Texte intégral
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les rapporteurs, Mesdames et Messieurs les conseillers, Mesdames et Messieurs, le défi qui est le nôtre et qui vient d'être présenté aujourd'hui dans ces deux projets d'avis du Conseil économique, social et environnemental n'est pas une mince affaire. D'ailleurs, ce n'est la question ni d'un moment, ni d'une politique temporaire ou conjoncturelle, puisque nous faisons face à un véritable défi de civilisation.
Ce qui est en jeu sur ces deux questions n'a pas vocation à faire l'objet d'une dispute, pas plus que d'une querelle. C'est tout simplement la mutation qui va mettre en oeuvre le grand changement que nous devons faire naître pour notre société. Comme l'a dit Jean Jouzel, sur ces questions, le sujet n'est pas de savoir si c'est une option, mais de savoir qu'il s'agit bien d'un impératif qui nous est commun.
Ce défi n'est pas nouveau, mais sa force augmente chaque jour.
Nous en connaissons, vous l'avez bien rappelé, les enjeux et les contours.
Le dérèglement climatique n'est plus débattu, sauf par quelques illuminés, et l'impact de l'activité humaine est parfaitement reconnu par l'immense majorité de la communauté scientifique.
Des engagements ont été pris par la France, je tiens à le rappeler, au niveau planétaire avec le protocole de Kyoto qui a marqué une rupture dans la gouvernance mondiale, au niveau européen avec le paquet énergie-climat (3 fois 20) en 2020 et enfin au niveau national avec l'objectif du facteur 4, soit une division par quatre des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050.
Ces engagements ne sont pas des promesses faciles ou des formules vaines. Ils engagent notre pays, les habitants de notre pays, mais ils nous engagent tous devant l'humanité. Ils ne sont pas seulement une contrainte à agir. Ils ne sont pas non plus une simple obligation à laquelle nous devrions nous conformer. Ils doivent être le moteur de notre action, notre feuille de route et notre horizon.
Les objectifs sont connus, les constats sont partagés, les recettes ont été discutées, vous l'avez fait largement pour nous, pour ce gouvernement. Le temps des décisions et de leur mise en application avec ambition est donc venu.
En étant ici, je suis évidemment dans l'esprit de ce qu'a dit clairement le Président de la République lors de la Conférence environnementale. Il n'a caché ni son ambition ni sa détermination. Il s'est dit favorable à un renforcement des objectifs européens de 40 % de réduction en 2030 et à 60 % en 2040.
Le cap a donc été clairement fixé. C'est à nous, la France, de devenir le pays de l'excellence environnementale. C'est à nous de mettre en place un nouveau modèle de développement. L'objectif est clair et les chantiers sont immenses.
Les chantiers sont immenses et ils sont également nombreux. Delphine Batho avec qui nous travaillons main dans la main aura l'occasion de vous décrire avec attention et précision la détermination qu'elle met à mener l'un des plus grands débats démocratiques de notre pays : celui sur notre énergie.
Je partage vos conclusions sur la nécessité de mettre l'ensemble des questions énergétiques en débat et de faire une appropriation collective et très citoyenne de ces sujets mais l'énergie d'aujourd'hui, celle dont nous devons nous préoccuper, est aussi l'énergie de demain. Je le dis d'autant plus car je sais que vous êtes tous attentifs à ce que les solutions qui émergent ne soient pas de simples mirages. Nous devons obstinément trouver des solutions durables.
Je ne voudrais pas que ce débat aille creuser trop profondément pour ne faire rejaillir que des solutions de courte vue. Les réponses qui en sortiront devront être une garantie de sécurité et de tranquillité pour les générations futures.
Je viens devant vous vous parler plus précisément d'un chantier qui concerne en premier lieu mon ministère. Ce chantier majeur est celui de la transition énergétique dans le bâtiment.
Vous avez rappelé à quel point c'était un élément d??cisif en matière de transition énergétique, mais je tiens à vous dire que ce chantier doit être mené dans un contexte particulier : celui d'une crise grave, profonde, du secteur du bâtiment ; une crise à laquelle le gouvernement tente avec détermination de répondre mais dans ce secteur plus qu'ailleurs, nous devons prouver que la transition énergétique doit rimer avec efficacité économique. C'est parfaitement possible.
