration des grandes entreprises, des modalités de meilleure information des IRP -car avoir le pouvoir de négocier suppose dêtre suffisamment informé- ou encore de la possibilité de conclure des accords valant PSE.
Cest là que se cristallisent les enjeux et les critiques aussi. Le débat doit avoir lieu, pas sur des slogans ou des approximations mais sur le contenu réel de la loi, et sur la logique politique qui lanime.
Il y a à la base de ces dispositions une double conviction.
- La conviction, dabord, que les salariés et leurs représentants, les délégués élus et les organisations syndicales, ont la capacité et la légitimité à négocier, dans les entreprises, sur les sujets de lemploi et des compétences que visent laccord et la loi. Dès lors que leur légitimité est garantie et même renforcée par la règle de majorité positive (qui entre parenthèses nest même pas exigée pour voter une loi !). Et dès lors que lEtat dune part, notre système judiciaire dautre part, restent au final garants du respect de lordre public social et de la faculté de chacun de faire valoir ses droits devant un juge.
Ceux qui contestent cette capacité et cette légitimité, qui considèrent les syndicats -mêmes majoritaires- comme « des jaunes » ou « des marionnettes » entre les mains des patrons, ou ceux qui les considèrent à linverse comme des irresponsables idéologues et archaïques, je comprends quils combattent cet accord. Ce sont les mêmes, les uns et les autres, qui combattaient hier les lois Auroux ! Si lon suit ce type de raisonnement, la notion même daccord dentreprise disparait, les salariés nont plus quà attendre tout de la loi, et les patrons nont quà exercer librement et unilatéralement leur rapport de force.
Soyons clairs : je ne suis pas un « bisounours ». Je comprends que certains aient des craintes car les forces ne sont pas égales dans lentreprise. Je sais que nous avons besoin dun « ordre public social » qui nest dailleurs en rien remis en cause par le projet de loi.
Je nai jamais cédé à cette illusion -parfois entretenue dans une vision naïve du dialogue social- quil ny aurait pas de divergence dintérêts fondamentale entre les employeurs et les salariés. Au contraire, cest parce que des intérêts diffèrent quun compromis est possible.
La négociation nest pas leffacement des divergences, elle permet le dépassement ! Et je prétends que cet accord et cette loi aideront ce dépassement précisément parce quils donnent de nouvelles armes aux salariés et à leur représentants !
- La conviction, ensuite, que les acteurs de lentreprise managers, DRH, organisations syndicales, IRP, salariés sauront se saisir de ces nouvelles opportunités, de ces nouvelles armes et développer ces nouveaux droits. La conviction quune dynamique dactions défensives mais aussi offensives et anticipatrices pour sauvegarder lemploi, est souhaitable
Nous aurons tous un rôle à jouer pour cela, vous aussi. Et je suis certains que vous ne serez pas les derniers à conseiller sur ces opportunités, et les organisations syndicales sur le terrain y compris non signataires de laccord du 11 janvier- pas les dernières à les utiliser.
Bernard Thibault disait il y a peu que les travailleurs ont limpression de ne plus avoir prise sur lorganisation et le contenu de leur travail. Voilà de quoi inverser la vapeur, cette mauvaise vapeur du dessaisissement de chacun du contenu de son travail. Et quand lon na plus prise sur rien, quand tout changement est une régression et que lon est balloté au gré de logiques qui vous échappent, on ne peut plus que résister et sopposer. Je comprends que quand il ny a rien à négocier, on soit dans le blocage ou le « gagner du temps » pour retarder les échéances. Mais à linverse quand on a des pouvoirs, des responsabilités, de véritables possibilités dinfluer sur le cours des choses, alors la donne peut changer.
Les syndicalistes sont souvent appelés à la « responsabilité ». Je dis une chose : pour être responsable, il faut avoir des responsabilités ! Voilà la vérité. Et si demain les syndicats en ont de véritables, alors ils attireront davantage, et nen seront que plus forts !
Reste bien sûr la question que jévoquais à linstant, qui vous tient particulièrement à cur, celle des garanties apportées à cette démocratie nouvelle dans lentreprise. Quelles sont les leviers qui empêcheront dérives et blocages du processus vertueux que je viens de décrire ? Quel rôle pour lEtat et singulièrement pour mes services dans les Direcctes et linspection du travail et quel rôle pour les juges de lordre judiciaire comme de lordre administratif ?
Le texte de loi apporte des réponses, la jurisprudence le fera aussi bien sûr. Je récuse lexpression de « déjudiciarisation » (dure à dire) parfois utilisée à propos de ce texte car elle est trompeuse si elle est assimilée à la suppression de la possibilité de faire appel au juge pour faire valoir ses droits. Ce nest évidement pas de cela dont il sagit ici, mais de lencouragement à trouver par le dialogue social une autre voie, à la fois plus sûre et plus équilibrée, qui rende aussi inutile que possible le recours au juge.
Souvent, notre société préfère interroger le cadre (cest-à-dire les conditions du licenciement) ou lentorse au processus (cest-à-dire labus et donc le droit qui protège contre), plutôt que le fond (les conditions et la négociation créatrice). Je sais quil faut envisager léchec, je sais que la question de labus est le point de départ de toute régulation, mais je pose une question : à quel moment cette question de labus devient-elle trop dévorante dans le débat public ? A quel moment la crainte de labus nous pousse à déclarer les acteurs irresponsables ou incapables et à finalement restreindre leurs droits au motif que tous les abus sont possibles, et à généraliser lincertitude juridique ? Comment faire pour que le cadre ne prenne pas le pas sur le fond, que lon ne parle plus que des conditions du licenciement alors que lenjeu de fond, cest la préservation commune de lemploi ?
A ces question laccord et désormais le projet de loi sefforcent dapporter une réponse à la fois pragmatique et ambitieuse, dans laquelle la sécurisation dans lemploi des uns, les salariés, va de pair avec la sécurisation juridique de lautre, lentreprise.
Je vous remercie et suis prêt à répondre à vos questions et à engager le débat.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 3 avril 2013