Interview de Mme Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication France-Inter le 14 mai 2013, sur le rapport Lescure et l'offre légale sur internet.

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Média : France Inter

Texte intégral


PATRICK COHEN
Que dites-vous du débordement de violence qui a pourri le sacre du Paris-Saint-Germain et de ces centaines de casseurs qui ont pu se défouler en toute impunité ?
AURELIE FILIPPETTI
Non, pas en tout impunité, il y a eu un certain nombre d’interpellations, plusieurs… 23, je crois, et il y avait un dispositif de police, de sécurité, important, plus de 800 policiers et gendarmes qui avaient été mobilisés, et en même temps on connaît malheureusement la capacité de provocation, de haine, de bêtise, j’allais dire, que peuvent avoir certains, qui se présentent comme des supporters de foot mais qui ne sont que des casseurs et qui donc ont perturbé la soirée, ont gâché la fête, puisque désormais il n’y aura plus de fêtes qui seront organisées par le PSG dans Paris.
PATRICK COHEN
Si on connaît le degré de provocation et de haine de ces casseurs, dites-vous, il fallait peut-être anticiper les conditions de cette réunion, il n’y a pas eu un problème d’organisation du maintien de l’ordre ?
AURELIE FILIPPETTI
Je pense que quand il y a 800 policiers et gendarmes qui sont mobilisés pour ce qui doit être normalement une fête sportive, eh bien on a… Manuel VALLS, le ministre de l’Intérieur, avait pris des dispositions, mais maintenant je crois qu’il y a des gens qui sont venus aussi pour en découdre avec les forces de l’ordre, avec la police, et puis pour exprimer malheureusement toute leur bêtise.
PATRICK COHEN
François FILLON demande ce matin à François HOLLANDE de sanctionner les responsables de ce fiasco.
AURELIE FILIPPETTI
Ecoutez, vraiment, la droite ferait mieux de se rappeler son bilan qui n’a pas été glorieux en matière de sécurité, encore une fois il y a des interpellations qui ont été faites et les mesures ont été prises, et Manuel VALLS a réagi d’une manière très ferme, et encore ce matin. Il n’y aura plus, malheureusement d’ailleurs, il n’y aura plus de possibilité d’organiser des événements sportifs pour le PSG qui… encore une fois c’est l’image de ce club qui en est ternie. On pensait que c’en était fini, eh bien, malheureusement, ce n’est pas le cas.
PATRICK COHEN
On parle d’Internet, Aurélie FILIPPETTI, et du rapport LESCURE, avec la proposition d’une nouvelle taxe, on va dire, et beaucoup de commentateurs le disent ce matin, c’est le tarif habituel, un rapport/ une taxe. Allez-vous instaurer cette taxe ? Pierre LESCURE suggère 1% qui s’appliquerait à tous les objets connectés.
AURELIE FILIPPETTI
D’abord c’est une présentation très sommaire. D’abord il n’y a pas de nouvelle taxe, je tiens à le dire pour les gens qui nous écoutent.
PATRICK COHEN
C’est sommaire, mais on parle du rapport LESCURE depuis, sur l’antenne de FRANCE INTER, depuis hier midi, voilà. On va revenir sur différents aspects de ce rapport.
AURELIE FILIPPETTI
Il n’y a pas de nouvelle taxe, on est à fiscalité constante, et surtout ce rapport…
PATRICK COHEN
On sera à fiscalité constante, donc ?
AURELIE FILIPPETTI
On sera à fiscalité, à rendement fiscal constant.
PATRICK COHEN
Donc la redevance sur les copies privées serait intégrée dans la nouvelle taxe ?
AURELIE FILIPPETTI
Non, ce n’est pas ça, c’est qu’aujourd’hui on a différents mécanismes qui permettent de financer la création, ces mécanismes composent ce qu’on appelle l’exception culturelle. ils ont été mis en place, pour certains, après la guerre, le compte de soutien pour le cinéma français par exemple, pour beaucoup dans les années 80 sous la présidence de François MITTERRAND, avec Jack LANG, je pense au prix unique du livre, je pense au financement du cinéma par les chaînes de télévision, c’est les quotas d’expression, aussi, en langue française sur les radios, et ces mécanismes sont perturbés par l’arrivée des technologies numériques. Et on a ainsi un contournement de ces mécanismes et une captation de la valeur, de la richesse qui est créée par les artistes, par les créateurs, par ceux qui les accompagnent, une captation au profit de ceux qui fabriquent du matériel informatique, au profit des hébergeurs aussi de sites, au profit des fabricants de logiciels, et donc on a ainsi un transfert qui en plus se fait, il faut bien le dire, au détriment de nos industries et de nos artistes français puisque, nous en France nous sommes assez fertiles, féconds, en matière d’industrie culturelle, c’est à peu près 1 million d’emplois en France alors que le matériel nous l’importons. Et donc il fallait trouver des mécanismes fins pour permettre de remédier à ce déséquilibre, pour permettre de financer la création à l’ère du numérique, pour permettre de développer l’offre légale, et pour permettre aussi de préserver, d’adapter le droit des auteurs.
