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Q - Le Premier ministre grec a pris mardi soir une décision qui a stupéfié tout le monde : l'arrêt immédiat des chaînes de télévision et de radios publiques, une décision justifiée par le coût trop important que représenteraient ces médias pour l'État. On ne vous a pas pour l'instant entendu réagir en tant que ministre des affaires européennes. Quel est votre commentaire sur cette décision ?
R - D'autres ministres du gouvernement français, notamment la ministre de la culture, ont dit ce que nous pensions. C'est une décision qui a été prise dans des conditions que l'on peut qualifier d'assez regrettables. Nous sommes pour un maintien évidemment du service public de l'information. C'est une donnée essentielle dans une démocratie et je trouve aussi par ailleurs que la décision du Premier ministre grec prend en quelque sorte en otage les autorités européennes, laissant à penser que cette décision qu'il a pris lui-même directement aurait été dictée par une instance européenne, que ce soit la Commission, la Banque centrale voire même le FMI puisqu'il se trouve que ces trois instances étaient en Grèce au moment où il a pris la décision. Non. C'est une décision qui a été prise par le Premier ministre du gouvernement grec, en son âme et conscience si je puis dire.
Q - Vous sous-entendez que le Premier ministre grec se défausse en partie sur ce qu'on appelle la troïka, c'est-à-dire FMI, Banque centrale et Union européenne, pour cette décision ?
R - Il profite en tout état de cause de la présence de ce qu'on appelle la troïka, qui était venue pour voir comment était mis en place le plan d'apurement des dettes engagé depuis plusieurs années en Grèce, pour fermer la télévision. On déplace en quelque sorte la responsabilité à l'échelle internationale mais, je le dis, il ne s'agit pas d'une décision qui aurait été dictée par une autorité à Bruxelles.
Q - Communiqué de la Commission européenne, puisqu'effectivement le soupçon pèse par moment sur la Commission : «La Commission n'a pas demandé la fermeture de l'ERT pas plus qu'elle ne conteste le mandat du gouvernement grec à gérer le secteur public». Le communiqué poursuit : «La décision doit être considérée dans le contexte des efforts considérables et nécessaires que les autorités prennent pour moderniser l'économie grecque». On n'est pas très loin du soutien explicite finalement à la mesure prise par le Premier ministre.
R - Non, non. Je crois que ce qui est dit, et ce que tout le monde partage, c'est que la Grèce doit continuer l'apurement de la dette qu'elle a supportée. Cela prendra des années. Ce que je retiens, moi, c'est qu'elle a déjà fourni beaucoup d'efforts vis-à-vis de la crise dans tous les domaines, pour repartir sur des bases plus saines pour retrouver le chemin de la croissance. Il faut saluer ces efforts et les encourager. Je retiens aussi de cet épisode sur la télévision grecque que le lendemain, le même Premier ministre annonce qu'il va recréer une société pour de nouveau réémettre à destination des Grecs. A l'échelle européenne, on est dans une démarche non pas d'austérité mais de sérieux budgétaire. Pour le coup, en Grèce, cette décision des autorités est un peu difficile à avaler. Je comprends celles et ceux qui se sont émus de la fermeture de l'antenne.
Q - Sur la méthode, est-ce qu'il vous paraîtrait concevable que le gouvernement français qui considérerait par exemple que le service public de l'audiovisuel coûte trop cher - FRANCE TÉLÉVISIONS, RADIO FRANCE, RFI - décide de couper les émetteurs en quelques heures et d'annoncer : «Dans quelques mois, on recréera une société de l'audiovisuel mais pour l'instant, c'est écran noir et silence radio» ?
R - On peut faire éventuellement, et évidemment comme vous le faites, des comparaisons de cette nature mais nous ne sommes pas dans une situation où nous serions amenés à prendre des décisions de cette nature. Je le redis, la méthode suivie en Grèce n'est pas du tout bonne, et aucune comparaison n'est possible. Je ne souhaite pas que vos auditeurs pensent qu'il y ait éventuellement un plan de cette nature. Ça n'a aucun fondement.
