Déclaration de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, sur les négociations entre le patronat et les syndicats concernant le financement des retraites complémentaires et sur le projet du Medef de réforme des régimes de retraite, Paris le 7 mars 2001.

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Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
Nous avons souhaité vous rencontrer aujourd'hui afin de préciser notre état d'esprit et notre ligne de conduite quant à la suite de notre action pour l'avenir des retraites.
Rien n'est réglé, tout reste ouvert. L'avenir des retraites complémentaires et des régimes de base va dépendre une nouvelle fois de l'intervention des salariés. Face à l'imposante mobilisation du 25 janvier 2001, le MEDEF a dû revenir sur son chantage. Il voulait réduire les retraites complémentaires dès les mois d'avril, il a dû accepter de prolonger pour 21 mois le dispositif actuel jusqu'en décembre 2002. Mais, en contrepartie, il demandait aux organisations syndicales d'accepter sa vision de la réforme des systèmes de retraite !
Deux organisations, la CFDT et la CFTC, ont accepté ce marchandage alors que le rapport de force nous permettait d'imposer au MEDEF un repli sans conditions. C'est dommage, mais c'est loin, c'est très loin d'être irrémédiable.
Le débat sur l'avenir des retraites est rouvert en grand. Tous les acteurs économiques et sociaux de ce pays, quels qu'ils soient, patrons, organisations syndicales, pouvoirs publics, élus de toutes obédiences, doivent mesurer les enjeux réels de l'avenir des retraites et la sensibilité particulière de ce thème dans l'opinion. La retraite n'est pas une prestation sociale comme les autres. Elle est au croisement de multiples solidarités professionnelles, sociales, intergénérationnelles qui ont besoin d'être redéfinies et confortées pour le très long terme.
Ce dossier ne peut impunément être utilisé au service de manuvres tactiques politiciennes : il est clair que l'opinion ne l'admettrait pas. Il n'est pas plus propice à servir de ballon d'essai d'une évolution institutionnelle des rapports sociaux, en porte à faux avec les réalités sociales : quand le MEDEF s'empare d'une négociation sur les retraites complémentaires pour la transformer en une machine de guerre contre l'ensemble des systèmes des retraites et leurs principes communs de financement, l'heure n'est à jouer ni les apprentis sorciers ni les enfants de chur.
Le patronat revendique auprès du gouvernement une réforme des régimes de retraite sur des bases qui contredisent la juste vision qu'en ont les salariés de notre pays, et qu'ils ont massivement et clairement réaffirmée le 25 janvier. L'accord minoritaire du 10 février est de ce point de vue dangereux. Aucun salarié, aucun retraité ne peut se sentir "rassuré". Le choix retenu dans le projet d'accord de geler pendant dix ans la contribution des entreprises au financement des retraites a pour conséquence de privilégier unilatéralement l'allongement de la durée des cotisations comme unique solution. C'est, comme nous le démontrons, amputer le niveau moyen de la retraite de 35 à 50 % Il n'y a pas d'autre lecture possible, le MEDEF l'a d'ailleurs indiqué avec le cynisme tranquille qu'il affectionne : pas de place ici au faux semblant trompeur ou à l'angélisme coupable, la retraite à 60 ans est en sursis.
Le 25 janvier, la démonstration a été faite de réelles possibilités de sensibilisation et de mobilisation des salariés dès lors qu'ils sont informés très concrètement sur les enjeux des négociations. Il existe d'autres voies pour assurer l'avenir des retraites en respectant 3 principes essentiels : égalité de tous devant la retraite, pas de salariat à 2 vitesses et pas de discriminations, garantie d'une liberté de choix réelle, pas de " retraite couperet " ; une meilleure part des richesses produites pour des retraités plus nombreux, avec une assiette plus large pour un gâteau plus gros.
Notre commission exécutive du 1er mars a donc décidé d'engager dans tout le pays une grande consultation des salariés. Seront soumis à débat les éléments majeurs du diagnostic porté par la CGT sur le problème du financement des retraites dans les décennies à venir, une information sur la nature et les conséquences des positions patronales et, surtout, nos propositions pour une démarche novatrice et positive s'appuyant sur une vision d'avenir des principes de gestion de la protection sociale. Nous avons fait une synthèse de cette approche en formulant des réponses à 17 questions que chacun peut raisonnablement se poser. Nos propositions sont soumises au débat, elle peuvent être confrontées aux positions exprimées par les uns et les autres, elles peuvent aider à faire mûrir et à cimenter une nouvelle expression du rapport de force susceptible de débloquer la situation et d'aider à retrouver le chemin du rassemblement unitaire des forces syndicales. C'est ce qu'attendent les salariés, c'est leur plus grand souhait, nous n'avons pas le droit de les décevoir.
Nous ferons la synthèse de cette consultation courant mai, ce qui sera l'occasion d'affirmer clairement la place que revendique le syndicalisme dans le débat sur l'avenir des retraites.
A l'occasion de cette nouvelle étape de la "refondation", le MEDEF continue impunément à user et abuser de sa position dominante pour multiplier ses diktats. Par une décision unilatérale il exonère les entreprises de leurs cotisations du premier trimestre 2001 pour les retraites complémentaires : c'est un hold-up de quelque 11 milliards, qui met en difficulté l'UNEDIC, l'organisme chargé d'en assurer le recouvrement, et qui assèche les réserves de l'ASF.
C'est pourquoi la CGT entend promouvoir des initiatives d'envergure les plus unitaires possible pour empêcher le hold-up du MEDEF sur les réserves de l'ASF, garantir la possibilité effective de départ à la retraite à 60 ans et d'améliorer les droits à la retraite des salariés
Notre Commission Exécutive s'est prononcée pour une nouvelle mobilisation sur ce sujet avant la mi-avril dans les entreprises et les localités.
La décision prise hier, engageant dans un premier temps les Unions Régionales d'Ile de France de la CGT, de FO et de la CGC pour une manifestation des salariés du privé et du public, des actifs comme des retraités pour le 31 mars, montre les possibilités de mobilisation unitaire.
Dernier aspect sur lequel je veux insister avant de répondre à vos questions : la validité de cet accord sur les retraites.
Encore une fois, on voudrait nous présenter cet accord comme faisant force de loi, alors qu'il n'est formellement approuvé que par deux confédérations syndicales ne représentant qu'une minorité des salariés directement concernés. Une négociation sociale n'a de sens que si les conclusions sont approuvées par des organisations syndicales représentant la majorité des salariés, dans l'entreprise, la branche professionnelle ou au plan interprofessionnel.
Nous avons formulé des propositions en matière de représentativité, de légitimité des accords. Le Gouvernement, les parlementaires garants de l'ordre public social ont le devoir d'intervenir. Ils ne peuvent plus se contenter du rôle de l'observateur neutre quand le " dialogue social " tourne au chantage social, quand les salariés continuent à voir bafouée leur qualité de citoyen. Nous sommes déterminés à obtenir du gouvernement qu'il s'engage dès maintenant sur un projet de loi destiné à modifier la législation sur cette question devenue centrale dans le débat social.
(Source http://www.cgt.fr, le 30 mars 2001)