Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur les relations franco-mexicaines et les grands enjeux internationaux, à Mexico le 15 juillet 2013.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement au Mexique les 14 et 15 juillet-intervention à l'Institut diplomatique Matias Romero, à Mexico le 15 juillet 2013

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Monsieur le vice-Ministre,
Monsieur le Directeur général,
Madame et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Étudiants de l'Institut Matias Romero,

Mesdames et Messieurs, amis du Mexique et de la France, je vous remercie de m'accueillir par cette belle matinée au sein de ce ministère prestigieux. Le sujet qui m'a été donné est extrêmement vaste, aussi ne le traiterai-je pas probablement dans sa globalité. Ce que je voudrais en quelques minutes c'est aborder un certain nombre de grands changements du monde qui sont à l'oeuvre ou qui vont se réaliser et voir comment le Mexique et la France, par rapport à ces grandes mutations du monde peuvent et doivent réaliser ensemble un certain destin.
Le Mexique et la France ont une complicité culturelle extrêmement forte, un même attachement aux principes des Lumières et un respect mutuel entre le Mexique et la France qui a été forgé notamment sur les champs de bataille de Puebla et de Camerone. Nos deux nations ont une longue histoire de coopération, y compris au plan régional. La France et le Mexique ont joué ensemble un rôle déterminant dans le processus qui a mis fin aux guerres qui ont ensanglanté l'Amérique centrale dans les années soixante-dix et dans les années quatre-vingt.
Je me souviens d'un des moments forts de ce partenariat franco-mexicain : le discours dit «de Cancun», prononcé à Mexico, le 20 octobre 1981, par le président François Mitterrand dont j'étais l'ami. J'étais alors ministre du Budget, et je me souviens de l'émotion et de l'espoir que ce discours avait soulevé en venant porter «le salut des fils de la Révolution française aux fils de la Révolution mexicaine» et en rappelant notre engagement commun à l'époque en faveur d'une sortie de crise au Salvador. Nos deux pays ont permis alors l'ouverture de négociations qui, quelques années plus tard, ont mis un terme à une série de conflits qui avaient fait plus de 150.000 morts.
Depuis lors, une nouvelle Amérique latine a pris son essor. Votre beau continent est réconcilié avec lui-même, il est largement acquis à la démocratie, il est fort de sa jeunesse, de sa créativité et de son ouverture au monde. Votre continent sera un pôle majeur du XXIème siècle. Vos pays, après une période de politiques dures d'ajustement structurel, connaissent maintenant un développement spectaculaire. Ils sont attentifs aux aspirations des peuples à la justice et au progrès social - des revendications qui s'expriment avec force sur la scène politique ou dans la rue mais pacifiquement et dans un cadre démocratique.
Bien sûr, des défis considérables demeurent : beaucoup reste à accomplir sur le chemin du développement partagé et équitable. Une nouvelle génération de responsables politiques s'y emploie avec détermination. Mais ces responsables savent que les solutions à ces problèmes ne peuvent pas être seulement nationales : les problèmes climatiques sont évidemment planétaires, l'instabilité économique ou financière nous concerne tous ; le terrorisme et le trafic de drogue sont des menaces globales. Nous avons donc besoin de coopérer afin de construire des réponses globales à ces défis, même si les difficultés sont nombreuses sur la route d'une gouvernance mondiale renforcée.
Face à ces crises, les schémas d'hier, notamment ceux qui opposaient quelquefois le Sud au Nord, ces schémas me semblent largement dépassés. Le monde est de plus en plus connecté et interdépendant, dans de nombreux domaines. Nous partageons des préoccupations communes, mais pour autant si les défis sont communs, la gestion collective de ces défis a encore beaucoup de progrès à accomplir. On dit souvent que le monde actuel est multipolaire, mais ce n'est pas vrai. Le monde a longtemps été bipolaire, sous la domination conjointe et opposée des États-Unis et de l'URSS puis le monde, pendant un certain temps, a été unipolaire, à l'époque de la chute du mur de Berlin où une domination presque sans partage était exercée par les États-Unis d'Amérique. Nous espérons que demain, et nous y travaillons, Mexique et France, le monde sera multipolaire, et que ces pôles seront équilibrés mais aujourd'hui, quitte à choquer, je dirais que le monde n'est pas bipolaire, qu'il n'est pas unipolaire, qu'il n'est pas encore multipolaire, il est zéro-polaire.
