Extraits des déclarations de M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, et de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur les grandes orientations du Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale, à l'Assemblée nationale le 29 mai 2013.

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Circonstance : Déclaration du gouvernement à l'Assemblée nationale, à l'Assemblée nationale le 29 mai 2013

Texte intégral

* M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre -
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre de la défense,
Madame la Présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Je l'ai déjà dit à cette tribune, au Mali aujourd'hui comme hier sur d'autres théâtres, notre armée est l'honneur de la France. La valeur de ses officiers et de ses sous-officiers, et la qualité de ses soldats assurent la défense de notre pays et lui valent d'être respectée partout dans le monde. C'est un héritage, c'est une garantie pour l'avenir, et c'est notre responsabilité. Cet avenir doit se bâtir de manière lucide et responsable.
Le nouveau Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale fait oeuvre de vérité et d'ambition. Il faut d'abord tenir compte de l'évolution du paysage stratégique depuis le Livre blanc précédent, celui de 2008 : la crise économique et financière, les révolutions arabes, l'évolution de la posture des États-Unis, les difficultés que traverse l'Europe, pour ne citer que l'essentiel. Mais il faut également rétablir une véritable cohérence, dans la durée, entre l'analyse des défis posés à notre sécurité et les moyens dont notre pays se dote pour y faire face.
Le modèle dessiné par le précédent Livre blanc était, à l'évidence, dans l'impasse. Les plus hauts responsables militaires de notre pays avertissaient, dès 2011, que certains des contrats opérationnels qu'il définissait étaient, en pratique, inaccessibles. Sur le plan budgétaire, la Cour des comptes relevait en juillet 2012 un écart d'au moins 3 milliards d'euros entre les prévisions et les réalisations. Et elle soulignait que cet écart ne pouvait que s'accroître de façon vertigineuse si de nouvelles orientations n'étaient pas prises.
Mesdames, Messieurs les Députés, parce que notre responsabilité est que la France conserve la maîtrise de son destin, notre devoir impérieux était de définir ces nouvelles orientations. Tel est l'objet du nouveau Livre blanc. Il dessine une véritable ambition pour la défense et la sécurité nationale, tout en intégrant pleinement - et c'est aussi notre responsabilité - la nécessité du redressement de nos comptes publics. Mais ce redressement, mesdames et messieurs les députés, c'est aussi une composante essentielle de notre souveraineté.
Notre projet s'appuie sur une analyse sans complaisance des risques et des menaces auxquels la France est confrontée. Ce sont d'abord les menaces de la force, qu'il s'agisse de conflits entre États, dont beaucoup affectent la sécurité de l'Europe, de la prolifération des armes de destruction massive, ou encore du développement par certaines puissances de capacités informatiques offensives.
Mais ce sont aussi les risques de la faiblesse, c'est-à-dire les conséquences de la défaillance de certains États à exercer les responsabilités de base de la souveraineté. C'est l'essor des trafics, de la piraterie, du terrorisme, voire du chaos de la guerre civile : dans bien des cas, c'est la sécurité de l'Europe, et donc de la France, qui est mise en cause.
C'est, enfin, l'amplification de certaines menaces. La mondialisation facilite l'action des réseaux terroristes ou la prolifération. Elle aggrave aussi la vulnérabilité des systèmes d'information, et démultiplie les risques naturels, sanitaires ou technologiques susceptibles de désorganiser profondément nos sociétés.
La vérité, c'est que les menaces qui pèsent sur la France et sur l'Europe sont loin d'avoir diminué depuis 2008. À ce constat, nous apportons une réponse qui est conforme aux exigences de défense et de sécurité de la France, mais aussi à la mesure de nos engagements et de notre place dans le monde. Nous le faisons en partant d'une définition claire et hiérarchisée de nos priorités.
Outre la protection de notre territoire, de nos ressortissants, et la continuité des fonctions essentielles de la nation, elles portent d'abord sur l'environnement de l'Europe : l'Afrique, le golfe arabo-persique et jusque dans l'océan Indien. Sur tous ces théâtres, la France doit être en mesure, seule ou en coalition, de s'engager de manière déterminante, tout en gardant la capacité de contribuer à la paix et à la sécurité internationales partout ailleurs dans le monde.
Le nouveau modèle d'armée que définit le Livre blanc et les missions qu'il permet de remplir répondent en tous points à ces priorités.
Il s'agit, tout d'abord, de garantir la protection permanente du territoire national et de la population française, avec des moyens de surveillance aérienne et maritime appropriés, et des capacités d'intervention sur le territoire. Par exemple, en cas de crise majeure, les forces terrestres seront en mesure de fournir jusqu'à 10.000 hommes en renfort des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile.
Il s'agit, ensuite, d'assurer la permanence de la mission de dissuasion. C'est la garantie ultime contre les menaces d'agression qui cibleraient nos intérêts vitaux. Elle nous prémunit de tout chantage qui paralyserait notre liberté de décision et d'action. Ses deux composantes, océanique et aéroportée, confortées par le programme de simulation, seront maintenues, dans le respect du principe de stricte suffisance. À ceux qui en critiquent la pertinence ou le coût, le gouvernement répond, comme l'a fait le président de la République dans son discours à l'Institut des hautes études de défense nationale, vendredi dernier, que cette garantie est plus que jamais indispensable dans le contexte stratégique d'aujourd'hui, et qu'il n'est pas excessif d'y consacrer un peu plus de 10 % du budget de la défense nationale. Il faut rappeler ce chiffre eu égard aux chiffres fantaisistes qui sont si souvent avancés. Et c'est bien l'objet d'un débat comme celui-ci que de le rappeler.
Il s'agit, enfin, de conforter nos capacités d'intervention extérieure. Outre une force de réaction immédiate de 2 300 hommes, nos armées pourront être engagées dans des opérations de gestion de crise internationale sur trois théâtres distincts, à hauteur de 7 000 hommes. C'est plus que ce que nous avons mobilisé pour le Mali. Nos armées pourront aussi être engagées dans une opération de guerre, contre des adversaires dotés de capacités étatiques, à hauteur de 15 000 hommes des forces terrestres, avec les composantes maritimes et aériennes appropriées. Nos forces restent dotées d'une capacité d'entrée en premier dans tous les milieux, et d'une capacité à planifier et à conduire ces opérations seules ou en coalition.
Le modèle d'armée défini par le Livre blanc est cohérent avec la nature et la diversité de ces missions. Il répond d'abord à un principe d'autonomie stratégique. La France doit disposer à tout moment de sa liberté d'appréciation, de décision et d'action, pour prendre l'initiative d'opérations qu'elle estimerait nécessaires, comme elle l'a fait en réponse à l'appel à l'aide du Mali.
