Texte intégral
Je suis très heureuse de vous accueillir au ministère de la Culture et de la Communication.
Le jury du Grand Prix national de l'architecture vient de se réunir et il me reviendra dans un instant d'annoncer le nom du lauréat et de lui remettre le diplôme du Grand Prix, conçu par l'artiste Daniel Buren, ainsi qu'une dotation de 10000 euros.
Mais avant cela, j'aimerais évoquer les ambitions de laction que je mène au ministère dans le domaine de l'architecture et vis-à-vis des architectes.
Plus que jamais la contrainte du logement est forte. Nous avons le devoir impérieux de répondre aux besoins de nos concitoyens.
Plus que jamais nous avons conscience de la rareté des ressources. Il est nécessaire dapporter des réponses économes, sur le plan énergétique comme sur le plan économique.
Nos destins sont plus que jamais liés à lévolution des villes et des métropoles.
Comment construire des dizaines de milliers de logements en évitant létalement urbain, en préservant lenvironnement et le patrimoine et en améliorant la qualité du cadre de vie ?
Comment élargir la centralité de la ville vers la périphérie tout en développant les capacités de mobilité et de nouvelles centralités ?
Comment concevoir des espaces publics qui répondent aux nouveaux usages des citadins et qui soient porteurs dune identité culturelle partagée ?
Comment concilier les temporalités avec la nécessité de répondre rapidement aux besoins tout en travaillant sur une cohérence viable à long terme ?
La complexité des enjeux et la multitude des besoins appellent une très grande diversité de réponses. Pour fabriquer la ville de demain, la qualité des démarches et des approches nécessite de la part des architectes des compétences multiples (des plus créatives aux plus techniques), la constitution déquipes de plus en plus pluridisciplinaires ainsi quune capacité à porter une vision. Une vision ancrée dans la réalité des territoires et une vision prospective car il sagit dinventer ce que sera notre vie demain.
Le développement économique, social et environnemental de notre pays passe par une meilleure maîtrise de la planification des espaces et de la rénovation urbaine. Il passe également par une plus grande prise en compte des enjeux environnementaux et culturels dans la définition du cadre de vie.
Loin de s'opposer, les exigences liées à la relance de l'activité économique, au resserrement du lien social, à la préservation et à la mise en valeur de l'héritage culturel et au souci du développement durable doivent entrer en dialogue pour favoriser la mise en place en place d'un cadre de vie adapté à l'ensemble des dimensions de l'être humain, y compris l'exigence de qualité à laquelle l'architecture répond par la conjugaison unique de la créativité et de la maîtrise technique.
Je porte au sein du Gouvernement l'exigence de la qualité architecturale au moment même où s'exprime aussi dans la société un besoin quantitatif : il faut accroître rapidement l'offre de logement. Les textes en cours délaboration qui répondent à cette urgence et vont modifier la législation en matière d'urbanisme et de logement traitent aussi de l'architecture. J'ai veillé à ce que l'on n'oublie pas que sans architecture, il n'y a pas de réponse cohérente face aux défis de la densification notamment.
La présence de l'architecte dans les projets de densification dérogatoires et la prise en compte de l'approche architecturale dans les réflexions urbaines en amont, sont des garanties essentielles que j'ai veillé à installer partout où l'on pouvait craindre que l'approche soit uniquement quantitative.
Il reste à faire vivre ces textes mais aussi à travailler sur le terrain. Car sur le terrain, larchitecture est non seulement le résultat du projet mené par larchitecte avec sa vision prospective des usages, son sens de lorganisation spatiale du bâtiment, sa sensibilité esthétique et sa capacité à concilier toutes les contraintes. Mais cest aussi le fruit dun dialogue constant avec le maître douvrage. Le maître douvrage dont on oublie trop souvent le rôle absolument crucial. La relation entre un architecte et un maître douvrage, cest un peu comme celle dun auteur avec un éditeur ou encore celle dun réalisateur avec un producteur quand ils leur passent une commande. Lun ne fait pas sans lautre et vice versa. Et on ne devient pas éditeur ou producteur du jour au lendemain. Il devrait en être de même pour la maîtrise douvrage en architecture.