Cette absence de grandes relations structurantes rend difficile la résolution des crises, comme nous le voyons malheureusement en ce moment dans toute une série de parties du monde et notamment avec la tragédie en Syrie.
Construire une nouvelle régulation politique, économique, sociale et environnementale du monde est un des grands défis des années et des décennies prochaines. Face à cet enjeu majeur, je pense que la France et le Mexique peuvent et doivent jouer, ensemble, un rôle privilégié. Pourquoi ? Parce que nos deux nations occupent en effet une place singulière. Nous comptons sur la scène internationale parce que nous sommes des États charnières qui ont toujours cherché à rassembler la communauté des nations au-delà des clivages politiques, économiques et religieux. La France, pour sa part, possède une tradition d'indépendance et d'autonomie stratégique et il en va de même pour le Mexique, au sein des grands émergents. C'est grâce à cette position particulière, c'est grâce à nos histoires respectives aussi, que nos deux pays ont la capacité de s'exprimer et d'agir au-delà de leurs seuls intérêts immédiats. Nous souhaitons, Mexique et France, jouer le rôle de traits d'union qui seront écoutés face aux crises du monde. La France le fait à titre national, elle le fait également dans les grandes instances multilatérales, puisqu'elle est membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et elle le fait dans le cadre européen. Le Mexique, quant à lui, le fait dans le cadre américain au sens large, puisqu'il est à la fois latino-américain et proche de l'Amérique du Nord et il le fait dans le cadre de grandes enceintes comme le G20. Mais, fidèle à une tradition ancienne, il retrouve également aujourd'hui des horizons mondiaux, en renforçant ses liens avec l'Europe et en se tournant vers ces autres continents de l'émergence que sont l'Asie et l'Afrique.
Le président Peña Nieto a exprimé sa volonté de faire du Mexique un «acteur global responsable» pour aider à «relever les principaux défis de l'humanité». C'est aussi la volonté de la France. C'est pourquoi je suis venu ici pour proposer au nom de mon pays de nous inspirer de l'esprit qui avait guidé notre action commune pour la paix en Amérique centrale il y a déjà un quart de siècle, afin que Mexique et France puissent relever ensemble les défis globaux du XXIème siècle.
Mesdames et Messieurs,
Ce partenariat entre acteurs globaux responsables pourrait se traduire par toute une série d'actions concrètes dans plusieurs domaines que je souhaite présenter rapidement.
D'abord, il y a la communauté de valeurs entre nos deux pays car c'est le fondement le plus important de notre partenariat. Nous sommes deux grandes démocraties attachées à l'universalité des droits de l'Homme. Dans les instances multilatérales - à commencer par le Conseil des droits de l'Homme où nos positions sont presque toujours convergentes -, nous devons promouvoir, Mexique et France ensemble, sans relâche, le principe d'universalité des droits de l'Homme face aux tentatives de remise en cause relativistes selon lesquelles les droits de l'Homme ne seraient pas les mêmes dans une partie ou dans une autre du monde. Partout où nous le pouvons, il faut agir face à l'inacceptable : les atteintes aux droits des femmes, les discriminations ethniques, les discriminations sexuelles ou religieuses, les disparitions forcées et les violences à l'encontre des militants des droits de l'homme et des journalistes, dont je sais à quel point elles sont un sujet de préoccupation au Mexique et d'une façon plus générale, en Amérique centrale.