Les données sont là, vous les avez rappelées. Il n'y aura pas de transition énergétique durable sans une rénovation thermique massive des bâtiments en France. Il n'y aura pas de rénovation thermique massive sans un cadre stable, clair et pérenne pour celle-ci.
Telle est l'obligation qui est la mienne.
Elle commence par l'exemplarité des constructions nouvelles et de l'ensemble des bâtiments neufs ; avec l'ART 2012, les logements construits aujourd'hui sont énergétiquement très performants. Demain, nous travaillerons très en amont sur les normes qui devront prévaloir à l'horizon 2020. Ces normes ne sont pas seulement techniques ni même énergétiques, elles devront être parfaitement et plus largement environnementales pour intégrer toutes les avancées de la transition écologique.
La ville que nous sommes en train de bâtir se doit d'être performante thermiquement parce que durable, vous l'avez rappelé Madame Tissot-Colle. La question du recyclage est assez déterminante et en matière de construction, de bâtiments, en matière d'usage des matériaux de réemploi ou de traitement des déchets de chantier, c'est là aussi un chantier considérable ; la consommation d'énergie pour la production de matériaux de construction est très importante. C'est un chantier là aussi décisif.
Je le dis, cela ne suffira pas. On ne pourra pas se contenter de 500 000 logements neufs par an fussent-ils d'une excellente qualité. Ce flux des constructions nouvelles, si essentiel soit-il, aussi pour la démonstration de ces possibilités nouvelles de construction, ne suffira pas à rendre performant notre parc de bâtiments assez rapidement pour répondre au défi climatique que j'évoquais en introduction.
La plus grande partie de la ville de demain existe déjà, M. Chorin l'a rappelé : 75 % du parc de 2050 est déjà construit et pour une part assez importante de celui-ci, il a été construit à une époque où - avant l'intervention de l'ambassadeur de la « chasse au gaspis » - ces questions étaient un sujet anecdotique. La moitié du parc a été conçu dans une logique d'énergie inépuisable ; le travail sur ce parc est décisif.
C'est pourquoi nous voulons poursuivre un chantier majeur : celui de la rénovation thermique des bâtiments. 500 000 logements doivent être rénovés chaque année d'ici à la fin du quinquennat en atteignant un niveau de performance énergétique qui devra limiter nos émissions de gaz à effet de serre et qui permettra aussi d'avoir une efficacité sociale en diminuant le montant des factures énergétiques qui ont tendance ces dernières années à augmenter.
J'ai parlé du bâtiment et l'on pense évidemment au bâtiment d'habitation. Je veux répondre à M. Chorin sur la question du décret tertiaire qui est en cours de finalisation. Je souhaite qu'il soit présenté à la fin du mois de janvier. C'est une décision très importante. On sait qu'après les évaluations thermiques faites dans les bâtiments, propriétés des collectivités locales, il y a un chantier majeur qui, s'il est bien conduit, pourra être fait en lien avec la Caisse des Dépôts pour que les collectivités locales soient aussi le moteur de la montée en gamme et en activité du travail de rénovation thermique dans les bâtiments.
Il faudra de toute façon un plan ambitieux et pertinent. Vous comprendrez bien que je ne puisse pas vous détailler de manière très précise l'ensemble de ce plan, qui lui aussi est en cours de finalisation.
Notre objectif partagé avec Delphine Batho est d'avoir un plan efficace, qui s'appuie sur ce qui existe déjà. Nous ne souhaitons pas remettre en cause le programme « habiter mieux », mais en tirer les leçons sur le lien qui pourra être fait avec les populations qui en ont le plus besoin. Je pense aux populations des propriétaires occupants vieillissant à ressources très modestes qui ne sont pas les personnes les plus faciles à contacter, ceux qui ne sont plus disponibles pour pouvoir se lancer dans ces projets de rénovation thermiques et qui, pourtant, sont ceux qui doivent en être les principaux bénéficiaires.
Au-delà des éléments techniques, il y a trois grandes exigences, qui sont impératives pour moi.
La première est l'emploi parce que le secteur du BTP est fortement touché par le contexte économique dégradé. Nombre d'emplois dans les TPE ne regroupent qu'un ou deux employés qui sont là aussi très menacés ; l'idée n'est pas seulement de faire survivre artificiellement ces emplois et ces entreprises, mais au contraire de leur offrir des perspectives d'avenir, de nouvelles activités bénéfiques pour l'environnement et le pouvoir d'achat et d'en faire une filière de premier choix pour les jeunes qui trouveront là des emplois pérennes, durables et non délocalisables.
