Texte intégral
Début du débat :
Alain DUHAMEL : Bonsoir, voici donc le deuxième Grand Débat organisé RTL , en collaboration avec Le Monde, représenté ici par Anne-Line ROCCATI, rédactrice en chef politique.
Comme vous le savez, le principe de cette émission est de mettre face à face pendant une heure et demi deux personnalités nationales sur un thème choisi en commun auparavant, donc cette fois-ci nous parlerons bien entendu des réactions de la France après les attentats du 11 septembre, de l'euro et de la notion de souveraineté.
Aujourd'hui, sont face à face François Bayrou et Jean-Pierre CHEVENEMENT. C'est donc en réalité le premier Grand Débat entre deux candidats déclarés à l'élection présidentielle. Le premier qui ait lieu en fait depuis 1995. Alors c'est Jean-Pierre CHEVENEMENT qui va ouvrir le feu sur le premier thème, en fait quel type d'engagement attendez-vous de la France, après ces attentats ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je crois que ces attentats nous apportent d'abord une leçon. Le terrorisme est une très grave menace, considérablement sous-estimée pour les décennies qui viennent, peut-être le siècle qui vient. Et, face au terrorisme, il ne peut y avoir aucune espèce de concession, le terrorisme est un véritable poison pour la démocratie. Il nous laisse entrevoir un avenir qui pourrait-être un avenir d'affrontements. Non seulement comme on dit entre les civilisations, mais d'affrontements inter-communautaires, inter-ethniques, inter-religieux. Le terrorisme doit donc être combattu et il ne peut être combattu que par une résolution sans faille à l'échelle mondiale. Pourquoi à l'échelle mondiale, parce que c'est un phénomène mondial. On voit bien qu'il a ses racines en Asie, en Asie non seulement centrale mais également dans la région du Golfe, qu'il y ses prolongements non seulement aux Etats-Unis, mais également en Europe, qu'il a des relais vraisemblablement partout et par conséquent c'est une coopération internationale redoublée qui est nécessaire. Je dirais, je vais en terminer par là : la panoplie militaire classique telle qu'elle a été constituée est inadéquate pour lutter contre le terrorisme. On le voit avec le bouclier anti-missiles, quatre-vingts milliards de dollars et probablement davantage qui n'aurait pas servi à éviter cet horrible attentat. En France, le choix de la professionnalisation qui nous donne une toute petite armée dont l'effectif a été réduit de moitié depuis 7 ou 8 ans, avec tous les problèmes que cela pose, par exemple vis-à-vis de la protection des points sensibles. Ca m'amènera à proposer un renouveau de la réflexion sur les réserves. Peut-être la constitution d'un régiment de réserve par régions. Sur le plan du terrorisme lui-même, et je vais en conclure par là, je dirais que la France est probablement un des pays qui s'est le mieux préparé, je ne dis pas que nous sommes à l'abri, évidemment pas, mais nous sommes dotés d'un mécanisme centralisé de lutte contre le terrorisme et nous nous sommes dotés d'outils pour notre compte ou pour le compte des autres Européens, je pense au système de Shengen, le C6, qui nous permet véritablement d'avoir une veille 7 jours sur 7 et 24 h sur 24 par rapport, je dirais, aussi bien aux voitures volées, aux armes volées, aux billets volés, aux personnes recherchées. Nous avons donc un système relativement performant et nous pourrons revenir là-dessus si vous voulez tout à l'heure. J'aimerais montrer ce qu'on peut faire à partir du système tel qu'il existe et tel que je l'ai expérimenté moi-même pendant un peu plus de trois ans, place Beauvau au ministère de l'Intérieur.
Alain DUHAMEL : Alors François Bayrou, vous répondez et puis ensuite vous vous répondez.
François BAYROU : Je voudrais vous dire en une phrase que je trouve ce débat utile parce que c'est en effet deux visions très différentes compatibles sur un certain nombre de points, mais très différentes dans l'avenir et je trouve utile que l'on entre dans cette période en effet cruciale par un débat sur les idées. Alors que peut faire la France et que peut faire l'Europe. Si il y a un enseignement que cette crise et ce drame nous apportent, c'est que les États solitaires sont plus faibles, sont désarmés face à ce qui se passe. Chaque fois que l'on veut s'abriter derrière des frontières on ne se rend pas compte que en réalité ce sont les terroristes qui se servent des frontières comme d'une protection, puisque chaque fois qu'ils passent une frontière, eh bien le juge ou le policier du pays dont ils viennent ne peut pas les poursuivre. On s'en aperçoit, on le savait depuis longtemps mais on n'a pas fait grand chose pour lutter contre cet état de faits et donc pour moi la question et l'enseignement est très simple ; si l'on veut lutter efficacement contre le terrorisme et ses causes, si l'on veut que la sécurité de la France soit assurée, il faut plus d'Europe que nous n'en avons et il faut aussi que internationalement l'Europe puisse porter la voix qui est la nôtre et les exigences qui sont les nôtres. On le voit bien avec les extraditions. M. CHEVENEMENT a été ministre de l'Intérieur pendant longtemps, il connaît bien le cas de Rachid Ramda. Rachid Ramda c'est le financier des attentats cruels que nous avions eus il y a quelques années à Paris, en tout cas c'est de cela qu'il est accusé. Il y a 5 ou 6 ans que nous ne réussissons pas à obtenir son extradition depuis la Grande Bretagne voisine parce que les systèmes juridiques ne sont pas compatibles, eh bien c'est un crève cur, c'est la meilleure qu'il faut changer cela pour aller vers un espace judiciaire commun, non pas unique, mais en tout cas suffisamment articulé et compatible pour que quand un pays a les preuves que quelqu'un est le financier d'un réseau qui a fait des attentats et des morts dans un pays il puisse obtenir son extradition du pays voisin, c'est un exemple très simple et hélas cruel pour ceux que nous savons, donc il faut bâtir cet espace là pour nous défendre ensemble parce que si nous demeurons isolés nous faisons au terrorisme le cadeau de notre impuissance.
Anne-Line ROCCATI : Alors, la question que tout le monde se pose avant même d'entrer dans les détails ou dans les mesures spécifiquement françaises ou européennes, c'est aujourd'hui, les États-Unis on ne sait pas trop encore quelle réponse ils vont donner à l'attaque dont ils ont été victimes. Est-ce que vous pensez que la France doive suivre la politique américaine s sur le plan militaire, oui ou non, doit-elle suivre les États-Unis de manière inconditionnelle sur les questions militaires.
Alain DUHAMEL : Alors c'est d'abord Jean-Pierre CHEVENEMENT qui va répondre et ensuite François Bayrou.
François BAYROU : Oui, enfin, on ne peut pas imaginer qu'à chaque question ça soit Jean-Pierre CHEVENEMENT, mais enfin ceci est une modalité du débat.
Alain DUHAMEL : ce genre de hiérarchie et de protocole sont essentiels...
François BAYROU : Je vous voyais parti pour une soirée...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je cède mon temps de parole, si je puis dire, non pas mon temps mais mon tour.
François BAYROU : Non la France ne doit pas être alignée. Elle doit-être alliée et ce n'est pas la même chose, seulement il faudrait que sa voix compte et soit entendue, et pour l'instant on a l'impression que les Etats-Unis vont assumer l'essentiel de la riposte seuls, ils en ont le droit mais qu'ils choissent en Europe quels alliés seront les leurs, en qui ils mettront leur confiance et nous sommes, voilà, nous attendons pour voir qui va être choisi. Ca n'est pas l'idée que je me fais de la grande voix européenne, on voit bien que c'est avec les Anglais qu'ils veulent agir et que ils laissent de côté les autres. J'aurais aimé que l'Europe soit assez soudée et assez forte pour que elle agisse ensemble, pour que elle parle, elle s'exprime d'une seule voix et qu'elle agisse avec des armes respectables et assez fortes. Ce n'est pas le cas, nous n'avons pas les moyens de l'action, on y reviendra peut-être dans une minute.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : oui, bien sûr, nous devons nous comporter en alliés, nous sommes solidaires face à un acte aussi atroce, mais en même temps, nous avons notre point de vue sur cette grave question parce que sont en jeu aussi les intérêts de sécurité de la France, nous devons isoler les terroristes, les contenir, les couper autant que possible de ceux qui pourraient-être amenés pour d'autres raisons à sympathiser avec eux ou avoir avec eux la moindre indulgence, donc cela pose évidemment la question de notre politique à l'égard du monde arabo-musulman et, de ce point de vue là la France a le droit d'être informée, elle ne peut pas agir les yeux bandés, aucun engagement n'est envisageable si nous ne sommes pas étroitement associés à la définition des objectifs et au choix des moyens, c'est la moindre des choses que nous puissions réclamer, maintenant cela ne nuit pas et cela ne doit pas nuire à la coopération sur le plan des polices, je ni ai pas suffisamment insisté tout à l'heure, mais on doit mettre beaucoup plus de moyens dans la police, dans les renseignements et on doit faire naturellement le maximum et je crois que le maximum est fait pour éradiquer les réseaux Ben Laden ou du moins les prolongements qu'ils pourraient avoir dans notre pays. J'ai l'expérience, je serais très bref, de ce que nous avons fait en coopération avec des pays voisins, cinq pays voisins : l'Allemagne, la Belgique, la Hollande, la Suisse, l'Italie, un petit matin de mai 1998, quelques semaines avant le début de la coupe du monde de football, nous avions découvert une bombe qui n'avait heureusement pas explosé dans le XIXe arrondissement et quelques jours après, grâce à ce mécanisme centralisé qui fait qu'en France toutes les affaires de terrorisme viennent devant le tribunal de Grande Instance de Paris, 14ème section antiterroriste, les juges antiterroristes, et par ailleurs du point vue de la police, de la police judiciaire, il y a une division nationale antiterroriste qui centralise toutes les enquêtes en s'appuyant naturellement sur les services de renseignements. Eh bien je peux dire que ce grand coup de pied dans la fourmilière des réseaux a provoqué certainement assez d'inquiétude pour que un événement aussi difficile que la coupe du monde de football puisse se passer sans encombre et je vous assure que j'ai touché du bois à la fin de cette épreuve car c'était évidemment un moment où nous étions particulièrement vulnérables, donc je réponds à François Bayrou, il n'est pas besoin d'imaginer autre chose qu'une volonté commune des nations européennes, une Europe qui veuille effectivement pourchasser le terrorisme pour arriver au résultat s'agissant de la Grande Bretagne, c'est le système de la habeas corpus que vous mettez en cause, effectivement Rachid Ramda se retranche derrière toute une série de recours possibles et le ministre britannique qui était à l'époque Jack Straw que je questionnais, me disais qu'il était astreint par la séparation des pouvoirs à respecter la décision des juges britanniques et en définitive de la chambre des lords. Don c'est aux Britanniques peut-être de réfléchir à la manière dont ils peuvent changer leur système parce que entre les autres pays du continent ça ne pose pas vraiment de problème, sauf peut-être à la marge il y a eu quelques problèmes entre la France et l'Italie, mais il est vrai qu'entre également en considération le souci de la protection des libertés et on ne peut pas faire comme si ça n'avait pas aussi une certaine valeur.
François BAYROU : Jean-Pierre CHEVENEMENT nous dit, au fond ça va très bien comme ça. Moi je pense que ça ne va pas bien comme ça, ou que ça n'a pas l'efficacité que ça devrait avoir. Nous sommes devant une menace dont tout le monde voit bien qu'elle est très forte et probablement qu'elle peut avoir des développements beaucoup plus importants que ceux que nous avons vu hélas jusqu'à ce jour. On voit bien que le sol européen peut-être atteint, on voit bien qu'il existe des menaces, on entend des mots, on lit dans le journal des menaces toxiques, des gaz bactériologiques. En face de cela nous avons le devoir de faire un pas de plus pour nous défendre. Un pas de plus, on le disait dans la création d'un vrai espace de justice européen qui face par exemple qu'un mandat d'arrêt délivré en France par un juge sur ce motif soit immédiatement exécuté sur le sol de l'Union européenne autrement naturellement nous protégeons les terroristes de manière inacceptable et puis aussi c'est un aspect qu'on peut peut-être maintenant aborder du point de vue de la réponse même de la société française à ces menaces là. Je pense en effet qu'on sait désarmé trop facilement et moi je plaide pour réarmement moral au moins, en tout cas une capacité d'action de la société française. Regardez ce sont les parachutistes qu'on envoie dans les gares pour le plan Vigipirate. C'est très bien, mais s'il y avait une action extérieure qui, qui le ferait ? Qui surveillerait nos établissements publics ? Qui serait en situation d'agir pour protéger les populations. Les Américains ont leur Garde nationale, nous n'avons rien de cela et Jean-Pierre CHEVENEMENT évoquait l'idée de réserve, je trouve qu'elle est bonne, un régiment de réserve... Moi j'ai développé l'idée d'une formation des jeunes, d'un service civique universel qui puisse permettre en terme de secourisme, en terme de gardiennage, de surveillance des lieux sensibles, de faire que la société française soit en mesure de se défendre devant une menace dont nous avons bien, pour reprendre les mots de Jean-Pierre CHEVENEMENT lui-même à l'instant, dont nous savons bien qu'elle est peut-être la menace du siècle qui vient.
Alain DUHAMEL : Est-ce que je peux vous poser une question...
François BAYROU : Je vous en prie.
Jean-Pierre CHEVEMENT : Il y a eu une réforme importante décidée solidairement par le président de la République, Jacques Chirac, qui était la suppression du service national et la constitution d'une petite force de projection composée d'engagés. Cette décision a été prise en 1996 je me souviens bien, je crois d'ailleurs avec votre aval mais pas avec le mien parce que j'ai tout de suite pointé les effets pervers que ne manquerait pas d'avoir cette réforme et il me semble que, aujourd'hui, nous sommes confrontés à cette réalité. Les vrais menaces du XXIème siècle qui sont des menaces d'affrontements, je dirais non pas seulement entre civilisations, mais je dirais...
François BAYROU : de menaces intérieures...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : De menaces intérieures, je dirais que le monde est dangereux, est menacé par ce que j'appelle l'anomie l'absence de règles, c'est donc tout une réflexion qu'il aurait fallu avoir et qui n'a pas eu lieu à ce moment là, parce que la décision a été prise je dirais dans haut et comme d'habitude d'un autre système ratifié par une majorité aux ordres, donc ça nous interroge un petit peu sur la démocratie.
François BAYROU : Vous me permettez de vous répondre, je crois que vous avez raison. Il y avait deux choses et l'on n'a vu que l'une de ces deux. Il y avait en effet un besoin de modernisation de l'armée, je vous donne les chiffres de mémoire, vous avez été ministre de la Défense, quand vous étiez ministre de la Défense, la capacité de projection de la France était de l'ordre de 10.000 hommes. On est aujourd'hui, dit-on, à 30.000, en tout cas c'est ce que les experts militaires disent. On a accru par la professionnalisation notre capacité de projection, c'est bien mais ça ne suffit pas. Ce qu'on a pas vu c'était que, on allait avoir besoin de diffuser un sentiment de responsabilité et une capacité civique dans la société française de bâtir une défense territoriale, une défense civile, une capacité de réaction du peuple en face d'événements très graves. Pour l'instant, c'est toujours les professionnels qu'on appelle mais on voit bien que la société française va devoir se défendre elle-même. Donc je pense, je crois qu'il faut réfléchir à d'autres approches et celles que je propose, une formation civique, un service civique universel qui permette de former les jeunes Français et les jeunes Françaises d'ailleurs, à ces actions.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : J'irais même encore plus loin que vous, je dirais que notre vrai capacité de riposte elle est dans le civisme des Français et dans leur capacité à garder chevillé au coeur, je dirais la croyance en l'égalité des hommes qu'elle que soit leur origine, c'est cela qui fait la République et ce sentiment d'appartenance citoyenne et ce que nous devons maintenir pour éviter les dérives qu'on voit pointer à travers les appels d'un certain nombre d'hommes politiques extrémistes que je ne qualifierai malheureusement pas d'irresponsables parce qu'ils savent très bien ce qu'ils font. Un point l'histoire, la capacité de projection de la France était de plus de 20000 hommes on l'a vu pendant la guerre du Golfe, elle aurait pu être plus importante encore si on avait décidé de faire appel aux appelés volontaires comme cela a été le cas en Yougoslavie. Donc aujourd'hui...
Alain DUHAMEL : Mais vous n'y poussiez pas à l'époque de manière excessive.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Non, je ne le regrette pas parce que je pense que quiconque veut bien réfléchir au passé se dira que naturellement dans l'âme musulmane la guerre d'Irak, la guerre du Golfe qui a peut-être fait zéro mort ou en tout cas pas beaucoup du côté américain, mais qui en a fait 100 000 du côté irakien et qui se prolonge par un embargo qui dure depuis maintenant plus de 10 ans, tout cela n'a pas laissé l'âme musulmane indifférente et a nourri la rancoeur, le ressentiment, l'anti-américanisme. Il faut bien mesure la portée d'un certain nombre d'actes accomplis par des dirigeants à l'esprit léger et inconséquent qui d'une certaine manière ont fait le lit de l'intégrisme, de diverses manières, en réchauffant dans leur sein des vipères comme Ben Laden, mais également en utilisant des moyens tout à fait disproportionnés contre un régime dont on peut dire qu'il avait beaucoup de défauts et qu'il avait de grands torts, celui d'avoir envahi le Koweit, mais qui faisait quand même parti de la branche moderniste, en tout cas de la réponse moderniste qui existait dans le monde arabo-musulman.
