Interviews de Mme Nicole Notat, secretaire générale de la CFDT, dans "Syndicalisme hebdo" du 21 septembre 2001, RTL le 25 et "Le Nouvel Observateur" le 28, sur le congrès de Nantes en 2002 et sa décision de ne pas se représenter au secrétariat général de la CFDT.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Le Nouvel Observateur - RTL - Syndicalisme Hebdo

Texte intégral

Interview de Nicole NOTAT
à paraître dans Syndicalisme hebdo n°2854
du vendredi 21 septembre 2001
Tu viens d'annoncer au bureau national (BN) ton souhait de ne pas solliciter un nouveau mandat lors du prochain Congrès. Quelles en sont les raisons ?
J'ai beaucoup réfléchi avant de soumettre cette question au BN. Elle n'est anodine ni pour moi, ni pour l'organisation. Je suis entrée à la commission exécutive en 1982, voilà bientôt dix ans que je suis secrétaire générale : malgré le bonheur et la fierté que j'éprouve à être à la tête de la CFDT il était dans l'ordre des choses que je songe à passer la main. J'ai le souci de ne pas faire un mandat de trop. Changer de secrétaire général est une chose naturelle et les congrès sont des moments privilégiés pour permettre aux militants d'y participer. Cela étant, je n'aurais jamais évoqué mon départ si je n'étais pas convaincue que la CFDT est en pleine capacité de l'assumer. La CFDT va bien, nous avons tiré collectivement un grand profit de notre dernier congrès, la mobilisation de tous nous a permis de faire face à nos responsabilités, nous accueillons sans cesse de nouveaux adhérents Si je n'avais pas cette grande confiance dans l'organisation, je le répète, je ne me serais pas posé la question de mon départ.
Il n'y avait aucune urgence, bien des militants vont se demander : " Nicole, qu'est-ce que tu nous fais ? "
Qu'ils se rassurent, il ne s'agit ni d'un coup de blues ni d'un coup de tête. Personne ne demandait mon départ mais aujourd'hui ou demain, il était inéluctable. Dès lors que la relève existe, que l'on peut procéder à un renouvellement des responsables et des générations, il faut le faire. Jamais de meilleures conditions ne seront réunies. Quand je vois le climat de la commission exécutive et du bureau national, la liberté de ton qui y règne, la capacité de chacun à se sentir impliqué et à porter nos orientations politiques, quand je constate la qualité de nos débats au conseil national, quand je mesure l'énorme travail que nous avons accompli pour rapprocher les responsables nationaux des militants de terrain et donner du sens à la démocratie participative... vraiment, je me dis que c'est le bon moment pour procéder à un changement de capitaine.
À six mois des prud'hommes, le moment est-il bien choisi ?
Si j'ai fait part de mon intention malgré cette échéance en ligne de mire, c'est que je suis certaine que nous sommes en mesure de gagner cette élection. Quelle que puisse être la sympathie que les gens éprouvent pour un leader national, quelle que soit la confiance qu'ils lui témoignent, la crédibilité d'un syndicat se joue d'abord dans sa proximité avec les salariés. Je ne cherche pas à nier l'importance de l'image dans ce type d'élection, mais je crois profondément que c'est par son action de terrain, par sa capacité à être à l'écoute des salariés et à répondre à leurs attentes que la CFDT fera la différence.
Que tu le veuilles ou non, tu personnifies fortement l'organisation.
La médiatisation qui entoure la fonction de secrétaire général est telle qu'on réduit parfois la CFDT à Nicole Notat. À l'extérieur, certains en viennent à oublier - ou à douter - que les positions que j'exprime ont été élaborées collectivement. Mon départ constitue une bonne occasion de le rappeler et de montrer que la force et l'affirmation de la CFDT ne tiennent pas qu'à son leader.
Des sollicitations extérieures ont-elles pesé dans ta décision ? On a parlé de la CES...
Beaucoup de responsables d'organisations affiliées à la Confédération européenne des syndicats m'ont sollicitée pour assurer, en son temps, le remplacement d'Émilio Gabaglio, mais pour l'heure ce n'est pas le sujet. Je me positionnerai le moment venu. Une chose est certaine, ce n'est pas cela qui m'a amenée à poser la question de mon départ. Sans ces sollicitations, je l'aurais fait exactement dans les mêmes termes.
D'aucuns te voient faire une carrière politique. Nicole Notat ministre, c'est une hypothèse sérieuse?