La rénovation énergétique permettra la structuration de toute une filière industrielle, de la production des matériaux jusqu'à la mise en oeuvre. Compte tenu du volume d'activité constatée, on évalue de manière variable (vous avez parlé d'un chiffre de 100 à 150 000 emplois), les emplois directs et indirects. On peut arriver à ce chiffre si l'ensemble de l'appareil de production au niveau national se met en marche en direction d'un plan massif de rénovation énergétique de l'habitat.
La deuxième exigence est celle de la stabilité parce que si nous pensons que c'est une question économique majeure qui structure un marché créateur d'emploi, nous devons garantir aux professionnels la stabilité. Je sais le quotidien des installateurs, des industriels de matériaux, des bureaux d'études qui vivent déjà à la mesure du carnet de commandes ; ils ne doivent pas en plus être « ballotés » au gré des normes et de la règlementation.
En la matière, le rôle du politique n'est pas de renverser la table, de décréter un bouleversement, il est d'améliorer, de pérenniser, de garantir.
C'est ce que nous ferons. C'est un cap, une direction politique et technologique donnée pour permettre, dès aujourd'hui, d'anticiper les investissements nécessaires techniques et réglementaires.
Enfin, notre troisième exigence décisive est celle de la solidarité. Ce sont plus de huit millions de personnes qui souffraient en 2012 de précarité énergétique. Très concrètement, elles ne peuvent pas se chauffer l'hiver ou y consacrent une part trop importante de leur revenu. Cela les prive de la vie sociale liée à l'existence d'un logement décent. Ce n'est plus acceptable, d'autant moins que la situation ne pourra pas s'améliorer en raison de certaines passoires énergétiques - je n'ai pas peur de le dire - en zone rurale qui relèvent de l'habitat indigne. Ces 8 millions de personnes ne sont peut-être pas rentables, elles ne relèvent d'aucun marché, mais ces personnes relèvent de notre responsabilité collective.
Pour répondre à cette précarité, un effort sans précédent doit être entrepris et les crédits de l'ANAH et du Fonds d'aide à la rénovation dans le programme d'investissement d'avenir seront mis à contribution dès 2013 et en 2014. Près d'un milliard d'euros seront mobilisés. Ils viendront amplifier l'action du programme « Habiter mieux ».
Dans ce cadre aussi, la mobilisation des collectivités locales est essentielle pour le financement. Vous avez évoqué la difficulté d'avoir un foisonnement d'initiatives, nous travaillerons à cette mise en cohérence. Le contact le plus direct à réaliser avec les particuliers passe par les collectivités locales et les communes qui ont un lien direct avec les personnes qui pourront en être bénéficiaires.
Le programme « Habiter mieux » doit être ajusté et amélioré pour les propriétaires les plus modestes, pour lutter contre la précarité énergétique dans son ensemble, quel que soit le statut d'occupation - propriétaire ou locataire - et aussi suivant le niveau de ressources. Chacun doit être stimulé en fonction de son niveau de ressources afin que nous réduisions au minimum la contribution des ménages précaires.
Créer des emplois, garantir la stabilité aux investisseurs et assurer la solidarité, voilà le cadre nécessaire de cette action. Il faut aussi en dessiner les échéances. C'est à nous de fixer l'horizon de notre cap. En la matière, un tel horizon ne peut pas s'arrêter à un quinquennat, il n'est pas l'affaire d'une carrière ou d'un ministère, mais une ambition commune. Notre horizon, c'est 2020 et il nous faut tenir nos engagements.
Dès maintenant, trois étapes sont nécessaires. La première commence dès aujourd'hui en 2013. Optimiser le travail déjà entamé, le rendre plus juste et plus efficace. Il faut améliorer les dispositifs existants pour soutenir la demande, apporter le secours financier nécessaire pour garantir aux particuliers que leur investissement sera rentable. Les dispositifs existants seront renforcés pour favoriser les travaux efficaces et remplir leur pleine fonction sociale. Les critères d'éligibilité seront harmonisés et les démarches administratives simplifiées pour les entreprises reconnues « Grenelle environnement ».
