Interview de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, à RTL le 22 mai 2013, sur le décret rendant obligatoire la publication des liens entre les laboratoires pharmaceutiques et les professionnels de santé, le procès du Médiator et la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme des jeunes.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

JEAN-MICHEL APHATIE
Le Journal Officiel publie aujourd'hui, sous votre signature, un décret dont l'ambition est de rendre transparentes - on dirait, enfin - les relations entre les laboratoires d'une part et les professionnels de santé, par exemple les médecins, d'autre part. De quoi s'agit-il exactement, Marisol TOURAINE ?
MARISOL TOURAINE
C'est un décret qui a la volonté de faire la transparence, pourquoi ? Parce qu'on s'aperçoit que nos concitoyens ont des doutes sur les relations qui peuvent exister entre l'industrie pharmaceutique et le monde de la santé - pas simplement les médecins, contrairement à ce que j'entends ici ou là...
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais...
MARISOL TOURAINE
...le monde de la santé, les médecins, les professionnels de santé, mais aussi des associations de patients, les hôpitaux, les établissements de santé...
JEAN-MICHEL APHATIE
...les journalistes spécialisés...
MARISOL TOURAINE
...les journalistes spécialisés, par exemple. Et donc il y a...
JEAN-MICHEL APHATIE
...Les Français ont raison d'avoir des doutes ?
MARISOL TOURAINE
...il y a des doutes qui existent, et au fond, les gens...
JEAN-MICHEL APHATIE
Avec raison ?
MARISOL TOURAINE
...écoutez, nous sommes en plein d'un procès qui porte...
JEAN-MICHEL APHATIE
Le procès SERVIER.
MARISOL TOURAINE
...le procès MEDIATOR, comme on dit, qui porte sur un médicament dans lequel on s'est aperçu que des experts, en réalité, n'étaient pas indépendants. Et donc je le dis, l'objectif ça n'est pas d'interdire ou d'empêcher que des professionnels de santé par exemple aient des relations avec l'industrie pharmaceutique ; ces relations sont absolument nécessaires, pour la recherche, pour tester des médicaments par exemple, pour avancer et faire des progrès. Mais il faut que ces relations soient connues, simplement connues. Et c'est l'enjeu de ce décret.
JEAN-MICHEL APHATIE
Pour que les impératifs de santé soient préservés par rapport aux impératifs commerciaux ?
MARISOL TOURAINE
Tout simplement...
JEAN-MICHEL APHATIE
Ça veut dire qu'aujourd'hui les pratiques sont vraiment mauvaises ?
MARISOL TOURAINE
...non, je crois qu'aujourd'hui elles se sont...
JEAN-MICHEL APHATIE
On parle tous des voyages payés, de cadeaux faits, enfin, il faut quand même le dire, non, Marisol TOURAINE ?
MARISOL TOURAINE
...vous savez, un expert, il ne peut pas être juge et partie. Je crois que chacun peut le comprendre. Aujourd'hui, les choses se sont considérablement améliorées, par rapport à une époque où les voyages, les déjeuners dans les grands restaurants, étaient la règle. Mais il n'empêche qu'il demeure un soupçon, et le soupçon c'est l'ennemi de la confiance. Et donc moi je veux que la confiance revienne. C'est pour cela que ce décret va contraindre les entreprises pharmaceutiques à publier, à rendre public, sur un site internet, l'ensemble...
JEAN-MICHEL APHATIE
Que vous gérez ? Que le ministère de la Santé va gérer ?
MARISOL TOURAINE
...l'ensemble des avantages qui sont versés, ou qui sont consentis - parce que ça n'est pas forcément de l'argent, d'ailleurs, c'est même rarement de l'argent -, qui sont consentis au monde de la santé. Donc il faudra que soit écrits la nature de l'avantage, par exemple un déjeuner, et le montant, dès lors que ce montant est supérieur à 10 euros. Alors oui, pour répondre à votre question, à terme il y aura un site interne unique, géré par les autorités publiques, et en cas de non-respect de ces règles, des sanctions sont prévues, des sanctions financières. J'ajoute...
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous n'aurez jamais les moyens de tout contrôler. Comment vous contrôlerez qu'un laboratoire a invité un médecin dans un grand restaurant ?
MARISOL TOURAINE
Vous savez, le principe...
JEAN-MICHEL APHATIE
...s'ils ne le disent pas, qui va vous le dire ?
MARISOL TOURAINE
...vous savez, c'est ce qu'on disait il y a quelque temps pour les responsables politiques, c'est ce que l'on a dit pour d'autres professionnels. Progressivement, la culture de la transparence s'impose. Il y a des pays dans lesquels ces choses-là se sont réalisées. Ce décret, il marque une rupture par rapport à ce qui existait, dans la mesure où désormais il y a un montant qui est fixé - tout avantage au-dessus de 10 euros doit être déclaré -, et puis parce qu'il sera... les informations seront rassemblées sur un site unique, ce qui veut dire qu'il suffira d'aller sur un site, et non pas d'aller chercher un peu partout l'information qui existe. Cela, cela représente une avancée par rapport à ce qui avait été prévu par la loi de mon prédécesseur...
JEAN-MICHEL APHATIE
Oui, il faut noter qu'il y a une continuité républicaine, puisque ce décret est pris en application d'une loi...