Franchement non. Je ne peux que répéter ce que j'ai toujours dit à ce sujet, ce n'est pas dans ce domaine que je souhaite retrouver une activité. J'ai bien l'intention de continuer à faire des choses utiles mais je reste très attachée à ce qui a caractérisé mon engagement à la CFDT: renforcer le poids des acteurs de la société civile. Cela dit, aujourd'hui la priorité n'est pas mon avenir personnel mais la réussite du passage de témoin.
À huit mois du congrès de Nantes, il est désormais légitime de s'interroger sur "l'après-Nicole".
Ne pas le faire serait irresponsable. Afin de présenter au Congrès une équipe dont tous les membres seront connus, le bureau national a réfléchi au nouveau secrétaire général. Au sein de la commission exécutive actuelle personne n'aspire à cette fonction, chacun a le souci de faire monter une nouvelle génération. Celle qui a été très en pointe, depuis dix ans, sur le développement, le syndicalisme de proximité et de résultats... Proposé par la Commission exécutive, le nom de François Chérèque fait l'objet d'un large consensus au Bureau national. François est à la tête de la fédération Santé-Sociaux. Sous son impulsion, elle a connu un développement très important au point de devenir la première de la CFDT. Il a la carrure et les qualités requises.
Le secrétaire général est élu parmi les membres de la Commission exécutive ; François Chérèque n'en fait pas partie...
Effectivement. Entrer à la commission exécutive à l'occasion du congrès et devenir en même temps secrétaire général serait une gageure. C'est pourquoi, à une situation qui est un peu particulière, il faut apporter une réponse adaptée. Compte tenu de la volonté exprimée par le bureau national autour de la candidature de François, le BN a souhaité procéder, lors d'un bureau extraordinaire qui suivra le CNC d'octobre, à son élection à la commission exécutive. La décision finale reviendra au congrès et au bureau national qui en sera issu.
L'heure n'est pas encore venue, mais qu'aurais-tu à dire d'autre aux militants
Mon départ n'interviendra que dans huit mois, nous aurons donc d'autres rendez-vous d'ici là. Aujourd'hui, j'ai envie de leur témoigner de ma grande confiance en eux et en la CFDT. J'ai envie de leur dire: continuez, ayez confiance en vous !

(source http://www.cfdt.fr, le 19 septembre 2001)
RTL - Le 25 septembre 2001
R. Elkrief La CFDT a annoncé, la semaine dernière, que vous ne vous représenteriez pas au poste de secrétaire générale au prochain congrès, au printemps 2002. C'est la première fois que vous en parlez, aujourd'hui. Pourquoi renoncez-vous à ce poste ?
- "Parce qu'il faut bien, un jour, que le changement se fasse. Je suis à la tête de cette organisation, j'y ai beaucoup de fierté, c'est un vrai bonheur d'être à la tête de la CFDT aujourd'hui. Mais cela fait aussi un certain temps que j'y suis. La CFDT ne se réduit pas à sa secrétaire générale. Il y a beaucoup de responsables. J'ai le souci que le passage de témoin se passe bien, se passe au bon moment. Or, je crois que la CFDT, j'en suis même convaincue, peut assumer cela aujourd'hui, dans la confiance et la sérénité. J'ai donc plaidé pour dire que c'était le bon moment et qu'il fallait le faire."
Il y a le nom d'un candidat à votre succession qui circule, F. Chérèque. Mais sur les causes quand même : est-ce que c'est la rudesse du combat syndicale, est-ce que c'est le fait que votre investissement personnel sur la refondation sociale, le dialogue social est un peu bloqué ? Peut-être êtes-vous un petit peu déçue, un peu lassée ?
- "Non, je ne me sens ni lassée, ni découragée. Je vois d'ailleurs encore tous les combats qu'il faut mener et que, j'en suis sûre, la CFDT saura mener. Mais, justement, j'entends tellement souvent dire : "Mais finalement, la CFDT prend les positions qu'elle prend parce qu'il y a N. Notat qui tire etc." Eh bien, non. Vous ne pouvez pas savoir l'envie que j'ai que la CFDT fasse la démonstration que, sans moi, elle va rester la CFDT, elle va continuer à assumer ses choix, à poser des actes. Et c'est cela qui compte dans la vie syndicale et sociale française."
Un réformisme exigeant, une certaine pugnacité, mais en même temps du pragmatisme : est-ce comme cela que vous définiriez un peu sa vocation ?
