Interview de M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances, à "Europe 1" le 23 juillet 2013, sur les travaux de la commission d'enquête Cahuzac, sur les fraudes au crédit d'impôt compétitivité, sur la hausse prévue de la TVA.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral


MAXIME SWITEK
C’est à suivre en direct et en vidéo sur europe1.fr, ce matin Alexandre KARA vous recevez donc le ministre de l’Economie Pierre MOSCOVICI.
ALEXANDRE KARA
Pierre MOSCOVICI, bonjour.
PIERRE MOSCOVICI
Bonjour.
ALEXANDRE KARA
Alors 17 h 15 aujourd’hui, on prend les mêmes et on recommence, Jérôme CAHUZAC sera de nouveau entendu par la commission d’enquête parlementaire sur son affaire de fraude fiscale, selon vous cette commission fait-elle bien son travail ?
PIERRE MOSCOVICI
Je n’ai aucun commentaire à faire sur le travail de la commission d’enquête où j’y ai déposé, j’ai donc apporte ma vérité, je l’ai fait sous serment. Ce que je crois très important c’est que, à partir de ce moment-là, la commission d’enquête collectivement – parce qu’elle n’a pas qu’un président, elle a une trentaine de membres – puisse tirer les leçons de tout cela et je crois qu’il faut se garder de toute partialité, qu’il faut aussi eh bien tenir compte du fait que ceux qui sont là, qui sont auditionnés, le font sous serment, ils disent leur vérité.
ALEXANDRE KARA
Oui ! Mais justement c‘est son président qui fait beaucoup parler de lui, Charles DE COURSON vous met en cause justement pour cette fameuse réunion du 16 janvier, en clair il vous reproche d’avoir trop associé Jérôme CAHUZAC aux investigations que vous avez lancées pour connaître la réalité de son compte en Suisse.
PIERRE MOSCOVICI
Je n’ai aucune intention de polémiquer avec le président de la commission d’enquête, je crois simplement qu’il serait prudent, qu’il serait aussi convenable qu’il attende tout simplement que cette commission ait achevé ses travaux et qu’il tienne compte aussi du jugement de ses pairs, c’est mieux. Vous savez que dans une commission d’enquête… moi j’ai présidé une commission d’enquête, le président préside - et il doit le faire de façon impartiale – et puis c’est le rapporteur, qui est en l’occurrence un député Socialiste qui s’appelle Alain CLAYES, qui doit tirer les leçons et puis ensemble on vote et je crois qu’il faut garder encore une fois à cette commission son caractère collectif et objectif.
ALEXANDRE KARA
Enfin vendredi dernier, quand même, vous avez choisi de répondre par écrit à Charles DE COURSON, vous avez écrit : « votre comportement tente de donner chair à une thèse politique plutôt que d’établir une vérité de façon impartiale ». Alors est-ce que ce matin vous êtes toujours en colère, Pierre MOSCOVICI ?
PIERRE MOSCOVICI
Je ne suis plus en colère puisque je me suis exprimé ! Je pense simplement si vous voulez étrange qu’il est étrange que des propos qui ont été tenus le 5 avril, donc avant la commission d’enquête, soient inchangés au bout de 3 mois d’enquête et qu’on ne tienne aucun compte des déclarations que tel ou tel peut faire, en l’occurrence moi-même, point.
ALEXANDRE KARA
Le 14 juillet dernier, François HOLLANDE a dit : « dans l’idéal, il n’augmenterait pas les impôts l’an prochain » pourtant il semble que le ministre du Budget Bernard CAZENEUVE cherche 4 à 6 milliards de recettes nouvelles pour redresser les comptes de la France en 2014. Alors on sera donc très loin de l’idéal, non ?