Alain DUHAMEL : Vous répondez brièvement, mais Anne-Line Roccati a une question à vous poser à l'un et à l'autre.
François BAYROU : Si je puis répondre, c'est un problème très important celui que Jean-Pierre CHEVENEMENT évoque à l'instant. Parmi les facteurs qui font le lit du terrorisme en effet, il y a des sentiments d'humiliation très importants mais je ne crois pas qu'on puisse dire que la guerre du Golfe ait été une guerre injuste, je ne crois qu'on puisse dire...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Si vous vous promeniez un peu plus dans les pays musulmans, en Afrique du Nord, en Egypte ou ailleurs, vous me mesureriez l'immense impact qu'elle a eu dans la psychologie collective.
François BAYROU : Eh bien moi je crois que le régime de Saddam Hussein est un de ces régimes qui en effet ont nourri le terrorisme dans le monde, ont nourri le terrorisme dans le monde... s'il y a un endroit dans le monde où en effet les menaces bactériologiques ou chimiques ou de tous ordres, terroristes de tous ordres... ont été nourris, protégés, probablement favorisés. Je pense qu'on ne peut pas dire que l'Irak ait été à l'abri de toute responsabilité dans cette affaire et il me semble que de ce point de vue là il y a en effet une réflexion à avoir sur cet affrontement, cette guerre là dont je reconnais qu'elle n'est pas sans conséquence... qui n'était pas injuste, qui était...
L'Irak n'a pas utilisé les armes chimiques qu'elle avait en abondance pendant la guerre du Golfe et à ma connaissance n'a pas abrité des réseaux qui recourraient au terrorisme international et votre point de vue, tel qu'il vient d'être exprimé, reflète bien la méconnaissance profonde du monde arabo-musulman qui est celle de la plupart de nos responsables et c'est cette incompréhension, cette incapacité à distinguer les différents courants qui agitent le monde musulman maintenant depuis près de deux siècles mais qui ont connu, je dirais des avatars divers, c'est cette incapacité qui a conduit les Américains eux-mêmes, malgré mes mises en garde et moi j'ai gardé le souvenir d'une conversation avec Dick Cheney l'actuel président qui était à l'époque mon collègue à la Défense, je lui ai dit " écrasant l'Irak et si vous voulez vraiment ramener l'Irak à l'âge pré-industriel vous allez ouvrir un boulevard à l'intégrisme ". Si je le dis publiquement aujourd'hui, c'est que tout cela a dû être consigné dans les notes qui étaient prises par ses collaborateurs au mois d'octobre 1990.
François BAYROU : Vous avez démissionné du Gouvernement quelque chose comme le 15 ou 18 janvier...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Non, non, j'ai envoyé ma lettre de démission le 7 décembre...
François BAYROU : Et il y avait 6 mois, presque 6 mois que cette action était en cours, que le président de la République que vous aviez fait élire et que vous serviez était un acteur de la préparation de cette guerre, c'est donc dire que pendant longtemps vous avez dû hésiter sur ce point.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je n'ai pas hésité, j'ai cherché à peser de tout mon poids qui était ce qu'il était pour éviter une issue catastrophique et pour retenir en effet une guerre que j'estimais...
Alain DUHAMEL : Jean-Pierre CHEVENEMENT et François Bayrou on va marquer une page de publicité et les dernières informations avec Florence Cohen et ensuite nous reprendrons.
Alain DUHAMEL : Alors de nouveau le grand débat. Nous passons cette fois-ci au second thème, c'est-à-dire maintenant qu'est-ce qu'on fait de l'euro... Est-ce qu'il faut une politique de relance et à quelle échelle... une question, Danielle Roccati...
Anne-Line ROCCATI : La première question qu'on a envie de poser, c'est que l'euro, c'est en janvier, alors est-ce qu'il faut geler ou différer l'arrivée de l'euro, comme le propose Monsieur Pasqua hier, comme le proposait M. Pasqua hier... qu'en pensez-vous M. CHEVENEMENT...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je pense que ce choix eût été raisonnable, non pas l'euro lui-même parce que l'euro existe, il existe depuis 1999... le franc, comme le mark n'est plus qu'une subdivision de l'euro, mais j'ai toujours été partisan d'une monnaie commune, de ne pas bouleverser les repères de nos concitoyens et à tout le moins, c'est la proposition que j'avais faite, de reporter l'euro-fiduciaire, c'est à dire l'euro sous forme de billets et de monnaie, par conséquent, de retarder la conversion forcée qui va intervenir, maintenant on le sait, entre le 1er janvier et le 17 février prochain... c'eût été le bon sens parce que c'est quand même très difficile de faire des divisions par 6,55957 et on peut parier que beaucoup de personnes fragiles, et même pas très fragiles, je dois dire que moi-même, je me retrouve difficilement dans mes comptes en euros et la première fois que j'ai touché un chèque en euros, je me suis aperçu que je m'étais fais sérieusement caroté... Donc, je pense que tout cela va saper d'une certaine manière la confiance qui est la base de toute monnaie, car la monnaie est le symbole de la confiance... Maintenant que j'ai écris à tous les chefs d'état et de gouvernement, leur réponse est convergente, ils ont décidé de sauter dans le noir, sans mesurer, non seulement qu'ils allaient priver nos concitoyens dans chaque pays, de repères qui leur étaient familiers depuis longtemps... je rappelle que le franc a le cours légal en France depuis 1795, qu'il existe depuis 1380, si mes souvenirs sont bons... c'est donc un vieux repère... on se plaint qu'il n'y en a déjà pas beaucoup... on va l'enlever... et puis surtout j'aimerais qu'on réfléchisse... Nous allons juxtaposer des économies qui sont très différentes dans leurs structures... naturellement, à partir du moment où il y aura des mêmes prix qui apparaîtront en euros, ça va conduire à un certain alignement, dont on peut espérer qu'il se fera plutôt vers le haut... on voit d'ailleurs que la valse des étiquettes débouche sur des augmentations sensibles... J'ai apporté deux exemples : 90 lentilles optiques qui valaient le 30 juin 430F, valent aujourd'hui depuis le 16 août, 100 euros, soit 655F. donc vous voyez une augmentation de près de 15% ; un vêtement au pressing bon marché qui coûtait 18F, il va valoir 3 euros, soit 19, 7F. 10 % d'augmentation. Et je pense que naturellement ce changement de monnaie va déboucher sur d'une part une poussée inflationniste, d'autre part des comportements de restriction de consommation et à plus long terme, va entraîner des alignements, comme on l'a vu par exemple dans la réunification allemande entre la RDA et la RFA, on a vu que les prix peu à peu sont devenus les mêmes... Mais ça va naturellement jouer au détriment des pays les moins développés, des régions les moins développées et je pense que ceux qui ont fait ce choix de l'euro, ils vont devoir le soutenir et moi, je sais très bien que tous les responsables européens et je me considère comme tel, devront faire en sorte qu'à travers le mécanisme de l'euro-groupe, on créé une coopération monétaire renforcée, un gouvernement ou un embryon de gouvernement qui soit capable dans ce domaine, de prendre un certain nombre de décisions pour éviter que l'euro ne redouble encore la récession dans laquelle nous sommes engagés... Donc au fond, ce que je dirais, c'est que l'en jeu est maintenant de savoir comment on peut éviter une récession prolonger, de quels moyens de relance nous allons pouvoir nous servir, étant donné que vous le savez, la banque centrale européenne indépendante n'obéit pas aux gouvernements, ses statuts font qu'on ne lui a donné qu'un seul objectif, la lutte contre l'inflation, comme si nous étions encore dans les années 70, au moment des chocs pétroliers, donc je vois beaucoup d'incohérences... et pour terminer, je dirai que ceux qui nous aurons précipités sur ces récifs, il est quand même difficile de leur faire confiance pour la suite, parce qu'ils nous conduiraient à un naufrage définitif.
Alain DUHAMEL : Alors François Bayrou, vous vous sentez un capitaine dangereux ?
François BAYROU : J'ai essayé de suivre le raisonnement de Jean Pierre CHEVENEMENT... je dois dire que j'ai eu du mal... parce qu'il nous explique que c'est très très mal, l'euro, que ça va faire beaucoup de mal, au prix, en inflation, aux régions pauvres, aux régions riches, enfin à tout le monde... que ça va faire beaucoup de mal... que cependant il faut le faire... et qu'il faut s'en servir pour en effet affronter les temps difficiles que nous allons vivre... Alors je comprends bien la difficulté dans laquelle il se trouve, mais pour moi, ma pensée sera beaucoup plus simple. L'euro c'est une bonne chose et on le voit tous les jours parce que dans la crise que nous traversons, c'est l'euro qui nous protège des remous qu'on aurait eu autrement, de dévaluation, de financiers qui jouent une monnaie contre une autre... c'est l'euro qui nous protège... c'est l'euro qui nous aide... la preuve, c'est que malgré ces remous là, on a pu baisser les taux d'intérêt en europe alors qu'on aurait hélas pas pu le faire autrement et de loin... donc c'est une bonne chose.
Deuxièmement, c'est formidable de vivre ce que nous allons vivre parce que Jean Pierre CHEVENEMENT a fait allusion à l'histoire, c'est la première fois dans l'histoire, sauf il y a 150 ans et pour quelques années seulement, sur le territoire de l'allemagne actuelle, mais c'est la première fois dans l'histoire que des peuples choisissent librement de se donner ce signe d'appartenance à une maison commune qu'est une monnaie... Et il faut le vivre comme quelque chose qui va nous faire entrer dans un nouveau siècle... il ne faut pas y entrer à reculons... et enfin, faut-il le faire maintenant ? bien sûr qu'il faut le faire maintenant... ça fait des mois et des mois... 18 mois ou deux ans qu'on s'exerce, que nos concitoyens voient le double affichage... il y a un moment où il faut avoir le courage de sauter le pas et de dire clairement ce que l'on veut... Le peuple français a voté contre l'avis de M. CHEVENEMENT, mais le peuple français a voté, il a choisi d'entrer dans cette ère nouvelle que représente une monnaie... c'est évidemment le moment de le faire, et ça va nous donner le moyen d'agir sur les temps que nous traversons, et peut être de soutenir, s'il en est besoin et il peut en être besoin, l'activité économique.
Alain DUMAHEL :Vous n'avez pas répondu sur un des poins que Jean Pierre CHEVENEMENT avait soulevé, qui est l'impact ou non inflationniste.
François BAYROU : Je crois que ce sont des adaptations, qu'elles joueront une fois sur deux à la hausse et une fois sur deux à la baisse... que de toute façon, au bout de trois mois, tout cela sera derrière nous, et qu'il vaudrait mieux réfléchir à la manière dont on peut aider ceux qui vont porter l'essentiel de l'effort, c'est à dire les commerçants et les personnes qui travaillent dans les commerces, qui vont avoir en effet à guider les premières semaines. Je trouve que si on pouvait leur faire un signe de reconnaissance d'un côté et puis leur apporter une aide ou un soutien, ce serait très bien parce que c'est en effet les boulangers, les bouchers et les personnes qui travaillent dans les boulangeries et les boucheries qui vont avoir à supporter l'essentiel de l'effort. Je trouve qu'on ne dit pas beaucoup et je trouve juste qu'on le dise ici. Donc, pour moi, je ne suis pas inquiet des adaptations qui vont être évidentes mais dont je pense qu'elles se feront une fois sur deux dans le bon sens.
Anne-Line ROCCATI : Pour vous M. Bayrou, donc, l'euro, sur le plan économique, est une arme efficace pour traverser les périodes de turbulences que nous allons connaître sur le plan économique, et deux, il aide à construire une identité européenne... cette monnaie unique aide à construire une idendité européenne. M. CHEVENEMENT ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Merci Mme Roccati, d'avoir développé la pensée de M. Bayrou. Je voudrais quand même rappeler qu'au moment où le peuple français a été consulté sur le traité de Maastricht, il n'avait pas vraiment pris conscience qu'il allait perdre le franc... et Jacques Chirac s'était engagé en 1995 à consulter à nouveaux les français sur ce problème de l'euro, et bien évidemment, il ne l'a pas fait... mais je ne crois pas qu'on puisse parler d'un choix libre des peuples, disons que les dirigeants et en particulier les dirigeants de banques centrales, les dirigeants politiques ne faisant que cautionner, ont décidé dé faire ce grand saut, de sauter le pas, comme dit M. Bayrou, mais...
François BAYROU : M. CHEVENEMENT, si c'est si mauvais que ça pourquoi ne proposez-vous pas d'en sortir ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT : J'ai proposé aux dirigeants européens de reporter la date d'entrée de l'euro-fiduciaire.
François BAYROU : Jusqu'à quand ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Ils m'ont répondu en chur qu'il n'en était pas question et je sais qu'au point où les choses sont arrivées, ils ne le feront pas... Mais je m'inquiète des conditions dans lesquelles va fonctionner cette monnaie unique alors qu'elle ne dépend que d'une banque centrale indépendante dont les statuts précisent qu'elle doit avant tout lutter contre l'inflation... et dont on sait qu'elle considère qu'en dessous de 11% de chômage, il y a péril en la demeure, péril inflationniste s'entend... c'est ce qu'on appelle le "naroiu", en langage technique... excusez-moi je vais parler anglais... "non accelerating rate of inflation unemployment..." vous m'avez compris, cela veut dire qu'il y a un taux de chômage qui, aux Etats-Unis, est considéré comme tolérable à 4,5%, mais en dessous de 11% en Europe, M. Duisenberg et les dirigeants de la banque centrale considèrent qu'il y a danger de retour à l'inflation... Donc, je constate que la Banque Centrale, par exemple, par sa politique des taux, a largement contribué au ralentissement de l'économie européenne, au début de l'année 2001, alors qu'il aurait été très judicieux d'imiter la Federal Reserv Board américaine, qui à 7 reprises, a baissé ses taux d'intérêt.
François BAYROU : Ce que nous venons de faire...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Effectivement avec beaucoup de retard, mais nous sommes déjà en plein ralentissement de l'activité économique et je suis très inquiet pour la suite, parce que je pense que dans cette zone très hétérogène, où il y a des pays comme l'Allemagne, mais il y a aussi des pays comme la Grèce, le Portugal, parmi les pays riches et développés, on pourrait citer la Suède, et en France même il y a des différences quand même très importantes... je crains que le fonctionnement même de cette zone monétaire unique conduise au renforcement des zones riches de ce qu'on appelle "la banane bleue", grosso-modo de Londres à Milan, et de contribuer à la désertification des autres régions d'Europe... Voilà la raison pour laquelle je préconise une réforme du statut de la Banque Centrale Européenne et l'institution d'une coopération monétaire renforcée au niveau de ce qu'on appelle l'euro-groupe, c'est à dire les ministres des finances des 12 pays concernés...
Alain DUHAMEL : Alors, François Bayrou, vous répondez à Jean Pierre CHEVENEMENT.
François BAYROU : Ce que vous voudrez... mais je m'efforcerai de dire ce que je pense.
Alain DUHAMEL : Faut-il une relance organisée au niveau européen ou pas ?
François BAYROU : Eh bien merci, j'essaierai d'obéir à vos injonctions... J'ai un peu de mal à suivre, parce que c'est tout de même un sujet très important... Jean Pierre CHEVENEMENT multiplie les objections... Il explique tout ce que l'euro va avoir de nuisible... mais alors pourquoi ne va-t'il pas jusqu'au bout, et pourquoi ne propose t'il pas clairement d'en sortir, de ne pas adopter l'euro... de revenir à la situation...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : J'ai demandé il y a trois ans au président de la république d'organiser le référendum qu'il avait promis, il ne l'a pas fait... que puis-je faire au sein de l'assemblée nationale, je suis évidemment minoritaire.
François BAYROU : Ces élections présidentielles, que nous allons vivre pendant 8 mois...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : 7 mois.
François BAYROU : C'est un enjeu très important... ce qui me semble c'est que vous faites bien attention à ne pas proposer qu'on en sorte... vous multipliez les avertissements, mais vous ne proposez pas d'aller au bout de cette démarche... si c'est si mauvais que ça, eh bien il faudrait que les responsables, en tout cas ceux qui se présentent à une élection, proposent d'en sortir... ce que je crois, c'est que vous en voyez les avantages qui sont nombreux et en particulier ceux qui permettent de créer pour l'Europe, un avantage que les Etats-Unis ont eu seuls pendant des décennies, grâce au dollar, et qui était de pouvoir avoir une monnaie à un taux raisonnable, à un taux de change assez bas et en même temps des taux d'intérêt bas... Nous quand nous étions avec nos monnaies nationales différentes, il se passait ceci, c'est que chaque vous que nous avions un taux de change bas, il fallait des taux d'intérêt hauts... c'était une balance... nous souffrions, et vous l'avez dit souvent, des taux d'intérêt qui étaient les nôtres... c'était la division de nos monnaies et le fait que les spéculateurs jouaient l'une contre l'autre... Nous sommes définitivement à l'abri de ces jeux de spéculation contre nous... c'est un immense avantage.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Permettez-moi de vous interrompre à mon tou...
François BAYROU : Dans une circonscription comme la mienne, j'ai fini ma phrase, quand Turboméca vend un sur deux des moteurs d'hélicoptères qui volent dans le monde grâce à une monnaie revenue à un taux raisonnable face au dollar, eh bien c'est une chance extraordinaire pour les employés, pour les ouvriers, pour la vie locale, donc pour la France.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Alors François Bayrou, tous ces avantages, je l'ai dit pour commencer, nous les avons déjà, c'est une monnaie commune... c'est à dire nous avons des liens fixes entre les différentes monnaies, des parités fixes.
