Interview de M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, à "Europe 1" le 19 juin 2013, sur la politique des aides aux entreprises.

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Média : Europe 1

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le président de la région Rhône-Alpes Jean-Jack QUEYRANNE, votre ami, vous a remis le rapport que vous lui avez demandé pour rénover le millefeuille de six mille aides publiques accordées aux entreprises, cent dix milliards par an. Et il vous propose, avec la petite équipe qui a travaillé sur ce rapport, d’économiser trois milliards en deux ans pour les réorienter vers la compétitivité. Trois milliards, je pense que c’est bon à récupérer, non ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ce n’est pas qu’une approche financière ou budgétaire, même si nous avons besoin de faire des économies et de limiter, diminuer les dépenses publiques. Parce que tout ce qu’on n’économise pas, il faudra le prendre en impôts, c’est donc épargner la sueur de nos contribuables.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc trois milliards, c’est bon.
ARNAUD MONTEBOURG
En tous cas, c’est un format ambitieux et ce qui est intéressant dans le rapport de monsieur QUEYRANNE, qui était adjoint de monsieur JURGENSEN, un inspecteur des finances, et d’un chef d’entreprise, le directeur général de SOMFY, monsieur DEMAËL…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ils étaient trois.
ARNAUD MONTEBOURG
Ce qui est intéressant, c’est qu’il pense qu’il y a des aides qu’il faut conforter, qui ne sont pas suffisantes. Donc il y a des aides performantes et des aides qui ne le sont pas. Ils ont fait le tri.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce qui ne va pas, on va le dire. Ils disent qu’il faut augmenter le taux qui a été réduit du gazole pour les BTP, les agriculteurs, les routiers, les taxis. Est-ce que vous êtes prêt à le décider, ça ?
ARNAUD MONTEBOURG
On va en discuter avec les professionnels déjà, pour voir, parce qu’il y a taxi et taxi. Il y a des taxis qui sont en difficulté et donc ce sera une perte de revenus qui risque d’être fatale. Puis pour d’autres, les grandes compagnies, je ne pense pas que ce soit nécessaire. On peut peut-être moduler. Et d’ailleurs, l’approche du rapport et des rapporteurs, ce n’est pas le rabot, vous savez, on coupe des têtes, c’est une modulation. C’est assez intelligent comme proposition et ils arrivent quand même à trois milliards en étant intelligent et en respectant l’économie.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Jean-Jack QUEYRANNE vous propose aussi de revoir à la baisse les aides avantageuses accordées aux débitants de tabac.
ARNAUD MONTEBOURG
Écoutez, il constate qu’il y a plus d’argent mis pour aider les débitants, c'est-à-dire une profession, et il y a de gros débitants de tabac qui s’en sortent très bien et dont les revenus ont augmenté dans des proportions importantes ces dernières années, et d’autres dans le milieu rural qui sont en difficulté, donc il propose une modulation. Mais on met plus d’argent sur les débitants de tabac que sur les pôles de compétitivité industrielle et d’innovation technologique.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Anormal, ce n’est pas normal.
ARNAUD MONTEBOURG
C’est ce qu’ils disent.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, il y a des niches à raboter. Puis ils ajoutent qu’il y a des coûts de gestion qui sont énormes. Par exemple, je lis que dans les collectivités locales, il y a quinze mille personnes qui sont payées, disent-ils, par le contribuable soi-disant pour soutenir des entreprises et que ça fait sept cent millions d’euros par an. Ce n’est pas beaucoup, ça ?
ARNAUD MONTEBOURG
C'est exact. Il y a cent dix agences de développement sur le territoire qui se battent pour accueillir des investisseurs. D’ailleurs dans mon département, quand j’étais président du département de Saône-et-Loire, il y en avait sept. J’ai supprimé les subventions parce qu’elles n’arrivaient pas à fusionner et à se mettre d’accord. Donc il y a quand même un travail à faire sur le territoire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous dites que vous allez récupérer au moins deux milliards.