Optimiser, c'est aussi informer et rendre accessible à tous. Un guichet unique de la rénovation énergétique aura vocation à regrouper l'ensemble des informations existantes sur les aides techniques et financières mobilisables et sur les professionnels de la région avec qui se mettre en contact. Un métier des rénovateurs assurant un ensemble pourra émerger. Des emplois d'avenir seront chargés d'améliorer les démarches, d'anticiper et d'accompagner dans les démarches. Cette première étape pourra nous permettre de faire naître la suivante.
La seconde étape dès 2015 sera la pérennisation d'un outil novateur, efficace de financement. C'est central. La question du fossé entre les besoins en termes d'investissement et la réalité budgétaire financière actuelle nécessite d'être innovante sur le recours au financement européen par la mise à disposition d'une banque qui pourrait servir d'intermédiaire avec la Banque européenne d'investissement. Renforcer, comme l'a dit le Président de la République lors de la Conférence environnementale, la Banque publique d'investissement dans son statut de banque de la transition écologique et sur la fonction énergétique. Et bien sûr, faire naître des tiers financeurs. Ce dispositif est déjà expérimenté par des collectivités dans d'autres pays et devra devenir un modèle. Je pense à la SEM positive mise en place par la région Île-de-France qui est l'un des modèles consistant à ce qu'un tiers prenne en charge le financement des travaux de rénovation énergétique et se rembourse par les économies réalisées ; c'est une bonne piste. Elle nécessite de bien retravailler en amont pour être adaptable à différentes situations.
Sur ce schéma que nous travaillons, c'est ce dispositif que nous voulons voir naître dans l'ensemble des régions. Nous n'avons pas la garantie de son efficacité ni la certitude de son succès, mais nous avons l'obligation d'essayer. S'il produit les résultats que nous attendons, il donnera l'opportunité et la pertinence de sa généralisation en massifiant un marché déjà stabilisé par la première étape, celle du renforcement des dispositifs existants et la mise en oeuvre du plan de rénovation énergétique dans le secteur tertiaire. Ce circuit de financement nous permettra de tenir les engagements pris par le Président de la République lors de la Conférence environnementale.
Enfin, il est de notre responsabilité de poser dès aujourd'hui toutes les questions et d'ouvrir les horizons. On n'ouvre pas un chantier d'une telle ampleur par l'affirmation d'une règle ou d'une sanction. Nous avons déjà connu beaucoup de normes et il est nécessaire de stabiliser les acteurs pour qu'il y ait une visibilité sur ce sujet. Nous devons donc saisir ce chantier qui s'ouvre comme une opportunité.
Si vous partagez ma conviction que nous ne négocierons pas avec la crise climatique, une évidence s'impose : nous devons ouvrir le débat sur la mise en place d'obligations de rénovation dans toute son acception et ses possibilités, son anticipation de financement. L'obligation ne peut pas s'imposer brutalement, mais cette nécessité de la rénovation doit être prise en considération en amont, avant même que toute décision soit prise. Je connais le poids des normes et des réglementations et je sais qu'il ne suffit pas d'avoir un objectif si on n'en dessine pas le chemin.
Je souhaite que cette question soit ouverte et que nous travaillions, en particulier dans les copropriétés, parce que le sujet est plus complexe, pour réfléchir à des étapes. Il est certain que cette question ne sera pas dans le plan que nous allons vous présenter, mais nous ne l'excluons pas de notre réflexion.
Dans les semaines qui viennent une large discussion sera ouverte sans tabou. Les engagements ont été pris par le Président, ils seront respectés. Je vous ai livré avec franchise mon état d'esprit. Nous pourrons poursuivre cette discussion. Je serais tout à fait heureuse de recevoir, de la même manière que vous l'avez fait, vos opinions et vos propositions. Ma porte est parfaitement ouverte et mon écoute est entière. Nous discuterons de toutes ces questions, mais aussi de fiscalité, de formation et de réglementation. Dans ce débat, l'avis que vous avez rendu sera plus qu'une simple conclusion, mais en grande partie, un guide puisque votre travail a permis de faire émerger un large consensus. C'est un élément décisif pour l'engagement de ce chantier qui ne doit pas être timide ou timoré, mais qui touche à la réalité de la vie de l'ensemble des habitants de notre pays.
Je vous remercie de votre contribution et je vous assure de notre détermination à agir pour engager avec efficacité la transition énergétique dont nous avons besoin. Je vous remercie.
Source http://www.lecese.fr, le 18 avril 2013