Elle doit aussi pouvoir assumer son rôle en toute souveraineté, au sein d'une alliance ou d'une coalition. Ce modèle d'armée repose par ailleurs sur le choix de différencier l'équipement des forces en fonction des exigences propres à chaque type de mission, et celui de pousser plus loin la mutualisation de capacités polyvalentes et rares.
Le format de nos armées permet de remplir entièrement les missions que j'évoquais à l'instant. En tout cas, ce qui est sûr, c'est que ce format porte haut les ambitions de la France dans le monde. Nos alliés ne s'y sont d'ailleurs pas trompés, en saluant le projet que dessine ce nouveau Livre blanc. Après avoir salué notre engagement au Mali, ils y voient la cohérence et la continuité de notre action.
Je ne méconnais pas pour autant l'ampleur de l'ajustement qu'imposera ce nouveau modèle à l'ensemble du ministère de la défense. Il entraîne une réduction de 24 000 postes par rapport au modèle défini en 2008, mais qu'il faut mettre en perspective avec les 54 000 suppressions décidées à l'époque. Cette réduction devra préserver au mieux les unités opérationnelles, ce qui exigera une évolution de l'organisation des forces, mais aussi du ministère lui-même. Je fais toute confiance à Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, pour conduire avec détermination et discernement cette nouvelle étape de la réforme, en cohérence avec le Livre blanc.
Nous nous attacherons à limiter autant que possible les conséquences de ces évolutions pour les territoires. La plus grande attention sera portée, j'y veillerai personnellement, à la situation concrète de chacun d'entre eux, au dialogue préalable, indispensable, avec les élus et à l'accompagnement des évolutions nécessaires.
Nous prenons ainsi toute la mesure des efforts qui sont exigés des personnels de la défense. La précipitation qui a marqué les années passées a provoqué des désordres inacceptables. Ne voyez dans mes propos aucune volonté de polémique, c'est simplement une réalité. Je prends l'exemple du système de paie Louvois, mal ressenti par les militaires. Dès son entrée en fonction, Jean-Yves Le Drian, a perçu qu'il y avait là un problème et s'est appliqué résolument à trouver la solution, avec la mobilisation de tous. Je l'en remercie parce que c'est essentiel pour ceux qui sont pénalisés chaque mois. Lorsqu'ils reçoivent leur solde, il manque un peu d'argent. Il faut donc résoudre le problème et faire en sorte qu'il ne s'étende pas à d'autres administrations.
Les évolutions mises en oeuvre seront assorties des mesures incitatives indispensables à leur réussite, dans le cadre d'une politique de ressources humaines favorisant une gestion active des carrières. Ces évolutions doivent s'appuyer sur un dialogue social enrichi et une rénovation du dispositif de concertation au sein des armées. Nos soldats, nos sous-officiers et nos officiers doivent se sentir soutenus et pleinement respectés : c'est aussi là, dans leur vie quotidienne, que doit s'exprimer en permanence la reconnaissance de la nation.
De même, la réflexion fructueuse qui a associé défense et justice pour prévenir une judiciarisation excessive de l'action militaire se traduira dès la future loi de programmation.
J'ai pleine confiance dans l'engagement des hommes et des femmes de la défense pour faire vivre et réussir ce nouveau modèle. Les opérations récentes soulignent la qualité de cet engagement. Elles nous en rappellent l'exigence et la valeur. Je profite de cette occasion pour leur renouveler ici l'hommage de la nation tout entière, et je remercie l'ensemble des groupes de l'Assemblée nationale de l'avoir manifesté à l'occasion de notre engagement au Mali. Il est important de le proclamer mais il est aussi important de le traduire en actes et en décisions. Tel est justement l'objet de ce Livre blanc.
Nos soldats doivent bénéficier d'un entraînement conforme aux exigences de leurs missions. Ils l'attendent, avec raison, et cela fera l'objet de toute notre vigilance.
Ils doivent pouvoir mettre en oeuvre, avec une disponibilité suffisante, des équipements performants. Leur renouvellement se poursuivra selon les priorités retenues en faveur des capacités de dissuasion, de renseignement et de projection. Aux lacunes relevées lors des dernières interventions répond l'effort engagé dans le domaine du transport aérien, du ravitaillement en vol et des moyens de renseignement.
Ce modèle d'armée consolide une démarche de modernisation raisonnée, sans sacrifier les effectifs nécessaires à l'action, et en veillant aux conditions d'activité. Il nous permet de maintenir l'excellence de notre outil de défense. Il prépare et préserve l'avenir.
Telle était aussi notre préoccupation, vous l'imaginez bien, dans le domaine de l'industrie de défense. Sa vitalité est d'abord une condition de la souveraineté et de l'autonomie stratégique de la France. Il faut toujours y veiller, y compris dans les négociations commerciales. Elle est aussi, avec plus de 4 000 entreprises de très haute valeur ajoutée et fortement exportatrices, et environ 165 000 emplois, un atout majeur pour le dynamisme de notre économie. On sait que l'industrie de défense en tant que telle crée des emplois, apporte de la plus-value, mais essaime aussi dans d'autres industries et permet d'autres avancées technologiques. Elle profite donc à toute notre industrie, à toute notre économie.
Les choix que nous avons faits préservent l'essentiel. Le rythme du renouvellement des équipements sera ajusté, mais nous avons veillé à éviter toute rupture et à garantir ainsi le maintien de l'excellence et du potentiel de notre industrie de défense. De même, les efforts de recherche seront maintenus au niveau atteint en 2013.
Enfin, nous apporterons, dans le strict respect de nos engagements européens et internationaux, et avec un souci de transparence accru envers le Parlement, un soutien actif aux exportations de défense.
Ce projet conforte aussi la démarche que nous menons pour tirer le meilleur parti de la construction européenne et de notre place dans l'OTAN.
Il nous permettra de poursuivre la mobilisation pour construire l'Europe de la défense. Nous connaissons ses limites, mais nous en mesurons aussi tout le potentiel, dans un contexte où les contraintes financières suggèrent davantage de synergies. La France doit être moteur dans la recherche de ces synergies. Pour répondre à des menaces largement communes, nous avons tout à gagner à des interdépendances librement consenties, et nos partenaires comprennent bien que, dans certaines circonstances exceptionnelles, la France ne peut pas, même si elle assumera toujours ses responsabilités, porter seule la réponse à ces menaces.
Nous allons donc progresser avec pragmatisme, en favorisant des opérations communes, en développant ensemble des capacités propices à la mutualisation, comme le transport aérien - nous avons déjà commencé à le faire, mais il faut prolonger l'effort -, le ravitaillement en vol, ce qui est essentiel, les drones ou les satellites d'observation, et en favorisant des programmes en coopération, en relançant le rapprochement de nos industries de défense, dont l'intégration dans la filière des missiles offre un exemple réussi. Nous devons construire de vrais champions européens de l'industrie de défense et leur permettre de mieux accéder à certains marchés internationaux. Notre démarche s'appuiera sur des partenariats d'excellence. Celui que nous avons noué avec le Royaume-Uni doit en inspirer d'autres. Elle doit affirmer aussi une dynamique à l'échelle de l'Union tout entière. Celle-ci s'est d'ailleurs donné rendez-vous sur le sujet au Conseil européen de la fin de l'année.
