Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur les objectifs et les moyens de la coopération décentralisée, Paris le 17 avril 1999.

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Circonstance : Rencontres nationales de la coopération décentralisée à Paris les 16 et 17 avril 1999

Texte intégral

Les rencontres se terminent à la satisfaction unanime des participants.
Jai pu passer plusieurs heures avec vous et je suis particulièrement heureux davoir partagé ces moments privilégiés à vos côtés : élus, représentants des ONG, militants associatifs, représentants des réseaux du monde des entreprises.
Jai le sentiment que ces Rencontres vont constituer une date importante dans lhistoire, encore courte, certes, mais déjà riche de la coopération décentralisée, mais aussi et surtout dans la clarification des relations entre lEtat et les autres acteurs de cette forme de Coopération.
La Table ronde à laquelle nous avons assisté ce matin, véritable synthèse de lensemble de nos débats regroupant un plateau de responsables aussi représentatifs, fut un moment fort de ce rendez-vous.
Jai le sentiment que le chantier ouvert, et que nous allons continuer à développer, sinscrit dans lesprit de la nouvelle coopération que nous souhaitons privilégier. Vos propositions et vos attentes ne trouveront pas toutes des réponses aujourdhui, vous vous en doutez bien, dautant que certaines dentre elles dépendent très largement de vos volontés et de vos propres organisations.
Elles constituent pour nous un précieux encouragement à aller de lavant et surtout à bâtir notre relation sur des fondations de plus en plus solides, de plus en plus confiantes.
Vous vous êtes beaucoup exprimé, nous avons beaucoup parlé. Je souhaite que cette contribution à la construction de la maison commune soit en mesure den consolider les fondations.
Cest pourquoi je veux veiller personnellement à ce quun suivi de vos recommandations et de nos points daccord soit assuré. Les décisions qui ont fait lobjet de consensus entre nous, devraient être concrétisées et devenir ainsi autant de moyens pour améliorer et rendre plus efficace nos synergies.
Dans cette perspective, je voudrais vous faire quelques propositions ; je vous les présente dautant plus volontiers quelles rejoignent mes propres convictions.
. Vous lavez rappelé avec force : vos actions ne peuvent se concevoir et se développer que sur la durée et sur une appréciation objective de la demande de nos partenaires. Je partage cette analyse ; nous laurons toujours présente à lesprit. Je la partage dautant plus que je suis convaincu que le développement, pour être durable, doit sappuyer sur une activité économique créatrice demplois et de richesses.
Lexemple du réseau interrégional « Entreprises et Développement » montre que le compagnonnage industriel est une forme partenariale du développement. Bien entendu, pour ce faire les outils financiers appropriés devront être mieux adaptés aux besoins des environnements locaux. Pour cela je compte sur une mobilisation plus forte, à vos côtés de lAFD et de la Caisse des Dépôts et Consignations. Jy reviendrai.
. Vous avez voulu plus dinformations, être mieux associés à la politique de lEtat, mieux la connaître et la comprendre. Jy répondrais en proposant plusieurs mesures :
je vous le rappelle le dernier CICID a décidé lorganisation dun débat parlementaire annuel sur la coopération,
je souhaite que le Guide de la Coopération décentralisée, publié il y a quelques années soit mis à jour et surtout enrichi. Il devra surtout prendre en compte les questions de financement, les contraintes juridiques, les problèmes liés aux maîtrises doeuvre et aux maîtrises douvrage. Ce travail est confié à la CNCD,
dans ce même esprit, il est demandé à la CNCD de fournir un bilan géographique, thématique et financier de laction et de leffort des collectivités territoriales dans le cadre de leurs activités internationales.
Ce travail devra être le plus exhaustif et le plus affiné possible afin de donner limage la plus réaliste de vos actions. Il sera, bien entendu, régulièrement mis à jour.
Au printemps prochain vous devriez pouvoir disposer de tels outils dinformation et de référence.
le groupe de travail créé lors de la réactivation de la CNCD se réunira dès la mi-mai sur la base dun ordre du jour articulé autour des recommandations techniques de vos débats.