ARNAUD MONTEBOURG
Écoutez, nous sommes sur une approche, monsieur ELKABBACH, très courageuse et ambitieuse parce que la baisse de la dépense publique est un objectif partagé par les Français et le gouvernement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous ne me dites pas c’est trois milliards, ce sera deux milliards à récupérer mais il y en aura.
ARNAUD MONTEBOURG
Le plus possible !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien ! Enfin, très bien… Demain très tôt, le président de la République ouvre la conférence sociale. Vous, vous allez présider, Arnaud MONTEBOURG, une table ronde qui doit anticiper les emplois du futur et développer les relais de croissance de demain, ce qu’on appelle les filières. Est-ce qu’on peut prendre des exemples ? Parce que Laurent BERGER vous demande dans quels secteurs vous allez investir.
ARNAUD MONTEBOURG
Nous sommes en train de préparer une trentaine de plans industriels comme à la grande époque du Pompidolisme, du Gaullisme ou du Mitterrandisme, lorsque les présidents de la République ont engagé la Nation, leurs ressources, leurs hommes, leurs technologies, leurs idées autour de grands plans industriels qui d’ailleurs, c’est grâce à eux qu’aujourd'hui on est encore leaders mondiaux…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais il y avait de la croissance. Il y avait de la croissance.
ARNAUD MONTEBOURG
Certes, mais c’est grâce à eux que nous avons quand même des secteurs qui sont leaders mondiaux.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Exemple ?
ARNAUD MONTEBOURG
On n’aurait pas AIRBUS si AIRBUS n’avait pas fait l’objet d’un programme politiquement soutenu pendant trente ans.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Exemple des filières ?
ARNAUD MONTEBOURG
Par exemple la voiture sans chauffeur. C’est un objectif technologique, c'est-à-dire des voitures qui fonctionnent finalement sans conducteur, ce qui permet de gagner du temps…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ah bon ? Il y avait les avions sans chauffeur, maintenant il y a…
ARNAUD MONTEBOURG
Non. Non, non. Il y a les métros sans chauffeur mais il n’y a pas de voiture sans chauffeur ni d’avion sans chauffeur. Ça, ce sont des Drones et il n’y a pas de passager dans ces cas-là. C’est préférable. Donc nous avons des objectifs technologiques, vous connaissez le véhicule 2 litres, vous connaissez le TGV du futur qui va transporter pour moins d’énergie beaucoup plus de passagers, nous avons un programme imaginé dans les Drones, les dirigeables…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quoi, les Drones ?
ARNAUD MONTEBOURG
Les Drones civils par exemple.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D’observation.
ARNAUD MONTEBOURG
D’observation, d’analyse, c’est une sorte de prélèvement des informations et des renseignements sur le sol dans des usages – la santé, l’agriculture, un certain nombre de domaines.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous parlez de dirigeable : ça, c’est pour nous faire rêver et nous dire qu’on est dans le Jules Verne.
ARNAUD MONTEBOURG
Non, parce que beaucoup de pays sont en train de réinvestir dans le transport à hydrogène à très haute altitude, la surveillance militaire dans un cas et pour le civil, c’est le transport de fret jusqu’à plusieurs centaines de tonnes, ce qui est assez impressionnant.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il y a des projets, il y a investir, mais comment vous les financez ces projets ? pas seulement avec la Banque Publique d'Investissement, elle est déjà paralysée par ses querelles internes. Je lisais dans L’Express que sur les treize membres du grand conseil d’administration, il y a combien d’énarques sur les treize à votre avis ?
ARNAUD MONTEBOURG
Écoutez, la Banque Publique d'Investissement…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a combien d’énarques ? Combien d’énarques ?
ARNAUD MONTEBOURG
Elle n’est pas paralysée dans son fonctionnement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a onze énarques sur treize !
ARNAUD MONTEBOURG
D’accord. D’accord, on peut faire face aux énarques, on n’en est pas encore là dans notre pays…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Enfin voilà, ce sont les meilleurs entrepreneurs !
