Conférence de presse de M. Thierry Repentin, ministre des affaires européennes, sur l'Union européenne, à Strasbourg le 16 avril 2013.

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Circonstance : Déplacement au Parlement européen, à Strasbourg (Bas-Rhin) le 16 avril 2013

Texte intégral

Je souhaitais vous rencontrer, dans le cadre de mon premier déplacement en tant que ministre des affaires européennes. Le Parlement européen n'est néanmoins pas une découverte puisque j'y suis passé à la fin des années 1980, début des années 1990, avec Jean Pierre Cot, parlementaire européen, président de la commission des finances à l'époque.
J'ai été ensuite un responsable politique en lien avec des aspects très concret de l'Europe :
- J'ai présidé pendant quatre ans l'union sociale pour l'habitat en France et je l'ai vu en tant qu'acteur de terrain, c'est-à-dire plaidant pour que le logement soit reconnu comme un service social d'intérêt général ce qui a été le cas après un long combat, en mobilisant des acteurs européens.
- Je l'ai été à l'inverse contre les institutions européennes lorsque j'estimais que le traité de Rome n'était pas appliqué car j'ai été à l'origine de plusieurs recours devant la Cour de Justice notamment lorsque l'Union européenne a effectué ce que nous avons appelé la banalisation du livret A, c'est-à-dire l'ouverture à la concurrence du livret A.
- Je l'ai été récemment au sein du ministère de l'emploi, de la formation professionnelle et de l'apprentissage, lorsque nous avons discuté de l'élargissement d'Erasmus aux apprentis. Dans ce combat, nous souhaitions qu'il y ait une ligne budgétaire au niveau européen au bénéfice des jeunes en situation de chômage durable. C'est d'ailleurs une des lignes du cadre financier pluriannuel qui est en discussion, pour la période 2014-2020.
Tout cela était mon quotidien dans un cadre opérationnel.
Dans la place où je suis maintenant, je pense que nous devons parler de l'Europe de façon très concrète car beaucoup de nos concitoyens en ont une conception technocratique, abstraite, à des moments où l'Europe doit faire face à des crises ; le dernier exemple étant la solution qu'a dû élaborer l'Eurogroupe pour la crise chypriote. Et on ne la perçoit hélas que dans des périodes de crise, alors même, et je le sais aussi comme élu local, l'Europe est présente au quotidien dans la vie des gens.
Je suis élu d'une zone urbaine sensible, je ne pourrais pas apporter de solution à mes concitoyens si le fonds social européen n'était pas à mes cotés pour l'insertion pour accompagner des associations qui oeuvrent pour l'enseignement au quotidien des jeunes qui ont besoin d'un accompagnement supplémentaire. Je ne pourrais pas faire sortir de terre des services publics qui sont aidés par le FEDER. Et comme je suis dans un département transfrontalier, je sais que ce que signifient les procédures INTERREG ou celles du FEADER qui accompagnent le monde agricole pour le développement, par exemple, des circuits courts.
Dans le rôle où je suis et dans l'année qui vient, j'ai également la responsabilité de rendre palpable quelque chose qui est aujourd'hui impalpable.
Je souhaite dire également que le président Hollande qui souhaite une réorientation de l'Europe vers une Europe porteuse d'espoir en termes de croissance et d'emploi, commence à acter des décisions, dont on verra bientôt les conséquences positives. Mais il faut plusieurs mois entre le moment où une décision est actée et le moment où elle s'applique c'est par exemple l'accord en juin 2012 sur le pacte de croissance et d'emploi de 120 milliards d'euros.
Il y a encore quelques jours, je demandais au vice président de la BEI : mais où en est on ?
Il m'expliquait qu'il avait fallu recapitaliser la BEI avant qu'elle puisse être en mesure de prêter de l'argent, c'est-à-dire qu'il fallait qu'elle appelle une quote-part des différents États pour une recapitalisation à hauteur de 10 milliards d'euros et que la France avait payé sa part, soit 1.6 milliards d'euros il y a trois semaines. C'est à partir du moment où la recapitalisation est effective que la BEI peut prêter. Le retour pour la France est 7 milliards d'euros en 2013, en 2014 et en 2015 de prêts au bénéfice de collectivités locales qui ont de plus en plus de mal à emprunter auprès des banques classiques. On peut le dénoncer, mais en tout état de cause il n'y a plus de liquidités pour répondre aux collectivités locales, et je visitais il y a quelques jours une entreprise qui avait été aidée par la BEI dans le domaine de la recherche et du développement ce qui lui permet de déposer des brevets.
Aussi, dans le cadre du souhait du président de la République d'avoir une Europe plus réactive, le brevet européen représente une finalité concrète que nous allions pouvoir présenter aux PME en leur disant qu'elles auront moins de démarches à réaliser et qui coûteront moins cher. C'est aussi cela la compétitivité. Il faut faire prendre conscience à nos compatriotes que l'Europe est possible mais nous sommes dans une démarche à 27, et le rôle du ministre des affaires européennes c'est d'aller convaincre des pays qui spontanément n'épousent pas les orientations du président de la République.