MARISOL TOURAINE
Oui, d'une loi...
JEAN-MICHEL APHATIE
...que Xavier BERTRAND, qui était avant vous ministre de la Santé, avait fait voter.
MARISOL TOURAINE
...avait fait voter une loi, mais une loi qui est insuffisante, à mon avis, dans la mesure où elle ne nous permettait pas d'imposer par exemple une transparence à partir d'un euro d'avantage consenti. Et puis j'ai voulu...
JEAN-MICHEL APHATIE
Il y a une forme de continuité républicaine, quand même, non ?
MARISOL TOURAINE
...Eh bien, la continuité républicaine, c'est la volonté...
JEAN-MICHEL APHATIE
On peut en convenir ce matin ?
MARISOL TOURAINE
...d'appliquer les lois qui ont été votées. Hein, c'est quand même la base de la démocratie. Encore fallait-il que les textes d'applications soient pris, et c'est ce qui a été fait ce matin.
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est ce que vous faites, Marisol TOURAINE. Cette loi était consécutive, vous l'avez dit, à l'affaire SERVIER...
MARISOL TOURAINE
Oui.
JEAN-MICHEL APHATIE
...Comment réagissez-vous aux propos de Jacques SERVIER, la semaine dernière, sur BFM TV ? Alors ce sont des propos pris dans la rue, comme ça : « Le procès - qui se déroule depuis hier -, on s'en fout. » Il l'a dit comme ça.
MARISOL TOURAINE
Monsieur SERVIER n'est pas à un geste de mépris près, en direction des victimes. Moi, ce que je souhaite, c'est que la justice soit rendue, et que les victimes soient, au fond, reconnues comme telles, et qu'elles puissent reprendre leur vie, avec le sentiment que leur vie n'a pas été totalement gâchée par la cupidité d'un homme.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et donc le procès, nous verrons aujourd'hui à Nanterre s'il se poursuit ou pas, puisque des contestations de procédure existent...
MARISOL TOURAINE
Absolument, c'est le processus de la justice. Encore une fois, il ne m'appartient pas de me substituer à la justice, simplement il y a eu là un scandale sanitaire, reconnu comme tel, il est important que les victimes puissent être reconnues elles aussi.
JEAN-MICHEL APHATIE
Les buralistes, marchands de tabac - ça touche le domaine de la santé aussi, Marisol TOURAINE - manifestent à partir d'aujourd'hui ; ils redoutent les effets d'une augmentation du tabac à venir, puis de l'augmentation de la TVA, 1er janvier 2014. Ils disent : Plus personne n'achètera de cigarettes en France. Nous sommes désespérés, dit le patron des buralistes, de ne pas être entendus par les pouvoirs publics. Vous rêvez d'un monde sans tabac, Marisol TOURAINE, mais vous ne voulez pas le dire ?
MARISOL TOURAINE
Oh, je... mes rêves ne sont pas, comment dire, aussi irréalistes que cela ! Le tabac tue, le tabac provoque des maladies ; je suis ministre en charge de la Santé, et je vois cela. Et donc il s'agit de mettre en place des politiques qui nous permettent de faire en sorte que des jeunes, parfois des très jeunes, ne commencent pas à fumer, que des femmes enceintes ne fument pas. Nous sommes le pays européen dans lequel les femmes enceintes sont les plus nombreuses à fumer, alors même que l'on sait l'impact que cela peut avoir sur les bébés ou les futurs bébés. Et donc je souhaite que des politiques qui soient des politiques dissuasives se mettent en place, même si, je le dis, la question de la fiscalité est loin d'être la seule à utiliser...
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais c'est une arme importante...
MARISOL TOURAINE
...c'est un élément...
JEAN-MICHEL APHATIE
...à la disposition des pouvoirs publics ?
MARISOL TOURAINE
...des mesures ont été votées. Mais pour ma part, je crois que la dissuasion en direction des jeunes, des messages d'information, la mise en place de démarches qui permettent de sécuriser la population, sont absolument nécessaires.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous dites : Le tabac tue. L'alcool tue aussi, et on n'entend jamais personne en parler. Et on ne mène pas les mêmes politiques vis-à-vis de l'alcool...
MARISOL TOURAINE
Si, bien sûr...
JEAN-MICHEL APHATIE
...qui notamment auprès de la jeunesse font des ravages.
MARISOL TOURAINE
...on mène des politiques en direction de tout ce qui rend dépendant, en quelque sorte. Je vous rappelle qu'il y a des sanctions : vous ne pouvez pas par exemple prendre votre voiture si vous avez bu de l'alcool au-delà d'une petite quantité. Il y a donc des restrictions en matière d'alcool qui sont apportées également. Et pour ce qui est des mineurs, on ne peut pas vendre de l'alcool aux mineurs, c'est un point qui est là tout à fait nécessaire d'être respecté.
JEAN-MICHEL APHATIE
On vous présentera des mineurs qui parfois, tout de même, arrivent à se fournir en alcool !
MARISOL TOURAINE
Ah mais, c'est une réalité, mais ça n'est pas une raison pour l'accepter et ne pas lutter contre cette réalité de l'alcoolisme chez les jeunes.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 mai 2013