ARNAUD MONTEBOURG
Simplement, nous avons une Banque Publique d'Investissement qui n’est pas chargée de financer les grands programmes technologiques. Ça, c’est plutôt le grand emprunt, nous avons redéployé les sommes du grand emprunt parce que c'est un programme qui est très utile, et nous souhaitons d’ailleurs l’étendre. Avec cet argent et y compris de l’argent privé, de l’argent européen, nous souhaitons mobiliser plusieurs milliards sur les grands programmes technologiques et il y a des emplois à la clef. Par exemple, savez-vous que dans l’aéronautique l’année dernière, il y a eu treize mille embauches et il y a aujourd'hui dans ce secteur des emplois qui ne sont pas pourvus.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Justement, avec Michel SAPIN je suppose que vous allez essayer de trouver qui recruter pour les secteurs en demande.
ARNAUD MONTEBOURG
Vous avez des secteurs en baisse comme l’automobile parce qu’il y a des chutes de marché de moins quinze, moins vingt pourcents, et des secteurs en hausse comme l’aéronautique. Nous voudrions faire passer, aider les salariés sans drame et en anticipant à passer de l’un à l’autre en les formant.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Arnaud MONTEBOURG, votre slogan à la mode c’est relocaliser. Mesdames et Messieurs les industriels, revenez ! Revenez chez vous ! Est-ce qu’ils reviennent ?
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, il y a des grandes marques familières des Français – ATOL, SMOBY, L'ORÉAL, MECCANO, KINDY, EMINENCE – qui relocalisent en France et nous avons décidé de mettre un coup d’accélérateur. C'est-à-dire à partir de l’expérience, ils font la démonstration que c’est possible de recalculer leurs coûts de production. Les salaires en Chine augmentent de vingt pourcents, le prix de l’énergie et du transport explose, et donc en recalculant leurs coûts de production, ils s’aperçoivent que la France est attractive.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais à condition que les industriels étrangers qui veulent investir en France et qui reviennent trouvent une énergie pas chère. Ça veut dire qu’il ne faut pas fermer tout de suite les centrales nucléaires, ça peut attendre, ou travailler dans le gaz de schiste.
ARNAUD MONTEBOURG
Le débat de la transition énergétique a pour objectif d’éviter l’augmentation des prix pour les industries intensives.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc, donc…
ARNAUD MONTEBOURG
Je voudrais juste vous dire que la France est la première destination des projets industriels européens, la première destination des projets en recherche développement en Europe et la première destination des investissements américains en Europe. Donc on peut toujours taper sur notre pays, mais n’empêche qu’on a des atouts qui sont indestructibles. Nous voulons les amplifier.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Auparavant, vous recommandiez de démondialiser et maintenant vous poussez à relocaliser. En fait, avec deux mots différents vous dites la même chose. Relocaliser, c’est démondialiser.
ARNAUD MONTEBOURG
C’est exactement ça, d’ailleurs je vous remercie de noter que je suis fidèle à mes convictions et à mes engagements personnels, et qu’un gouvernement qui aujourd'hui est volontariste, d’esprit colbertiste, qui décide en effet de défendre sa base industrielle en faisant l’alliance des forces productives – les travailleurs, les industriels, les créateurs, les entrepreneurs – est capable aujourd'hui de relocaliser de la matière productive et industrielle…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous n’avez pas changé mais vous faites peut-être moins de promesses et moins d’éclat qu’avant, comme si vous étiez devenu un peu plus prudent avec la réalité.
ARNAUD MONTEBOURG
Écoutez…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce n’est pas une attaque.