Quant au débat politique, je propose quil soit poursuivi au sein du Haut Conseil de la Coopération internationale qui, comme vous le savez, a parmi ses mandats, celui de produire annuellement un rapport au Premier ministre qui sera rendu public.
les collectivités territoriales sont représentées dans le Haut Conseil, il nest pas impensable que cette représentativité puisse être améliorée. Je vais examiner cette possibilité.
des instructions seront données à nos postes diplomatiques dans les pays où vos actions sont les plus importantes afin que des dispositions puissent être prises pour que la Coopération décentralisée bénéficie dun correspondant spécifique pour vous aider et vous conseiller. Dailleurs ce correspondant pourrait être selon des suggestions issues de vos débats pris en charge conjointement par lEtat et les collectivités et ne pas être obligatoirement un fonctionnaire.
la question de la déconcentration des crédits a été largement évoquée au niveau des Régions (je reviendrai sur ce point dans quelques minutes). Je suis prêt à étudier un mécanisme identique pour nos Ambassades puisque vous avez estimé que cette mesure était susceptible daméliorer significativement le fonctionnement actuel. Dans le même ordre didée, vous avez regretté les difficultés rencontrées pour avoir accès aux cofinancements de lAFD. Jaimerais que lAgence soit plus attentive aux demandes des collectivités et des entreprises ; elle pourrait étudier la possibilité daccroître et de déconcentrer également les crédits quelle leur consacre ; il conviendrait denvisager aussi les conditions dans lesquelles elle pourrait devenir le payeur des collectivités, contribuant ainsi au règlement des difficultés de transferts financiers auxquels vous êtes souvent confrontés. Nous pourrions examiner également dans quelle mesure la Caisse des Dépôts et Consignations pourrait être un partenaire plus actif auprès des collectivités dans laccompagnement de leurs actions internationales.
labsence doutils financiers adaptés à vos projets, limpossibilité daccéder à des micro-financements, constituent souvent des handicaps pour les collectivités et les réseaux dentreprises partenariales. Là aussi lAFD, la Caisse des Dépôts pourraient se concerter avec vous pour imaginer des mécanismes répondant mieux à vos besoins et à ceux de vos partenaires.
je vous lai dit hier matin : votre place est désormais acquise dans les Commissions mixtes.
Puisque vous le souhaitez, nous pourrions aller plus loin en vous impliquant, avec les autres bailleurs de fonds à la préparation des projets avec nos partenaires. Ainsi la cohérence souhaitée entre les projets de lEtat et les vôtres se traduirait par une concrétisation forte.
. Au niveau international, vous avez été nombreux à rappeler notre devoir de priorité envers les partenaires francophones et à stigmatiser vos difficultés de contacts et de partenariats avec lEurope.
sagissant du premier point, je ne puis que me féliciter de lengagement de lAgence de la Francophonie qui ouvre ainsi un nouveau champ de compétence. Je suis tout à fait disposé à encourager cet effort. Nous devons partager cette ambition avec les autres partenaires bailleurs de fonds.
Je propose quà loccasion du prochain Sommet de la Francophonie, qui se tiendra fin août-début septembre à Moncton capitale du Nouveau Brunswick, les fonctionnaires en charge de ces dossiers et lAgence de la Francophonie, puissent se concerter pour jeter les bases dune stratégie francophone en la matière. Je sais que des contacts ont commencé à se nouer, ici même entre lAgence et certains représentants de collectivités. Nous serons à leurs côtés pour avancer dans ce sens.
sagissant de vos rapports avec Bruxelles, je sais quil sagit pour vous tous dune demande forte et parfois même dune frustration.