Cet engagement européen résolu va de pair avec une participation pleine et entière à l'OTAN. Comme l'a encore rappelé le président de la République vendredi dernier, la France doit y conserver son identité et son autonomie. Elle doit y intensifier son influence, en veillant à ce que les initiatives qui y sont développées confortent la dynamique européenne. Le rapport commandé à Hubert Védrine avait d'ailleurs fait en ce sens un certain nombre de recommandations particulièrement pertinentes au président de la République.
Cette dynamique européenne est également présente dans les autres dimensions de la sécurité nationale, de l'analyse des risques jusqu'aux actions civilo-militaires de prévention, de stabilisation ou de gestion de crise.
Au plan national, un contrat général interministériel fixera et préservera les capacités civiles nécessaires à ces missions, en complément des moyens militaires mobilisables en cas de crise grave. Une attention particulière sera portée aux outre-mer et à la combinaison des capacités militaires et civiles nécessaires à la protection de chaque territoire.
Le Livre blanc entérine un effort prioritaire et indispensable en faveur du renseignement. C'est l'une des clés de notre autonomie stratégique. C'est essentiel pour notre sécurité, notamment dans la lutte contre le terrorisme. Le renforcement des moyens humains et techniques des services devra s'accompagner d'une extension des prérogatives du Parlement. Le ministre de l'intérieur, en liaison avec le ministre de la défense, y travaille déjà, dans le dialogue avec les présidentes des commissions compétentes, afin que le Parlement puisse pleinement exercer son contrôle de la politique gouvernementale, dans ce domaine comme dans les autres.
Enfin, le Livre blanc définit une stratégie ambitieuse de cyber-défense. Elle permettra de renforcer le niveau de sécurité des systèmes d'information vitaux, question essentielle, et le Parlement sera saisi de mesures en ce sens. Elle développera nos capacités à identifier les attaques et, le cas échéant, à riposter de manière adéquate.
Mesdames, Messieurs les Députés, ces choix reflètent une double exigence : le maintien d'un effort de défense volontariste et le retour à l'équilibre de nos comptes publics en 2017. En euros constants, la nation consacrera à la défense nationale 364 milliards d'euros entre 2014 et 2025, dont 179,2 milliards sur la période de la future loi de programmation militaire.
Les premières années de cette programmation, nous maintiendrons un effort financier annuel de 31,4 milliards d'euros, soit le montant auquel nous l'avons stabilisé en 2012 et en 2013. Le retour à l'équilibre des comptes publics nous permettra ensuite d'accentuer cet effort. Il conjuguera crédits budgétaires et ressources exceptionnelles, qui sont identifiées et seront intégralement affectées à la mission «Défense». Ce sont donc des choix clairs, fermes et, je dois le dire, courageux. Le projet de loi de programmation militaire qui sera transmis au Parlement cet été en témoignera.
Le président de la République le rappelait dans son discours sur la défense à l'Institut des hautes études de défense nationale, «la France a besoin d'une défense forte pour rester ce qu'elle est : une grande nation, un allié fiable, une puissance qui porte à l'échelle mondiale des responsabilités éminentes».
Je sais que vous êtes nombreux à partager cette ambition. Je souhaite même que le Parlement soit capable de se rassembler sur ces questions essentielles, qui concernent à la fois l'intérêt national, la sécurité de notre territoire et celle des Français, l'influence de la France dans le monde. Les réflexions que vous avez conduites, Madame la Présidente de la commission de la défense, avec les membres de votre commission et d'autres commissions témoignent de cet intérêt, ainsi que l'implication de vos représentants dans les travaux de la commission du Livre blanc, dont je salue la qualité, qui nous ont aidés à conclure lors de la réunion du conseil de défense, sous l'autorité du président de la République. Nous avons arrêté des choix. Le président de la République a fixé les orientations. Ce Livre blanc dessine un modèle renouvelé, mais qui est fidèle à l'ambition que nous avons pour la France et, surtout, je le répète, qui est porteur d'avenir.
Notre défense restera au premier rang en Europe. La France demeurera l'une des seules puissances au monde à disposer à la fois d'une dissuasion nucléaire autonome, d'une capacité d'intervention extérieure éprouvée et modernisée et d'une industrie de défense performante. C'est un atout pour notre pays. Cette défense, c'est une défense forte, à la mesure de notre statut de membre permanent du Conseil de sécurité, à la mesure aussi de l'ambition que la France porte pour elle-même et pour ses partenaires, en Europe et au service de la paix dans le monde.
Je souhaite que le débat qui commence, avec la contribution des ministres de la défense et de l'intérieur, permette de renouveler l'adhésion des représentants de la nation à cette ambition et à ce projet. Je vous remercie à l'avance de l'appui que vous y apporterez.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense - Monsieur le Député, il ne faut pas entrer dans la polémique - je ne dis pas que vous le faites, et je ne le ferai pas non plus - et comparer, d'une part, le Livre blanc et la loi de programmation de 2008 et, d'autre part, le Livre blanc dont nous parlons maintenant et le projet de loi de programmation militaire qui vous sera proposé à l'automne. Pourquoi ? Parce que, comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises devant les commissions, y compris celle de la défense, le Livre blanc de 2008 et la loi de programmation militaire ont été élaborés avant la crise. Et, comme toutes les lois de programmation militaire, celle de 2008 avait tendance à optimiser la fin du processus, et retenait donc des projections optimistes.
J'ai siégé à la commission de la défense de 1978 à 2007, avec une petite interruption au milieu. J'ai donc vu beaucoup de lois de programmation militaire, et je n'en ai vu aucune qui se soit terminée convenablement, et de manière conforme aux prévisions.
Ce fut encore moins le cas de celle de 2008, parce qu'elle a été débattue et votée juste avant que la crise ne commence. Il y a des raisons qui permettent de comprendre pourquoi les objectifs n'ont pas été atteints ; je respecte cela, et je n'en fais pas une polémique.
Cependant, vous évoquez, Monsieur Marty, le format de l'armée de terre. La trajectoire prévue par le Livre blanc de 2008 envisageait la possibilité d'une force d'intervention de 30.000 hommes, mais, très rapidement, on s'est aperçu que c'étaient 30.000 hommes en papier. Il vaut mieux être dans la réalité et, en l'occurrence, afficher aujourd'hui 22.000 hommes pour l'armée de terre, cela correspond à la réalité.