Cest une des raisons pour lesquelles je me suis engagée pour maintenir sur le terrain le réseau irremplaçable des CAUE. Comme vous le savez, lidée sest fait jour de les absorber dans des groupements dingénierie territoriale départementaux. Or, ils sont le maillon essentiel du véritable service public du conseil architectural, accessible à tous, aux particuliers comme aux maîtres douvrage. Ils jouent un rôle fondamental dans la diffusion de la culture architecturale et la formation des maîtres douvrage. Je souhaite que leurs missions soient réaffirmées de même que celles de la MIQCP (Mission Interministérielle pour la Qualité des Constructions Publiques) pour quune véritable politique publique de larchitecture se déploie au plan national en étroite relation avec les DRAC et les collectivités territoriales. Je lancerai prochainement une concertation interministérielle associant les collectivités territoriales et tous les acteurs de la promotion de larchitecture afin que cette politique soit interrogée, rénovée et portée à tous les niveaux de décision.
Parallèlement au défi de la densification, les enjeux décisifs du développement durable dont une grande partie incombent aux architectes ont conduit à développer dans lenseignement de l'architecture de nouveaux savoirs obligatoires liés à la construction, à la mise en uvre des matériaux, à la conduite du chantier et à l'ingénierie. Nous devons poursuivre sur ce chemin et améliorer encore la capacité d'innovation technique dans la recherche et l'enseignement du projet.
Pour répondre à ces défis nous avons besoin d'architectes bien formés et reconnus. La directive européenne sur les qualifications et les professions confirmera dans sa version à paraître très bientôt l'exigence de cinq années de formation au moins et l'intégration du développement durable parmi les compétences reconnues aux architectes, dont elle refusera que le métier soit fractionné par l'accès partiel : ce sont là des propositions portées par la France depuis longtemps.
Le dispositif de formation et de recherche en architecture poursuit son évolution en s'appuyant sur les conclusions du rapport Feltesse qui m'a été remis en avril, suite à la concertation nationale que javais lancée. La feuille de route que je validerai prochainement, et sur laquelle le travail a commencé, visera à moderniser la gouvernance des écoles, à donner cohérence et visibilité au réseau qu'elles constituent et à créer les conditions pour leur permettre de développer mieux encore la recherche. Naturellement, ces écoles devront réussir à articuler excellence académique et liens avec la profession et poursuivre leur ouverture à linternational.
Les écoles nationales supérieures d'architecture sont également parties prenantes du mouvement de recomposition en cours de l'enseignement supérieur et de la recherche. En gardant leur identité, elles intensifieront leur partenariat avec les universités et les autres grandes écoles.
Outre lexigence de qualité architecturale et la formation et la recherche en architecture, je mattache particulièrement à valoriser les professionnels, quil sagisse de reconnaître les talents les plus remarquables comme avec le Grand Prix national de larchitecture, ou quil sagisse dassurer la promotion des plus jeunes générations, à travers la politique des albums (AJAP Albums des Jeunes Architectes et Paysagistes), destinée à favoriser linsertion professionnelle et laccès à la commande darchitectes et de paysagistes de moins de 35 ans. Tous ces jeunes professionnels bénéficient dun important dispositif de communication et reçoivent le soutien dun cercle de parrainage qui réunit de nombreux et puissants partenaires privés et publics. La nouvelle session sera lancée prochainement.
Nous devons également travailler sur la promotion des agences françaises au plan international en lien avec lInstitut Français, Ubifrance et lAfex pour redéfinir nos stratégies daccompagnement. Là encore je souhaite quun groupe de travail soit mis en place pour mieux partager le diagnostic sur les enjeux et les difficultés rencontrées et identifier les actions à mener au niveau des pouvoirs publics mais aussi au sein des agences dont la taille moyenne est souvent trop réduite pour permettre de se lancer dans une prospection internationale et un pilotage de chantiers à létranger. Je veillerai particulièrement à ce que le ministère soit actif dans la structuration de cette politique. Il y va du rayonnement culturel et de limage de la France dans le monde mais aussi de notre capacité à valoriser le positionnement de notre pays dans le champs des industries créatives et à développer des marchés sur ces filières.