Sur un thème aussi fortement marqué de citoyenneté et de démocratie, nous devons faire en sorte quil y ait plus dEurope. La France, incontestablement pionnière sur ce sujet, a la légitimité nécessaire pour être porteuse de cette demande. Je sais que la compréhension du concept de coopération décentralisée nest pas tout à fait la même à Bruxelles et à Paris. Dans linterprétation de la Commission, la coopération décentralisée sentend par développement local et mobilisation des ONG, des milieux associatifs, des syndicats... Les collectivités locales, particulièrement celles du Nord, sont encore trop absentes de la politique de coopération conduite à Bruxelles.
Bien entendu, vous pouvez compter sur ma disponibilité pour relayer votre message. Je suis, comme vous, profondément convaincu de la nécessité d « investir » les instances européennes sur un tel dossier.
Nous devons en décider les modalités : le débat sur le renouvellement de la Convention de Lomé entre lUnion européenne et les pays ACP nous en offre lopportunité. Il faut envisager de faire de la coopération décentralisée, au sens français du terme, un instrument de ce partenariat. Nous pourrions nous appuyer sur le Parlement européen qui a, récemment, souhaité inscrire ce mode de coopération dans les possibilités de financement de Lomé.
Nous pouvons essayer dagir en direction de lEurope sur deux points : la promotion par Bruxelles de la coopération décentralisée auprès de lensemble des collectivités locales européennes et une meilleure acceptation du principe daccès des collectivités européennes à des financements ou à des cofinancements (y compris triangulaire, Europe-Etat-Collectivités).
Autre piste à explorer : peut-être devons-nous être aussi plus vigilants pour que les acteurs locaux soient mieux associés à la préparation des programmes indicatifs nationaux, exercice qui sont à lUnion européenne, ce que sont les Commissions mixtes pour la France.
Pour poursuivre cette réflexion, je vous encourage également à mieux mobiliser les réseaux et les associations délus européens, en particulier ceux qui se réunissent régulièrement à Bruxelles. Mais dores et déjà je vais demander à mes collaborateurs deffectuer une mission auprès de la Commission au cours de ces prochaines semaines pour approfondir ces thèmes.
. Je voudrais également dire quelques mots sur la façon dont nous pouvons concrètement assurer la mobilisation permanente des acteurs que vous êtes. Je sais que les rencontres-pays, que nous avons organisées ensemble, ont été appréciées et vous souhaitez quelles continuent. Je lai dit en ouverture. Nous en sommes daccord. Dans quelques semaines une nouvelle série de rencontres aura lieu (Madagascar et les pays de lOcéan Indien, le Bénin et certainement le Maroc et la Tunisie).
au-delà de ces Rencontres à caractère géographique, je souhaiterais vous soumettre lidée de la mise en place dun Forum annuel sur la Coopération décentralisée qui pourrait être accueilli sur la base du volontariat et selon un mode tournant, dans lune ou lautre des collectivités territoriales, sur des thèmes qui seront proposés. Lors de ces rendez-vous, les acteurs de la coopération décentralisée pourraient continuer leurs échanges, des conférences publiques seraient organisées à cette occasion et les aspects culturels devraient y trouver leur place : expositions, concours photos, projections de films...
A cette occasion un prix de la Coopération décentralisée pourrait être annuellement décerné conjointement à la collectivité du Nord et à sa collectivité partenaire.
. Sagissant dautres points qui furent lobjet de débats intenses et déchanges, je pense en particulier aux contrats de plan Etat-Région et à la concertation régionale, je vous le dis de façon très claire ma religion nest pas faite.
en faisant inscrire, au dernier CIADT, les préoccupations en matière de coopération décentralisée, il sagissait pour nous de poser un nouvel acte de recherche de cohérence de nos actions respectives. Cest aux Régions, aux autres collectivités, dapprécier la pertinence dune telle contractualisation ; elle ne se fera certainement pas à marche forcée, mais ne sera quune réponse à ce que vous aurez décidé de faire. Toutefois la contractualisation est un moyen privilégié pour le dialogue entre lEtat et les collectivités territoriales mais aussi pour évaluer nos synergies communes.
je suis dans le même état desprit pour ce qui est de la concertation. Je ne vous cacherais pas que le fait davoir une structure organisée, ayant un rôle de coordination et dinterlocuteur identifié avec lEtat présente incontestablement des atouts et un certain confort relationnel. Une coopération décentralisée plus efficace, vous en conviendrez avec moi, signifie dabord plus de concertation entre acteurs. Mais là non plus, il ny a pas de panacée, ni de recettes toutes faites. Cest bien à vous de nous dire sous quelle forme vous souhaitez vous concerter.