Je souhaite que dans les débats à venir nous soyons, comme l'a dit tout à l'heure le Premier ministre, à la fois dans l'ambition et dans la vérité, mais je compléterai mon propos au fil des questions : le président Le Fur me rappelle à l'ordre - silencieusement -, et, comme c'est un Breton, je vais devoir m'exécuter.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Je ne partage pas du tout le point de vue de M. Grouard. Je lui conseille d'ailleurs de prendre connaissance de la déclaration faite par mon homologue américain, M. Chuck Hagel, quand je suis allé le rencontrer aux États-Unis il y a quelques jours. Il a cru bon, dans un communiqué, de reconnaître que la France maintient son effort de défense et conserve ses capacités.
Je sais bien qu'en tant que gaulliste, cette référence ne vous convient pas. Mais on peut estimer que M. Chuck Hagel est un expert en matière de défense. Son diagnostic peut donc être considéré comme valable.
Pour ce qui concerne les options fondamentales, nous poursuivons les engagements du Livre blanc de 2008. Nous maintenons la protection de notre territoire, la dissuasion, et notre capacité d'intervention. D'autres intervenants l'ont rappelé, comme M. Guilloteau, ainsi que plusieurs orateurs au Sénat hier. Nous conservons ainsi la capacité d'intervenir en premier sur un théâtre d'opérations, celle d'intervenir dans des théâtres de crise, celle d'intervenir en même temps dans trois théâtres différents et celle de participer à des forces de coercition à hauteur de 15 000 hommes. Bref, la France garde l'ensemble de ses capacités et consent toujours un effort budgétaire très significatif en matière de défense. Vous savez l'ampleur de cet effort : on avait annoncé que la défense serait la variable d'ajustement du budget de l'État, mais c'est le contraire qui se produit. Je voudrais que vous le constatiez.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - (...) Tout d'abord, les comparaisons internationales doivent être faites selon un référentiel unique. Pour ma part, j'emploie les normes définies par l'OTAN, qui sont reconnues par tous. Nous faisons partie de l'Alliance atlantique et de son commandement intégré ; au regard des normes OTAN, nous consacrons aujourd'hui 1,76 % de notre PIB à la défense. Nous entendons rester à ce niveau-là pendant la durée de la loi de programmation militaire.
Beaucoup de pays européens n'accordent pas une grande importance budgétaire à la défense, s'en désintéressent. C'est vrai : je suis d'accord avec vous sur ce point. Il ne s'agit d'ailleurs pas uniquement des pays auxquels on pense habituellement. Je me suis récemment rendu à Londres : j'ai pu constater que la France y est considérée comme une référence parce qu'elle a décidé de maintenir son niveau d'engagement. Le ministre de la défense britannique se sert de cet exemple pour justifier auprès du Parlement et de son ministre du budget la nécessité de maintenir l'effort de défense britannique. Vous voyez donc qu'en fin de compte, le «déclassement stratégique» de la France n'est une réalité que dans l'esprit des quelques individus qui le proclament. Nos collègues d'autres pays considèrent que la France réalise un effort nécessaire, qui lui permet d'assurer les trois missions essentielles que j'ai évoquées tout à l'heure. Je vous conseille à cet égard de prendre connaissance du Livre blanc dans son ensemble.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Monsieur de Rugy, j'ai écouté votre intervention tout à l'heure : je constate que nous avons un désaccord sur le fond. Nous considérons que la dissuasion est la garantie ultime contre les agressions ou les menaces d'origine étatique. Le Premier ministre parlait à cet égard des «menaces de la force». Nous considérons aussi que la dissuasion permet d'éviter tout chantage qui paralyserait notre liberté de décision et d'action - le Premier ministre l'a également dit tout à l'heure. Nous considérons, enfin, que la dissuasion dans son ensemble - et plus particulièrement sa deuxième composante - nous permet d'éviter toute surprise stratégique. C'est pourquoi nous considérons que la dissuasion est un tout.
Contrairement à ce que vous disiez tout à l'heure, son coût représente, tout compris, un peu plus de 10 % du budget de la défense, soit 3,5 milliards d'euros par an. Ce coût peut varier selon les années : il y a des phases de renforcement et de modernisation des capacités, et des phases de stabilité. Nous sommes actuellement dans le deuxième cas de figure.
La réduction de notre capacité nucléaire n'est pas d'actualité. Nous n'avons pas, à cet égard, de leçons à recevoir d'autres pays : nous avons démantelé nos sites d'essai et de production de matière fissile. Nous avons réduit notre capacité à 300 têtes nucléaires maximum : nous respectons le principe de stricte suffisance. Nous souhaitons que l'ensemble des nations qui disposent de l'armement nucléaire engagent des procédures de réduction de leur arsenal. Quand elles seront arrivées au niveau où nous sommes, nous serons tout à fait prêts à en parler !
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Monsieur le Député, le Livre blanc prévoit, en matière de capacités, quelques inflexions. Ces inflexions portent sur la cyber-défense - cela a déjà été dit - et sur la politique d'acquisition de drones. Nous serons amenés à en reparler plus tard au cours de ce débat. D'autres inflexions, qui sont attendues, concernent le ravitaillement en vol, le transport et la logistique. Ces évolutions visent à combler des manques qui ont été constatés antérieurement et dont on voit aujourd'hui qu'il est nécessaire d'y remédier activement. Cette première remarque est importante : il s'agit d'une inflexion importante par rapport à la précédente loi de programmation militaire. La cadence des acquisitions sera précisée par la prochaine loi de programmation.
Deuxième observation d'ordre général : je suis très attaché au principe de différenciation. Il s'agit d'affecter les capacités aux forces en fonction des missions. Il n'est pas nécessaire de disposer d'outils hautement sophistiqués pour réaliser des missions plutôt rustiques, et inversement. Nous allons nous y atteler : il faut donner les bons moyens d'interventions, au bon moment, à des militaires bien formés. Voilà le principe de base : c'est pourquoi nous avons développé les concepts de différenciation et de mutualisation, dont vous avez pu prendre connaissance en lisant le Livre blanc.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Monsieur le Député, j'ai eu l'occasion de souligner à de nombreuses reprises que j'étais favorable à une Europe de la défense et non au concept de défense européenne. Cette différenciation sémantique n'est pas uniquement une coquetterie, car elle repose sur une tout autre approche. La défense européenne, c'est ce que nous avons essayé de faire dans le passé en tentant de bâtir une architecture, un concept, une définition stratégiques, puis d'en expliquer la signification. Cela n'a pas réussi.
Dans l'esprit de ce qu'a dit, tout à l'heure, Mme Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères, je considère pour ma part qu'il faut initier l'Europe de la défense avec pragmatisme, et prendre, dans les domaines opérationnel, capacitaire et industriel, les initiatives nécessaires pour avancer à deux, trois, quatre, voire vingt-sept si c'est possible.