Je veux évoquer un point qui, je le sais, tient aux uns et aux autres particulièrement à coeur, et qui est l'abolition universelle de la peine de mort. Le grand esprit français Victor Hugo, toujours précurseur, invitait déjà le Mexique à faire campagne pour l'abolition universelle de la peine de mort il y a plus d'un siècle quand en 1867, s'adressant au grand homme d'État mexicain, il écrivait : «Juarez, faites faire à la civilisation un pas immense. Juarez, abolissez sur toute la terre la peine de mort !». Le mois dernier, lors de la 43ème assemblée générale de l'OEA, le Mexique a été l'un des huit États signataires de la déclaration d'Antigua qui appelle les membres de l'organisation à signer et ratifier le protocole à la Convention interaméricaine sur les droits de l'Homme relatif à l'abolition de la peine de mort. Je salue cette initiative qui rejoint la campagne engagée par la France dans le même sens au sein des Nations unies.
Une autre valeur forte qui nous unit est notre attachement au multilatéralisme et au droit international. La position de principe prise par le Mexique et la France au Conseil de sécurité des Nations unies lors de la crise irakienne de 2003 en est peut-être l'illustration la plus forte. Nous devons travailler de concert au renforcement de la gouvernance mondiale. Cela n'exclut qu'il puisse y avoir des sensibilités parfois différentes, notamment sur les modalités de l'élargissement du Conseil de sécurité. Mais, nous partons d'un constat commun : la nécessité d'une meilleure représentativité du Conseil de sécurité des Nations unies face au risque d'affaiblissement de ce Conseil en l'absence prolongée de réforme. Sur cette base, il est très important que nous réfléchissions ensemble aux voies d'un déblocage. Au G20, on observe que la succession des présidences française et mexicaine a permis d'initier une dynamique forte, autour notamment des questions de croissance et d'environnement, dynamique à laquelle nous devons donner des prolongements concrets.
L'engagement pour la paix et la sécurité est également commun à nos deux pays. La France, membre permanent du Conseil de sécurité a dans ce domaine des responsabilités particulières. Elle les assume quand cela est nécessaire, avec détermination mais toujours dans le respect du droit international. C'est par exemple dans cet esprit que nous sommes intervenus au début 2013 au Mali, à la demande du gouvernement de ce pays et avec l'autorisation de l'Organisation des Nations unies, pour aider le Mali à faire face à la menace terroriste et lui permettre, ce qu'il fait aujourd'hui, de rétablir son intégrité territoriale et sa souveraineté. C'est ainsi également que nous sommes activement engagés dans la recherche d'une solution négociée au grave problème du programme nucléaire iranien. La France est aussi à la pointe de la mobilisation de la communauté internationale pour mettre un terme à la tragédie syrienne, car nous ne pouvons pas abandonner le peuple syrien à son sort. En Haïti, la France s'est investie sur le long terme pour consolider les fragiles institutions nationales, appuyer le développement économique et venir en aide à la population, en lien avec l'Organisation des Nations unies et avec ses partenaires, notamment latino-américains. Sur tous ces dossiers, que je ne cite pas par hasard, et bien d'autres, il est notable et important que le Mexique et la France aient des positions communes, ce qui est le cas, et qu'elles renforcent leur dialogue.
Je sais que la question de la participation du Mexique aux opérations de maintien de la paix fait débat chez vous. Naturellement, il vous revient de prendre une décision qui vous appartient, mais je vous encourage, en ami, à poursuivre la réflexion que vous avez engagée à ce sujet. En tout état de cause, il nous faut travailler ensemble à des initiatives communes en faveur de la consolidation de la paix après les conflits, qui est une phase essentielle et toujours délicate où un appui de la communauté internationale est nécessaire pour appuyer les institutions et faciliter la réconciliation nationale sans renoncer bien sûr à la lutte contre l'impunité.