ARNAUD MONTEBOURG
Non, non, j’ai compris que ce n’était pas une attaque, c’est juste une allusion un peu désagréable mais je la prends agréablement. Je veux juste vous dire que je ne fais pas de promesse. C'est une lutte, la lutte pour défendre la base industrielle France. C'est une lutte, tous les Français sont concernés. C'est une cause nationale et nous devons nous unir pour réussir. Donc qu’est-ce que nous faisons en effet ? Nous rapprochons avec la montée du made in France dans la tête des consommateurs, mais aussi des producteurs ; nous réconcilions en quelque sorte le consommateur avec ces producteurs parce que tous les Français quand ils vont au supermarché, ils ont envie d’avoir des PME qui embauchent leurs enfants, ils ont envie de protéger les niveaux de salaire et de protection sociale.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L’Union européenne va déposer avec le Japon aujourd'hui un recours auprès de l’OMC contre la Chine qui ne respecte pas les règles de concurrence mondiale. Est-ce qu’on peut arriver à un compromis sans déclarer une guerre à la Chine qui serait coûteuse en France pour les vins, pour les produits industriels et agricoles et donc pour l’emploi ?
ARNAUD MONTEBOURG
Écoutez, d’abord on constate que la Chine est protectionniste donc c'est normal qu’on le soit vis-à-vis d’elle. Ça s’appelle la réciprocité : ce que vous me faites, je le fais et après on négocie. Premièrement. Donc, je remercie l’Union européenne d’avoir commencé à bouger.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est rare.
ARNAUD MONTEBOURG
Nous avons obtenu quatre procédures de protection de nos intérêts industriels : la porcelaine, la céramique, les aciers spéciaux, les équipements télécoms – il y a une enquête en cours – et dernièrement les panneaux photovoltaïque. Ça bouge. Tant mieux, je l’ai dit aux commissaires concernés. Mais ça ne suffit pas, l’Europe est ouverte à 99,3 pourcents ; le reste du monde est fermé à, j’allais dire, cinquante pourcents au minimum. Donc nous sommes quand même la passoire dans la mondialisation aujourd'hui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui. Alors j’allais oublier de vous dire que l’industrie automobile européenne et française, d’après les chiffres qui ont été publiés hier, va mal. Le marché reste mauvais et il paraît qu’il va empirer. J’écoutais tout à l'heure Éric LE BOUCHER qui dit que les experts prévoient d’ici à 2020 en Europe une douzaine d’usines qui pourraient fermer. RENAULT et PEUGEOT se battent mais ils ne sont pas à la fête et j’apprends ce matin que GENERAL MOTORS ne projette pas d’investir davantage dans PSA. Comment vous redressez ? Comment vous les aidez ?
ARNAUD MONTEBOURG
Tout d’abord, on les aide tous les jours. Nous avons une stratégie de soutien à nos constructeurs, que ce soient RENAULT ou PSA, qui est une stratégie d’ailleurs dans le cadre du plan automobile de mutation technologique. Si aujourd'hui il y a une chute du marché automobile, c’est à cause de la baisse du pouvoir d’achat de tous les Européens, une récession européenne.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous pourriez mettre encore du capital ?
ARNAUD MONTEBOURG
Nous n’en sommes pas là et ça n’a pas été demandé. Une chose est sûre : c'est qu’on a déjà mis sept milliards pour garantir la banque qui permet de faire du crédit à la consommation aux acheteurs d’automobiles PSA-PEUGEOT CITROËN. Ce n’est déjà pas mal !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Arnaud MONTEBOURG, en Une du Figaro, et après on s’en va, le remaniement s’éloigne dit Le Figaro. Le remaniement s’éloigne et les ministres respirent. Vous, vous avez toujours eu une bonne respiration mais est-ce qu’on ne peut pas dire aux ministres : c’est quand la menace s’éloigne que le péril grandit ?
ARNAUD MONTEBOURG
Enfin, écoutez, d’abord ce n’est pas un péril.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Sauf ceux qui partiraient.
ARNAUD MONTEBOURG
Le sujet du remaniement n’est pas un sujet qui intéresse les Français. Ce qui les intéresse, c’est qu’on ait des résultats. Je vous renvoie aux résultats des élections de dimanche dernier.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui. Il faut faire gaffe, quoi.
ARNAUD MONTEBOURG
Je crois, oui. Oui.
Source : Service d'information du gouvernement, le 20 juin 2013