Le Conseil européen va se tenir à la fin du mois de décembre. Ce sera la première fois, depuis 2008, que les chefs d'État et de gouvernement aborderont la question de la défense en Europe et réfléchiront à la construction de l'Europe de la défense, car cela devient désormais une nécessité. Comme vous y avez fait allusion, celle-ci peut se mettre en oeuvre au niveau capacitaire, en particulier grâce à une action en commun dans le domaine de la mutualisation des capacités logistiques et de ravitaillement.
Cette première étape pourrait être franchie pour le prochain conseil européen - c'est en tout cas ce que la France suggère -, et ce grâce à la volonté des uns et des autres. Ce premier pas vers la mutualisation capacitaire pourrait être suivi d'autres actions. Cette même logique se développera pour les trois axes et aboutira, je l'espère, à une construction plus crédible, mais obligatoire, de l'Europe de la défense.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Monsieur le Député, ma réponse sera brève : M. Manuel Valls et moi avons pris connaissance du rapport Urvoas et de la délégation parlementaire au renseignement. Un groupe de travail spécifique chargé des travaux préparatoires à la commission du Livre blanc a été amené à faire des propositions, incluses dans ce document. Les décisions ne sont pas encore prises. Toutefois, le Conseil national du renseignement va se réunir dans les jours qui viennent pour prendre des initiatives allant dans le sens d'un renforcement du contrôle parlementaire, comme vous le souhaitez. Je ne dispose évidemment pas encore des conclusions de cette instance.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Comme je l'ai déjà exprimé précédemment avec beaucoup de force, les choix sont clairs s'agissant du maintien de la dissuasion et de la composante aérienne. La composante aérienne est un signe visible de notre détermination politique. Tout comme la composante océanique, c'est une arme de non-emploi. Contrairement à une arme d'un champ de bataille, elle garantit la sécurité et l'inviolabilité de notre territoire, tout en permettant une flexibilité. Il est essentiel d'ajouter, ici, qu'elle dispose d'un missile de croisière qui restera totalement invulnérable à la défense antimissile balistique, ce qui complète l'ensemble de notre dispositif de dissuasion. Cela ne signifie pas que nous soyons opposés au désarmement nucléaire : j'ai tout à l'heure expliqué à M. de Rugy l'ampleur de nos efforts et des signes donnés par des gouvernements de gauche comme de droite pour montrer que nous étions tout à fait favorables à la dénucléarisation de tous les pays du monde. Nous devons toutefois garder la stricte suffisance avant que les autres ne consentent les efforts nécessaires.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Monsieur le Député, j'ai expliqué tout à l'heure les inflexions qui seraient apportées à la loi de programmation de 2008. Dans le projet de loi de programmation militaire, qui sera soumis à votre délibération à l'automne, vous pourrez constater le cadencement capacitaire et financier des différents outils de défense dont nous voulons nous doter. Je vous confirme notre volonté d'inscrire dans la loi de programmation les avions ravitailleurs, l'acquisition des drones et le transport logistique nécessaire à notre défense. Ces capacités nous ont manqué au Mali, mais également lors d'opérations antérieures.
Je reprends par ailleurs le concept de différenciation. Vous avez jugé préférable d'avoir moins d'hommes, mais bien équipés. Nous partageons ce point de vue : j'avais précédemment souligné qu'afficher 30 000 hommes en 2008 était une vue de l'esprit. Dans la réalité, et comme l'a lui-même constaté le chef d'état-major des armées dans une déclaration de 2011, ils n'étaient pas au rendez-vous, pour les raisons que j'ai expliquées. Je préfère quant à moi la vérité concrète : c'est le gage d'une véritable opérabilité de nos forces.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Madame la Députée, nous sommes un peu loin des perspectives que vous venez d'évoquer, même si cette évolution est souhaitable.
Votre question me permet de préciser quelques points concernant les drones. Il fallait procéder à une remise à plat de l'ensemble du dispositif, ce qui m'a conduit à prendre trois décisions.
Premièrement, je me suis engagé à mettre en place une coopération très amont avec les Britanniques impliquant les groupes industriels Dassault et BAE Systems autour de ce que pourrait être demain le drone de combat afin d'éviter de nous retrouver en 2030 avec deux types de drones de combat en compétition sur le marché européen comme il y a aujourd'hui deux types d'avions de chasse concurrents.
Deuxièmement, j'ai veillé à ce que nous puissions mettre en place le dispositif d'acquisition des drones tactiques destinés à remplacer ceux qui sont aujourd'hui en fonctionnement, en particulier dans l'armé de terre. Le grand débat porte sur le drone de moyenne altitude et de longue endurance, dit MALE. Comme vous le savez, j'ai pris récemment la décision d'acheter sur étagère un drone qui n'existait pas du tout en magasin, si je puis dire, au niveau national.
Cette décision en appelle une autre. Il s'agit de faire en sorte que la fabrication du drone MALE que je souhaite voir succéder de manière pérenne au drone américain Predator puisse être engagée dès à présent par des industriels européens. Nous espérons que les Britanniques partageront ce point de vue car ils ont des idées proches des nôtres. Cette offre d'action en commun s'applique du reste à d'autres types de drones qui ont aujourd'hui la capacité du Predator ou du Reaper. Ils pourraient faire l'objet d'un effort européen qui permette l'émergence d'un drone appelé à remplacer les drones aujourd'hui en service, de type Predator ou Reaper selon les pays.
M. Candelier a indiqué qu'il ne voulait pas du drone américain. Mais il faut savoir qu'aujourd'hui, au Mali, nous en dépendons en partie. Je préfère donc acheter des drones américains dont la nation aura la propriété plutôt que de dépendre des drones américains aujourd'hui déployés sur le théâtre malien.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Madame la Députée, je crois avoir déjà eu l'occasion de répondre à cette question aujourd'hui même, lors des questions au Gouvernement : nous sommes tout à fait déterminés à garantir la place de l'industrie de défense et la base technologique de la défense française, qui est l'une des premières du monde. Les orientations majeures du Livre blanc vont dans ce sens. Vous avez rappelé les chiffres.
En cette période difficile, contrainte au niveau financier, cela passe prioritairement par la garantie d'un effort de recherche et d'innovation maintenu au niveau que vous avez indiqué, tout au long de la loi de programmation militaire qui vous sera proposée.
J'ai pleinement confiance dans la capacité de nos industriels à relever les défis. Il faudra sans doute revoir avec eux les contrats passés, car ils ont été conclus à un moment où les perspectives financières étaient nettement meilleures, en 2008 : mais nous n'avons aucunement l'intention d'entamer quelque rupture que ce soit dans le domaine capacitaire ou dans le domaine des compétences.