Nous faisons face de plus en plus aux fléaux des mafias et des narcotrafiquants, qui n'hésitent pas à prendre les armes contre nos démocraties. Le Mexique, malheureusement, connaît très bien ce problème, source de tant de morts et de disparus au cours des dernières années. Je salue la décision du président Peña Nieto de poursuivre une politique de fermeté face à ces groupes, mais dans le strict cadre de l'État de droit. Il peut compter sur l'appui de la France. Au-delà du cadre national, une coopération internationale accrue est nécessaire pour frapper ces organisations criminelles là où c'est le plus efficace, c'est-à-dire au portefeuille. La France et le Mexique participent déjà, dans le cadre de l'OCDE, aux efforts qui visent à mettre fin aux activités des paradis fiscaux et je veux saluer le soutien du Mexique à l'initiative du G8 sur la lutte contre l'évasion fiscale. Nous comptons sur votre appui afin de convaincre les autres grands pays des Amériques de nous rejoindre sur cette voie.
Mesdames et Messieurs, sur le plan économique, nos vues coïncident très largement en matière de développement. Le Mexique est désormais, ce qui est trop peu connu à l'extérieur, un bailleur significatif en matière d'aide et je salue ce volontarisme. Nos deux pays portent une vision commune pour ce que l'on appelle l'agenda post-2015. Nous pourrions notamment collaborer pour la recherche d'indispensables financements innovants ainsi que dans le domaine de la sécurité alimentaire. En matière commerciale, le Mexique et l'Europe sont des économies ouvertes qui partagent la même volonté d'assurer les conditions d'une concurrence loyale pour tous, dans un esprit de réciprocité et en refusant le protectionnisme. J'ai ainsi noté que le président Peña Nieto avait fait, comme le président Hollande, du rééquilibrage des échanges commerciaux avec la Chine une priorité. Nous sommes à cet égard, dans une situation analogue. Je sais que vous suivez avec attention l'ouverture des négociations entre l'Union européenne et les États-Unis en vue d'un accord transatlantique. Je tiens à vous assurer que cet accord avec les États-Unis ne devra absolument pas, dans notre esprit, être contradictoire avec le renforcement de l'accord d'association euro-mexicain, auquel la France est très attachée.
Pour travailler efficacement sur la scène internationale, il faut que nous puissions nous appuyer sur une relation économique bilatérale solide et renforcée. Le montant des échanges entre nos pays, qui est d'environ 3,4 Mdeuro en 2012, est trop modeste. La part de marché de la France plafonne, entendez bien ce chiffre, à 1 %, au 4ème rang seulement parmi les Européens. Et la France n'est que le 8ème investisseur au Mexique. Pourtant, il y a beaucoup à faire, en s'appuyant sur les complémentarités entre nos deux économies. C'est pourquoi j'ai demandé à l'ambassadeur de France, M. Philippe Faure qui a été, il y a quelques années, ambassadeur ici au Mexique, et qui est un spécialiste des relations franco-mexicaines, de travailler à mes côtés comme représentant spécial pour le développement de la relation économique avec le Mexique. Les coopérations industrielles exemplaires mises en place dans le domaine de l'aéronautique par de grandes entreprises comme Safran et EADS, dont les responsables m'accompagnent ici, sont une source d'inspiration et d'optimisme. Les réflexions en cours entre industriels sur la constitution d'un fonds d'investissement et de développement franco-mexicain permettront, certainement, de progresser. Et un Conseil stratégique entre la France et le Mexique sera, d'ici quelques heures, installé par le président Peña Nieto. Au-delà de l'aéronautique, alors que les investissements mexicains augmentent rapidement dans toute l'Amérique latine, nous devons encourager les alliances stratégiques entre sociétés mexicaines et françaises en vue de la conquête en commun de marchés tiers et en vue de la coopération renforcée. Dans quels domaines ? Je dirais dans tous les domaines. Je citais l'aéronautique bien sûr mais d'une façon générale, les transports, la ville durable, l'énergie, les télécommunications, l'insécurité, les nouvelles technologies, l'agroalimentaire, le luxe, l'ingénierie, etc. Les sujets assurément ne manquent pas.