Lespace régional ou départemental peut constituer ce lieu de concertation suivant les cas ; mais les communes ou leur groupement peuvent revendiquer aussi cette légitimité. Dautres structures inter-collectivités peuvent être imaginées. Une dizaine de Conseils régionaux ont déjà pris des initiatives pour faciliter des concertations. LARF a fait des propositions ; la création de Comités de pilotage a été évoqué. Les rencontres-pays ont également été porteuses de telles recommandations. Je souhaite, par conséquent, que nous avancions sur ce point précis car jai cru comprendre quil sagissait bien là dun souci partagé.
Il serait souhaitable que dans un délai, pas trop lointain, nous puissions concrétiser cette ambition commune.
. Sagissant de ces autres acteurs internationaux que sont les migrants, je continue à penser que la meilleure façon pour les immigrés, présents sur notre sol, avec toute la richesse quils représentent et que nous leur reconnaissons, de participer au développement de leur pays et de leur région dorigine, est avant tout de sauto-organiser et de faire la preuve quils sont porteurs dune vraie démarche dacteurs.
Le modèle développé par lAssociation « Migrations et Développement », dont je salue la présence parmi nous ce matin, du président Tandjaoui, me semble être un bon exemple de ce quil faudrait faire. Sappuyant sur les cotisations volontaires des ressortissants marocains, sur le réseau des Caisses dEpargne du Maroc, lappui du gouvernement local, du MAE et dautres partenaires, cette association développe depuis une douzaine dannées, des projets locaux de création dinfrastructures et de structures de production dans leur village dorigine. Dans de telles conditions nous ne pouvons nous, lEtat et les collectivités locales, qui accueillons des émigrés quêtre favorables à aider et encourager cette démarche dautant quelle saccompagne dactions de formation répondant aux besoins de nos partenaires. La notion de solidarité prend ici encore plus de valeur ; elle se double en outre dun vrai travail de pédagogie en direction délus et donc dune vraie émergence de la démocratie. Sur la base de tels modèles nous pouvons nous inscrire dans le long terme ; lémergence de nouveaux acteurs de la société civile qui accompagne la décentralisation dans les pays partenaires nous encourage dans ce type dévolution.
Jespère que lensemble de ces propositions auront pu convaincre ceux qui font le procès du désengagement de lEtat. Lengagement de lEtat ne signifie pas simplement des financements supplémentaires. Etre plus présents à vos côtés, mieux répondre à vos préoccupations sont aussi des façons de réaffirmer notre engagement.
Je ne voudrais pas terminer mon propos sans évoquer à nouveau avec vous le terrible drame qui se déroule aux portes de lEurope.
Hier soir en marge de vos rencontres, en accord avec lARF, nous avons organisé une réunion dinformation sur la situation dans les Balkans. Les résultats de cette réunion sont un formidable encouragement ; ils constituent lillustration, grandeur nature, de ce que ensemble, unis, coordonnés, organisés, nous pouvons réaliser de grand et de généreux. Au-delà de laction durgence à laquelle nous oblige la situation de crise et de désarroi de centaines de milliers dhommes et de femmes, nous avons jeté les bases dun partenariat, et nous avons défini les outils qui demain nous permettrons de participer à la reconstruction de ces régions. Il faut dores et déjà penser à une stratégie du développement, ensemble, hier soir nous en avons dessiné les contours.
Je veux voir dans cette décision un symbole dun futur heureux de nos relations redéfinies et désormais mieux organisées.
(Source http ://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 avril 1999)