François BAYROU : Contre votre avis.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Non pas contre mon avis... j'ai toujours été partisan d'une monnaie commune et je peux vous ressortir des articles de 1987 ou 1989 où je dis "le bon choix, c'est la monnaie commune"... c'était d'ailleurs l'avis à l'époque de M. Balladur.
François BAYROU : Pourquoi avez-vous voté non à Maastricht.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : J'ai voté non à Maastricht parce que outre la monnaie unique, dont je pense qu'elle aura beaucoup d'inconvénients, Maastricht procède de l'idée de l'effacement des identités nationales et moi je veux que la France continue... y comrpris au sein de la zone euro.
François BAYROU : Puis-je vous interrompre à mon tour.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je ne veux pas que la France reste dans les mains de ceux qui l'ont conduite sur ces récifs... Je pense qu'elle mérite un meilleur capitaine et je vous rappelle que l'élection présidentielle, c'est au début de mai 2002, alors que la conversion forcée du franc en euro aura lieu le 17 février.
François BAYROU : Alors sur cette phrase, "la France mérite de meilleurs capitaines", je suis prêt à la signer avec vous, mais ceci est une autre affaire...
Je reviens un seconde au sujet... en essayant de simplifier ce que nous disons l'un et l'autre... Vous dites, "j'étais pour une monnaie commune"... nous l'avons... mais tous les inconvénients que vous avez dénoncés longuement, du fait que les régions n'ont pas le même degré de développement et que les unes pourraient souffrir de la politique adaptée aux autres... c'est la même chose, c'est les mêmes risques avec une monnaie commune...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Il y a des possibilités d'adaptation.
François BAYROU : Alors ça n'est plus une monnaie commune.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Disons que les choix sont moins irréversibles... ils peuvent intervenir dans certaines limites, mais aujourd'hui, vous constatez que par exemple l'Irlande, le Portugal, l'Espagne, ont des taux de croissance et des taux d'inflation beaucoup plus importants que les autres...
François BAYROU : C'est le cas de beaucoup de régions françaises aussi... entre la Franche-Comté et l'Aquitaine, et Rhône-Alpes et la région Parisienne, les vitesses relatives de croissance ne sont pas les mêmes... on sait bien qu'il y a tous les jours des régions qui vont plus vite que d'autres... ça ne nous empêche pas de vivre ensemble et ça ne nous empêche pas de chercher en effet, de quelle manière arranger la situation de tous... c'est ce qu'on appelle une politique d'aménagement du territoire... vous la connaissez bien... vous en avez été chargé... parce que en effet, lorsqu'on est dans un ensemble avec une monnaie commune, il faut une autorité politique capable de dire "telle région a besoin de notre aide, et telle autre doit faire preuve de solidarité".
Jean-Pierre CHEVENEMENT : A ceci près que pour construire la France qui en effet est un édifice auquel je tiens, il a fallu près de dix siècles et qu'il me semble que vous vous trompez sur le rythme car pour construire l'Europe, il faut du temps... il faut bâtir un sentiment d'appartenance... cela ne se fait pas du jour au lendemain... la démocratie, c'est quand même l'acceptation par la minorité de la loi de la majorité... ça ne va pas de soi et je crois que vous vous trompez sur le rythme qu'il est possible d'imprimer à cette construction et le maintien d'une certaine souplesse dans les relations entre les différentes nations qui composent l'Europe, eût été une sage précaution.
François BAYROU : Eh bien je vais vous faire une confidence historique... que vous ne répéterez pas mais que vous ne récuserez pas non plus... l'Europe existait avant que les nations n'existent... Au Moyen Age, les étudiants européens, les artisans européens.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Vous revenez au Moyen-Age... j'ai un peu de peine à vous suivre...
François BAYROU : passaient d'universités européennes... ça n'est pas un sujet à sourire... passaient d'universités européennes à d'autres universités européennes et ça a fait le tissu culturel intellectuel de l'Europe... Nous étions.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Vous pourriez aussi nous parler des ordres monastiques pendant que vous y êtes.
François BAYROU : Pourquoi pas... je veux bien vous en parler, ça ne me gênerait pas.
Alain DUHAMEL : François Bayrou, avant la pause, il nous reste deux minutes et demi... est-ce que vous pourriez utiliser une minute pour dire si oui ou non vous êtes en faveur d'une relance européenne ou pas et qu'ensuite Jean Pierre Chevèmement puisse vous répondre, parce qu'autrement on passera au thème suivant et on ne le saura toujours pas...
François BAYROU : C'est très simple... c'est comme dans une voiture, il y a un accélérateur et il y a un frein... je suis partisan d'utiliser l'accélérateur chaque fois que nécessaire, notamment quand il faut monter une côte un peu rude... hélas, la question qui se pose, c'est de savoir si nous avons le carburant nécessaire pour ce faire... nous ne l'avons pas aujourd'hui parce que les gouvernements successifs, et notamment celui auquel Jean Pierre CHEVENEMENT participait, n'ont pas donné à la France les marges de manoeuvre nécessaires pour pouvoir appuyer sur l'accélérateur aujourd'hui...
Alain DUHAMEL : Jean Pierre CHEVENEMENT...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je crois qu'au fond de ces discussions, chacun comprend que nous sommes embarqués dans une affaire... mais ce sont les arrière-pensées qui m'intéressent et je pense que les artisans de l'euro, M. Jospin, M. Chirac, qui s'est aussi prononcé pour le traité de Maastricht, M. Bayrou, les artisans de l'euro, veulent évidemment, en supprimant le franc, gommer quelque chose de l'identité de la France...
François BAYROU : On n'est plus dans la France là.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Et je dois le dire et nous revenons à la question du rythme, pour moi, c'est inacceptable... pour moi, la France ne doit pas disparaître, elle ne doit pas disparaître avec le franc, elle doit continuer à vivre et à faire entendre sa voix, y compris quand notre monnaie s'appellera l'euro... et puis ensuite, nous verrons, nous nous adapterons avec pragmatisme, mais sans pour autant nous priver d'aucune espèce de voie de sortie.
Alain DUHAMEL : C'est une excellente transition parce que c'est justement le troisième thème que nous traiterons après cette pause de publicité.
Alain DUHAMEL : Alors c'était à François Bayrou de terminer sur ce qu'il nous disait juste vant la pose, François Bayrou.
François BAYROU : Non, je voudrais répondre à ce que Jean-Pierre CHEVENEMENT évoquait à l'instant. Il disait, pour agiter une espèce de peur profonde, il disait je ne veux pas que la France disparaisse avec le franc. Mais qui peut croire, imaginer, accepter cette idée que parce que nous aurons des euros en poche, des billest en euros en poche et des billets et des pièces et non pas des billets et des pièces en francs, qui peut croire que la France disparaîtra pour autant. Je ne me sentirais pas une seconde moins Français parce que je serais plus Européen. Je crois à la France, je crois à sa culture, je crois à sa langue, je crois à sa poésie, je crois à sa politique, à sa démocratie, au débat qui existe entre nous et je n'ai pas l'impression que l'Europe le menace, je crois au contraire que l'Europe peut l'aider. Parce qu'il existe un certain nombre de questions auxquelles la solitude française, l'isolement français ne peut pas trouver de réponse et ces questions là, l'Europe peut leur offrir une réponse, je prends un seul exemple, militaire, si c'était à nous qu'était arrivé le malheur américain et si au lieu des tours du World Trade Center c'était la tour Montparnasse qui avait été visée ou atteinte, est-ce que nous aurions les moyens de la riposte ? Et je site un seul exemple, pour cette riposte il faut des porte-avions, les Américains en ont onze ou douze je crois, nous nous en avons un seul et il est en cale sèche, à Toulon, et d'ailleurs s'il n'était pas en cale sèche nous serions un peu embêtés parce que nous n'avons pas les avions pour atterrir sur ce porte-avions et Jean-Pierre CHEVENEMENT le sait bien. Les avions anciens sont à la réforme et les avions nouveaux ne sont pas encore prêts. Eh bien je dis que ces moyens là d'action, de souveraineté, ces moyens qui permettent à un peuple et à un pays d'intervenir sur les affaires du monde, de faire entendre sa voix et s'il le faut de frapper sur la table et s'il faut de frapper les assassins. Ces moyens là nous ne les aurons que si nous nous mettons ensemble.
Anne-Line ROCCATI : Alors il faut créer une armée européenne ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Ecoutez, moi je suis très surpris d'entendre M. Bayrou qu'il faut des porte-avions pour lutter conter le terrorisme. Je crois que le porte-avions...
François BAYROU : Eh bien vous allez voir, je crois les Américains ont en quatre je crois sur la zone
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Oui, ils ont onze porte-avions en effet et je ne pense pas que ce sera un argument décisif dans la lutte contre le terrorisme qui est une lutte résolue, de longue haleine, multiformes.
François BAYROU : Multiformes, c'est-à-dire militaire, financière, mais militaire aussi.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais raisonnons à l'échelle qui est la notre, un pays comme l'Afghanistan est traditionnellement un enjeu entre, d'une part les Russes et d'autre part, les Anglo-Saxons. Hier, les Britanniques, aujourd'hui les Américains. Mais enfin les Britanniques sont présents au Pakistan, le Pakistan faisait partie de l'empire des Indes. Là-bas nous sommes dans une région que je connais bien pour y être allé, mais ou véritablement, sauf sous la forme d'archéologue, peu de Français y ont vraiment mis durablement le pied. Et notre zone d'affluence et de préoccupation, c'est la méditerranée, c'est à la limite jusqu'au Proche-Orient et pour cela nous avons besoin d'abord d'une aviation qui le cas échéant peut être ravitaillée en vol et nous n'avons pas besoin d'avoir onze porte-avions si nous le voulons et d'ailleurs toujours nous devons étudier ceux que peuvent être les moyens de la riposte. Je ne pense pas très franchement que aujourd'hui les autres pays européens si je mets à part la Grande Bretagne, mais qui est étroitement alignée sur les Etats-Unis, mais je ne crois pas que les autres pays européens soient prêts à faire l'effort de défense qui nous permettrait de rivaliser avec la machine américaine qui d'ailleurs ne répond pas au problème posé et, s'agissant de l'Europe, j'écoute toujours avec plaisir M. Bayrou je dois dire, mais quand j'ai entendu M. Berlusconi et quand j'ai entendu M . Blair, je me demande ce qu'on pourrait faire avec eux. Parce que M. Blair sera toujours avec les Américains, quoiqu'il arrive et M. Berlusconi tient des propos qui sont peu censés et qui manifestent une grande insensibilité à l'égard de ce qu'est le monde arabo-musulman, c'est-à-dire un milliard d'hommes et je pense que la voix de la France elle est absolument nécessaire, parce que au moins je dois dire que notre ministre des affaires Etrangères, Hubert Védrine, s'est exprimé à bon escient, avec une analyse précise, fine et remarquablement adéquate par rapport au problème qui nous est posé. Donc je pense que c'est la voix de la France... attends...
François BAYROU : La question est de savoir comment on le mieux faire entendre la voix de la France. Isolée, coupée de ses voisins comme vous venez d'en donner l'exemple. Les Allemandes d'un côté, les Italiens de l'autre, les Anglais du troisième. Aucun de vos voisins, de nos voisins, ne trouvent grâce à vos yeux. Eh bien je considère moi que nos voisins ne sont pas des étrangers pour nous. Je considère que nous appartenons à la même maison, que nous avons non seulement les mêmes valeurs mais les mêmes intérêts sur le long terme, le moyen terme et je crois aussi le terme immédiat. Je considère que c'est avec eux que nous devons construire l'avenir et passer son temps toujours avec cette idée d'appuyer sur les peurs ou les vagues sentiments de mauvais voisinage qui consiste à mettre toujours en avant les défauts des autres. Je ne crois pas que ni M. Blair ni M. Aznar ni les Italiens, ni les Allemands, doivent être perpétuellement séparés ou divisés des Français et que la voix de la France et le meilleur moyen de la faire entendre, c'est de construire une maison commune avec eux.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Alors, concrètement, cela veut dire qu'on envoie la Troïka européenne faire la tournée des capitales. Qu'est-ce que cela donne ? Cela donne, M. Patten, commissaire européen aux Relations extérieures qui est l'ancien gouverneur de Hong Kong, on s'en souvient, tout le monde s'en souvient dans le monde arabe et ailleurs. M. Solana qui est l'ancien secrétaire général de l'OTAN, ce qui évidemment introduit une certaine connotation et puis cet excellent ministre des Affaires étrangères belges, M. Michel, qui passe son temps à réparer les dégâts qu'à fait M. Berlusconi. Permettez-moi de vous dire que le général de Gaulle et même François Mitterrand quand ils parlaient ça s'entendait et ça avait de la gueule.
François BAYROU : Voilà, très bien. Eh bien de la gueule alors. C'est précisément là que nous en sommes. N'est-ce pas. Vous ne pouvez pas Jean-Pierre CHEVENEMENT... j'allais dire François Mitterrand... vous ne pouvez pas regarder la vie ou la route qui est devant nous dans le rétroviseur perpétuellement. Les temps dans lesquels nous sommes. Le général de Gaulle avait bâti notre défense sur la bombe atomique. Sur la dissuasion nucléaire, mais aujourd'hui ça n'est plus me semble-t-il là que se joue la crédibilité de la défense française et notre capacité d'action. C'est sur tout autre chose.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais vous savez la défense elle a surtout pour but de soutenir la diplomatie et le général de Gaulle avait une diplomatie qui reposait, il le disait lui-même, sur une certaine idée de l'homme et cela que la France doit porter.
François BAYROU : Voilà et là nous sommes dans le... Pardonnez-moi, je ne veux pas vous offenser, mais là nous sommes peut-être dans le verbe et peut-être même dans le verbeux. Alors essayons d'éviter ce... Voilà... il y a des moments ou se vérifie la capacité d'action d'un peuple ou d'un ensemble de peuple et cette capacité d'action aujourd'hui en matière militaire dont vous avez eu la charge elle est faible. Alors si vous me dîtes que ça ne sert qu'à soutenir la diplomatie, alors en effet, pourquoi dépenser quatre-vingts milliards de francs par an pour bâtir un outil de défense...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Sauf si on part à la guerre... Mais à qui...
François BAYROU : Non je veux faire la guerre, je veux être prêt à répondre à nos ennemis, si nous en avions comme les Américains sont prêts à le faire aujourd'hui devant une attaque épouvantable, devant une attaque épouvantable. Je ne veux pas que M. Ben Laden ou ses Séïds règnent sur le monde. Je veux être capable, avec mes alliés européens, de leur dire " Messieurs, vous nous avez frappé, vous serez punis pour cette frappe. Messieurs, vous nous avez défié nous ne tolérerons pas que vous veniez atteindre nos femmes et nos enfants.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais vous savez, l'éradication du terrorisme est une oeuvre infiniment plus complexe que celle que vous semblez imaginer.
François BAYROU : Je suis prêt à le signer avec vous mais je ne suis pas fier de notre faiblesse actuelle. Je ne suis pas fier de notre inconsistance actuelle.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais écoutez, vous passez votre temps à battre votre coulpe, à faire repentance, mais la France...
François BAYROU : Sur quoi est-ce que je fais repentance...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais la France n'a pas à battre sa coulpe en permanence et je dirais que dans une affaire comme celle-là, être aux côtés des Etats-Unis pour les aider à élucider les tenants et aboutissants des réseaux Ben Laden dont je rappelle qu'ils sont le produit de la politique américaine qui a utilisé l'intégrisme wahhabite contre l'Union Soviétique avant que cet intégrisme se retourne contre elle au moment de la guerre du Golfe. C'est une histoire que chacun connaît. Donc il me semble que ce qui est important c'est d'avoir une vision d'une monde, une diplomatie qui permette de défendre nos intérêts bien compris et le cas échéant par les armes, mais à condition que les armes soient toujours bien ciblées...
François BAYROU : Par les armes à condition d'avoir des armes...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : mais à condition d'avoir des armes bien ciblées et c'est cela qui m'étonne des dirigeants politiques.
Alain DUHAMEL : Monsieur CHEVENEMENT...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Permettez moi de vous dire à verbeux, verbeux et demi.
Alain DUHAMEL : Oui, absolument...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je vous dirais quand même que l'utilisation des armes elle doit faire l'objet d'une analyse précise. On doit les utiliser à bon escient car il est très facile d'ouvrir la boîte de Pandore de la guerre ensuite on ne rattrape pas ses conséquences. C'est comme cela qu'en 1914 on a laissé échapper les démons qui ont empoisonné notre XXème siècle.
François BAYROU : Ce sont les démons du nationalisme que vous servez par ailleurs, mais je voudrais revenir... je voudrais revenir à une formule que vous avez utilisé au moins trois fois. Je vais le faire en termes nuancés si je peux. Je ne pense pas qu'il soit juste, ni même pour aller au fond de ma pensée, qu'il soit acceptable, de toujours présenter les choses comme si les Etats-Unis étaient les responsables du terrorisme qui les a atteint. Je trouve que...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je n'ai jamais dis une chose pareille...
François BAYROU : Si, si... vous dîtes.. que chaque fois c'est le résultat de la politique américaine.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je rappelle ce fait.
François BAYROU : Chaque fois.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais je pense que l'intégrisme a aussi sa logique qui n'a rien à voir avec les Etats-Unis, Israël ou l'Occident.
