Interview de Mme Nicole Bricq, à "RMC" le 13 juin 2013, sur les enjeux de l'accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l'Europe.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

JEAN-JACQUES BOURDIN
Demain, vous partez pour le Luxembourg négocier, discuter avant de négocier, des prochains accords possibles de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis. Vous allez représenter la France. C’est un sujet dont on parle peu, à tort, parce que c’est un sujet majeur qui va marquer les mois et les années qui viennent pour nous tous, citoyens européens. Vous êtes d’accord Nicole BRICQ ?
NICOLE BRICQ
Absolument. C’est quarante pourcents du commerce mondial, les deux acteurs.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quel est l’objectif de cet accord de libre-échange entre les États-Unis et l’Europe ?
NICOLE BRICQ
L’objectif numéro un d’un accord de libre-échange, c’est d’abaisser les droits de douane et de permettre une plus grande fluidité du commerce de part et d’autre de l’Atlantique, mais cela doit se faire à certaines conditions, notamment des conditions d’accès au marché. Les marchés publics américains sont très fermés alors que les marchés publics européens sont très ouverts.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Si j’ai bien compris les Américains ont tout à gagner dans cet accord. Enfin, beaucoup.
NICOLE BRICQ
Pas tout parce qu’un accord c’est toujours un compromis et celui-là va être costaud, il va être long, difficile, avec plein d’embûches.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais faut-il un accord ? Faut-il un accord Nicole BRICQ ?
NICOLE BRICQ
Je pense que ce serait bien parce que les États-Unis et l’Union européenne, il faut que les auditeurs se rendent compte de cela, c’est deux tiers des investissements mondiaux dans le domaine de l’innovation. Donc on y aurait intérêt, on a les intérêts offensifs dans certains secteurs agroalimentaires, dans le textile et l’habillement, dans la pharmacie et la chimie, nous Européens, pour nos entreprises pour ouvrir les marchés publics.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour mieux vendre aux États-Unis, oui.
NICOLE BRICQ
Absolument. Pour mieux être présents sur ce marché, mais il faut aussi poser des conditions et la France en pose.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors justement, la France est prête à utiliser son droit de veto politique si la culture et les industries culturelles ne sont pas exclues des négociations. Vous confirmez ?
NICOLE BRICQ
Ça, c’est exactement ce que le Premier ministre a dit hier devant la représentation nationale. J’ai un mandat très clair et la ligne rouge qui reste encore à franchir entre la position de la France et la Commission européenne est celle qui consiste à préserver nos industries culturelles.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quel est le risque ? Quel est le risque Nicole BRICQ ?
NICOLE BRICQ
Le risque, c’est que la Commission ne veuille pas céder dans son argumentation et dans sa tactique. Qu’est-ce qu’elle dit, la Commission ? Elle dit : « Il faut mettre tout sur la table ».
JEAN-JACQUES BOURDIN
La Commission européenne.
NICOLE BRICQ
Sauf que nous, on ne veut pas mettre tout sur la table.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Monsieur BARROSO.
NICOLE BRICQ
On ne veut pas que nos industries culturelles soient mises en danger. On n’a jamais mis la culture et les services audiovisuels dans une négociation commerciale, jamais. Pourquoi le ferait-on maintenant alors que nous savons qu’il y a quand même des (phon) américains.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais quel est le risque pour la culture française et pour l’audiovisuel français ?
NICOLE BRICQ
Le risque essentiel, ce n’est pas une affaire de village gaulois. C'est une affaire d’avenir parce que les technologies évoluent à une telle allure qu’il faut que nos industries culturelles soient en capacité de s’adapter à ces technologies et là, on gèle la situation. C’est important de garder nos quotas de diffusion et de production européens, mais en même temps que le cinéma prospère, on veut que la télévision prospère. On ne veut pas se faire manger !
JEAN-JACQUES BOURDIN
On est déjà suffisamment envahi, c'est ce que vous dites. Suffisamment envahi par les productions américaines.
NICOLE BRICQ
Je crois qu’on aime les films américains. Les Français y vont beaucoup quand même, ils aiment ça. Mais en même temps, on veut défendre notre identité et la France ne le fait pas pour elle : elle le fait pour toutes les industries culturelles européennes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
« Que monsieur BARROSO s’en aille. Il se couche devant les États-Unis » dit Rachida DATI qui est députée européenne. « Nous devons nous débarrasser de tous ces technos qui vivent tranquilles au-dessus des réalités des Européens », c’est ce qu’elle ajoute Nicole BRICQ.