PATRICK COHEN
Donc, cette taxe verra le jour, et elle permettra de financer, d’aider au développement de l’offre légale, c’est ça que vous dites ce matin ?
AURELIE FILIPPETTI
Donc il faut qu’il y ait une contribution qui puisse permettre de faire participer les nouveaux acteurs du numérique au financement de la création, comme nous l’avons toujours fait, et ce depuis plusieurs dizaines d’années, à chaque fois qu’il y a eu des évolutions technologiques la France a su trouver les moyens d’intégrer les nouveaux supports dans le financement de la création. C’est pour ça qu’on se retrouve aujourd’hui avec un cinéma français qui contrairement à l’ensemble des cinémas européens se porte bien, on a eu 200 millions de spectateurs dans nos salles l’an dernier, 140 millions de spectateurs à l’étranger, ce qui est exceptionnel, et donc nous sommes le seul cinéma au monde à résister à l’omniprésence du cinéma américain.
PATRICK COHEN
1%, comme le suggère Pierre LESCURE, c’est un bon niveau ?
AURELIE FILIPPETTI
Les taux, etc., ce qui est essentiel c’est de dire que cette contribution ne viendra pas en superposition d’autres contributions qui peuvent exister, quelle serait avec une assiette très large et donc un taux très faible. Aujourd’hui il faut bien préciser, aux auditeurs, qu’ils payent, quand ils achètent une tablette numérique, une rémunération pour copie privée, qui a été mise en place en 1985, cette rémunération pour copie privée permet de financer justement les festivals, par exemple, de musique, et aussi les auteurs, et elle n’empêche pas…
PATRICK COHEN
Elle serait donc absorbée par la nouvelle taxe ?
AURELIE FILIPPETTI
Non, elle ne serait pas absorbée ; pardon, mais, cette rémunération pour copie privée n’empêche pas le fait qu’on paye moins cher, en France, une tablette, qu’en Angleterre, alors qu’en Angleterre il n’y a pas de rémunération pour copie privée.
PATRICK COHEN
Elle ne serait pas absorbée, donc il y aura… pardon, mais…
AURELIE FILIPPETTI
Alors, c’est très technique, parce que la rémunération pour copie privée, vous voyez bien qu’il y a le mot « copies », et aujourd’hui les usages informatiques ne sont plus des usages de copie, ce sont plutôt des usages d’accès, on ne télécharge même plus, on consulte en streaming, donc on a accès à des oeuvres, et donc on ne peut plus… on imagine que dans 3, 4, 5 ans, eh bien cette rémunération pour copie privée va progressivement diminuer, s’éteindre, en tout cas c’est l’analyse que fait le rapport LESCURE, et donc il faudra lui subsister une autre fiscalité pour continuer à préserver nos industries culturelles.
PATRICK COHEN
Donc, les consommateurs internautes paieraient un peu plus leur matériel, est-ce que la contrepartie de cette taxe ne pourrait pas être de légaliser le Peer-to-Peer, ce que le rapport appelle les échanges non-marchands ?
AURELIE FILIPPETTI
Ce que dit le rapport c’est qu’effectivement il faut instaurer une logique de donnant-donnant. Plutôt que d’être dans la simple répression, ce qui était la logique de la HADOPI jusqu’à présent, et répression uniquement des internautes, il faut valoriser les bons comportements, que ce soit les comportements de sites, d’hébergeurs, qu’ils soient d’ailleurs français, européens ou étrangers, qui participent, qui jouent le jeu du financement de la création, qui jouent le jeu de la lutte contre la contrefaçon commerciale, eh bien quand ils s’inscrivent dans ces bonnes pratiques il faut leur permettre d’avoir accès, par exemple à… de manière plus satisfaisante, aux oeuvres, au public, et à une forme de labellisation, de conventionnement en quelque sorte. Et, de la même manière le rapport envisage la possibilité d’étendre la notion de cercle de famille, qui a été utilisée jusqu’à présent pour permettre, donner accès à des usages un peu plus marges que l’usage individuel des oeuvres, donc il envisage cette possibilité. Il faut bien dire que de toute façon il y a un certain nombre de propositions du rapport, d’ailleurs toutes les propositions vont être expertisées, il y en a un certain nombre qui relèvent de la loi et qui seront donc discutées, bien sûr, au Parlement.