François BAYROU : Eh bien essayons de dire...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais les deux choses sont vraies, d'une part l'intégrisme a sa logique et d'autre part bien évidemment la politique de l'Occident et des Etats-Unis a été une politique très inconséquente.
François BAYROU : Il n'est pas juste de présenter les choses et c'est la troisième fois que vous l'avez fait ce soir, en laissant entendre et beaucoup de gens nous écoutent qui pourraient s'y tromper. En laissant entendre que c'est la faute quelque part des Américains si ce démon a pris forme. Il est vrai que ce démon s'est nourri d'un sentiment de déséquilibre du monde et il vrai que si nous voulons penser l'avenir de la planète il faut le penser en terme de justice. Mais nous ne pouvons pas faire ce cadeau aux terroristes et aux assassins de justifier même à demi-mot ou entre les lignes leurs actes épouvantables. Je ferme la parenthèse, parce que...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je suis très gêné de vous entendre parce que vous faites appel à des sentiments qui sont tout à fait louables et compréhensibles, mais des hommes politiques qui prétendent à de hautes responsabilités doivent aussi faire des analyses et aider l'administration américaine
François BAYROU : Mais je suis prêt à en faire et même avec vous.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Revoir un certain nombre de ses orientations. L'appui accordé à l'Arabie Saoudite depuis toujours et d'une manière aveugle en échange du pétrole qu'elle contient en abondance, l'appui accordé aux intégristes Afghans contre l'Union Soviétique sans prendre garde
François BAYROU : Vous voyez que c'est exactement ce que vous êtes en train de recommencer à faire...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais oui...
François BAYROU : en ayant protesté préalablement que ce n'était pas votre vision.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais écoutez, je dis que ce sont des réalités
François BAYROU : Que ce n'était pas votre vision.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais je dis que ce sont des réalités et vous ne pouvez pas
François BAYROU : Mais je demande seulement une chose
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais vous ne pouvez pas nier cela
François BAYROU : M. CHEVENEMENT, je demande seulement une chose, c'est qu'on prenne soin d'écrire le premier chapitre en disant que le terrorisme qui a tué ces 7000 femmes et hommes nous n'acceptons de le justifier en aucune manière et nous le combattrons de toutes nos forces
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais bien évidemment, mais bien sûr.
François BAYROU : Et nous le combattrons de toutes nos forces. Deuxièmement, que nous chercherons en effet à construire un ordre international juste et moi je n'ai pas envi dans les moments où nous sommes de recommencer, et je suis pourtant je crois très indépendant des Américains dans ma pensée, mais de recommencer cette pernicieuse justification de ceux qui auraient conduit aux actes des assassins.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Non, je ne vous autorise pas à employer ces termes.
François BAYROU : Vous m'autorisez... Je prendrai les autorisations nécessaires.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : J'ai fait une analyse qui correspond malheureusement à la réalité et je pense qu'il faut avoir le courage aussi de la produire si on veut que l'Administration américaine modifie ses vues, si on veut que la voix de la France puisse se faire entendre de manière positive, parce que bien évidemment le monde tel qu'il va ne correspond pas à l'image qu'en donnait le président Bush père en 1991 quand il a annoncé un nouvel ordre mondial : (reprise en anglais). Je crois que nous avons plutôt le nouveau désordre mondial.
François BAYROU : C'est tout à fait juste.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Donc je pense que des hommes politiques doivent être capables de produire des raisonnements, de proposer les solutions
François BAYROU : Eh bien on va s'y employer.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : D'avoir une capacité de leadership dans le XXIème siècle.
François BAYROU : Monsieur CHEVENEMENT, quand vous dites ce que j'ai fait, nous sommes plusieurs à nous y employer, à essayer... alors entrons dans ce sujet là parce qu'il est très important... il me semble en effet il faut une voix qui présente un autre ordre mondial que l'ordre comme les autorités américaines ou les américains le voient... cette voix manque... quand vous dites la voix de la France, pardonnez-moi de vous dire que la voix de la France, personne sur ce sujet ne l'entend... Que les autorités françaises aujourd'hui, je n'ai pas l'impression qu'elles proposent ou articulent ce nouvel ordre du monde... et vous avez raison de dire que c'est le point sur lequel on nous attend... Il faut qu'une voix autre que celle des Etats-Unis soit capable de présenter au monde un nouvel ordre... je ne crois pas qu'il y ait une autre voix disponible que la voix européenne.
Alain DUHAMEL : Il faudrait poser une question qui vous permet de répondre à ça...
Anne-Line ROCCATI : Faudrait-il modifier les institutions européennes pour arriver à ce que cette voix s'exprime s'il en est besoin... ou quand il en est besoin.
François BAYROU : Aujourd'hui les institutions européennes, Jean Pierre CHEVENEMENT les a présentées ironiquement et il avait bien raison, ce sont des troïkas, c'est à dire des voyages à trois responsables différents et qui en effet, sont toujours précédés par les chefs d'état qui aiment à se présenter comme les premiers à faire entendre la voix de l'europe, on l'a vu récemment dans les différents voyages américains que Jacques Chirac, ou Tony Blair ou le ministre des affaires étrangères allemands ont produit dans une concurrence qui était un peu dérisoire, je dois bien le dire... alors oui, il faut donner un visage et une voix à l'Europe parce que comme républicains, je revendique cet adjectif, comme Jean Pierre CHEVENEMENT le fait, comme républicain, je veux que partout où il y a un pouvoir, il y a un contrôle des citoyens, que partout où il y a un pouvoir, ce pouvoir soit révocable par les citoyens et que partout où il y a une décision à prendre, cette décision soit précédée d'un débat où les citoyens, femmes et hommes, auront leur mot à dire. Aujourd'hui, l'Europe, elle se fait dans la clandestinité... Je voudrais qu'elle se fasse dans la transparence... je suis un européen qui voudrait que l'Europe change et qu'elle devienne transparente.
Alain DUHAMEL : Jean Pierre CHEVENEMENT.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je crois qu'aujourd'hui on a envie, dans le monde, d'entendre que s'exprime la voix de la France... Bien sûr on dit l'Europe, mais la France et l'Europe vont de pair... moi, je ne suis pas contre l'Europe, comment pourrait-on être contre le continent sur lequel nous nous situons... Mais je ne pense pas que l'Europe doive se substituer aux nations... Pour moi, l'Europe doit les prolonger et il faut d'autant plus impliquer les nations qu'on veut une Europe forte... je pense que si la France s'exprime, ça n'empêche pas du tout qu'on entende les européens aussi s'exprimer... mais sachons réintroduire les nations dans le débat... parce qu'on ne va pas les effacer et de ce point de vue, pour répondre à la question de Madame Roccati, je dirais que je propose qu'au conseil européen, les votes soient publics... que le droit de proposition qui est actuellement le monopole de la commission, soit partagé avec toutes les nations membres de l'Union Européenne et qui pourront ainsi faire des propositions aux conseils des ministres, au conseil européen, comme je l'ai fait moi-même par exemple pour préparer le sommet de Tempere et si le sommet de Tempere aboutit à un certain nombre d'orientations sur les problèmes très difficiles du co-développement, de l'immigration, de l'intégration des étrangers, c'est sur la base d'un memorandum franco-allemand que j'ai élaboré avec mon collègue Chili et ensuite avec mon collègue britannique Strow... donc je pense que c'est en impliquant les nations au départ qu'on peut faire avancer l'europe, et il y aurait beaucoup à faire pour donner une volonté à l'Europe... On a parlé de relance, mais les projets d'Essen, Jacques Delors s'en souvient, c'est lui qui les avait proposés, en 1994... ils n'ont jamais été réalisés, faute d'une volonté pour lever les obstacles financiers, parce qu'il y avait paraît-il les sacro-saints critères de Maastricht qui empêchaient que chaque état mette sa mise au pot... ce qui fait qu'on pourrait faire beaucoup de choses en matière de réseaux à grande vitesse, de tunnels transfrontaliers, de grands travaux, la dépollution de la méditerranée, l'ouverture vers le sud, bien nécessaire, et on le voit bien avec ces problèmes qui se posent... Je pense que l'Europe s'est élargie à l'est... fort bien... mais elle devrait se préoccuper de ce qui se passe au Maghreb, de ce qui se passe sur la rive sud de la Méditerranée... ça, c'est quand même très important, et ça ne se fera que si la France fait entendre une voix claire, une voix juste, une voix raisonnable, parce que c'est la raison... On voit bien que le processus de Barcelone est en panne et par conséquent il faut donner une volonté politique à l'Europe... voilà ce que je souhaite et voilà le rôle des nations... aucune n'en est exclue et je voudrais que la France tienne sa place et qu'on l'entende.
François BAYROU : Vous voyez comme on peut jouer avec les mots... donner une volonté politique à l'Europe... c'est une phrase que je signe, je suis aussi prêt à signer celle que vous avez dite un peu plus tôt, "la France et l'Europe vont de paire"... c'est formidable... Mais quand on double cette phrase là de la critique faite préalablement de M. Blair, des dirigeants italiens, des dirigeants allemands et de quelques autres, on s'aperçoit que cette conception de l'Europe, découpée en autant de nations qu'il y a de pays, cette conception là empêche l'Europe d'exister et d'avoir une volonté politique précisément... A mes yeux, il faut une évolution de l'Europe pour qu'elle ait une voix, un visage, des gens qui prennent des décisions et qu'on sache enfin où on va, ça n'est pas le cas aujourd'hui... je vais citer un seul exemple... vous avez appelé Jacques Delors en disant "il aurait fallu faire la politique des grands travaux qu'il proposait"... je me réjouis de voir qu'en effet, vous vous inscrivez dans cette pensée là... l'Europe ne peut pas le faire.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Sauf que c'est resté une pensée.
François BAYROU : L'Europe ne peut pas le faire... oui parce qu'il faut plus d'Europe pour le faire.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Non, il faut plus d'argent...
François BAYROU : Non, il faut plus d'Europe, parce vous allez voir, à cause de vous, en tout cas à cause des courants de pensée que vous représentez, l'Europe n'a pas le droit d'emprunter un euro... l'Europe se voit interdite, parce qu'elle n'a pas cette capacité politique... les traités lui interdisent d'emprunter un euro.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : quels traités... les traités que vous avez voté, pas moi.
François BAYROU : Non, les traités que vous avez, dont vous avez vous, refusé toute évolution... les traités interdisent à l'Europe d'emprunter... il lui interdisent donc de bâtir les tunnels que vous appelez de vos voeux, les autoroutes que vous appelez de vos voeux, la dépollution que vous appelez de vos voeux...
Jean-Pierre CHEVENEMENT :Rien n'interdit M. Bayrou que des états, un petit nombre d'états si ce n'est pas l'Europe... mais pour moi, l'Europe pourrait lancer ces emprunts, mais rien n'interdit à la France, à l'Allemagne, à l'Espagne par exemple, de lancer un emprunt pour financer le TGV Rhin-Rhône... ou à la France et l'Italie, pour financer le Lyon-Turin... rien ne l'interdirait s'il y avait une volonté politique... simplement.
François BAYROU : Cette volonté politique n'existera pas.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je vous ai laissé parler... je vous écoute avec beaucoup de patience croyez-le, car quelquefois, j'aurais envie de bondir... vous avez une façon de mettre en accusation, de vouloir culpabiliser votre contradicteur, qui n'est pas plaisante.
François BAYROU : Pourquoi seriez-vous culpabilisable ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Parce que moi je ne vous accuse pas d'être anti-national...
François BAYROU : Bien si... chaque seconde.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais non...
François BAYROU : Il n'y a pas de déshonneur, Monsieur CHEVENEMENT, à soutenir les thèses qui sont les vôtres, j'espère qu'il n'y en a pas, à soutenir les thèses qui sont les miennes... on voit bien qu'il y a là deux visions différentes... vous avez une vision qui rêve, à mon avis ça ne se fera pas, mais ça serait grave de conséquence, qui rêve de revenir à un ordre purement national des choses... et moi, je vois l'avenir d'une autre manière, non pas je rêve, mais j'espère que nous allons pouvoir bâtir entre les nations européennes, une maison commune qui soit plus forte que nous ne le sommes séparément. Séparément, nous accumulons les impuissances... moi je voudrais que nous arrivions enfin à cette capacité qui fait les grandes forces sur la planète.
Alain DUHAMEL : Alors Jean Pierre CHEVENEMENT, vous répondez et si vous êtes d'accord, vous pouvez d'ailleurs, après avoir répondu, présenter votre propre conclusion, générale, que nous attendons tous avec impatience, comme celle de François Bayrou.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Il y a l'univers du verbe, il y a l'univers des réalités... les hommes politiques qui se coltinent les réalités ont évidemment la tâche plus difficile que ceux qui se réfugient dans le verbe... et je pense qu'entre les nations d'Europe, il y a place pour un dialogue sérieux, un dialogue constructif, mais qui pour autant ne se cache pas les réalités... Je vais citer un historien allemand qui s'appelle Arnulf Baring, qui, à propos de l'amitié franco-allemande, dit un certain nombre de choses qui peuvent paraître pénibles, mais moi-même ayant participé à une bonne vingtaine de sommets franco-allemands, je peux dire que j'en reconnais toute la pertinence... voilà ce que dit Arnulf Baring... "l'amitié franco-allemande comporte une bonne part de mensonges... on fait comme si les problèmes avaient disparu... ce n'est pas le cas... ce que je dis n'a rien de polémique, c'est une description de la situation... je souhaite qu'on rompe le silence, qu'on parle franchement des problèmes au lieu de les masquer et de les refouler... c'est comme dans les ménages... il faut se parler, sinon cela devient malsain"... Moi, c'est ce que j'ai voulu dire dans un livre que j'ai écrit il y a 5 ans qui s'appelle "France-Allemagne, parlons franc"... et je crois qu'aujourd'hui plus que jamais, les hommes politiques doivent se mettre à l'école de la réalité... ils doivent s'appuyer sur ce qui est solide et la nation est une chose solide qu'il faut conserver, à partir de laquelle on peut bâtir et la nation est la brique de base de l'Europe bien sûr, mais aussi d'un ordre international raisonnable... ces monstres que nous avons enfantés, que la politique menée a enfanté, ils ont prospéré sur le vide étatique... je pense à Oussama Ben Laden, c'est dans des régions où ne s'exerce aucune autorité étatique qu'ils se sont réfutiés, en Afghanistan, au Soudan, en Somalie... par conséquent ma conclusion sera celle-là, oui à l'Europe, mais sur la base des nations, parce que les nations sont le cadre du débat démocratique, de l'élaboration d'une volonté générale, bref, oui à l'Europe, mais par la démocratie.
Alain DUHAMEL : François Bayrou, votre conclusion...
François BAYROU : La nation est la brique de base... mais une brique qui reste toute seule ne construit pas un mur, ne construit pas une maison... moi je rêve... non pas je rêve... je partage la volonté de ceux qui veulent qu'on n'en reste pas où l'on en est parce que si on avait eu le temps, je vous aurais posé une question simple...
Alain DUHAMEL : Oui, mais c'est trop tard.
François BAYROU : En quoi ce que vous décrivez est-il différent de ce que nous avons aujourd'hui... pour moi, c'est exactement la situation dans laquelle nous sommes... or, je vois toutes les faiblesses de ce que nous avons aujourd'hui... Je vois notamment une chose, très simple, qui est que nos concitoyens, les citoyens français ne comprennent pas comment l'Europe fonctionne, et ils ne se sentent pas une place à l'intérieur... je veux qu'ils aient la place...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais cette Europe, c'est la vôtre, c'est celle que vous avez construite...
François BAYROU : Non, vous savez bien que par exemple.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Comment pouvez-vous répudier...
Alain DUHAMEL : C'est François Bayrou qui conclut, vous avez encore 30 secondes...
François BAYROU : Je me suis opposé au traité de Tunis et moi j'ai soutenu au contraire l'idée qu'il fallait une transparence et une règle du jeu claire, que tous les citoyens de base puissent comprendre dans cet effort de construction que nous avons à faire devant nous... Autrement dit, si souveraineté il y a... qu'est-ce que ça veut dire souveraineté, c'est un mot compliqué et qu'on a du mal quelquefois à expliquer... ça veut dire qu'on peut commander, que quand on décide, on commande...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : C'est le peuple qui est souverain.
François BAYROU : C'est le peuple qui est souverain et je souhaite que les peuples européens puissent devenir souverains à leur tour car toute cette souveraineté que nous n'avons plus, la souveraineté de la monnaie, la souveraineté d'une véritable défense, la souveraineté d'une voix diplomatique respectée dans le monde, nous ne la regagnerons que si nous savons vivre ensemble et construire ensemble... je souhaite que la brique ne reste pas seule... je souhaite qu'on construise des murs, une maison et une cathédrale.
Alain DUHAMEL : François Bayrou et Jean Pierre CHEVENEMENT merci pour ce débat...
sur notre site internet RTL point FR - le grand débat, vous pouvez tous réagir à ce que vous avez entendu, dire qui vous a le plus convaincu, quels sont les arguments qui vous intéressés.
Le mois prochain, nos invités seront Hubert Védrine, le ministre des affaires étrangères dont parlait tout à l'heure Jean Pierre CHEVENEMENT, et Alain Madelin, président de Démocratie Libérale et lui-même candidat à l'élection présidentielle.