Q - Au fond, ma question c'est est-ce que vous considérez que ce geste s'inscrit dans une démocratie ?
R - C'est en tout état de cause une altération de la démocratie, puisque la presse, la télévision, la radio, sont des éléments constitutifs de la démocratie. C'est pour cela aussi que nous avons en France un secteur public qui est très fort, qui permet à chacun de s'exprimer, de donner ses positions. Bref, nous ne sommes pas dans la même situation et Aurélie Filipetti, sur cette question d'ailleurs, a été très claire hier.
Q - Est-ce que vous redoutez les conséquences politiques et économiques que cela peut avoir en Grèce ? Il y a un appel à une grève générale dès aujourd'hui.
R - Évidemment, ce n'est pas un service à rendre à la Grèce, ce type de décision. Par ailleurs, la Grèce est un pays qui a besoin de retrouver du dynamisme économique, et tout mois, toute semaine perdue, c'est aussi un nouvel affaiblissement de la Grèce, qui n'en a pas besoin, alors même qu'on voyait le bout du tunnel d'ici le début de l'année prochaine suivant les analyses des économistes.
Q - L'Europe et les politiques d'austérité en Europe sont en train de diviser le Parti socialiste qui prépare sa convention sur le sujet qui va avoir lieu samedi prochain. Le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, a réaffirmé mardi comme il l'avait déjà dit il y a quelques semaines qu'il fallait bien une confrontation avec Angela Merkel. Il l'a dit d'ailleurs devant Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Sur quelle ligne êtes-vous à ce sujet ?
R - Moi, je suis sur la ligne qui permet à la France, à l'Allemagne et à l'Europe d'avancer, c'est-à-dire de se dire les choses lorsque nous avons des divergences, lorsque nous avons des appréciations qui ne sont pas les mêmes avec nos amis allemands, mais ensuite de se dire : «Nous sommes responsables d'un compromis entre nous deux, France et Allemagne, parce que nous savons que l'Europe n'avance que sur la base d'un compromis franco-allemand». Donc il faut se dire les choses, mais ensuite se dire comment nous pouvons trouver les voies d'un compromis pour que l'Europe avance. C'est ce qui s'est fait depuis que François Hollande est arrivé. Je comprends que le Parti socialiste dise : «Il faut une Europe réorientée vers la croissance, vers l'emploi, une Europe qui ne soit pas celle de l'austérité». Ça tombe bien ! C'est ce que depuis un an nous plaidons à l'échelle européenne avec d'ores et déjà des avancées tangibles.
Q - Et vous n'avez pas en face de vous une interlocutrice trop intransigeante en la personne d'Angela Merkel ?
R - Je veux pour meilleure preuve de cette absence d'intransigeance, d'une flexibilité qu'on ne lui reconnaît pas toujours, le papier qu'elle a accepté de signer avec François Hollande le 30 mai dernier, et qui pose les jalons d'une nouvelle Europe, y compris en y intégrant dans des données sociales pour la conduite des politiques économiques, avec des indicateurs sociaux à construire, l'idée d'un salaire minimal dans tous les pays qui est aujourd'hui nécessaire, une relance des dispositifs européens pour accompagner la politique d'emploi pour les jeunes. Donc on le voit : même l'Allemagne bouge vis-à-vis de ce que la France demande.
Q - Vous avez rencontré avant-hier votre homologue turc. Que lui avez-vous dit à propos des événements qui se déroulent dans son pays ?
R - Évidemment, je lui ai rappelé qu'une grande démocratie doit aussi écouter les femmes et les hommes qui descendent dans la rue, et que l'usage immodéré de la force publique n'est pas la réponse adaptée. Au moment où la Turquie demande son adhésion à terme à l'Union européenne, c'est aussi sur ce genre de gestion que nous pouvons mesurer les efforts encore à faire pour rejoindre l'Europe.
Q - Elle s'éloigne de l'Europe en ce moment la Turquie ?
R - Elle souhaite en tous cas y venir, mais nous lui avons dit : «Démocratie» et puis regardez aussi ce qui se passe du côté de Chypre.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 juin 2013