- "Oui, la volonté de participer à ce qu'il convient de changer dans la vie du travail, dans tous les problèmes que rencontrent les salariés, dans les problèmes de société qui sont ceux que nous connaissons aujourd'hui, et d'être, à cet égard, un acteur qui ne fait pas que résister, qui ne fait pas que refuser des évolutions, qui est capable de comprendre celles qu'il faut conduire, et d'imprimer sa marque sur les changements."
Alors, l'avenir ? On a parlé de vous à la Confédération des syndicats européens, à Bruxelles. Mais d'autres disent aussi que vous voulez peut-être vous rendre disponible pour toute autre carrière, qui sait ? La politique vous intéresserait ?
- "A ce jour, je ne sais pas encore tellement ce que je ferai. Mais, je crois savoir déjà ce je ne ferai pas. La vie politique, vous le savez bien, ne m'a jamais attirée. Non pas que je ne considère pas que l'action politique ne soit pas noble, au contraire. Mais ce n'est pas dans ce registre que je me sens les meilleures capacités à mobiliser mon énergie. J'ai sans doute toujours envie de participer à ce renforcement des groupes, des acteurs de la société civile qui, à mes yeux, en particulier en France, ont un grand besoin de se renforcer, d'exister."
Plutôt à la tête des syndicats européens que ministre dans un gouvernement quelconque, l'année prochaine, après les élections ?
- "Ecoutez, la CES, bien sûr, j'ai des sollicitations en ce genre. Mais c'est encore un choix lourd à faire que je n'ai pas fait à ce stade. De toute façon, le temps ne presse pas en l'occurrence. Et je ne vais pas mélanger non plus les sujets. Mon avenir, j'y penserai bien évidemment. Mais pour l'heure, c'est la réussite de la succession, du passage de témoin à la CFDT, qui va m'occuper. Et puis, pendant huit mois, je suis encore secrétaire générale de la CFDT. Je pense donc qu'il va y avoir pas mal de choses à faire."
Justement, parlons-en : Toulouse, cette explosion, ce drame en pleine ville, de cette usine à grands risques... Revenons un peu sur les causes : est-ce que c'était le choix de l'emploi contre la sécurité ?
- "Bien sûr que non. D'ailleurs, nous sommes en contact avec nos responsables qui ont été très touchés, certains dans leur chair, d'ailleurs, des adhérents... Nous sommes en relation avec eux pour bien mesurer... Pour le moment, ils sont encore sous le choc. Ce dont ils ont besoin, pour le moment, c'est d'avoir des soutiens matériels, du soutien moral, l'organisation des secours, bref des réponses d'urgence. Et là, nous faisons bien sûr ce qu'il faut, à notre place, dans le souci de coordonner tout cela avec d'autres. Ensuite, vous comprenez bien que la peur de ce qui est arrivé mêle à la fois une envie de sécurité et de sûreté, et en même temps, une préoccupation pour son emploi, ce qui est bien légitime. Et aujourd'hui, c'est un peu ce que je souhaite dire ce matin : à Toulouse, et les salariés de l'usine et tous ceux autour, à la fois veulent dire : "Nous ne voulons plus de ces risques-là près de chez nous." Mais en même temps, ils veulent comprendre et savoir ce qui s'est passé. La nécessité de comprendre les causes, les origines de cet accident tragique est quelque chose..."
Quand on parle de "négligences", ils se sentent très touchés et refusent, notamment les sections syndicales de l'usine...
- "Parce que dans l'usine, en particulier je sais combien la CFDT était attentive aux questions de sécurité, à toutes les normes qu'il fallait respecter. A ce jour, ils ne comprennent donc pas ce qui a pu arriver. Ecarter un acte de malveillance est une chose, mais cela ne suffit pas à comprendre. Or, il faut comprendre le plus possible, bien sûr, justement pour prévenir ensuite, pour que les conditions de sûreté et de sécurité dans d'autres usines puissent être repoussées au maximum."
Finissons peut-être sur la situation internationale. On entend des bruits de bottes, comme on dit. Les Américains se préparent, l'offensive se précise. Quelles conséquences cela peut-il avoir sur les rapports de force dans le monde ? Est-ce que cela va changer quelque chose ? On a beaucoup dit que c'est un nouveau monde qui commence aujourd'hui ?
- "On espère que ce drame, ces morts et ce choc n'auront pas eu lieu pour rien, dans la manière dont tous les responsables de cette planète vont prendre conscience d'un certain nombre de choses. C'est évident : un acte comme cela, il n'y a pas de circonstances atténuantes. Et donc, bien évidemment, il faut réagir..."