(Source http://www.udf.org, le 4 octobre 2001)
Alain DUHAMEL : Bonsoir, voici donc le deuxième Grand Débat organisé RTL , en collaboration avec Le Monde, représenté ici par Anne-Line ROCCATI, rédactrice en chef politique.
Comme vous le savez, le principe de cette émission est de mettre face à face pendant une heure et demi deux personnalités nationales sur un thème choisi en commun auparavant, donc cette fois-ci nous parlerons bien entendu des réactions de la France après les attentats du 11 septembre, de l'euro et de la notion de souveraineté.
Aujourd'hui, sont face à face François Bayrou et Jean-Pierre CHEVENEMENT. C'est donc en réalité le premier Grand Débat entre deux candidats déclarés à l'élection présidentielle. Le premier qui ait lieu en fait depuis 1995. Alors c'est Jean-Pierre CHEVENEMENT qui va ouvrir le feu sur le premier thème, en fait quel type d'engagement attendez-vous de la France, après ces attentats ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je crois que ces attentats nous apportent d'abord une leçon. Le terrorisme est une très grave menace, considérablement sous-estimée pour les décennies qui viennent, peut-être le siècle qui vient. Et, face au terrorisme, il ne peut y avoir aucune espèce de concession, le terrorisme est un véritable poison pour la démocratie. Il nous laisse entrevoir un avenir qui pourrait-être un avenir d'affrontements. Non seulement comme on dit entre les civilisations, mais d'affrontements inter-communautaires, inter-ethniques, inter-religieux. Le terrorisme doit donc être combattu et il ne peut être combattu que par une résolution sans faille à l'échelle mondiale. Pourquoi à l'échelle mondiale, parce que c'est un phénomène mondial. On voit bien qu'il a ses racines en Asie, en Asie non seulement centrale mais également dans la région du Golfe, qu'il y ses prolongements non seulement aux Etats-Unis, mais également en Europe, qu'il a des relais vraisemblablement partout et par conséquent c'est une coopération internationale redoublée qui est nécessaire. Je dirais, je vais en terminer par là : la panoplie militaire classique telle qu'elle a été constituée est inadéquate pour lutter contre le terrorisme. On le voit avec le bouclier anti-missiles, quatre-vingts milliards de dollars et probablement davantage qui n'aurait pas servi à éviter cet horrible attentat. En France, le choix de la professionnalisation qui nous donne une toute petite armée dont l'effectif a été réduit de moitié depuis 7 ou 8 ans, avec tous les problèmes que cela pose, par exemple vis-à-vis de la protection des points sensibles. Ca m'amènera à proposer un renouveau de la réflexion sur les réserves. Peut-être la constitution d'un régiment de réserve par régions. Sur le plan du terrorisme lui-même, et je vais en conclure par là, je dirais que la France est probablement un des pays qui s'est le mieux préparé, je ne dis pas que nous sommes à l'abri, évidemment pas, mais nous sommes dotés d'un mécanisme centralisé de lutte contre le terrorisme et nous nous sommes dotés d'outils pour notre compte ou pour le compte des autres Européens, je pense au système de Shengen, le C6, qui nous permet véritablement d'avoir une veille 7 jours sur 7 et 24 h sur 24 par rapport, je dirais, aussi bien aux voitures volées, aux armes volées, aux billets volés, aux personnes recherchées. Nous avons donc un système relativement performant et nous pourrons revenir là-dessus si vous voulez tout à l'heure. J'aimerais montrer ce qu'on peut faire à partir du système tel qu'il existe et tel que je l'ai expérimenté moi-même pendant un peu plus de trois ans, place Beauvau au ministère de l'Intérieur.
Alain DUHAMEL : Alors François Bayrou, vous répondez et puis ensuite vous vous répondez.
François BAYROU : Je voudrais vous dire en une phrase que je trouve ce débat utile parce que c'est en effet deux visions très différentes compatibles sur un certain nombre de points, mais très différentes dans l'avenir et je trouve utile que l'on entre dans cette période en effet cruciale par un débat sur les idées. Alors que peut faire la France et que peut faire l'Europe. Si il y a un enseignement que cette crise et ce drame nous apportent, c'est que les États solitaires sont plus faibles, sont désarmés face à ce qui se passe. Chaque fois que l'on veut s'abriter derrière des frontières on ne se rend pas compte que en réalité ce sont les terroristes qui se servent des frontières comme d'une protection, puisque chaque fois qu'ils passent une frontière, eh bien le juge ou le policier du pays dont ils viennent ne peut pas les poursuivre. On s'en aperçoit, on le savait depuis longtemps mais on n'a pas fait grand chose pour lutter contre cet état de faits et donc pour moi la question et l'enseignement est très simple ; si l'on veut lutter efficacement contre le terrorisme et ses causes, si l'on veut que la sécurité de la France soit assurée, il faut plus d'Europe que nous n'en avons et il faut aussi que internationalement l'Europe puisse porter la voix qui est la nôtre et les exigences qui sont les nôtres. On le voit bien avec les extraditions. M. CHEVENEMENT a été ministre de l'Intérieur pendant longtemps, il connaît bien le cas de Rachid Ramda. Rachid Ramda c'est le financier des attentats cruels que nous avions eus il y a quelques années à Paris, en tout cas c'est de cela qu'il est accusé. Il y a 5 ou 6 ans que nous ne réussissons pas à obtenir son extradition depuis la Grande Bretagne voisine parce que les systèmes juridiques ne sont pas compatibles, eh bien c'est un crève cur, c'est la meilleure qu'il faut changer cela pour aller vers un espace judiciaire commun, non pas unique, mais en tout cas suffisamment articulé et compatible pour que quand un pays a les preuves que quelqu'un est le financier d'un réseau qui a fait des attentats et des morts dans un pays il puisse obtenir son extradition du pays voisin, c'est un exemple très simple et hélas cruel pour ceux que nous savons, donc il faut bâtir cet espace là pour nous défendre ensemble parce que si nous demeurons isolés nous faisons au terrorisme le cadeau de notre impuissance.
Anne-Line ROCCATI : Alors, la question que tout le monde se pose avant même d'entrer dans les détails ou dans les mesures spécifiquement françaises ou européennes, c'est aujourd'hui, les États-Unis on ne sait pas trop encore quelle réponse ils vont donner à l'attaque dont ils ont été victimes. Est-ce que vous pensez que la France doive suivre la politique américaine s sur le plan militaire, oui ou non, doit-elle suivre les États-Unis de manière inconditionnelle sur les questions militaires.
Alain DUHAMEL : Alors c'est d'abord Jean-Pierre CHEVENEMENT qui va répondre et ensuite François Bayrou.
François BAYROU : Oui, enfin, on ne peut pas imaginer qu'à chaque question ça soit Jean-Pierre CHEVENEMENT, mais enfin ceci est une modalité du débat.
Alain DUHAMEL : ce genre de hiérarchie et de protocole sont essentiels...
François BAYROU : Je vous voyais parti pour une soirée...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je cède mon temps de parole, si je puis dire, non pas mon temps mais mon tour.
François BAYROU : Non la France ne doit pas être alignée. Elle doit-être alliée et ce n'est pas la même chose, seulement il faudrait que sa voix compte et soit entendue, et pour l'instant on a l'impression que les Etats-Unis vont assumer l'essentiel de la riposte seuls, ils en ont le droit mais qu'ils choissent en Europe quels alliés seront les leurs, en qui ils mettront leur confiance et nous sommes, voilà, nous attendons pour voir qui va être choisi. Ca n'est pas l'idée que je me fais de la grande voix européenne, on voit bien que c'est avec les Anglais qu'ils veulent agir et que ils laissent de côté les autres. J'aurais aimé que l'Europe soit assez soudée et assez forte pour que elle agisse ensemble, pour que elle parle, elle s'exprime d'une seule voix et qu'elle agisse avec des armes respectables et assez fortes. Ce n'est pas le cas, nous n'avons pas les moyens de l'action, on y reviendra peut-être dans une minute.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : oui, bien sûr, nous devons nous comporter en alliés, nous sommes solidaires face à un acte aussi atroce, mais en même temps, nous avons notre point de vue sur cette grave question parce que sont en jeu aussi les intérêts de sécurité de la France, nous devons isoler les terroristes, les contenir, les couper autant que possible de ceux qui pourraient-être amenés pour d'autres raisons à sympathiser avec eux ou avoir avec eux la moindre indulgence, donc cela pose évidemment la question de notre politique à l'égard du monde arabo-musulman et, de ce point de vue là la France a le droit d'être informée, elle ne peut pas agir les yeux bandés, aucun engagement n'est envisageable si nous ne sommes pas étroitement associés à la définition des objectifs et au choix des moyens, c'est la moindre des choses que nous puissions réclamer, maintenant cela ne nuit pas et cela ne doit pas nuire à la coopération sur le plan des polices, je ni ai pas suffisamment insisté tout à l'heure, mais on doit mettre beaucoup plus de moyens dans la police, dans les renseignements et on doit faire naturellement le maximum et je crois que le maximum est fait pour éradiquer les réseaux Ben Laden ou du moins les prolongements qu'ils pourraient avoir dans notre pays. J'ai l'expérience, je serais très bref, de ce que nous avons fait en coopération avec des pays voisins, cinq pays voisins : l'Allemagne, la Belgique, la Hollande, la Suisse, l'Italie, un petit matin de mai 1998, quelques semaines avant le début de la coupe du monde de football, nous avions découvert une bombe qui n'avait heureusement pas explosé dans le XIXe arrondissement et quelques jours après, grâce à ce mécanisme centralisé qui fait qu'en France toutes les affaires de terrorisme viennent devant le tribunal de Grande Instance de Paris, 14ème section antiterroriste, les juges antiterroristes, et par ailleurs du point vue de la police, de la police judiciaire, il y a une division nationale antiterroriste qui centralise toutes les enquêtes en s'appuyant naturellement sur les services de renseignements. Eh bien je peux dire que ce grand coup de pied dans la fourmilière des réseaux a provoqué certainement assez d'inquiétude pour que un événement aussi difficile que la coupe du monde de football puisse se passer sans encombre et je vous assure que j'ai touché du bois à la fin de cette épreuve car c'était évidemment un moment où nous étions particulièrement vulnérables, donc je réponds à François Bayrou, il n'est pas besoin d'imaginer autre chose qu'une volonté commune des nations européennes, une Europe qui veuille effectivement pourchasser le terrorisme pour arriver au résultat s'agissant de la Grande Bretagne, c'est le système de la habeas corpus que vous mettez en cause, effectivement Rachid Ramda se retranche derrière toute une série de recours possibles et le ministre britannique qui était à l'époque Jack Straw que je questionnais, me disais qu'il était astreint par la séparation des pouvoirs à respecter la décision des juges britanniques et en définitive de la chambre des lords. Don c'est aux Britanniques peut-être de réfléchir à la manière dont ils peuvent changer leur système parce que entre les autres pays du continent ça ne pose pas vraiment de problème, sauf peut-être à la marge il y a eu quelques problèmes entre la France et l'Italie, mais il est vrai qu'entre également en considération le souci de la protection des libertés et on ne peut pas faire comme si ça n'avait pas aussi une certaine valeur.
François BAYROU : Jean-Pierre CHEVENEMENT nous dit, au fond ça va très bien comme ça. Moi je pense que ça ne va pas bien comme ça, ou que ça n'a pas l'efficacité que ça devrait avoir. Nous sommes devant une menace dont tout le monde voit bien qu'elle est très forte et probablement qu'elle peut avoir des développements beaucoup plus importants que ceux que nous avons vu hélas jusqu'à ce jour. On voit bien que le sol européen peut-être atteint, on voit bien qu'il existe des menaces, on entend des mots, on lit dans le journal des menaces toxiques, des gaz bactériologiques. En face de cela nous avons le devoir de faire un pas de plus pour nous défendre. Un pas de plus, on le disait dans la création d'un vrai espace de justice européen qui face par exemple qu'un mandat d'arrêt délivré en France par un juge sur ce motif soit immédiatement exécuté sur le sol de l'Union européenne autrement naturellement nous protégeons les terroristes de manière inacceptable et puis aussi c'est un aspect qu'on peut peut-être maintenant aborder du point de vue de la réponse même de la société française à ces menaces là. Je pense en effet qu'on sait désarmé trop facilement et moi je plaide pour réarmement moral au moins, en tout cas une capacité d'action de la société française. Regardez ce sont les parachutistes qu'on envoie dans les gares pour le plan Vigipirate. C'est très bien, mais s'il y avait une action extérieure qui, qui le ferait ? Qui surveillerait nos établissements publics ? Qui serait en situation d'agir pour protéger les populations. Les Américains ont leur Garde nationale, nous n'avons rien de cela et Jean-Pierre CHEVENEMENT évoquait l'idée de réserve, je trouve qu'elle est bonne, un régiment de réserve... Moi j'ai développé l'idée d'une formation des jeunes, d'un service civique universel qui puisse permettre en terme de secourisme, en terme de gardiennage, de surveillance des lieux sensibles, de faire que la société française soit en mesure de se défendre devant une menace dont nous avons bien, pour reprendre les mots de Jean-Pierre CHEVENEMENT lui-même à l'instant, dont nous savons bien qu'elle est peut-être la menace du siècle qui vient.
Alain DUHAMEL : Est-ce que je peux vous poser une question...
François BAYROU : Je vous en prie.
Jean-Pierre CHEVEMENT : Il y a eu une réforme importante décidée solidairement par le président de la République, Jacques Chirac, qui était la suppression du service national et la constitution d'une petite force de projection composée d'engagés. Cette décision a été prise en 1996 je me souviens bien, je crois d'ailleurs avec votre aval mais pas avec le mien parce que j'ai tout de suite pointé les effets pervers que ne manquerait pas d'avoir cette réforme et il me semble que, aujourd'hui, nous sommes confrontés à cette réalité. Les vrais menaces du XXIème siècle qui sont des menaces d'affrontements, je dirais non pas seulement entre civilisations, mais je dirais...
François BAYROU : de menaces intérieures...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : De menaces intérieures, je dirais que le monde est dangereux, est menacé par ce que j'appelle l'anomie l'absence de règles, c'est donc tout une réflexion qu'il aurait fallu avoir et qui n'a pas eu lieu à ce moment là, parce que la décision a été prise je dirais dans haut et comme d'habitude d'un autre système ratifié par une majorité aux ordres, donc ça nous interroge un petit peu sur la démocratie.
François BAYROU : Vous me permettez de vous répondre, je crois que vous avez raison. Il y avait deux choses et l'on n'a vu que l'une de ces deux. Il y avait en effet un besoin de modernisation de l'armée, je vous donne les chiffres de mémoire, vous avez été ministre de la Défense, quand vous étiez ministre de la Défense, la capacité de projection de la France était de l'ordre de 10.000 hommes. On est aujourd'hui, dit-on, à 30.000, en tout cas c'est ce que les experts militaires disent. On a accru par la professionnalisation notre capacité de projection, c'est bien mais ça ne suffit pas. Ce qu'on a pas vu c'était que, on allait avoir besoin de diffuser un sentiment de responsabilité et une capacité civique dans la société française de bâtir une défense territoriale, une défense civile, une capacité de réaction du peuple en face d'événements très graves. Pour l'instant, c'est toujours les professionnels qu'on appelle mais on voit bien que la société française va devoir se défendre elle-même. Donc je pense, je crois qu'il faut réfléchir à d'autres approches et celles que je propose, une formation civique, un service civique universel qui permette de former les jeunes Français et les jeunes Françaises d'ailleurs, à ces actions.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : J'irais même encore plus loin que vous, je dirais que notre vrai capacité de riposte elle est dans le civisme des Français et dans leur capacité à garder chevillé au coeur, je dirais la croyance en l'égalité des hommes qu'elle que soit leur origine, c'est cela qui fait la République et ce sentiment d'appartenance citoyenne et ce que nous devons maintenir pour éviter les dérives qu'on voit pointer à travers les appels d'un certain nombre d'hommes politiques extrémistes que je ne qualifierai malheureusement pas d'irresponsables parce qu'ils savent très bien ce qu'ils font. Un point l'histoire, la capacité de projection de la France était de plus de 20000 hommes on l'a vu pendant la guerre du Golfe, elle aurait pu être plus importante encore si on avait décidé de faire appel aux appelés volontaires comme cela a été le cas en Yougoslavie. Donc aujourd'hui...
Alain DUHAMEL : Mais vous n'y poussiez pas à l'époque de manière excessive.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Non, je ne le regrette pas parce que je pense que quiconque veut bien réfléchir au passé se dira que naturellement dans l'âme musulmane la guerre d'Irak, la guerre du Golfe qui a peut-être fait zéro mort ou en tout cas pas beaucoup du côté américain, mais qui en a fait 100 000 du côté irakien et qui se prolonge par un embargo qui dure depuis maintenant plus de 10 ans, tout cela n'a pas laissé l'âme musulmane indifférente et a nourri la rancoeur, le ressentiment, l'anti-américanisme. Il faut bien mesure la portée d'un certain nombre d'actes accomplis par des dirigeants à l'esprit léger et inconséquent qui d'une certaine manière ont fait le lit de l'intégrisme, de diverses manières, en réchauffant dans leur sein des vipères comme Ben Laden, mais également en utilisant des moyens tout à fait disproportionnés contre un régime dont on peut dire qu'il avait beaucoup de défauts et qu'il avait de grands torts, celui d'avoir envahi le Koweit, mais qui faisait quand même parti de la branche moderniste, en tout cas de la réponse moderniste qui existait dans le monde arabo-musulman.