J'ai l'ambition de croire que chacune des actions dans le domaine de l'architecture ne vise que cela : permettre à larchitecture de participer dans les meilleures conditions au développement de notre société, et en disant cela, je nignore pas les difficultés que vous pouvez rencontrer dans votre métier, qu'elles se situent au plan réglementaire ou au plan économique, qu'elles concernent la valorisation ou la diffusion de l'architecture.
Venons-en maintenant au Grand Prix national de l'architecture qui participe largement à la reconnaissance de votre profession et de larchitecture. Décerné tous les deux ans à un architecte ou une agence pour l'ensemble de son uvre, il représente la plus haute distinction dans votre domaine au plan national.
Le choix d'un lauréat est extrêmement difficile , surtout comme c'était le cas cette année devant des candidats présélectionnés dont les approches étaient aussi diverses que les personnalités étaient marquées. Je les cite dans l'ordre alphabétique : Marc Barani, Patrick Bouchain, Odile Decq, Jean-Marc Ibos et Myrto Vitard, et Gilles Perraudin.
Le jury s'est réuni aujourd'hui. J'ai pu dialoguer avec ses membres sur le sens à donner à ce prix. Dans ses débats, le jury a recherché celui qui serait le plus digne d'être honoré par son uvre déjà accomplie et par les perspectives qu'elle ouvre. Il a recherché également celui qui pourrait être l'ambassadeur de l' architecture en général mais aussi de larchitecture française, auprès de la société française et sur le plan international.
Celui qui incarnerait les valeurs et le rôle social de ce métier. Aucun des candidats n'aurait été incompatible avec cette ambition, bien au contraire, et ma première impression est la fierté qu'inspire la capacité de notre architecture à faire fleurir des talents aussi remarquables et différents à la fois.
Mais il fallait choisir et donc cette année le grand prix national de l'architecture revient , à l'issue d'un vote quasi unanime, à Marc BARANI.
Les images que vous voyez défiler sur les écrans démontrent s'il en était besoin la qualité et l'exigence qui marquent votre travail, en France et tout autour de la Méditerranée qui est votre territoire d'enracinement vous êtes niçois et de prédilection. Vous avez séduit, séduit, ou plutôt convaincu, par la manière dont vous savez confronter une vision de l' architecture originale et cohérente avec les programmes les plus variés. Votre réflexion se nourrit de votre formation et de votre expérience de terrain d'anthropologue, et des principes que vous revendiquez : la transversalité des approches architecturale, paysagère et urbaine, l'importance du dialogue avec le maître d'ouvrage, la primauté des forces à l'uvre dans un lieu, celles du paysage et les forces sociales. On les voit s'exprimer dans votre capacité à transfigurer des projets en apparence limités ou prosaïques, gare de tramways ou cimetière, pôle d'échange ou parc de stationnement, qui sont autant de défis lancés à l'architecte par la ville d'aujourd'hui, au même titre que des logements sociaux, des ponts, ou la réutilisation d'un centre de tri postal en Palais des congrès à Nancy. - ou encore la somptueuse villa d'un grand commanditaire. Votre scrupuleuse attention au détail constructif, dont vous affirmez que c'est lui, qui fait passer le projet de la scénographie à l'architecture, produit avec beaucoup de cohérence et sans emphase, aucune, une uvre à la constante poésie, qui appréhende l'architecture comme « une mise en ordre momentanée des choses ». Je suis heureuse de saluer et récompenser ce soir un architecte déjà complet, dont j'espère qu'il trouvera dans ce prix une dynamique supplémentaire pour continuer, en France et l'étranger, le chemin singulier, exigeant et droit, que vous tracez de projet en projet.
Source http://www.culturecommunication.gouv.fr, le 27 juin 2013