Q - Vous succédez a un ministre qui a été «noniste» est-ce que cela change quelque chose à la politique française ?
R - Le ministre a été «noniste». Dès lors qu'il est rentré au gouvernement, il a épousé la conception, le volontarisme, du président de la République car il est dans un gouvernement sous l'autorité de Jean-Marc Ayrault qui doit mettre en place le cap qui a été décidé par le président Hollande durant la campagne présidentielle. Il n'y aura pas de différence entre lui et moi, même si mon passé, mon engagement a été effectivement marqué par un engagement européen, comme membre du mouvement européen pendant des années, comme stagiaire au sein de la commission européenne puis auprès d'un parlementaire européen. Il n'y aura pas de différence sur le portage des fondamentaux, qui sont décidés, je le rappelle, par le président de la République, le ministre des affaires européennes ayant une position interministérielle, c'est lui qui doit faire la synthèse en quelque sorte auprès du gouvernement de toutes les aspirations portées par ses collègues. Je dois accompagner Nicole Bricq sur la position française sur la négociation sur l'accord de libre échange entre l'Union européenne et les États-Unis, sur les lignes rouges que nous ne souhaitons pas dépasser : la prise en compte de notre façon de vivre, du rejet des OGM, notre refus que cet accord remette en cause l'exception culturelle française. Je suis ainsi en appui d'Aurélie Filippetti. Elle ne peut pas se démultiplier. Je vais porter la parole dans les capitales. J'ai déjà commencé à le faire, je suis allé à Berlin, à Helsinki. J'ai rencontré mes homologues danois et polonais.
Q - Le canal Seine Nord Europe semble au point mort, pourtant la Commission européenne semble prête à soutenir ce financement. En tant que ministre des affaires européennes, quel rôle doit jouer votre ministère dans ce dossier ?
R - Il doit déjà s'assurer que le Parlement européen, en juin ou juillet prochain adopte un budget qui permette de déterminer si ces grands projets d'infrastructures ont encore un avenir. C'est le préalable. C'est la raison pour laquelle la France a été très allante, pour que les politiques structurelles bénéficient d'une dotation qui assure que sur la période 2014/2020, nous puissions mener de grands projets. Tout est conditionné au volume qui sera voté par le Parlement. J'espère que nous trouverons un accord. Ensuite, il appartiendra à l'État après une discussion interministérielle de déterminer, parmi les grands projets, ceux qui feront d'une dotation prioritaire. Vous citez le canal Seine Nord, il y a aussi le Lyon Turin, l'accès à la gestion du ciel avec le projet de 3 milliards sur la ligne de l'interconnexion européenne. À ce stade, nous ne savons pas si nous pourrons le faire, il y a une incertitude sur le vote. Je souhaite qu'elle soit levée le plus rapidement possible parce qu'à la clé, il y a des activités économiques importantes non délocalisables, c'est de l'emploi qui concernent nos entreprises et dont nous avons besoin.
Q - Sur la question du siège de Strasbourg, vous allez rencontrer Roland Ries, à la ville de Strasbourg, la chose est très claire : on veut et aime le Parlement européen à Strasbourg. Ici, la chose est beaucoup moins claire, et il y a un lobbying très fort contre les sessions à Strasbourg. Que proposez-vous ?
R - Le président de la République a été très clair sur ce sujet. Il l'a dit devant le Parlement. Bernard Cazeneuve a été très clair sur ce sujet. Il l'a dit mais au delà de ce qu'on dit, il y a ce que l'on fait. Je rappelle que c'est ce gouvernement qui a signé le contrat triennal. Il y avait un point d'interrogation lorsque Jean-Marc Ayrault a été nommé : il n'y avait pas d'engagement du gouvernement français au coté de Strasbourg. Maintenant il y a 47 millions d'euros, dans une période budgétaire difficile, c'est l'expression d'une vraie volonté politique.
Je vous ai dit que j'étais un européen convaincu de par mon engagement. Cela se traduit également par le respect des traités. Il n'y aura pas de remise en cause, pas de réouverture du débat sur les traités. Je l'ai dit clairement ce matin au président du groupe socialiste, je l'ai dit au président Schulz et nous sommes, avec lui, sur la même lecture, sur la même défense de l'équilibre des institutions. Vouloir ouvrir la question du siège du Parlement à Strasbourg, signifie la réouverture tous les compromis faits depuis des années sur la localisation des institutions européennes qui se fait dans un équilibre pour que plusieurs pays aient sur leur territoire national des institutions qui concourent au fonctionnement de l'union européenne. J'irai à la mairie de Strasbourg cette après midi pour confirmer l'engagement de la France. Pour ne rien vous cacher, j'ai déjà reçu à Paris Roland Ries, dans les quinze premiers jours qui ont suivi ma nomination, pour qu'il n'y ait pas d'ambigüité.