Alain DUHAMEL : Vous répondez brièvement, mais Anne-Line Roccati a une question à vous poser à l'un et à l'autre.
François BAYROU : Si je puis répondre, c'est un problème très important celui que Jean-Pierre CHEVENEMENT évoque à l'instant. Parmi les facteurs qui font le lit du terrorisme en effet, il y a des sentiments d'humiliation très importants mais je ne crois pas qu'on puisse dire que la guerre du Golfe ait été une guerre injuste, je ne crois qu'on puisse dire...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Si vous vous promeniez un peu plus dans les pays musulmans, en Afrique du Nord, en Egypte ou ailleurs, vous me mesureriez l'immense impact qu'elle a eu dans la psychologie collective.
François BAYROU : Eh bien moi je crois que le régime de Saddam Hussein est un de ces régimes qui en effet ont nourri le terrorisme dans le monde, ont nourri le terrorisme dans le monde... s'il y a un endroit dans le monde où en effet les menaces bactériologiques ou chimiques ou de tous ordres, terroristes de tous ordres... ont été nourris, protégés, probablement favorisés. Je pense qu'on ne peut pas dire que l'Irak ait été à l'abri de toute responsabilité dans cette affaire et il me semble que de ce point de vue là il y a en effet une réflexion à avoir sur cet affrontement, cette guerre là dont je reconnais qu'elle n'est pas sans conséquence... qui n'était pas injuste, qui était...
L'Irak n'a pas utilisé les armes chimiques qu'elle avait en abondance pendant la guerre du Golfe et à ma connaissance n'a pas abrité des réseaux qui recourraient au terrorisme international et votre point de vue, tel qu'il vient d'être exprimé, reflète bien la méconnaissance profonde du monde arabo-musulman qui est celle de la plupart de nos responsables et c'est cette incompréhension, cette incapacité à distinguer les différents courants qui agitent le monde musulman maintenant depuis près de deux siècles mais qui ont connu, je dirais des avatars divers, c'est cette incapacité qui a conduit les Américains eux-mêmes, malgré mes mises en garde et moi j'ai gardé le souvenir d'une conversation avec Dick Cheney l'actuel président qui était à l'époque mon collègue à la Défense, je lui ai dit " écrasant l'Irak et si vous voulez vraiment ramener l'Irak à l'âge pré-industriel vous allez ouvrir un boulevard à l'intégrisme ". Si je le dis publiquement aujourd'hui, c'est que tout cela a dû être consigné dans les notes qui étaient prises par ses collaborateurs au mois d'octobre 1990.
François BAYROU : Vous avez démissionné du Gouvernement quelque chose comme le 15 ou 18 janvier...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Non, non, j'ai envoyé ma lettre de démission le 7 décembre...
François BAYROU : Et il y avait 6 mois, presque 6 mois que cette action était en cours, que le président de la République que vous aviez fait élire et que vous serviez était un acteur de la préparation de cette guerre, c'est donc dire que pendant longtemps vous avez dû hésiter sur ce point.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je n'ai pas hésité, j'ai cherché à peser de tout mon poids qui était ce qu'il était pour éviter une issue catastrophique et pour retenir en effet une guerre que j'estimais...
Alain DUHAMEL : Jean-Pierre CHEVENEMENT et François Bayrou on va marquer une page de publicité et les dernières informations avec Florence Cohen et ensuite nous reprendrons.
Alain DUHAMEL : Alors de nouveau le grand débat. Nous passons cette fois-ci au second thème, c'est-à-dire maintenant qu'est-ce qu'on fait de l'euro... Est-ce qu'il faut une politique de relance et à quelle échelle... une question, Danielle Roccati...
Anne-Line ROCCATI : La première question qu'on a envie de poser, c'est que l'euro, c'est en janvier, alors est-ce qu'il faut geler ou différer l'arrivée de l'euro, comme le propose Monsieur Pasqua hier, comme le proposait M. Pasqua hier... qu'en pensez-vous M. CHEVENEMENT...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je pense que ce choix eût été raisonnable, non pas l'euro lui-même parce que l'euro existe, il existe depuis 1999... le franc, comme le mark n'est plus qu'une subdivision de l'euro, mais j'ai toujours été partisan d'une monnaie commune, de ne pas bouleverser les repères de nos concitoyens et à tout le moins, c'est la proposition que j'avais faite, de reporter l'euro-fiduciaire, c'est à dire l'euro sous forme de billets et de monnaie, par conséquent, de retarder la conversion forcée qui va intervenir, maintenant on le sait, entre le 1er janvier et le 17 février prochain... c'eût été le bon sens parce que c'est quand même très difficile de faire des divisions par 6,55957 et on peut parier que beaucoup de personnes fragiles, et même pas très fragiles, je dois dire que moi-même, je me retrouve difficilement dans mes comptes en euros et la première fois que j'ai touché un chèque en euros, je me suis aperçu que je m'étais fais sérieusement caroté... Donc, je pense que tout cela va saper d'une certaine manière la confiance qui est la base de toute monnaie, car la monnaie est le symbole de la confiance... Maintenant que j'ai écris à tous les chefs d'état et de gouvernement, leur réponse est convergente, ils ont décidé de sauter dans le noir, sans mesurer, non seulement qu'ils allaient priver nos concitoyens dans chaque pays, de repères qui leur étaient familiers depuis longtemps... je rappelle que le franc a le cours légal en France depuis 1795, qu'il existe depuis 1380, si mes souvenirs sont bons... c'est donc un vieux repère... on se plaint qu'il n'y en a déjà pas beaucoup... on va l'enlever... et puis surtout j'aimerais qu'on réfléchisse... Nous allons juxtaposer des économies qui sont très différentes dans leurs structures... naturellement, à partir du moment où il y aura des mêmes prix qui apparaîtront en euros, ça va conduire à un certain alignement, dont on peut espérer qu'il se fera plutôt vers le haut... on voit d'ailleurs que la valse des étiquettes débouche sur des augmentations sensibles... J'ai apporté deux exemples : 90 lentilles optiques qui valaient le 30 juin 430F, valent aujourd'hui depuis le 16 août, 100 euros, soit 655F. donc vous voyez une augmentation de près de 15% ; un vêtement au pressing bon marché qui coûtait 18F, il va valoir 3 euros, soit 19, 7F. 10 % d'augmentation. Et je pense que naturellement ce changement de monnaie va déboucher sur d'une part une poussée inflationniste, d'autre part des comportements de restriction de consommation et à plus long terme, va entraîner des alignements, comme on l'a vu par exemple dans la réunification allemande entre la RDA et la RFA, on a vu que les prix peu à peu sont devenus les mêmes... Mais ça va naturellement jouer au détriment des pays les moins développés, des régions les moins développées et je pense que ceux qui ont fait ce choix de l'euro, ils vont devoir le soutenir et moi, je sais très bien que tous les responsables européens et je me considère comme tel, devront faire en sorte qu'à travers le mécanisme de l'euro-groupe, on créé une coopération monétaire renforcée, un gouvernement ou un embryon de gouvernement qui soit capable dans ce domaine, de prendre un certain nombre de décisions pour éviter que l'euro ne redouble encore la récession dans laquelle nous sommes engagés... Donc au fond, ce que je dirais, c'est que l'en jeu est maintenant de savoir comment on peut éviter une récession prolonger, de quels moyens de relance nous allons pouvoir nous servir, étant donné que vous le savez, la banque centrale européenne indépendante n'obéit pas aux gouvernements, ses statuts font qu'on ne lui a donné qu'un seul objectif, la lutte contre l'inflation, comme si nous étions encore dans les années 70, au moment des chocs pétroliers, donc je vois beaucoup d'incohérences... et pour terminer, je dirai que ceux qui nous aurons précipités sur ces récifs, il est quand même difficile de leur faire confiance pour la suite, parce qu'ils nous conduiraient à un naufrage définitif.
Alain DUHAMEL : Alors François Bayrou, vous vous sentez un capitaine dangereux ?
François BAYROU : J'ai essayé de suivre le raisonnement de Jean Pierre CHEVENEMENT... je dois dire que j'ai eu du mal... parce qu'il nous explique que c'est très très mal, l'euro, que ça va faire beaucoup de mal, au prix, en inflation, aux régions pauvres, aux régions riches, enfin à tout le monde... que ça va faire beaucoup de mal... que cependant il faut le faire... et qu'il faut s'en servir pour en effet affronter les temps difficiles que nous allons vivre... Alors je comprends bien la difficulté dans laquelle il se trouve, mais pour moi, ma pensée sera beaucoup plus simple. L'euro c'est une bonne chose et on le voit tous les jours parce que dans la crise que nous traversons, c'est l'euro qui nous protège des remous qu'on aurait eu autrement, de dévaluation, de financiers qui jouent une monnaie contre une autre... c'est l'euro qui nous protège... c'est l'euro qui nous aide... la preuve, c'est que malgré ces remous là, on a pu baisser les taux d'intérêt en europe alors qu'on aurait hélas pas pu le faire autrement et de loin... donc c'est une bonne chose.
Deuxièmement, c'est formidable de vivre ce que nous allons vivre parce que Jean Pierre CHEVENEMENT a fait allusion à l'histoire, c'est la première fois dans l'histoire, sauf il y a 150 ans et pour quelques années seulement, sur le territoire de l'allemagne actuelle, mais c'est la première fois dans l'histoire que des peuples choisissent librement de se donner ce signe d'appartenance à une maison commune qu'est une monnaie... Et il faut le vivre comme quelque chose qui va nous faire entrer dans un nouveau siècle... il ne faut pas y entrer à reculons... et enfin, faut-il le faire maintenant ? bien sûr qu'il faut le faire maintenant... ça fait des mois et des mois... 18 mois ou deux ans qu'on s'exerce, que nos concitoyens voient le double affichage... il y a un moment où il faut avoir le courage de sauter le pas et de dire clairement ce que l'on veut... Le peuple français a voté contre l'avis de M. CHEVENEMENT, mais le peuple français a voté, il a choisi d'entrer dans cette ère nouvelle que représente une monnaie... c'est évidemment le moment de le faire, et ça va nous donner le moyen d'agir sur les temps que nous traversons, et peut être de soutenir, s'il en est besoin et il peut en être besoin, l'activité économique.
Alain DUMAHEL :Vous n'avez pas répondu sur un des poins que Jean Pierre CHEVENEMENT avait soulevé, qui est l'impact ou non inflationniste.
François BAYROU : Je crois que ce sont des adaptations, qu'elles joueront une fois sur deux à la hausse et une fois sur deux à la baisse... que de toute façon, au bout de trois mois, tout cela sera derrière nous, et qu'il vaudrait mieux réfléchir à la manière dont on peut aider ceux qui vont porter l'essentiel de l'effort, c'est à dire les commerçants et les personnes qui travaillent dans les commerces, qui vont avoir en effet à guider les premières semaines. Je trouve que si on pouvait leur faire un signe de reconnaissance d'un côté et puis leur apporter une aide ou un soutien, ce serait très bien parce que c'est en effet les boulangers, les bouchers et les personnes qui travaillent dans les boulangeries et les boucheries qui vont avoir à supporter l'essentiel de l'effort. Je trouve qu'on ne dit pas beaucoup et je trouve juste qu'on le dise ici. Donc, pour moi, je ne suis pas inquiet des adaptations qui vont être évidentes mais dont je pense qu'elles se feront une fois sur deux dans le bon sens.
Anne-Line ROCCATI : Pour vous M. Bayrou, donc, l'euro, sur le plan économique, est une arme efficace pour traverser les périodes de turbulences que nous allons connaître sur le plan économique, et deux, il aide à construire une identité européenne... cette monnaie unique aide à construire une idendité européenne. M. CHEVENEMENT ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Merci Mme Roccati, d'avoir développé la pensée de M. Bayrou. Je voudrais quand même rappeler qu'au moment où le peuple français a été consulté sur le traité de Maastricht, il n'avait pas vraiment pris conscience qu'il allait perdre le franc... et Jacques Chirac s'était engagé en 1995 à consulter à nouveaux les français sur ce problème de l'euro, et bien évidemment, il ne l'a pas fait... mais je ne crois pas qu'on puisse parler d'un choix libre des peuples, disons que les dirigeants et en particulier les dirigeants de banques centrales, les dirigeants politiques ne faisant que cautionner, ont décidé dé faire ce grand saut, de sauter le pas, comme dit M. Bayrou, mais...
François BAYROU : M. CHEVENEMENT, si c'est si mauvais que ça pourquoi ne proposez-vous pas d'en sortir ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT : J'ai proposé aux dirigeants européens de reporter la date d'entrée de l'euro-fiduciaire.
François BAYROU : Jusqu'à quand ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Ils m'ont répondu en chur qu'il n'en était pas question et je sais qu'au point où les choses sont arrivées, ils ne le feront pas... Mais je m'inquiète des conditions dans lesquelles va fonctionner cette monnaie unique alors qu'elle ne dépend que d'une banque centrale indépendante dont les statuts précisent qu'elle doit avant tout lutter contre l'inflation... et dont on sait qu'elle considère qu'en dessous de 11% de chômage, il y a péril en la demeure, péril inflationniste s'entend... c'est ce qu'on appelle le "naroiu", en langage technique... excusez-moi je vais parler anglais... "non accelerating rate of inflation unemployment..." vous m'avez compris, cela veut dire qu'il y a un taux de chômage qui, aux Etats-Unis, est considéré comme tolérable à 4,5%, mais en dessous de 11% en Europe, M. Duisenberg et les dirigeants de la banque centrale considèrent qu'il y a danger de retour à l'inflation... Donc, je constate que la Banque Centrale, par exemple, par sa politique des taux, a largement contribué au ralentissement de l'économie européenne, au début de l'année 2001, alors qu'il aurait été très judicieux d'imiter la Federal Reserv Board américaine, qui à 7 reprises, a baissé ses taux d'intérêt.
François BAYROU : Ce que nous venons de faire...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Effectivement avec beaucoup de retard, mais nous sommes déjà en plein ralentissement de l'activité économique et je suis très inquiet pour la suite, parce que je pense que dans cette zone très hétérogène, où il y a des pays comme l'Allemagne, mais il y a aussi des pays comme la Grèce, le Portugal, parmi les pays riches et développés, on pourrait citer la Suède, et en France même il y a des différences quand même très importantes... je crains que le fonctionnement même de cette zone monétaire unique conduise au renforcement des zones riches de ce qu'on appelle "la banane bleue", grosso-modo de Londres à Milan, et de contribuer à la désertification des autres régions d'Europe... Voilà la raison pour laquelle je préconise une réforme du statut de la Banque Centrale Européenne et l'institution d'une coopération monétaire renforcée au niveau de ce qu'on appelle l'euro-groupe, c'est à dire les ministres des finances des 12 pays concernés...
Alain DUHAMEL : Alors, François Bayrou, vous répondez à Jean Pierre CHEVENEMENT.
François BAYROU : Ce que vous voudrez... mais je m'efforcerai de dire ce que je pense.
Alain DUHAMEL : Faut-il une relance organisée au niveau européen ou pas ?
François BAYROU : Eh bien merci, j'essaierai d'obéir à vos injonctions... J'ai un peu de mal à suivre, parce que c'est tout de même un sujet très important... Jean Pierre CHEVENEMENT multiplie les objections... Il explique tout ce que l'euro va avoir de nuisible... mais alors pourquoi ne va-t'il pas jusqu'au bout, et pourquoi ne propose t'il pas clairement d'en sortir, de ne pas adopter l'euro... de revenir à la situation...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : J'ai demandé il y a trois ans au président de la république d'organiser le référendum qu'il avait promis, il ne l'a pas fait... que puis-je faire au sein de l'assemblée nationale, je suis évidemment minoritaire.
François BAYROU : Ces élections présidentielles, que nous allons vivre pendant 8 mois...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : 7 mois.
François BAYROU : C'est un enjeu très important... ce qui me semble c'est que vous faites bien attention à ne pas proposer qu'on en sorte... vous multipliez les avertissements, mais vous ne proposez pas d'aller au bout de cette démarche... si c'est si mauvais que ça, eh bien il faudrait que les responsables, en tout cas ceux qui se présentent à une élection, proposent d'en sortir... ce que je crois, c'est que vous en voyez les avantages qui sont nombreux et en particulier ceux qui permettent de créer pour l'Europe, un avantage que les Etats-Unis ont eu seuls pendant des décennies, grâce au dollar, et qui était de pouvoir avoir une monnaie à un taux raisonnable, à un taux de change assez bas et en même temps des taux d'intérêt bas... Nous quand nous étions avec nos monnaies nationales différentes, il se passait ceci, c'est que chaque vous que nous avions un taux de change bas, il fallait des taux d'intérêt hauts... c'était une balance... nous souffrions, et vous l'avez dit souvent, des taux d'intérêt qui étaient les nôtres... c'était la division de nos monnaies et le fait que les spéculateurs jouaient l'une contre l'autre... Nous sommes définitivement à l'abri de ces jeux de spéculation contre nous... c'est un immense avantage.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Permettez-moi de vous interrompre à mon tou...
François BAYROU : Dans une circonscription comme la mienne, j'ai fini ma phrase, quand Turboméca vend un sur deux des moteurs d'hélicoptères qui volent dans le monde grâce à une monnaie revenue à un taux raisonnable face au dollar, eh bien c'est une chance extraordinaire pour les employés, pour les ouvriers, pour la vie locale, donc pour la France.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Alors François Bayrou, tous ces avantages, je l'ai dit pour commencer, nous les avons déjà, c'est une monnaie commune... c'est à dire nous avons des liens fixes entre les différentes monnaies, des parités fixes.
