Déclaration de Mme Yamina Benguigui, ministre de la francophonie, sur le soutien de la France à la création cinématographique des pays du sud, à Cannes le 17 mai 2013.

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Circonstance : 5ème édition du Pavillon «Les cinémas du Monde», à Cannes (Alpes-Maritimes), le 17 mai 2013

Texte intégral


Monsieur le Président de l'Institut français, Cher Xavier Darcos,
Monsieur l'Administrateur de l'OIF, Cher Clément Duhaime,
Madame la Présidente de l'AEF, Chère Marie-Christine Saragosse,
Monsieur Raoul Peck,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
«Le cinéma est une fenêtre ouverte sur le monde.»
Cette phrase je l'ai souvent prononcée au cours de mes déplacements, que ce soit à Ouagadougou à l'occasion du FESPACO, à Tunis pour les Journées cinématographiques de Carthage, ou encore à Angoulême au moment du Festival du film francophone.
Or je m'aperçois que cela n'est pas complètement exact.
Le cinéma, ce n'est pas une fenêtre ouverte sur le monde : c'est une multitude de fenêtres, comme autant de regards différents.
Le cinéma ne donne pas une lecture du monde, il nous en donne des milliers, qui sont autant de films, autant de points de vue, autant de talents.
Et ces milliers de lectures, souvent vibrantes, souvent percutantes, se répondent, interpellent le public, enrichissent un dialogue à voix multiples.
Cannes, c'est bien sûr la rencontre de ces points de vue, de ces voix. C'est la rencontre des grands maîtres et des jeunes talents, la rencontre de l'industrie et de la diffusion, la rencontre des films, du public et de la critique.
C'est pourquoi il est important que nous soyons à Cannes. Non pas comme simples spectateurs, mais comme soutiens, comme promoteurs des cinémas qui sont moins connus, qui sont moins favorisés et qui n'en sont pas moins précieux. Il est primordial que nous soutenions les voix les plus jeunes qui, souvent, à défaut d'être les plus audibles, sont pourtant les plus saisissantes.
J'aimerais vous remercier Cher Xavier Darcos pour le travail accompli par l'Institut français. Le Pavillon et la Fabrique des cinémas du monde célèbrent cette année leurs cinq ans et comme vous venez de nous le montrer, le bilan de ces 5 ans est admirable. Grâce à vous, et grâce à l'ensemble des partenaires, au premier rang desquels j'aimerais saluer l'OIF et l'AEF, Cannes n'est pas seulement un rêve pour des dizaines de jeunes réalisateurs : c'est une réalité. Et les voici directement «plongés dans le bain» du cinéma mondial. Je crois qu'on ne dit pas assez à quel point il est important, pour un jeune réalisateur, d'avoir dès la conception de son film un accès au marché international. Et pour atteindre ce but Cannes est souvent une étape obligatoire.
Mais notre soutien au cinéma ce n'est pas seulement Cannes.
La France a toujours soutenu la création cinématographique.
La sienne, bien sûr, mais aussi celle des pays du sud, au rang desquels il y a de nombreux pays francophones.
Ce soutien, c'est la volonté de préserver la diversité culturelle à laquelle nous sommes si attachés et dont le cinéma est l'une des expressions les plus populaires.
En 2012, nous avons transformé le Fonds Sud, créé dans les années 1980 et cogéré par le CNC et l'Institut français, en un nouveau dispositif baptisé «Aide aux cinémas du monde». Grâce à ce nouveau fonds, dont le budget annuel a été augmenté à 6 millions d'euros, une aide financière peut être apportée aux projets de long métrage de fiction, d'animation, ou de documentaire. Cette aide peut être accordée avant réalisation - en tant qu'aide à la production - ou après - en tant qu'aide à la finition. L'Aide aux cinémas du monde offre ainsi un point d'entrée unique aux cinéastes du monde entier. C'est un dispositif plébiscité. C'est une chance pour le cinéma.
Mais puisque nous parlons de «chance», je pense qu'il est important de rappeler qu'encore aujourd'hui, en 2013, les réalisateurs n'ont pas tous les mêmes libertés. Même ceux que l'on pensait abrités par une certaine notoriété, dans des pays que nous imaginions débarrassés de toute censure, de tout archaïsme.
Avant-hier, j'ai reçu à Paris, Ziad Doueiri, dont le film «L'Attentat» a été tourné en partie à Tel-Aviv. Une faute aux yeux des autorités libanaises qui ont décidé de le boycotter, et une triple censure : celle d'un réalisateur libanais, celle d'un auteur algérien, Yasmina Khadra, qui avait reçu de nombreux prix pour son roman, et celle d'un producteur français, 3B production. C'est une censure contre la Francophonie et ses valeurs d'ouverture et de dialogue, alors même que le pays qui censure est membre de la Francophonie.
Ce boycott nous montre qu'en matière de liberté d'expression et de création, les acquis ne sont jamais des acquis.
Plus largement, ceux qui refusent ce film nous confirment ce que nous savions déjà : le cinéma éveille les consciences et déplace le curseur des préjugés. Boycotter un film c'est avouer à mi-mots sa propre faiblesse. C'est tenter de murer une fenêtre sur le monde. C'est un effort vain de l'obscurantisme contre la lumière.
Avec nos armes, nous devons aujourd'hui lutter contre cet obscurantisme. En facilitant la diffusion le plus largement possible des films qui donnent à penser. En faisant connaître et en faisant partager les points de vue.
On ne peut pas dialoguer face à un mur, c'est certain. Mais je reste intimement persuadée que l'on peut dialoguer grâce à un film, et avancer ainsi sur le chemin de la compréhension de l'autre.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 mai 2013