Q - Vous avez parlé de la possibilité de rendre concrète l'Europe. Est-ce que vous pensez que différents moyens, avec les nouvelles technologies, permettraient aux citoyens de participer davantage au processus de décision, avant que les décisions soient prises ? Cela serait utile pour avoir une participation plus forte des citoyens aux élections européennes.
R - Dans les premiers contacts avec des responsables européens, je leur ai parlé de l'échéance du 25 mai 2014, parce que j'ai le sentiment que le nez dans le guidon, ces responsables tentent de trouver au quotidien des solutions aux problèmes qui leur sont posés. Mais le nez dans le guidon les empêche d'avoir une perspective. Je pense que nous devons avoir une prise de conscience collective sur une action ensemble, quels que soient les engagements politiques des uns et des autres, pour qu'à travers quelques exemples précis, nous puissions dire à nos concitoyens ce que leur apporte l'Europe.
Il faut également faire attention aux décisions budgétairement marginales, mais qui ont un impact dans la vie de nos concitoyens. Par exemple l'aide aux plus démunis est marginale dans le budget européen, mais cela a un impact extraordinaire dans l'opinion publique. Le fait que, notamment grâce à la France, nous ayons pu revenir sur une décision qui a mis un stop à l'accompagnement des plus démunis aurait dû être perçu positivement. Nous n'avons pas su, collectivement, le valoriser. Je sais que certains pays n'y étaient pas favorables. C'est sans doute la raison pour laquelle cela n'a pas été mis en avant.
Il faut que les États engagent des actions de communication pour mai 2014. C'est une élection qui, faute de quoi, passera inaperçue car tous nos pays ont des échéances électorales qui aux yeux de nos concitoyens sont plus importantes. S'agissant de la France, nous devrons gérer les élections municipales en mars 2014. Nous n'avons donc pas 12 mois pour parler d'Europe, nous avons au mieux 7 ou 8 mois, entre maintenant et décembre prochain. Car après le mois décembre, tout le monde aura les yeux rivés sur l'échéance des élections municipales et le mois d'avril sera consacré à la mise en place des intercommunalités. Il faut en parler maintenant très concrètement. En ce qui me concerne, je vais m'y atteler et j'en ai d'ailleurs parlé au cabinet du Premier ministre pour attirer son attention sur cette échéance. Cela renvoie à des questions que vos collègues ou vous-mêmes posez : on ne parle d'Europe que dans des circonstances difficiles, dans la résolution de crises et pas dans ce qu'elle apporte au quotidien.
Q - On a déjà décalé des élections municipales d'un an, en prolongeant les mandats des maires d'un an pour éviter une collision pour des élections qu'on jugeait plus importantes. Pourquoi l'État français ne cherche pas à repousser de deux mois les élections municipales de façon à ce que tout le monde se rende aux urnes le jour des élections européennes ?
R - Vous avez posez la question et donnez la réponse en même temps. Si le même jour il y avait les élections municipales et européennes, il est clair que nous ne parlerions que des élections municipales. Le fait qu'il y ait un décalage peut nous donner au moins l'espoir et l'opportunité d'aller sur le terrain avant les élections municipales, et cela sera mon rôle. Il y aura aussi une campagne d'un mois après les élections municipales avec un mode de scrutin que nous avons stabilisé. J'ai porté pour le gouvernement la position du gouvernement à l'Assemblée nationale pour dire que nous ne modifierons pas le mode de scrutin qui restera sur des bases régionales avec l'espoir que le fait d'être sur des grandes régions permette une certaine proximité, une identification d'acteurs, femmes et hommes, qui porteront la cause européenne plutôt qu'un scrutin national qui aurait pu peut-être paraître encore plus éloigné que l'Europe ne l'est.
Q - La modification de la date de scrutin n'a jamais été évoquée ?
R - Non. Cela masquerait les élections européennes. On a intérêt à en faire un moment de débat et dire ce que l'Europe peut apporter, ce qu'elle peut concrétiser pour les générations futures. Il ne faut pas réduire ce scrutin à une élection municipale. On a vu lorsque des élections régionales et départementales avaient été organisées ensemble, les citoyens votaient pour le conseil général mais n'allaient pas voter, dans l'urne à coté, pour le conseil régional.
Q - Vous êtes le 11ème messager en 11 ans, est ce que cela ne réduit pas l'impact de votre mission et de votre ministère ?
R - Je vous l'ai dit, la puissance du message du président de la République n'est pas altérée. Dans le domaine réservé du président de la République, il y a les affaires étrangères. Dans la hiérarchie du gouvernement, il ne vous aura pas échappé que Laurent Fabius est le deuxième ministre et que je suis à ses cotés. En interne, cela n'affaiblit pas ma position. Chacun, je n'en tire aucune gloire personnelle, a perçu mon changement à ce ministère comme une progression substantielle dans mon parcours. Ce ministère très atypique qui fonctionne sur l'interministériel, est écouté car chaque semaine il travaille avec l'Élysée et Matignon et que la position que je défends est celle du président de la République.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 avril 2013