François BAYROU : Contre votre avis.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Non pas contre mon avis... j'ai toujours été partisan d'une monnaie commune et je peux vous ressortir des articles de 1987 ou 1989 où je dis "le bon choix, c'est la monnaie commune"... c'était d'ailleurs l'avis à l'époque de M. Balladur.
François BAYROU : Pourquoi avez-vous voté non à Maastricht.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : J'ai voté non à Maastricht parce que outre la monnaie unique, dont je pense qu'elle aura beaucoup d'inconvénients, Maastricht procède de l'idée de l'effacement des identités nationales et moi je veux que la France continue... y comrpris au sein de la zone euro.
François BAYROU : Puis-je vous interrompre à mon tour.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je ne veux pas que la France reste dans les mains de ceux qui l'ont conduite sur ces récifs... Je pense qu'elle mérite un meilleur capitaine et je vous rappelle que l'élection présidentielle, c'est au début de mai 2002, alors que la conversion forcée du franc en euro aura lieu le 17 février.
François BAYROU : Alors sur cette phrase, "la France mérite de meilleurs capitaines", je suis prêt à la signer avec vous, mais ceci est une autre affaire...
Je reviens un seconde au sujet... en essayant de simplifier ce que nous disons l'un et l'autre... Vous dites, "j'étais pour une monnaie commune"... nous l'avons... mais tous les inconvénients que vous avez dénoncés longuement, du fait que les régions n'ont pas le même degré de développement et que les unes pourraient souffrir de la politique adaptée aux autres... c'est la même chose, c'est les mêmes risques avec une monnaie commune...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Il y a des possibilités d'adaptation.
François BAYROU : Alors ça n'est plus une monnaie commune.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Disons que les choix sont moins irréversibles... ils peuvent intervenir dans certaines limites, mais aujourd'hui, vous constatez que par exemple l'Irlande, le Portugal, l'Espagne, ont des taux de croissance et des taux d'inflation beaucoup plus importants que les autres...
François BAYROU : C'est le cas de beaucoup de régions françaises aussi... entre la Franche-Comté et l'Aquitaine, et Rhône-Alpes et la région Parisienne, les vitesses relatives de croissance ne sont pas les mêmes... on sait bien qu'il y a tous les jours des régions qui vont plus vite que d'autres... ça ne nous empêche pas de vivre ensemble et ça ne nous empêche pas de chercher en effet, de quelle manière arranger la situation de tous... c'est ce qu'on appelle une politique d'aménagement du territoire... vous la connaissez bien... vous en avez été chargé... parce que en effet, lorsqu'on est dans un ensemble avec une monnaie commune, il faut une autorité politique capable de dire "telle région a besoin de notre aide, et telle autre doit faire preuve de solidarité".
Jean-Pierre CHEVENEMENT : A ceci près que pour construire la France qui en effet est un édifice auquel je tiens, il a fallu près de dix siècles et qu'il me semble que vous vous trompez sur le rythme car pour construire l'Europe, il faut du temps... il faut bâtir un sentiment d'appartenance... cela ne se fait pas du jour au lendemain... la démocratie, c'est quand même l'acceptation par la minorité de la loi de la majorité... ça ne va pas de soi et je crois que vous vous trompez sur le rythme qu'il est possible d'imprimer à cette construction et le maintien d'une certaine souplesse dans les relations entre les différentes nations qui composent l'Europe, eût été une sage précaution.
François BAYROU : Eh bien je vais vous faire une confidence historique... que vous ne répéterez pas mais que vous ne récuserez pas non plus... l'Europe existait avant que les nations n'existent... Au Moyen Age, les étudiants européens, les artisans européens.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Vous revenez au Moyen-Age... j'ai un peu de peine à vous suivre...
François BAYROU : passaient d'universités européennes... ça n'est pas un sujet à sourire... passaient d'universités européennes à d'autres universités européennes et ça a fait le tissu culturel intellectuel de l'Europe... Nous étions.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Vous pourriez aussi nous parler des ordres monastiques pendant que vous y êtes.
François BAYROU : Pourquoi pas... je veux bien vous en parler, ça ne me gênerait pas.
Alain DUHAMEL : François Bayrou, avant la pause, il nous reste deux minutes et demi... est-ce que vous pourriez utiliser une minute pour dire si oui ou non vous êtes en faveur d'une relance européenne ou pas et qu'ensuite Jean Pierre Chevèmement puisse vous répondre, parce qu'autrement on passera au thème suivant et on ne le saura toujours pas...
François BAYROU : C'est très simple... c'est comme dans une voiture, il y a un accélérateur et il y a un frein... je suis partisan d'utiliser l'accélérateur chaque fois que nécessaire, notamment quand il faut monter une côte un peu rude... hélas, la question qui se pose, c'est de savoir si nous avons le carburant nécessaire pour ce faire... nous ne l'avons pas aujourd'hui parce que les gouvernements successifs, et notamment celui auquel Jean Pierre CHEVENEMENT participait, n'ont pas donné à la France les marges de manoeuvre nécessaires pour pouvoir appuyer sur l'accélérateur aujourd'hui...
Alain DUHAMEL : Jean Pierre CHEVENEMENT...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je crois qu'au fond de ces discussions, chacun comprend que nous sommes embarqués dans une affaire... mais ce sont les arrière-pensées qui m'intéressent et je pense que les artisans de l'euro, M. Jospin, M. Chirac, qui s'est aussi prononcé pour le traité de Maastricht, M. Bayrou, les artisans de l'euro, veulent évidemment, en supprimant le franc, gommer quelque chose de l'identité de la France...
François BAYROU : On n'est plus dans la France là.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Et je dois le dire et nous revenons à la question du rythme, pour moi, c'est inacceptable... pour moi, la France ne doit pas disparaître, elle ne doit pas disparaître avec le franc, elle doit continuer à vivre et à faire entendre sa voix, y compris quand notre monnaie s'appellera l'euro... et puis ensuite, nous verrons, nous nous adapterons avec pragmatisme, mais sans pour autant nous priver d'aucune espèce de voie de sortie.
Alain DUHAMEL : C'est une excellente transition parce que c'est justement le troisième thème que nous traiterons après cette pause de publicité.
Alain DUHAMEL : Alors c'était à François Bayrou de terminer sur ce qu'il nous disait juste vant la pose, François Bayrou.
François BAYROU : Non, je voudrais répondre à ce que Jean-Pierre CHEVENEMENT évoquait à l'instant. Il disait, pour agiter une espèce de peur profonde, il disait je ne veux pas que la France disparaisse avec le franc. Mais qui peut croire, imaginer, accepter cette idée que parce que nous aurons des euros en poche, des billest en euros en poche et des billets et des pièces et non pas des billets et des pièces en francs, qui peut croire que la France disparaîtra pour autant. Je ne me sentirais pas une seconde moins Français parce que je serais plus Européen. Je crois à la France, je crois à sa culture, je crois à sa langue, je crois à sa poésie, je crois à sa politique, à sa démocratie, au débat qui existe entre nous et je n'ai pas l'impression que l'Europe le menace, je crois au contraire que l'Europe peut l'aider. Parce qu'il existe un certain nombre de questions auxquelles la solitude française, l'isolement français ne peut pas trouver de réponse et ces questions là, l'Europe peut leur offrir une réponse, je prends un seul exemple, militaire, si c'était à nous qu'était arrivé le malheur américain et si au lieu des tours du World Trade Center c'était la tour Montparnasse qui avait été visée ou atteinte, est-ce que nous aurions les moyens de la riposte ? Et je site un seul exemple, pour cette riposte il faut des porte-avions, les Américains en ont onze ou douze je crois, nous nous en avons un seul et il est en cale sèche, à Toulon, et d'ailleurs s'il n'était pas en cale sèche nous serions un peu embêtés parce que nous n'avons pas les avions pour atterrir sur ce porte-avions et Jean-Pierre CHEVENEMENT le sait bien. Les avions anciens sont à la réforme et les avions nouveaux ne sont pas encore prêts. Eh bien je dis que ces moyens là d'action, de souveraineté, ces moyens qui permettent à un peuple et à un pays d'intervenir sur les affaires du monde, de faire entendre sa voix et s'il le faut de frapper sur la table et s'il faut de frapper les assassins. Ces moyens là nous ne les aurons que si nous nous mettons ensemble.
Anne-Line ROCCATI : Alors il faut créer une armée européenne ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Ecoutez, moi je suis très surpris d'entendre M. Bayrou qu'il faut des porte-avions pour lutter conter le terrorisme. Je crois que le porte-avions...
François BAYROU : Eh bien vous allez voir, je crois les Américains ont en quatre je crois sur la zone
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Oui, ils ont onze porte-avions en effet et je ne pense pas que ce sera un argument décisif dans la lutte contre le terrorisme qui est une lutte résolue, de longue haleine, multiformes.
François BAYROU : Multiformes, c'est-à-dire militaire, financière, mais militaire aussi.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais raisonnons à l'échelle qui est la notre, un pays comme l'Afghanistan est traditionnellement un enjeu entre, d'une part les Russes et d'autre part, les Anglo-Saxons. Hier, les Britanniques, aujourd'hui les Américains. Mais enfin les Britanniques sont présents au Pakistan, le Pakistan faisait partie de l'empire des Indes. Là-bas nous sommes dans une région que je connais bien pour y être allé, mais ou véritablement, sauf sous la forme d'archéologue, peu de Français y ont vraiment mis durablement le pied. Et notre zone d'affluence et de préoccupation, c'est la méditerranée, c'est à la limite jusqu'au Proche-Orient et pour cela nous avons besoin d'abord d'une aviation qui le cas échéant peut être ravitaillée en vol et nous n'avons pas besoin d'avoir onze porte-avions si nous le voulons et d'ailleurs toujours nous devons étudier ceux que peuvent être les moyens de la riposte. Je ne pense pas très franchement que aujourd'hui les autres pays européens si je mets à part la Grande Bretagne, mais qui est étroitement alignée sur les Etats-Unis, mais je ne crois pas que les autres pays européens soient prêts à faire l'effort de défense qui nous permettrait de rivaliser avec la machine américaine qui d'ailleurs ne répond pas au problème posé et, s'agissant de l'Europe, j'écoute toujours avec plaisir M. Bayrou je dois dire, mais quand j'ai entendu M. Berlusconi et quand j'ai entendu M . Blair, je me demande ce qu'on pourrait faire avec eux. Parce que M. Blair sera toujours avec les Américains, quoiqu'il arrive et M. Berlusconi tient des propos qui sont peu censés et qui manifestent une grande insensibilité à l'égard de ce qu'est le monde arabo-musulman, c'est-à-dire un milliard d'hommes et je pense que la voix de la France elle est absolument nécessaire, parce que au moins je dois dire que notre ministre des affaires Etrangères, Hubert Védrine, s'est exprimé à bon escient, avec une analyse précise, fine et remarquablement adéquate par rapport au problème qui nous est posé. Donc je pense que c'est la voix de la France... attends...
François BAYROU : La question est de savoir comment on le mieux faire entendre la voix de la France. Isolée, coupée de ses voisins comme vous venez d'en donner l'exemple. Les Allemandes d'un côté, les Italiens de l'autre, les Anglais du troisième. Aucun de vos voisins, de nos voisins, ne trouvent grâce à vos yeux. Eh bien je considère moi que nos voisins ne sont pas des étrangers pour nous. Je considère que nous appartenons à la même maison, que nous avons non seulement les mêmes valeurs mais les mêmes intérêts sur le long terme, le moyen terme et je crois aussi le terme immédiat. Je considère que c'est avec eux que nous devons construire l'avenir et passer son temps toujours avec cette idée d'appuyer sur les peurs ou les vagues sentiments de mauvais voisinage qui consiste à mettre toujours en avant les défauts des autres. Je ne crois pas que ni M. Blair ni M. Aznar ni les Italiens, ni les Allemands, doivent être perpétuellement séparés ou divisés des Français et que la voix de la France et le meilleur moyen de la faire entendre, c'est de construire une maison commune avec eux.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Alors, concrètement, cela veut dire qu'on envoie la Troïka européenne faire la tournée des capitales. Qu'est-ce que cela donne ? Cela donne, M. Patten, commissaire européen aux Relations extérieures qui est l'ancien gouverneur de Hong Kong, on s'en souvient, tout le monde s'en souvient dans le monde arabe et ailleurs. M. Solana qui est l'ancien secrétaire général de l'OTAN, ce qui évidemment introduit une certaine connotation et puis cet excellent ministre des Affaires étrangères belges, M. Michel, qui passe son temps à réparer les dégâts qu'à fait M. Berlusconi. Permettez-moi de vous dire que le général de Gaulle et même François Mitterrand quand ils parlaient ça s'entendait et ça avait de la gueule.
François BAYROU : Voilà, très bien. Eh bien de la gueule alors. C'est précisément là que nous en sommes. N'est-ce pas. Vous ne pouvez pas Jean-Pierre CHEVENEMENT... j'allais dire François Mitterrand... vous ne pouvez pas regarder la vie ou la route qui est devant nous dans le rétroviseur perpétuellement. Les temps dans lesquels nous sommes. Le général de Gaulle avait bâti notre défense sur la bombe atomique. Sur la dissuasion nucléaire, mais aujourd'hui ça n'est plus me semble-t-il là que se joue la crédibilité de la défense française et notre capacité d'action. C'est sur tout autre chose.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais vous savez la défense elle a surtout pour but de soutenir la diplomatie et le général de Gaulle avait une diplomatie qui reposait, il le disait lui-même, sur une certaine idée de l'homme et cela que la France doit porter.
François BAYROU : Voilà et là nous sommes dans le... Pardonnez-moi, je ne veux pas vous offenser, mais là nous sommes peut-être dans le verbe et peut-être même dans le verbeux. Alors essayons d'éviter ce... Voilà... il y a des moments ou se vérifie la capacité d'action d'un peuple ou d'un ensemble de peuple et cette capacité d'action aujourd'hui en matière militaire dont vous avez eu la charge elle est faible. Alors si vous me dîtes que ça ne sert qu'à soutenir la diplomatie, alors en effet, pourquoi dépenser quatre-vingts milliards de francs par an pour bâtir un outil de défense...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Sauf si on part à la guerre... Mais à qui...
François BAYROU : Non je veux faire la guerre, je veux être prêt à répondre à nos ennemis, si nous en avions comme les Américains sont prêts à le faire aujourd'hui devant une attaque épouvantable, devant une attaque épouvantable. Je ne veux pas que M. Ben Laden ou ses Séïds règnent sur le monde. Je veux être capable, avec mes alliés européens, de leur dire " Messieurs, vous nous avez frappé, vous serez punis pour cette frappe. Messieurs, vous nous avez défié nous ne tolérerons pas que vous veniez atteindre nos femmes et nos enfants.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais vous savez, l'éradication du terrorisme est une oeuvre infiniment plus complexe que celle que vous semblez imaginer.
François BAYROU : Je suis prêt à le signer avec vous mais je ne suis pas fier de notre faiblesse actuelle. Je ne suis pas fier de notre inconsistance actuelle.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais écoutez, vous passez votre temps à battre votre coulpe, à faire repentance, mais la France...
François BAYROU : Sur quoi est-ce que je fais repentance...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais la France n'a pas à battre sa coulpe en permanence et je dirais que dans une affaire comme celle-là, être aux côtés des Etats-Unis pour les aider à élucider les tenants et aboutissants des réseaux Ben Laden dont je rappelle qu'ils sont le produit de la politique américaine qui a utilisé l'intégrisme wahhabite contre l'Union Soviétique avant que cet intégrisme se retourne contre elle au moment de la guerre du Golfe. C'est une histoire que chacun connaît. Donc il me semble que ce qui est important c'est d'avoir une vision d'une monde, une diplomatie qui permette de défendre nos intérêts bien compris et le cas échéant par les armes, mais à condition que les armes soient toujours bien ciblées...
François BAYROU : Par les armes à condition d'avoir des armes...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : mais à condition d'avoir des armes bien ciblées et c'est cela qui m'étonne des dirigeants politiques.
Alain DUHAMEL : Monsieur CHEVENEMENT...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Permettez moi de vous dire à verbeux, verbeux et demi.
Alain DUHAMEL : Oui, absolument...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je vous dirais quand même que l'utilisation des armes elle doit faire l'objet d'une analyse précise. On doit les utiliser à bon escient car il est très facile d'ouvrir la boîte de Pandore de la guerre ensuite on ne rattrape pas ses conséquences. C'est comme cela qu'en 1914 on a laissé échapper les démons qui ont empoisonné notre XXème siècle.
François BAYROU : Ce sont les démons du nationalisme que vous servez par ailleurs, mais je voudrais revenir... je voudrais revenir à une formule que vous avez utilisé au moins trois fois. Je vais le faire en termes nuancés si je peux. Je ne pense pas qu'il soit juste, ni même pour aller au fond de ma pensée, qu'il soit acceptable, de toujours présenter les choses comme si les Etats-Unis étaient les responsables du terrorisme qui les a atteint. Je trouve que...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je n'ai jamais dis une chose pareille...
François BAYROU : Si, si... vous dîtes.. que chaque fois c'est le résultat de la politique américaine.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je rappelle ce fait.
François BAYROU : Chaque fois.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais je pense que l'intégrisme a aussi sa logique qui n'a rien à voir avec les Etats-Unis, Israël ou l'Occident.