Nos industries de défense doivent aussi être beaucoup plus fortes à l'exportation. Les industriels se mobilisent face aux multiples enjeux de ce secteur. Le ministère de la défense apporte son soutien politique préalable, dans la phase d'exploration, pour que nos entreprises puissent être performantes sur différents marchés mondiaux et elles le sont. À cet égard, je rappellerai que je rends compte chaque année de nos bilans d'exportation devant la commission de la défense et la commission des affaires étrangères.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Monsieur le Député, j'ai déjà répondu en partie à cette question. J'attache beaucoup d'importance à la mise en oeuvre du pacte Défense-PME comme aux engagements pris conjointement par la DGA et les régions qui ont compétence dans le domaine économique. J'ai déjà, à ce titre, signé trois accords de coopération.
En outre, ce pacte est un instrument indispensable pour fertiliser les PME par l'innovation venant des grands groupes ou venant directement de la DGA.
Cette mission sera maintenue, même si les contrats que nous avons passés avec les industriels feront l'objet de rediscussions et connaîtront certaines inflexions. Mais comme il n'y aura de rupture ni des capacités ni des compétences, cela nécessite un renforcement de ces relations.
Puisque le cadre européen a été évoqué à plusieurs reprises dans les questions, je me permets de vous dire que se prépare au niveau européen une communication sur l'industrie de défense. Notre contribution portera sur deux points : d'une part, la mise en oeuvre au niveau européen d'un Small Business Act pour la défense afin que les petites et moyennes entreprises du secteur de la défense puissent bénéficier d'un soutien significatif ; d'autre part, l'action que nous menons auprès de la Commission afin qu'elle admette que le financement de la recherche et de l'innovation au niveau européen puisse également être attribué aux industries de défense dès lors que les concepts et les projets concernés reposent sur la dualité technologique.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Vous essayez d'accréditer l'hypothèse du déclassement stratégique, déjà avancée tout à l'heure. Je crois avoir répondu sur ce point.
Il ne faudrait pas vous aventurer dans des comparaisons un peu osées entre le potentiel militaire de la France et celui de l'Espagne, malgré toute la considération que nous pouvons avoir pour nos amis espagnols. Je vous précise que le budget de la défense espagnol a été diminué de 25 %.
L'ensemble de nos partenaires reconnaît l'importance du maintien de notre effort de défense. Nous préservons l'ensemble de nos capacités d'action pour effectuer nos missions, qu'il s'agisse de la protection, de la dissuasion ou de l'intervention.
La France reste en capacité de répondre à tous ses besoins de sécurité, même si les temps sont plus difficiles qu'auparavant, car la crise est là et le redressement des comptes publics indispensable. En tout état de cause, la défense de la France sera totalement assurée par ce gouvernement.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - (...) Pour ce qui est de l'éventualité d'une restructuration et d'une fermeture de bases ou de régiments, la question se posera en effet. Je ferai en sorte que la réduction des effectifs soit prioritairement imputée sur l'état-major et sur le soutien central, afin d'éviter au maximum de toucher aux unités opérationnelles - même s'il faudra sans doute le faire un peu.
Je prendrai les décisions de manière concertée, avec beaucoup de précautions et, je l'espère, beaucoup de discernement, en prenant en compte toute une série de paramètres, dont celui de l'aménagement du territoire.
J'ai répondu tout à l'heure à l'un de vos collègues, lors des questions d'actualité, que nous mènerions un travail approfondi avec les élus et les collectivités locales. J'ai connu moi aussi des restructurations ; je sais que cela est difficile à vivre. Je sais qu'il faut des mesures d'accompagnement : nous prendrons les mesures d'accompagnement nécessaires.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - La deuxième tranche de commande de NH90 sera diligentée très rapidement ; je respecte donc les engagements que j'ai pris.
En outre, le Livre blanc témoigne de la cohérence de l'effort de la nation pour son armée de l'air, et en précise les chiffres : cinquante avions de transport tactique et douze avions ravitailleurs MRTT.
Cet ensemble, qui sera complété par des hélicoptères de manoeuvre dont la commande sera confirmée, garantit à l'armée de l'air une cohérence pour l'ensemble de ses opérations.
Le sujet principal était l'accélération de la commande MRTT, à laquelle je vous sais très attaché ; et nous l'avons réalisée.
Les MRTT sont un dispositif très important : sans eux, l'aviation de chasse est très handicapée. Par ailleurs, les MRTT servent aussi à notre dissuasion, ce qui est tout à fait fondamental. Il était donc temps de remplacer nos vieux KC-135 qui commençaient à avoir besoin de béquilles.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Vous posez de bonnes questions, madame la députée, qui sont tout à fait d'actualité mais qui sont encore en gestation, notamment en ce qui concerne le pulling and sharing et la smart defense.
Lorsqu'on élabore les sujets de coopération dans le pulling and sharing, on fait en sorte qu'ils soient cohérents et conformes aux engagements que peuvent avoir les différents pays dans le cadre de la smart defense, ou les positionnements qu'ils ont pu prendre sur les chantiers dans le cadre de la smart defense. Nous sommes encore dans le domaine de la smart defense en termes d'inventaire des chantiers, puisque cela n'a été véritablement engagé que lors du dernier sommet de l'OTAN en mai 2012 à Chicago.
Nous sommes particulièrement actifs dans le domaine du pulling and sharing. Nous évoquions tout à l'heure la question du transport logistique et du ravitaillement en volume. L'EATC - european air transport command, ou commandement du transport aérien européen -, auquel Mme Guigou faisait allusion dans son propos, existe déjà et permet une première forme de mutualisation du transport logistique entre le Benelux, l'Allemagne et la France. Il peut devenir le creuset d'un vrai pulling and sharing, tant sur le ravitaillement en vol que sur le transport logistique.
Si nous affirmons notre volonté dans ce domaine et si la France parvient à être pilote et à inciter d'autres partenaires à nous rejoindre, nous pourrons aboutir. Ainsi, la Pologne, l'Italie et même la Grande-Bretagne sont intéressés par un axe qui constituerait une base de mutualisation capacitaire. Celle-ci est indispensable parce qu'elle revient moins cher et qu'elle est très efficace. Au Mali, l'EATC a ainsi servi pour la participation allemande.
Vous m'avez posé une autre question sur l'approche globale : c'est un concept très européen. En présentant le Livre blanc il y a quelques jours à Bruxelles et au Parlement européen, j'ai indiqué que nous étions très favorables à l'approche globale, à condition de ne pas oublier l'aspect militaire. La tentation existe au niveau européen de privilégier, dans l'approche globale, le développement et l'humanitaire - certes essentiels - en oubliant parfois que les situations peuvent avoir un aspect militaire. Nous restons donc vigilants sur ce point.
J'aimerais par ailleurs que nous avancions au niveau européen sur la Libye. Il y a une volonté d'agir pour aider le gouvernement libyen à assurer la protection de ses frontières. Voilà un exemple d'intervention qui n'est pas directement militaire, mais qui est très sécuritaire, et qu'il conviendrait de pousser rapidement au niveau européen ; j'espère que ce sera le cas.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Monsieur le Député, je vous remercie pour vos propos et votre détermination.