PATRICK COHEN
Les sanctions contre les internautes qui téléchargent illégalement, vous venez d’en parler, c’est quand même une surprise, parce que HADOPI disparaîtrait administrativement, mais le principe HADOPI serait maintenu avec sa riposte graduée, mais allégée. C’est du HADOPI light, Aurélie FILIPPETTI ?
AURELIE FILIPPETTI
C’est un changement radical de philosophie, HADOPI lutte et stigmatise les internautes, donc en fait les publics, et ce que propose le rapport LESCURE c’est de s’attaquer…
PATRICK COHEN
C’est juste de diminuer les amendes.
AURELIE FILIPPETTI
Non, c’est de s’attaquer en priorité aux sites qui font de la contrefaçon commerciale, qui tirent de l’argent, de manière lucrative, du piratage des oeuvres.
PATRICK COHEN
Mais la riposte graduée demeure.
AURELIE FILIPPETTI
La réponse graduée demeure dans sa partie très allégée, c'est-à-dire par l’envoi de messages d’avertissement. Le rapport LESCURE a examiné en toute bonne foi, en toute objectivité, l’activité qui avait été celle de la Commission de protection des droits, une partie de l’ancienne HADOPI, et donc ils ont estimé qu’il fallait conserver cette dimension au moins pour quelques temps, 2, 3, 4 ans, on verra…
PATRICK COHEN
Mais là aussi il y aura discussion à l’Assemblée, parce que Patrick BLOCHE, le député socialiste, président de la commission des Affaires culturelles, dit ce matin dans LIBERATION : « j’aurai voulu qu’on supprime la riposte graduée. » Il jouera un rôle clé dans l’élaboration de la loi, donc ?
AURELIE FILIPPETTI
Mais vous savez, moi j’ai participé, avec Patrick BLOCHE d’ailleurs, avec tous les députés socialistes, au débat contre la HADOPI en 2009, et donc je salue vraiment le changement radical d’approche que propose Pierre LESCURE, parce qu’on n’est plus dans la stigmatisation des internautes, on est dans une véritable réconciliation entre les artistes et les publics, d’ailleurs Pierre LESCURE met en avant aussi un certain nombre de pratiques, je pense par exemple aux métadonnées, je pense aux pratiques artistiques comme le remix, comme le mashup, qui aujourd’hui se développent grâce aux outils numériques, on sort de cette logique tout à fait défensive, de cette mentalité d’assiégés qu’on avait jusqu’à présent vis-à-vis du numérique, pour une approche très positive.
PATRICK COHEN
Dernière question avant la pause et puis on y reviendra sans doute avec les auditeurs. Quid de la taxe GOOGLE, que faites-vous de ces grands opérateurs, ce qu’on appelle les OTT, vous savez, Over-The-Top, AMAZON, GOOGLE, APPLE, qui font des chiffres d’affaires monstrueux sans payer d’impôts en France ?
AURELIE FILIPPETTI
Alors, pour eux, d’abord il y a un combat à mener au niveau européen pour que la TVA s’applique au pays du client, parce qu’aujourd’hui ce n’est pas le cas, et donc, par exemple, en ce qui concerne AMAZON il est évidemment indispensable qu’on lutte contre les distorsions de concurrence, qui se font au détriment des libraires, d’ailleurs…
PATRICK COHEN
Donc ça c’est au niveau européen.
AURELIE FILIPPETTI
Et puis ensuite il y a aussi l’évocation de possibilité d’avoir des conventionnements, ou pas d’ailleurs, qui s’appliqueraient aux sites en fonction de leurs bonnes pratiques, ou de leurs mauvaises pratiques. Il y a aussi cette importance qui est donnée aux investissements français, la Banque Publique d’Investissement doit pouvoir aider des entreprises innovantes françaises, dans le domaine du numérique ou dans le domaine des industries culturelles, pour permettre l’émergence de champions français ou européens.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 mai 2013