Et bien sûr, parmi ces grands sujets, je voudrais citer l'un de ceux qui doivent à juste titre nous préoccuper le plus, je veux dire l'environnement. Je sais que ce sujet est, parmi les questions internationales, au premier rang des préoccupations du gouvernement mexicain et de l'opinion publique mexicaine. En France aussi, l'attention est grande sur cet enjeu mondial. Nous avons apprécié et soutenu la priorité donnée par le Mexique au thème de la «croissance verte» dans le cadre de sa présidence du G20.
La mobilisation forte de nos sociétés civiles explique sans doute que la France et le Mexique ont des positions très proches sur la lutte contre le changement climatique. Le rôle du Mexique dans le débat sur le régime post-Kyoto est tout à fait exemplaire. Et vous êtes, parmi les grands pays émergents, un de ceux qui défendent avec le plus de force la lutte contre le réchauffement climatique.
Nous estimons, vous et nous, qu'aucun pays ne peut s'exonérer de ses responsabilités ni échapper à ses obligations. Dans ce domaine aussi, nous voulons mettre nos paroles en actes. L'Agence française de développement est devenue le premier partenaire financier du Mexique en matière de croissance verte, avec un portefeuille de près d'un milliard d'euros de prêts dans les domaines de la lutte contre le changement climatique, de la préservation de la forêt, de la gestion durable des ressources naturelles, de la biodiversité et de l'efficacité énergétique.
Après le succès de la Conférence internationale des parties à Cancun, organisée avec grande efficacité par la diplomatie mexicaine que je salue, nos deux pays ont réaffirmé leur engagement commun pour la seconde période du protocole de Kyoto. Le Mexique, et je l'en remercie, soutient la candidature de la France à l'organisation de la grande conférence qui aura lieu en 2015. Cette conférence doit être l'occasion d'une initiative conjointe : le comité stratégique franco-mexicain, que nous allons installer d'ici quelques instants avec le président Nieto, pourrait nous faire des propositions en ce sens. Parallèlement, nous devons avec nos diplomates, nos experts, avec toi mon cher collègue et ami ministre des relations extérieures, constituer un groupe de travail pour préparer cette négociation qui sera, nous le savons, difficile.

Mesdames et Messieurs,
L'an prochain, 2014, nous allons fêter le 50ème anniversaire du voyage historique au Mexique du général de Gaulle. Le président français François Hollande a été invité par le président Peña Nieto à se rendre au Mexique et il aura plaisir et honneur à être présent au Mexique l'an prochain. Nous devons, à cette occasion, montrer que nous avons mesuré à quel point la relance, par rapport aux grands défis des relations entre le Mexique et la France, était indispensable.
Quels sont ces grands défis ? J'en ai abordé quelques-uns. Il y a le défi de l'économie, il y a le défi de l'écologie, il y a le défi de la démographie, il y a le défi de la sécurité et il y a le défi de la démocratie, qu'elle soit politique, éducative, sociale ou culturelle. Ces cinq grands défis sont lancés à tous les pays dans le monde mais ils sont particulièrement lancés au Mexique et à la France. Et je constate que sur ces grands sujets du présent et du futur nos approches sont en général communes. C'est donc en trouvant, ensemble, les voies et moyens de relever ces défis globaux que la France et le Mexique parviendront à approfondir encore leur riche relation bilatérale.
Notre dialogue politique est solide, notre coopération bilatérale est forte et va se renforcer y compris comme j'aurai l'occasion de l'aborder tout à l'heure, sur le plan éducatif, scientifique et culturel, nos échanges commerciaux vont se multiplier. Nos convergences sur la scène multilatérale participent sans aucun doute à la construction de la confiance profonde entre nos nations, qui ont, je l'ai dit, en commun de ne pas seulement rechercher la défense de leurs intérêts de court terme et nationaux mais de travailler dans une perspective plus vaste pour un monde meilleur et mieux régulé. J'aurai résumé ce que j'ai voulu vous dire en quelques minutes en disant tout simplement que lorsque le Mexique et la France agissent ensemble, c'est toujours un élément puissant de progrès.
Vive le Mexique ! Vive la France ! Et vive l'amitié entre le Mexique et la France !