PIERRE MOSCOVICI
Ce qu’avait expliqué François HOLLANDE c’est qu’il fallait dans l’idéal ne pas augmenter les impôts pour les ménages au-delà de ce qui était déjà prévu et je rappelle que le Parlement - c’était à la fin de l’année 2012 – a déjà voté une refonte des taux de TVA avec une simplification 5 pour le taux inférieur, 10 pour les biens intermédiaires et puis 20 pour le taux supérieur, cela ça déjà été voté par le Parlement et ça signifie c’est vrai…
ALEXANDRE KARA
Oui ! Et il manque…
PIERRE MOSCOVICI
Une hausse de TVA. Alors de quoi s’agit-il ? Nous avons un budget à faire, nous avons des efforts à consentir pour réduire nos déficits, pour réduire notre endettement - et c’est très important de réduire son endettement parce que c’est une question de crédibilité – si la France peut continuer à avoir des taux d’intérêts peu chers c’est parce qu’elle a une gestion crédible, si la France est appréciée quand il s’agit d’émettre de la dette publique c’est parce que nous avons une gestion crédible. Alors comment ferons-nous ? En 2013, nous avons consenti un effort dit structurel, c'est-à-dire de réduction de notre déficit hors aléa de la croissance de 1,9 point de PIB, nous l’avons fait avec 2/3 de prélèvements et 1/3 d’économies ; en 2014, nous allons inverser la proportion, ce sera 2/3 d’économies – et c’est fondamental – et 1/3 de prélèvements, donc nous l’avons déjà annoncé, il n’y a pas de surprise, pas de mystère, qu’il y aurait 0,3 point de PIB probablement de prélèvements - et la plupart sont déjà connus - c’est donc cette hausse de la TVA dont j’ai parlée…
ALEXANDRE KARA
Mais c’est…
PIERRE MOSCOVICI
C’est la lutte contre la fraude…
ALEXANDRE KARA
Les prélèvements qu’on ne connait pas…
PIERRE MOSCOVICI
Et c’est la réduction d’un certain nombre de…
ALEXANDRE KARA
Et les prélèvements qu’on ne connait pas.
PIERRE MOSCOVICI
Un certain nombre de niches fiscales. Voilà ! Je viens de dire tout…
ALEXANDRE KARA
Mais il y aura des hausses d’impôts à la rentrée qui seront annoncées ?
PIERRE MOSCOVICI
Mais ne soyons pas comme ça dans… sans arrêt des annonces anxiogènes, les arbitrages fiscaux se feront fin août, donc encore une fois c’est la priorité aux économies et ce sont des hausses de prélèvements très modérées dont la plupart sont déjà connues.
ALEXANDRE KARA
Les chiffres vont de 4 à 6 milliards ?
PIERRE MOSCOVICI
Quatre à 6 milliards, c’est un chiffre sans doute exact.
ALEXANDRE KARA
D’accord ! Les mises en garde sur les dérives du crédit d’impôt compétitivité multiplient, votre collègue Arnaud MONTEBOURG a dénoncé un racket des grands groupes et c’est désormais le MEDEF qui s’inquiète d’éventuelles fraudes, est-ce qu’il n’est pas temps de revoir la copie du crédit d’impôt ?
PIERRE MOSCOVICI
Alors… Non ! Il ne s’agit pas de ça, il s’agit de fraudes qui sont extrêmement limitées. On n’a pas signé, euh signalé, plus de quelques dizaines de cas, qui se passent de la façon suivante : ce sont souvent des grandes entreprises qui créent des rapports avec leurs fournisseurs qui font que ceux-ci, à travers des baisses de prix imposées, font en réalité payer le crédit d’impôt pour lesdites grandes entreprises, évidemment ce sont des comportements qu’Arnaud MONTEBOURG a traité de racket, que moi j’appelle fraude, nous avons lui et moi une attitude totalement partagée : ce n’est pas tolérable, et donc ce que je fais aujourd’hui c’est que je demande aux agents de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de vérifier de façon beaucoup plus précise, de lancer une opération sur ces fraudes possibles au crédit d’impôt ; j’indique aussi aux entreprises, puisqu’il y a un site sur le crédit compétitivité emploi qu’elles peuvent signaler de tels dérèglements – et j’écris justement aux fédérations professionnelles, notamment au MEDEF – et ce que je dis là c’est que, c’est très sérieux, si des fraudes sont découvertes, nous avons tout à fait les moyens légaux, notamment à travers la Loi de modernisation de l’économie, il y a des arrêts récents qui le montrent, pour imposer à travers la loi des amendes très importantes. Le crédit d’impôt ne doit pas être détourné de son objet, le crédit d’impôt c’est une baisse du coût du travail, le crédit d’impôt ce n’est pas une baisse des prix imposée par des grandes entreprises ou des distributeurs à leurs fournisseurs, il faut conserver à l’économie sa respiration…
ALEXANDRE KARA
Pierre MOSCOVICI !