Effectivement, l'Eurocorps, la brigade franco-allemande ou encore les groupements tactiques étaient des concepts intelligents ; mais s'ils sont opératoires, ils n'ont jamais été activés. C'est donc réellement une forme d'échec. Je sais que votre projet de résolution fait référence à la coopération structurée permanente : ce concept, innovation du traité de Lisbonne, figure aux articles 42 et 46 du traité sur l'Union européenne. Il est facile à mettre en oeuvre puisqu'une décision à l'unanimité n'est pas nécessaire. Il permet aux États qui décident d'agir ensemble et qui se donnent eux-mêmes un certain nombre de contraintes sur les plans budgétaire, opérationnel, capacitaire et industriel d'avancer de concert. Je souhaite que ce concept redevienne d'actualité. Si d'aventure des partenaires européens en prenaient l'initiative, la France y apporterait son soutien.
Je crois comprendre, après la visite du président polonais à Paris il y a quelques jours, que la Pologne envisage de prendre cette initiative. J'ai indiqué à mon homologue de la défense que nous la soutiendrions parce qu'elle correspond exactement à ce qu'appelait tout à l'heure de ses voeux la présidente de la commission de la défense : le pragmatisme de l'action et de l'Europe de la défense.
C'est dans cet esprit que nous agissons. Au fur et à mesure que nous développons nos arguments, je constate qu'ils recueillent un réel soutien, et j'espère voir un aboutissement rapide sur un certain nombre de sujets.
(...)
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Monsieur le Député, ambition et vérité sont les deux termes employés par le Premier ministre en introduction de son propos et c'est ce que nous souhaitons.
J'ai un petit désir secret que je vous livre à cette heure un peu avancée et qui va devenir public : pour avoir connu bien des lois de programmation militaire, je sais qu'aucune n'a rempli ses engagements. Si je pouvais être le premier ministre de la défense à faire en sorte que la loi de programmation militaire que je vous proposerai à l'automne soit respectée financièrement et soit d'une totale sincérité budgétaire, je serais assez content de moi.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Vous avez raison de rappeler cet enjeu. Le Livre blanc le met bien en exergue : il est tout à fait essentiel pour notre sécurité.
Il se décompose en cinq priorités. Premièrement, considérer la cyber-sécurité comme une véritable capacité militaire, au même titre que le commandement ou le renseignement. Deuxièmement, consolider une chaîne de commandement opérationnel placée au sein du CPCO - j'ai déjà eu l'occasion de le dire devant la commission de la défense. Troisièmement, créer une doctrine nationale de réponse aux attaques cybernétiques. Quatrièmement, consolider une base industrielle de bon niveau dans le domaine de la cyber-défense où nous avons des handicaps même si nous avons des capacités. Cinquièmement, faire en sorte que les ressources humaines nécessaires soient associées à la cyber-défense, tant en recrutement au sein en particulier de la DGA que dans la réserve. J'anticipe un peu sur une question que vous allez me poser sur la réserve en disant qu'une partie de nos efforts pour le renouvellement de la réserve portera sur la réserve citoyenne, la réserve experte, en particulier dans ce domaine.
Cette question de la cyber-défense est essentielle et constituera l'un des axes d'action dans la future loi de programmation militaire. Je serai particulièrement attentif aux cinq engagements que je prends ici devant vous.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - La question de la réserve, Monsieur le Député, mérite plus qu'une attention ; c'est aussi un enjeu du Livre blanc. Vous estimez qu'il n'est pas suffisamment mis en avant. Je constate qu'un certain nombre d'engagements sont pris, dont un recours accru et structuré au soutien de réservistes opérationnels et citoyens dans les domaines déficitaires et je pense en particulier à la cyber-défense, mais il y a d'autres domaines très sensibles dans lesquels nous devons mobiliser et les réservistes opérationnels, et les réservistes citoyens.
Nous insistons dans le Livre blanc sur la nécessité d'élargir les recrutements en favorisant l'adhésion de réservistes issus de la société civile, dans la réserve opérationnelle comme dans la réserve citoyenne ; nous insistons également sur le renforcement de la réserve citoyenne, vecteur à nos yeux essentiel pour diffuser l'esprit de défense au sein de notre pays, y compris dans certains quartiers prioritaires de la politique de la ville. Nous allons agir beaucoup dans ce domaine-là.
Enfin, nous voulons optimiser les capacités de réserve opérationnelle en rendant plus cohérents les ESR - les engagements à servir dans la réserve - qui sont aujourd'hui trop faibles et trop courts. Il est indispensable de donner à cette partie de la réserve une plus grande cohérence. C'est un chantier important, que je ne mets pas en fin de parcours. Il est essentiel, au plan opérationnel et pour le maintien de l'esprit de défense.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Monsieur Meunier, je vais vous dire quelque chose de très concret : il y a un vrai besoin capacitaire de drones aujourd'hui. Un besoin immédiat. Je n'y peux rien : il n'y en a sur étagère qu'en Israël et aux États-Unis. Je le constate. Que dois-je faire, en tant que ministre de la défense ? Renoncer aux drones pour sept à huit ans, au motif que l'on n'en produit pas en France ou en Europe ? J'agis, je réagis, parce qu'il y a un besoin immédiat, dont je me suis aperçu : je ne polémique pas à ce sujet, il y a des tas de raisons qui font que nous en sommes là ; quoi qu'il en soit, c'est le constat que je dresse aujourd'hui.
Je suis donc obligé, c'est mon devoir, de faire en sorte que nous ayons les moyens d'observation nécessaires par l'acquisition de drones MALE que nous sommes en train de nous procurer sur étagère auprès des États-Unis. Nous allons les franciser, en discutant avec les Américains, pour garantir notre autonomie stratégique.
Je le disais tout à l'heure, mais vous n'étiez pas là : aujourd'hui, ce sont les drones américains présents à Niamey qui nous donnent des informations. Peut-on continuer ainsi ? Où est l'autonomie stratégique ? Si les Américains ne veulent pas nous donner l'information, ils ne nous la donnent pas !
Ensuite, oui, il faut une nouvelle génération de drones qui, je l'espère, sera européenne et réalisée par des industriels européens. Je le leur ai dit, tout le monde le sait : il reste six à sept ans pour mettre en oeuvre le dispositif et il y a les compétences pour le faire.
Q - Vous n'achetez que deux drones ?
R - Non, dans la loi de programmation militaire, il y en a douze. Deux immédiatement, puis dix.
Ensuite, nous aurons besoin d'une autre génération. Je ne veux pas que mon successeur se trouve dans la même situation que moi aujourd'hui.
(...)
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Si c'est le problème de la sécurisation du trafic maritime que vous voulez évoquer, je suis d'accord pour l'examiner avec vous. Mais l'une des inflexions du Livre blanc de 2013 par rapport à celui de 2008, c'est précisément la sécurité maritime. J'y ai été, pour de nombreuses raisons, particulièrement attentif. Je suis prêt à faire avec vous l'exercice de comparaison entre les deux livres blancs.