Les Français doivent donc participer, être solidaires ?
- "Oui, mais j'ai envie d'entendre, dans ce que disent les Américains, "réponse appropriée" plus qu'une réponse aveugle. Attention, ne tombons pas dans le piège qui consisterait à parler d'opposition entre le bien et le mal, de faire l'amalgame entre les islamistes et les terroristes, et tout ce monde musulman qui peut-être, d'ailleurs, est la principale victime de ces choses-là. Donc, surtout pas d'amalgame. Et puis, après, un sursaut dans la capacité des responsables américains, des responsables européens, mais aussi du monde arabe, peut-être, pour se demander finalement, face à cela, où sont nos vraies responsabilités demain. Qu'on agisse sur le terrain militaire, bien évidemment, mais aussi le terrain diplomatique, le terrain politique, le terrain économique, car ce qu'il faut fuir comme la peste, c'est que des gens qui se sentent en dehors du progrès mondial finissent par se solidariser avec les terroristes. C'est cela qu'il faut éviter et, pour éviter cela, il faut apporter des réponses aux inégalités, aux problèmes qui existent dans le monde d'aujourd'hui."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 26 septembre 2001)
Le Nouvel Observateur.28 septembre 2001
Pourquoi ce départ, que tout le monde trouve bien précipité ?
Nicole Notat. Tout simplement parce que c'est le bon moment.
C'est un peu court ! Les pressions qu'a exercées sur vous Emilio Gabalio pour son remplacement à la tête de la Confédération européenne des Syndicats (CES) ont-elles guidé votre choix ?
Il n'y a pas de relation entre les deux. Mon départ n'est ni un coup de blues ni un mouvement d'humeur. Je suis fière d'être à la tête de la CFDT. Mais voilà près de dix ans que j'en suis le numéro un. Je ne veux pas rester une année de trop ! Je pars donc pour des raisons personnelles. J'ai envie de pouvoir faire autre chose. Et, surtout, je sais que la CFDT est tout à fait capable de poursuivre sa route sans moi, je partirai donc tranquille. Bien sûr, ce n'est pas anodin, ni pour moi ni pour l'organisation. Je partirai à notre prochain congrès, à Nantes, en mai prochain. C'est le bon moment.
Vous n'irez donc pas à la CES ?
Je ne souhaite pas mélanger la gestion de ma succession et les questions liées à mon avenir. Je le répète, j'ai envie de faire des choses utiles, mais je m'occuperai de cela le moment venu. Pendant huit mois encore, je vais assumer mes fonctions et faire en sorte que le passage de témoin se fasse dans de bonnes conditions.
Certains affirment que ce départ prépare une entrée au gouvernement, si Jacques Chirac gagne la présidentielle et la droite les législatives...
C'est faux ! Je l'ai dit maintes et maintes fois. Je n'aspire pas à des fonctions politiques. Ce n'est pas là que j'ai envie de mobiliser mon énergie.
D'autres pensent, toujours dans le même scénario politique, que Jacques Chirac rappellerait le commissaire européen Michel Barnier. Et que vous aimeriez remplacer ce dernier...
Diable ! Cela ne m'a jamais traversé l'esprit. Je ne vois pas encore clairement ce à quoi je pourrai me rendre utile, mais, au moins, je sais ce que je ne ferai pas !
Vous n'avez pas l'impression d'abandonner le navire au pire moment, alors que le Medef veut quitter les caisses de la Sécurité sociale, et que la refondation sociale bat de l'aile ?
La CFDT n'a pas fini sa route ! Et c'est précisément parce que je sais que notre organisation est aujourd'hui capable, collectivement, d'assumer ses choix, ses actes, que je pars en toute tranquillité. La colonne vertébrale est solide. La tête changera, pas le cap.
Vous interviendrez pendant la campagne présidentielle. Comment ?
Comme d'habitude, nous ne donnerons aucune consigne de vote. Mais nous ne resterons pas muets ! Nous regarderons les programmes des uns et des autres sur les questions sociales cruciales, comme les retraites, ou encore la place que les candidats accordent aux corps intermédiaires, comme les syndicats. Nous ferons connaître aux partis nos préoccupations, nos attentes. En règle générale, pendant ces périodes-là, ils sont très attentifs...
Quel bilan faites-vous de votre action ?