NICOLE BRICQ
Ah ! ce n’est pas mon langage.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, ce n’est pas votre langage. C’est le sien.
NICOLE BRICQ
Je suis profondément Européenne et je respecte la Commission.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, on est d’accord mais enfin si l’accord trouvé, ouverture des marchés publics européens aux entreprises américaines, on est bien d’accord ? On est bien d’accord ?
NICOLE BRICQ
Oui, mais on a la contrepartie en face.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui mais enfin, importation en Europe des poulets chlorés par exemple.
NICOLE BRICQ
Non, on n’en veut pas !
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non ?
NICOLE BRICQ
On a dit que nous ne voulions pas – ça, ça fait partie de nos lignes rouges que la Commission a acceptées : pas de décontamination des carcasses à l’américaine.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et les OGM ? et les OGM ?
NICOLE BRICQ
Pas d’OGM. Ça aussi c’est accepté.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Et les hormones de croissance ?
NICOLE BRICQ
Non, on n’en veut pas dans nos assiettes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous ne voulez rien finalement de ce que nous proposent les Américains.
NICOLE BRICQ
Mais ils nous proposeront aussi du boeuf qui n’est pas aux hormones.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et dites-moi, un euro surévalué et un dollar faible, les Américains qui peuvent jouer avec leur monnaie alors que nous, nous sommes figés avec cet euro, ils vont pouvoir produire moins cher et exporter vers chez nous.
NICOLE BRICQ
Nous ne sommes pas figés, nous ne sommes pas figés. Les Allemands sont champions de l’exportation et ils ont la même monnaie que nous alors il faut relativiser le problème. De toute façon, ça ne fait pas partie des accords de libre-échange, la monnaie. Ça, c’est un problème du G20.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon, d’accord, mais enfin ça facilite ou pas les accords, Nicole BRICQ ?
NICOLE BRICQ
Oui, oui. Ça arrange certaines de nos entreprises quand le dollar baisse et quand il monte.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, qui vont aller s’installer aux États-Unis donc délocaliser et revendre en Europe.
NICOLE BRICQ
Non. N’exagérons pas !
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vous dis le risque, moi.
NICOLE BRICQ
Quand on exporte, dans beaucoup de marchés maintenant il y a un ticket d’entrée, c'est-à-dire qu’il faut vous implanter. Et les entreprises ont très souvent intérêt à l’exportation à s’implanter près de leurs marchés, près de leurs clients.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Nicole BRICQ, j’ai deux questions encore. La première concerne la Grèce, cette histoire d’audiovisuel public. L’Europe n’a pas l’air de tellement réagir. Au niveau de la Commission européenne, on n’a pas l’air de tellement réagir Nicole BRICQ.
NICOLE BRICQ
Je compatis parce qu’avec vos collègues…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, oui, vous compatissez, d’accord, mais enfin l’Europe impose de telles règles drastiques au gouvernement grec, cent cinquante mille emplois publics à supprimer – c’est ce qu’a rappelé l’Union européenne – et conséquence, hop !, on ferme.
NICOLE BRICQ
Je pense qu’à un moment donné, ils ouvriront à nouveau. Mais je pense qu’en même temps, ils auront peut-être moins de personnels, c’est peut-être le but. Ce n’est pas la meilleure méthode, je suis bien d’accord avec vous.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, oui. Ce n’est peut-être pas la meilleure méthode mais c’était indispensable, si je vous comprends bien, Nicole BRICQ.
NICOLE BRICQ
Je ne l’aurais pas fait comme ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais enfin il fallait le faire.
NICOLE BRICQ
Peut-être que ça aurait pu être fait autrement. On peut percevoir des impôts en Grèce qui ne sont pas perçus à l’heure actuelle.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Et les droits de douane qu’on impose aux panneaux solaires chinois, vous êtes solide là-dessus ?
NICOLE BRICQ
Je défends la position de la Commission. La France la défend.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Malgré l’Allemagne.
NICOLE BRICQ
Il n’y a pas de guerre. On ne va pas faire la guerre à la Chine, la guerre commerciale. C’est un grand partenaire, c’est le principal partenaire de l’Union européenne dans les deux sens – importation/exportation. Mais il faut savoir se faire respecter et il faut surtout faire respecter les engagements que la Chine a pris quand elle a adhéré à l’OMC au début des années 2000.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez tenir bon ?
NICOLE BRICQ
Oui, oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le gouvernement français va tenir bon ?
NICOLE BRICQ
De toute façon, il y a des mesures provisoires et ça permet à la Commission de négocier dans de bonnes conditions avec nos partenaires chinois.Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 juin 2013