Il y a une raison à cela : depuis 2008, la piraterie s'est développée, pas uniquement dans la Corne de l'Afrique, mais aussi dans le golfe de Guinée et dans d'autres lieux. Il importe que nous agissions pour sécuriser nos moyens d'approvisionnement. Ce que je peux vous dire, monsieur le député, c'est que les moyens de la marine seront suffisants pour assurer cette sécurisation, mais celle-ci ne doit pas uniquement se faire avec les moyens de la marine nationale française : elle doit se faire aussi en coopération au sein de l'Union européenne - c'est ce que nous faisons avec l'opération Atalante -, mais aussi avec la Russie.
La dernière fois que nous nous sommes parlé, je partais en Russie. J'en suis revenu, en bon état. C'est une des questions que nous avons évoquées avec nos partenaires russes, qui ont la même préoccupation de sécuriser leurs voies maritimes. Ils sont présents dans le golfe d'Aden.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - Je vous remercie, Monsieur le Député, de l'intérêt que vous portez aux forces aériennes. Entendons-nous bien : la baisse de 25 % du nombre d'avions de combat à laquelle vous faites allusion s'entend par rapport aux prévisions de 2008. Au début de mon propos, j'ai rappelé que le Livre blanc et la loi de programmation de 2008 avaient été réalisés avant la crise. Je n'ai pas voulu polémiquer sur ce point, mais force est de constater qu'à la suite de la crise il a fallu réviser à la baisse notre capacité à réaliser la loi de programmation.
Le chiffre de 225 avions de combat sera bien réalisé. Étant pragmatique, je vous informe que le Royaume Uni dispose de 213 avions de chasse - nous resterons par conséquent mieux dotés que l'autre grande puissance militaire en Europe - et l'Allemagne, exemple cité à plusieurs reprises au cours du débat, 185.
Nous disposerons donc d'une force d'intervention aérienne nous permettant de remplir nos missions à la fois par le moyen de Rafale et de Mirage 2000D modernisés - ces derniers étant par définition plus anciens, ils devront inévitablement avoir des successeurs.
C'est la loi de programmation militaire qui prévoira le cadencement de cet ensemble pour parvenir au chiffre de 225 avions.
Nous n'aurons jamais autant parlé qu'aujourd'hui, dans cet hémicycle, de l'île Tromelin. C'est en effet un vrai sujet, et un bon roman également. Reste que sur le fond, Monsieur Le Bris, je partage complètement vos préoccupations. L'enjeu de la maritimisation - j'ai déjà répondu sur ce point, aussi serai-je bref - suppose que nous ayons les moyens de lutter contre les trafics illégaux, la piraterie et d'assurer la sécurité de nos approvisionnements ; il suppose également que nous fassions respecter le droit à travers l'affirmation de notre souveraineté. Je me suis rendu à deux reprises, depuis ma nomination, en outre-mer, en Guyane et en Martinique, pour montrer que la défense concernait également ces territoires : la France, c'est en effet l'hexagone et l'outre-mer, sans distinction entre ces deux entités.
Cela suppose des moyens partagés et, sur ce point, nous allons élaborer, avant la fin de l'année, un contrat général interministériel qui permettra un plan quinquennal d'équipement, c'est-à-dire un ensemble programmatique impliquant plusieurs ministères, celui de la défense, comme ceux de l'intérieur, des douanes et des transports. Cet engagement sera soumis au Parlement et la commission de la défense sera évidemment informée de l'aboutissement de ce plan. Le ministère de la défense ne sera donc pas le seul à contribuer, ce qui est la moindre des choses.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - J'ai déjà dit à plusieurs reprises cet après-midi, Monsieur le Député, que nous allons essayer de faire en sorte que la contraction d'effectifs porte davantage sur les états-majors et le soutien central que sur les unités opérationnelles, cela dans un rapport qui sera à peu près de un tiers pour ces dernières et deux tiers pour les organismes centraux. C'est du moins l'objectif que je me suis donné. Ce travail est en cours.
Ensuite, nous ferons en sorte que les choix de restructuration se fassent avec discernement, précaution, concertation en intégrant évidemment les concepts d'aménagement du territoire. Je sais que la région Champagne-Ardenne a été particulièrement touchée par les restructurations antérieures.
Nous serons très vigilants à cet égard, même si, à l'heure actuelle, je ne peux pas vous donner l'ensemble des informations que vous souhaiteriez avoir : elles ne sont pas encore en ma possession et je n'ai pas commencé à arbitrer quoi que ce soit en la matière, puisque le Livre blanc vient tout juste d'être publié.
Je préciserai, puisque vous l'avez évoquée, que l'armée de terre, sera touchée par la réduction des effectifs puisqu'elle passera de huit brigades à sept. On comptera donc une brigade de moins par rapport à l'objectif de la loi de programmation et du Livre blanc de 2008. Cela représente une réduction d'autant de militaires au sein de l'armée de terre, mais cette dernière ne sera pas la seule à contribuer à la contraction d'effectifs évoquée. Il y sera procédé comme je vous l'ai indiqué : avec beaucoup de précaution et d'anticipation.
(Interventions des parlementaires)
M. Jean-Yves Le Drian - (...) Évidemment, et je le dis à l'ensemble des députés présents, tout cela ne marchera qu'avec les ressources exceptionnelles. Sans elles, les discours que j'ai faits cet après-midi en réponse à vos questions ne tiennent pas. Ces ressources exceptionnelles représentent 5,9 des 179,2 milliards, dont 1,9 milliard au budget de 2014.
J'ai entendu, comme vous, le Premier ministre apporter tout à l'heure des garanties à ce sujet, et le président de la République s'exprimer vendredi dernier sur cette question. Et des précédents montrent que cela peut marcher : cette année, en 2013, les ressources exceptionnelles se seront élevées à 1,3 milliard d'euros.
La vigilance s'impose si nous voulons que les résultats soient au rendez-vous : je suis sûr de la vôtre, soyez sûrs de la mienne. Ces ressources exceptionnelles, où les trouver ? Elles viendront à la fois des recettes immobilières, des recettes de fréquence et des cessions d'actifs, et pas uniquement des cessions d'actifs défense. Des discussions sont en cours sur ce sujet, auxquelles je consacre moi aussi beaucoup de temps, Monsieur Guilloteau. Nous pouvons être optimistes quant aux résultats, puisque le président de la République s'est engagé à ce que le niveau budgétaire de 31,4 milliards en 2014 soit maintenu en 2015 et 2016, avec des ressources exceptionnelles à peu près au même niveau.
C'est en tout cas sur ces bases-là que nous travaillons en ce moment, et nous sommes très confiants, du fait des engagements pris par le président de la République et par le Premier ministre, qui les a confirmés tout à l'heure.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 2013