François BAYROU : Eh bien essayons de dire...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais les deux choses sont vraies, d'une part l'intégrisme a sa logique et d'autre part bien évidemment la politique de l'Occident et des Etats-Unis a été une politique très inconséquente.
François BAYROU : Il n'est pas juste de présenter les choses et c'est la troisième fois que vous l'avez fait ce soir, en laissant entendre et beaucoup de gens nous écoutent qui pourraient s'y tromper. En laissant entendre que c'est la faute quelque part des Américains si ce démon a pris forme. Il est vrai que ce démon s'est nourri d'un sentiment de déséquilibre du monde et il vrai que si nous voulons penser l'avenir de la planète il faut le penser en terme de justice. Mais nous ne pouvons pas faire ce cadeau aux terroristes et aux assassins de justifier même à demi-mot ou entre les lignes leurs actes épouvantables. Je ferme la parenthèse, parce que...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je suis très gêné de vous entendre parce que vous faites appel à des sentiments qui sont tout à fait louables et compréhensibles, mais des hommes politiques qui prétendent à de hautes responsabilités doivent aussi faire des analyses et aider l'administration américaine
François BAYROU : Mais je suis prêt à en faire et même avec vous.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Revoir un certain nombre de ses orientations. L'appui accordé à l'Arabie Saoudite depuis toujours et d'une manière aveugle en échange du pétrole qu'elle contient en abondance, l'appui accordé aux intégristes Afghans contre l'Union Soviétique sans prendre garde
François BAYROU : Vous voyez que c'est exactement ce que vous êtes en train de recommencer à faire...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais oui...
François BAYROU : en ayant protesté préalablement que ce n'était pas votre vision.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais écoutez, je dis que ce sont des réalités
François BAYROU : Que ce n'était pas votre vision.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais je dis que ce sont des réalités et vous ne pouvez pas
François BAYROU : Mais je demande seulement une chose
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais vous ne pouvez pas nier cela
François BAYROU : M. CHEVENEMENT, je demande seulement une chose, c'est qu'on prenne soin d'écrire le premier chapitre en disant que le terrorisme qui a tué ces 7000 femmes et hommes nous n'acceptons de le justifier en aucune manière et nous le combattrons de toutes nos forces
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais bien évidemment, mais bien sûr.
François BAYROU : Et nous le combattrons de toutes nos forces. Deuxièmement, que nous chercherons en effet à construire un ordre international juste et moi je n'ai pas envi dans les moments où nous sommes de recommencer, et je suis pourtant je crois très indépendant des Américains dans ma pensée, mais de recommencer cette pernicieuse justification de ceux qui auraient conduit aux actes des assassins.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Non, je ne vous autorise pas à employer ces termes.
François BAYROU : Vous m'autorisez... Je prendrai les autorisations nécessaires.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : J'ai fait une analyse qui correspond malheureusement à la réalité et je pense qu'il faut avoir le courage aussi de la produire si on veut que l'Administration américaine modifie ses vues, si on veut que la voix de la France puisse se faire entendre de manière positive, parce que bien évidemment le monde tel qu'il va ne correspond pas à l'image qu'en donnait le président Bush père en 1991 quand il a annoncé un nouvel ordre mondial : (reprise en anglais). Je crois que nous avons plutôt le nouveau désordre mondial.
François BAYROU : C'est tout à fait juste.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Donc je pense que des hommes politiques doivent être capables de produire des raisonnements, de proposer les solutions
François BAYROU : Eh bien on va s'y employer.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : D'avoir une capacité de leadership dans le XXIème siècle.
François BAYROU : Monsieur CHEVENEMENT, quand vous dites ce que j'ai fait, nous sommes plusieurs à nous y employer, à essayer... alors entrons dans ce sujet là parce qu'il est très important... il me semble en effet il faut une voix qui présente un autre ordre mondial que l'ordre comme les autorités américaines ou les américains le voient... cette voix manque... quand vous dites la voix de la France, pardonnez-moi de vous dire que la voix de la France, personne sur ce sujet ne l'entend... Que les autorités françaises aujourd'hui, je n'ai pas l'impression qu'elles proposent ou articulent ce nouvel ordre du monde... et vous avez raison de dire que c'est le point sur lequel on nous attend... Il faut qu'une voix autre que celle des Etats-Unis soit capable de présenter au monde un nouvel ordre... je ne crois pas qu'il y ait une autre voix disponible que la voix européenne.
Alain DUHAMEL : Il faudrait poser une question qui vous permet de répondre à ça...
Anne-Line ROCCATI : Faudrait-il modifier les institutions européennes pour arriver à ce que cette voix s'exprime s'il en est besoin... ou quand il en est besoin.
François BAYROU : Aujourd'hui les institutions européennes, Jean Pierre CHEVENEMENT les a présentées ironiquement et il avait bien raison, ce sont des troïkas, c'est à dire des voyages à trois responsables différents et qui en effet, sont toujours précédés par les chefs d'état qui aiment à se présenter comme les premiers à faire entendre la voix de l'europe, on l'a vu récemment dans les différents voyages américains que Jacques Chirac, ou Tony Blair ou le ministre des affaires étrangères allemands ont produit dans une concurrence qui était un peu dérisoire, je dois bien le dire... alors oui, il faut donner un visage et une voix à l'Europe parce que comme républicains, je revendique cet adjectif, comme Jean Pierre CHEVENEMENT le fait, comme républicain, je veux que partout où il y a un pouvoir, il y a un contrôle des citoyens, que partout où il y a un pouvoir, ce pouvoir soit révocable par les citoyens et que partout où il y a une décision à prendre, cette décision soit précédée d'un débat où les citoyens, femmes et hommes, auront leur mot à dire. Aujourd'hui, l'Europe, elle se fait dans la clandestinité... Je voudrais qu'elle se fasse dans la transparence... je suis un européen qui voudrait que l'Europe change et qu'elle devienne transparente.
Alain DUHAMEL : Jean Pierre CHEVENEMENT.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je crois qu'aujourd'hui on a envie, dans le monde, d'entendre que s'exprime la voix de la France... Bien sûr on dit l'Europe, mais la France et l'Europe vont de pair... moi, je ne suis pas contre l'Europe, comment pourrait-on être contre le continent sur lequel nous nous situons... Mais je ne pense pas que l'Europe doive se substituer aux nations... Pour moi, l'Europe doit les prolonger et il faut d'autant plus impliquer les nations qu'on veut une Europe forte... je pense que si la France s'exprime, ça n'empêche pas du tout qu'on entende les européens aussi s'exprimer... mais sachons réintroduire les nations dans le débat... parce qu'on ne va pas les effacer et de ce point de vue, pour répondre à la question de Madame Roccati, je dirais que je propose qu'au conseil européen, les votes soient publics... que le droit de proposition qui est actuellement le monopole de la commission, soit partagé avec toutes les nations membres de l'Union Européenne et qui pourront ainsi faire des propositions aux conseils des ministres, au conseil européen, comme je l'ai fait moi-même par exemple pour préparer le sommet de Tempere et si le sommet de Tempere aboutit à un certain nombre d'orientations sur les problèmes très difficiles du co-développement, de l'immigration, de l'intégration des étrangers, c'est sur la base d'un memorandum franco-allemand que j'ai élaboré avec mon collègue Chili et ensuite avec mon collègue britannique Strow... donc je pense que c'est en impliquant les nations au départ qu'on peut faire avancer l'europe, et il y aurait beaucoup à faire pour donner une volonté à l'Europe... On a parlé de relance, mais les projets d'Essen, Jacques Delors s'en souvient, c'est lui qui les avait proposés, en 1994... ils n'ont jamais été réalisés, faute d'une volonté pour lever les obstacles financiers, parce qu'il y avait paraît-il les sacro-saints critères de Maastricht qui empêchaient que chaque état mette sa mise au pot... ce qui fait qu'on pourrait faire beaucoup de choses en matière de réseaux à grande vitesse, de tunnels transfrontaliers, de grands travaux, la dépollution de la méditerranée, l'ouverture vers le sud, bien nécessaire, et on le voit bien avec ces problèmes qui se posent... Je pense que l'Europe s'est élargie à l'est... fort bien... mais elle devrait se préoccuper de ce qui se passe au Maghreb, de ce qui se passe sur la rive sud de la Méditerranée... ça, c'est quand même très important, et ça ne se fera que si la France fait entendre une voix claire, une voix juste, une voix raisonnable, parce que c'est la raison... On voit bien que le processus de Barcelone est en panne et par conséquent il faut donner une volonté politique à l'Europe... voilà ce que je souhaite et voilà le rôle des nations... aucune n'en est exclue et je voudrais que la France tienne sa place et qu'on l'entende.
François BAYROU : Vous voyez comme on peut jouer avec les mots... donner une volonté politique à l'Europe... c'est une phrase que je signe, je suis aussi prêt à signer celle que vous avez dite un peu plus tôt, "la France et l'Europe vont de paire"... c'est formidable... Mais quand on double cette phrase là de la critique faite préalablement de M. Blair, des dirigeants italiens, des dirigeants allemands et de quelques autres, on s'aperçoit que cette conception de l'Europe, découpée en autant de nations qu'il y a de pays, cette conception là empêche l'Europe d'exister et d'avoir une volonté politique précisément... A mes yeux, il faut une évolution de l'Europe pour qu'elle ait une voix, un visage, des gens qui prennent des décisions et qu'on sache enfin où on va, ça n'est pas le cas aujourd'hui... je vais citer un seul exemple... vous avez appelé Jacques Delors en disant "il aurait fallu faire la politique des grands travaux qu'il proposait"... je me réjouis de voir qu'en effet, vous vous inscrivez dans cette pensée là... l'Europe ne peut pas le faire.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Sauf que c'est resté une pensée.
François BAYROU : L'Europe ne peut pas le faire... oui parce qu'il faut plus d'Europe pour le faire.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Non, il faut plus d'argent...
François BAYROU : Non, il faut plus d'Europe, parce vous allez voir, à cause de vous, en tout cas à cause des courants de pensée que vous représentez, l'Europe n'a pas le droit d'emprunter un euro... l'Europe se voit interdite, parce qu'elle n'a pas cette capacité politique... les traités lui interdisent d'emprunter un euro.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : quels traités... les traités que vous avez voté, pas moi.
François BAYROU : Non, les traités que vous avez, dont vous avez vous, refusé toute évolution... les traités interdisent à l'Europe d'emprunter... il lui interdisent donc de bâtir les tunnels que vous appelez de vos voeux, les autoroutes que vous appelez de vos voeux, la dépollution que vous appelez de vos voeux...
Jean-Pierre CHEVENEMENT :Rien n'interdit M. Bayrou que des états, un petit nombre d'états si ce n'est pas l'Europe... mais pour moi, l'Europe pourrait lancer ces emprunts, mais rien n'interdit à la France, à l'Allemagne, à l'Espagne par exemple, de lancer un emprunt pour financer le TGV Rhin-Rhône... ou à la France et l'Italie, pour financer le Lyon-Turin... rien ne l'interdirait s'il y avait une volonté politique... simplement.
François BAYROU : Cette volonté politique n'existera pas.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Je vous ai laissé parler... je vous écoute avec beaucoup de patience croyez-le, car quelquefois, j'aurais envie de bondir... vous avez une façon de mettre en accusation, de vouloir culpabiliser votre contradicteur, qui n'est pas plaisante.
François BAYROU : Pourquoi seriez-vous culpabilisable ?
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Parce que moi je ne vous accuse pas d'être anti-national...
François BAYROU : Bien si... chaque seconde.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais non...
François BAYROU : Il n'y a pas de déshonneur, Monsieur CHEVENEMENT, à soutenir les thèses qui sont les vôtres, j'espère qu'il n'y en a pas, à soutenir les thèses qui sont les miennes... on voit bien qu'il y a là deux visions différentes... vous avez une vision qui rêve, à mon avis ça ne se fera pas, mais ça serait grave de conséquence, qui rêve de revenir à un ordre purement national des choses... et moi, je vois l'avenir d'une autre manière, non pas je rêve, mais j'espère que nous allons pouvoir bâtir entre les nations européennes, une maison commune qui soit plus forte que nous ne le sommes séparément. Séparément, nous accumulons les impuissances... moi je voudrais que nous arrivions enfin à cette capacité qui fait les grandes forces sur la planète.
Alain DUHAMEL : Alors Jean Pierre CHEVENEMENT, vous répondez et si vous êtes d'accord, vous pouvez d'ailleurs, après avoir répondu, présenter votre propre conclusion, générale, que nous attendons tous avec impatience, comme celle de François Bayrou.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Il y a l'univers du verbe, il y a l'univers des réalités... les hommes politiques qui se coltinent les réalités ont évidemment la tâche plus difficile que ceux qui se réfugient dans le verbe... et je pense qu'entre les nations d'Europe, il y a place pour un dialogue sérieux, un dialogue constructif, mais qui pour autant ne se cache pas les réalités... Je vais citer un historien allemand qui s'appelle Arnulf Baring, qui, à propos de l'amitié franco-allemande, dit un certain nombre de choses qui peuvent paraître pénibles, mais moi-même ayant participé à une bonne vingtaine de sommets franco-allemands, je peux dire que j'en reconnais toute la pertinence... voilà ce que dit Arnulf Baring... "l'amitié franco-allemande comporte une bonne part de mensonges... on fait comme si les problèmes avaient disparu... ce n'est pas le cas... ce que je dis n'a rien de polémique, c'est une description de la situation... je souhaite qu'on rompe le silence, qu'on parle franchement des problèmes au lieu de les masquer et de les refouler... c'est comme dans les ménages... il faut se parler, sinon cela devient malsain"... Moi, c'est ce que j'ai voulu dire dans un livre que j'ai écrit il y a 5 ans qui s'appelle "France-Allemagne, parlons franc"... et je crois qu'aujourd'hui plus que jamais, les hommes politiques doivent se mettre à l'école de la réalité... ils doivent s'appuyer sur ce qui est solide et la nation est une chose solide qu'il faut conserver, à partir de laquelle on peut bâtir et la nation est la brique de base de l'Europe bien sûr, mais aussi d'un ordre international raisonnable... ces monstres que nous avons enfantés, que la politique menée a enfanté, ils ont prospéré sur le vide étatique... je pense à Oussama Ben Laden, c'est dans des régions où ne s'exerce aucune autorité étatique qu'ils se sont réfutiés, en Afghanistan, au Soudan, en Somalie... par conséquent ma conclusion sera celle-là, oui à l'Europe, mais sur la base des nations, parce que les nations sont le cadre du débat démocratique, de l'élaboration d'une volonté générale, bref, oui à l'Europe, mais par la démocratie.
Alain DUHAMEL : François Bayrou, votre conclusion...
François BAYROU : La nation est la brique de base... mais une brique qui reste toute seule ne construit pas un mur, ne construit pas une maison... moi je rêve... non pas je rêve... je partage la volonté de ceux qui veulent qu'on n'en reste pas où l'on en est parce que si on avait eu le temps, je vous aurais posé une question simple...
Alain DUHAMEL : Oui, mais c'est trop tard.
François BAYROU : En quoi ce que vous décrivez est-il différent de ce que nous avons aujourd'hui... pour moi, c'est exactement la situation dans laquelle nous sommes... or, je vois toutes les faiblesses de ce que nous avons aujourd'hui... Je vois notamment une chose, très simple, qui est que nos concitoyens, les citoyens français ne comprennent pas comment l'Europe fonctionne, et ils ne se sentent pas une place à l'intérieur... je veux qu'ils aient la place...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Mais cette Europe, c'est la vôtre, c'est celle que vous avez construite...
François BAYROU : Non, vous savez bien que par exemple.
Jean-Pierre CHEVENEMENT : Comment pouvez-vous répudier...
Alain DUHAMEL : C'est François Bayrou qui conclut, vous avez encore 30 secondes...
François BAYROU : Je me suis opposé au traité de Tunis et moi j'ai soutenu au contraire l'idée qu'il fallait une transparence et une règle du jeu claire, que tous les citoyens de base puissent comprendre dans cet effort de construction que nous avons à faire devant nous... Autrement dit, si souveraineté il y a... qu'est-ce que ça veut dire souveraineté, c'est un mot compliqué et qu'on a du mal quelquefois à expliquer... ça veut dire qu'on peut commander, que quand on décide, on commande...
Jean-Pierre CHEVENEMENT : C'est le peuple qui est souverain.
François BAYROU : C'est le peuple qui est souverain et je souhaite que les peuples européens puissent devenir souverains à leur tour car toute cette souveraineté que nous n'avons plus, la souveraineté de la monnaie, la souveraineté d'une véritable défense, la souveraineté d'une voix diplomatique respectée dans le monde, nous ne la regagnerons que si nous savons vivre ensemble et construire ensemble... je souhaite que la brique ne reste pas seule... je souhaite qu'on construise des murs, une maison et une cathédrale.
Alain DUHAMEL : François Bayrou et Jean Pierre CHEVENEMENT merci pour ce débat...
sur notre site internet RTL point FR - le grand débat, vous pouvez tous réagir à ce que vous avez entendu, dire qui vous a le plus convaincu, quels sont les arguments qui vous intéressés.
Le mois prochain, nos invités seront Hubert Védrine, le ministre des affaires étrangères dont parlait tout à l'heure Jean Pierre CHEVENEMENT, et Alain Madelin, président de Démocratie Libérale et lui-même candidat à l'élection présidentielle.
(Source http://www.udf.org, le 4 octobre 2001)