D'abord, grâce aux efforts des équipes de la CFDT, le nombre de nos adhérents a considérablement progressé. Ils sont 830 600 aujourd'hui. Certes, Edmond Maire avait bien préparé le terrain. Mais depuis les événements de 1995, collectivement, nous avons gagné notre autonomie. Nous nous sommes émancipés. Plus question pour nous de nous positionner en fonction d'un courant politique ou d'alliances supposées ! Ce ne fut pas de tout repos, ce fut parfois inconfortable, mais c'est gratifiant. Aujourd'hui, la CFDT assume des choix qui lui sont propres.
Vous avez des regrets, vous avez fait des erreurs ?
J'ai sans doute été maladroite dans l'expression, un peu trop cassante parfois dans la manière de malmener tel ou tel partenaire. J'ai pu choquer. Mais on apprend, et j'ai appris...
Vous avez contribué à créer SUD, ce syndicat d'extrême-gauche lancé par des dissidents de la CFDT !
En 1988, quand ont commencé les premières scissions, nous ne voulions pas nous faire voler notre identité. Ce n'est pas par plaisir que nous avons fait ce choix. C'est parce que nous avons voulu sauvegarder la "marque" CFDT. L'idéal, c'est de faire avancer une ligne claire, tout en maintenant l'unité. A l'époque, ce n'était pas possible.
Dans l'opinion publique, vous laisserez l'image d'une femme courageuse, pugnace, mais plus proche d'Alain Juppé et d'Ernest-Antoine Seillière que de Lionel Jospin...
C'est vous qui le dites ! Ni proche ni distante de l'un ou de l'autre, a priori : à notre place, c'est tout. Nos positions sont le reflet de choix autonomes qui priment sur la peur d'être instrumentalisé par tel parti ou tel partenaire.
Vous n'avez jamais été tendre avec Lionel Jospin.
Je n'en ai pas eu l'occasion ! Il ne l'a pas toujours été à mon endroit non plus. Mais il est faux de dire, comme je l'entends parfois, que nous n'avons jamais soutenu l'action du Premier ministre. Souvenez-vous des 35 heures, de la prime pour l'emploi et d'autres choix économiques.
Quel est le ministre du Travail qui vous a le plus impressionnée ?
J'ai toujours eu affaire à des gens de qualité, qu'ils soient de droite ou de gauche. Je me souviens de Michel Delebarre, parce qu'il savait écouter les partenaires sociaux, sans préjugés, en acceptant de se laisser surprendre : en 1986, quand je lui ai annoncé que la CFDT ne donnerait plus de consigne de vote lors des élections, il nous a dit : "Vous avez raison, mais aucun socialiste ne va vous comprendre !" C'était exact !
Et après Delebarre ?
Il y a eu Philippe Séguin. Lui, il reconnaissait que la suppression de l'autorisation administrative de licenciement, décidée par le gouvernement Chirac auquel il appartenait, était une "connerie", qu'il fallait rattraper. Alors, il nous a proposé de négocier des filets de protection pour les salariés licenciés. Cela dit, dans ce combat, nous n'avons pas joué à armes égales avec le patronat. Celui-ci a obtenu la suppression de l'autorisation administrative ; nous, nous avons joué les pompiers ! J'ai apprécié Jacques Barrot, aussi.
Vous n'avez aucun souvenir de Martine Aubry...
(Sourire.) Sur le plan personnel, il est évident que nous avons plus de complicité, plus de proximité que de raisons de nous affronter. Mais dans l'exercice de nos relations professionnelles j'avais autant de détermination à affirmer les convictions de la CFDT que Martine en avait pour faire prévaloir l'interventionnisme de l'Etat. J'ai toujours dit que ce n'était pas que son choix personnel, mais celui du gouvernement. En revanche, elle a excellé dans le jeu qui consiste à se servir quasi exclusivement des outils de l'appareil d'Etat pour conduire une politique, au détriment du dialogue avec les partenaires sociaux ! Alors, entre nous, il y a eu forcément des étincelles, mais finalement pas beaucoup d'éclats.
Et François Chérèque, votre successeur ?
François est la parfaite illustration de cette génération de responsables qui ne se contentent pas de suivre une ligne confédérale, mais qui en sont partie prenante dans sa définition et sa mise en oeuvre. Il l'a prouvé dans sa fédération, d'ailleurs la plus importante de la CFDT. Quelle meilleure garantie pour que son expérience puisse enrichir notre confédération ?
Propos recueillis par Martine Gilson
(source http://www.cfdt.fr, le 01 octobre 2001)