PIERRE MOSCOVICI
Pourquoi faire ? Parce que, encore une fois, l’objectif c’est de baisse le coût du travail pour pouvoir créer des emplois, ce n’est pas de déformer les relations économiques.
ALEXANDRE KARA
Ca veut dire que, s’il y a des abus, il y aura des sanctions, des sanctions de quel ordre ?
PIERRE MOSCOVICI
Eh bien il y aura saisine de la justice à ce moment-là et la justice peut décider d’amendes qui peuvent être éventuellement très importantes. Donc, la façon la plus simple en réalité d’éviter ça – et c’est le message que je lance à tous – ce n’est pas de fraude, pas de racket, respectons à la fois la lettre du crédit d’impôt compétitivité emploi : baisse des prix et son esprit.
ALEXANDRE KARA
Là vous faites une mise en garde mais est-ce qu’il ne faut pas très vite faire un exemple justement pour que le message soit entendu ?
PIERRE MOSCOVICI
Mais, encore une fois, si nous lançons aussi une opération avec les équipes de la Répression des Fraudes, c’est parce que nous voulons savoir ce qui se passe, et d’ailleurs si on nous le signale je vous assure qu’il y aura très vite des visites et puis ensuite des sanctions.
ALEXANDRE KARA
Le démarrage de ce crédit d’impôt justement a été un peu laborieux, on s’est rendu compte que c’était un peu complexe, que les entreprises avaient du mal à s’en servir, est-ce que désormais ça va un peu mieux, est-ce que ça s’améliore ?
PIERRE MOSCOVICI
Il y a eu une campagne, qui a été menée d’ailleurs par la droite, contre le crédit d’impôt compétitivité emploi, avec des mots : c’est complexe, ça ne marche pas, ça ne démarre pas, je me souviens d’une interview de François FILLON dans Les Echos dans lequel il disait que ça ferait 430 millions d’euros pour l’année 2013 alors qu’en réalité ça faisait déjà 430 millions d’euros au moment où il s’exprimait. Je vais vous donner un chiffre qui a lui seul dit à quel… 2 chiffres, à quel point cette démarche est aujourd’hui une démarche comprise : il y a eu 830 millions d’euros de préfinancement, toutes les entreprises n‘ont pas besoin de préfinancement…
ALEXANDRE KARA
C’est le chiffre aujourd’hui !
PIERRE MOSCOVICI
Huit cent trente millions de préfinancement fait par la seule Banque Publique d’Investissement, alors que de surcroit les banques commerciales se sont aussi lancées dans l’opération. Quand j’avais dit : « il y aura 2 milliards d’euros de préfinancement, c’est pour les petites entreprises qui ont des besoins de trésorerie », on avait dit : « ça ne tient pas », si ça tient, nous sommes en avance sur la feuille de route : et j’ajoute une deuxième chose, c’est que le crédit d’impôt c’est une mesure récente, elle monte en charge, il y a aujourd’hui 160 dossiers de crédit d’impôt qui sont déposés par jour en terme de préfinancement, donc le crédit d’impôt…
ALEXANDRE KARA
Vous atteindrez les objectifs prévus ?