Q - La France et le Mexique luttent tous deux contre le dérèglement climatique qui est un des grands défis du XXIème siècle. Dans cette perspective, la France a-t-elle une stratégie spécifique pour contribuer à un accord global de 2015 de baisse des émissions ?
R - C'est une question absolument déterminante. En 2015, aura lieu la grande conférence concernant la lutte contre le changement climatique et nous nous trouvons d'ores et déjà dans une situation de défi. Pourquoi ? Les chiffres qui vont être publiés au mois de septembre par les spécialistes internationaux, les experts que l'on appelle les membres du GIEC vont montrer que, malheureusement, l'augmentation qui était prévue, le plafond qui était prévu de deux degrés d'augmentation risque d'être complètement balayé et que si des efforts massifs ne sont pas faits rapidement, ce ne sont pas deux degrés d'élévation de la température que l'on risque d'atteindre mais plus probablement quatre degrés et davantage encore. Cela a toute une série de conséquences extrêmement dramatiques et donc cela doit nous pousser, nous tous, à obtenir en 2015 des engagements extrêmement forts. Mais d'un autre côté, la situation générale, les difficultés économiques, la vision souvent de court terme des décideurs politiques, font que nous pouvons être inquiets quant à la détermination de toute une série de nations de prendre des décisions.
Il y a des signes encourageants, les États-Unis par exemple, par la bouche du président Obama, ont fait savoir qu'ils étaient plus enclins à accepter un certain nombre de disciplines en matière climatique.
Autre exemple très important, la Chine a pris conscience que la question du dérèglement climatique était non seulement un problème environnemental majeur mais un problème social et un problème politique. On a observé dans un certain nombre de régions chinoises des révoltes de la population par rapport à la pollution.
Il y a donc un défi immense, des difficultés considérables. Il y a quelques signes encourageants, mais si l'on veut passer de ce tableau à des décisions qui soient d'une ampleur suffisante, cela nécessite un travail considérable. Ce n'est pas la France toute seule, ni l'Europe toute seule qui va être capable de le faire. Il faut que nous associons nos efforts entre grands et petits pays, entre pays déjà riches et pays émergents, entre pays dont l'existence même risque d'être menacée, on pense au Bangladesh et d'autres encore.
De ce point de vue-là, le travail en commun du Mexique - qui a obtenu des résultats remarqués et remarquables à la Conférence de Cancun - et de la France peut jouer un rôle d'exemple et c'est cela que le président Hollande proposera au président Peña Nieto et que, plus modestement, je proposerai à mon homologue.
Un dernier point, lorsque l'on parle du dérèglement climatique, on a souvent à l'esprit des contraintes. Il est vrai qu'il va falloir dégager un certain nombre de règles que nous devrons tous respecter et qui vont changer, pour une partie, nos modes de vie et nos modes de production. Mais il faut avoir à l'esprit, en même temps, ce changement vers ce que l'on appelle la «croissance durable», ce changement de paradigme de la production peut offrir à nos économies et à nos sociétés des potentialités extraordinaires et nous devons mettre l'accent sur l'aspect positif de ces changements.
C'est la raison pour laquelle, par exemple, le Mexique a parfaitement compris qu'il fallait se tourner vers une réflexion énergétique. C'est la raison pour laquelle la France sait bien qu'il y a dans ce domaine de ce que l'on appelle la ville durable où les Français ont une grande expertise, des créations d'emplois à opérer. Il ne faut pas prendre ce changement comme une contrainte, c'est aussi une opportunité. Les Grecs avaient le même mot pour dire le risque et la chance. Eh bien, je pense qu'il s'agit du très grand problème du dérèglement climatique qui menace l'existence de l'humanité elle-même, c'est un risque et en même temps c'est une chance et nous serons heureux si le Mexique et la France, dans ce domaine absolument capital, montrent le chemin aux autres États.

Q - Aujourd'hui, la France semble être plongée dans une crise existentielle, la diplomatie française ne semble pas trouver une place spécifique dans ce monde «zéropolaire». Selon votre opinion quelle est la place de la France dans le monde actuel ? Et quelle est la valeur ajoutée de la France dans la diplomatie mondiale ?