PIERRE MOSCOVICI
Oui ! Le crédit d’impôt est une mesure qui fonctionne, elle est au contraire extrêmement simple. Et je vais vous citer Jean-François ROUBAUD, le patron de la CGPME, qui disait qu’en 45 ans de vie professionnelle il n’avait jamais connu une mesure aussi simple, et ça fonctionne imaginez-vous, et ça a même des résultats puisqu’on a déjà constaté que le coût du travail français s’était réduit depuis le début de l’année 2013 et que l’écart avec l’Allemagne lui aussi se réduisait, l’Allemagne a tendance à augmenter ses salaires – il faut dire qu’ils ont été contenus pendant longtemps – la France a baissé son coût du travail et c’est ainsi…
ALEXANDRE KARA
Et, pourtant, le MEDEF réclame encore un aménagement du coût du travail ?
PIERRE MOSCOVICI
C’est ainsi – et je termine ma phrase – que nous allons redevenir une économie plus compétitive, et donc ce crédit d’impôt il est en train à la fois de séduire et de remplir son objectif économique et il va conforter d’abord la sortie de la récession – puisque vous savez qu’au deuxième trimestre 2013 la France devrait connaître une croissance positive de 0,2 points – puis, ensuite, la reprise d’une croissance plus forte qui est de nature à consolider l’emploi. C’est ça la stratégie du gouvernement et du Président de la République.
ALEXANDRE KARA
Le 14 juillet François HOLLANDE a affirmé la reprise est là, est-ce que vous pouvez nous confirmer qu’elle est bien là, est-ce que la croissance sera de 0,2% au deuxième trimestre ?
PIERRE MOSCOVICI
Oui ! Je viens de le dire, si vous voulez on a connu 2 trimestres de récession. Comment est-ce qu’on définit la récession ? Techniquement, c’est 2 trimestres de croissance négative consécutifs, nous les avons eus, même s’ils ont été moins marqués qu’en Espagne, qu’en Italie et même en Allemagne, à la fin 2012 et au début 2013 et le deuxième trimestre 2013 devrait être un trimestre de croissance positive – c’est ce que dit la Banque de France, c’est ce qui dit l’INSEE, attendons les chiffres, mais leurs prévisions sont très solides – et donc nous sommes…
ALEXANDRE KARA
Pour vous, ce sera 0,2 ?
PIERRE MOSCOVICI
Nous sommes en sortie de récession avec 0,2% prévu par la Banque de France et par l‘INSEE, qui encore une fois ont des indicateurs solides, et après ce qu’il faut faire c’est travailler à transformer cette sortie de récession en véritable reprise de la croissance, et c’est pour ça que nous avons en effet pris la semaine dernière notamment toute une série de mesures pour aider au financement des entreprises, je pense au taux du LIVRET A, je pense à des mesures pour le logement social, je pense à des mesures pour les collectivités locales ; et je pense aussi à ce qui a été annoncé en fin de semaine, 30 milliards d’euros, qui sont prélevés sur les fonds d’épargne…
ALEXANDRE KARA
Prélevés sur…
PIERRE MOSCOVICI
De la CAISSE DES DEPOTS & CONSIGNATIONS, pour être prêtés aux banques afin que celles-ci puissent elles-mêmes prêter aux PME. Les entreprises doivent savoir aujourd’hui, le crédit n’est pas cher, le crédit est disponible, il y a de la liquidité, pour des projets d’investissement on peut faire confiance à l’économie française.
ALEXANDRE KARA
Bon ! Là vous positivez, mais est-ce que les banques vont jouer le jeu ?
PIERRE MOSCOVICI
Eh bien oui ! D’autant plus que si vous voulez il y aura ce qu’on appelle un reporting, c'est-à-dire qu’il faudra qu’on soit capables de montrer que cet argent est bien utilisé pour du financement de PME, moi je pense que les banques émettaient un besoin, elles disaient : « nous n’avons pas assez pas de liquidité à distribuer à l’économie », maintenant, grâce à cette décentralisation du fonds d’épargne vers les banques, il y a 30 milliards d’euros de liquidité, ils doivent, ils seront utilisés pour le financement des PME et, encore une fois, tout est fait pour que l’économie française puisse maintenant investir et concrétiser ses projets.
ALEXANDRE KARA
Pierre MOSCOVICI, merci, bonne journée, bonne journée à tous.
PIERRE MOSCOVICI
Merci à vous.
MAXIME SWITEK
Merci Alexandre KARA.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 août 2013