R - C'est vrai que sur le plan économique, la France comme l'Europe traverse une phase difficile. En même temps il faut rester mesuré, la France est la 5ème puissance économique du monde. La France est le 4ème pays du monde qui attire les IDE. Mais il est vrai que toute l'Europe connaît des taux de croissance qui sont moins élevés que sur d'autres continents. Il faut que les Européens mettent leurs affaires en ordre, notamment sur le plan budgétaire, et il faut qu'on trouve à la fois dans chacun de nos pays en Europe et à l'extérieur les ressorts d'une nouvelle croissance. Mais cette difficulté qui est essentiellement sur le plan économique, paradoxalement, ne limite pas l'influence de la France sur le champ diplomatique.
Je mesure les caractéristiques propres de la France qui, par ses choix, par l'histoire, finalement sont des caractéristiques qui en font une puissance très particulière. La France est le seul pays qui est à la fois un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, qui est une puissance nucléaire, qui a le 3ème réseau diplomatique du monde, qui est la 5ème puissance économique du monde, qui a des principes hérités de la révolution française, qui est la terre des droits de l'Homme et qui est, et c'est un point commun entre le Mexique et la France, un des quelques pays qui ne plaident pas seulement pour lui-même mais pour l'ensemble de la communauté mondiale. Et c'est ce qui fait que l'influence de la France sur le plan diplomatique est beaucoup plus importante que le seul poids que pourrait lui apporter ses 65 millions d'habitants.
Je prends deux ou trois exemples. Lorsqu'en Afrique, au mois de janvier dernier, le Mali est sur le point d'être contrôlé par des groupes terroristes et que son président, M. Traoré, appelle un autre président pour dire : «Monsieur le Président, il faut intervenir ce soir sinon demain je serai mort et le Mali sera dirigé par des terroristes». Qui appelle-t-il ? Le président français. Et la France intervient. C'était le 11 janvier 2013. Aujourd'hui, nous sommes le 15 juillet, la sécurité a été ramenée dans l'ensemble du territoire malien et dans 13 jours, des élections démocratiques auront lieu pour la présidence la République. Tous les pays d'Afrique - ils sont plus de cinquante - reconnaissent que, pour des raisons liées à son appareil militaire, à ses choix, à son histoire - on sait que ce n'est pas une puissance impériale -, ce qu'a fait la France, peu d'autres pays pouvaient le faire.
Lorsqu'en Syrie, il y a un déchirement tragique comme aujourd'hui, entre d'un côté Bachar Al-Assad et de l'autre les résistants, qui soutient ces résistants ? Les pays arabes sans doute, mais aussi la France. Nous sommes pleinement mobilisés à la fois dans les instances internationales, pour apporter de l'aide humanitaire et aussi pour essayer de trouver une solution politique avec d'autres, avec les États-Unis, la Russie et quelques autres.
Lorsque dans un autre domaine, on essaie de réfléchir à ce qui pourrait être fait pour lutter contre la grande criminalité, l'évasion fiscale et d'autres maux qui menacent au sein du G8 et du G20, la France est toujours associée à ce type de travaux. Si la puissance économique a un rapport avec l'influence, l'influence est au-delà de la puissance économique et il se trouve que la France, par son histoire, ses principes, son rayonnement culturel, a cette capacité.
C'est ce qui explique que Mexique et France se ressemblent : 65 millions d'habitants d'un côté et un peu plus de 100 millions de l'autre. On pourrait dire, qu'est-ce que cela représente par rapport à la Chine, 1 milliard, à l'Inde, 1 milliard, oui mais ce n'est pas simplement en comptabilisant le nombre d'habitants, il y a aussi des principes qui comptent, il y a aussi des réalités qui comptent, il y a des idéaux qui comptent et dans ce domaine, qu'il s'agisse du Mexique ou de la France, je pense que notre influence est extrêmement importante. Merci.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 juillet 2013