Texte intégral
Le ministre de la Défense s'est rendu le 24 mai dernier à bord du Charles de Gaulle. Il a passé une nuit à la mer, assistant aux premières loges à l'engagement opérationnel du porte-avions et de son équipage dans l'exercice international Trident d'or. Alain Richard a mis à profit cet embarquement pour s'entretenir avec des marins de tous grades et a tenu à réunir la commission participative d'unité (CPU). Il a aussi répondu aux sollicitations des médias. Cols Bleus était présent.
Cols Bleus : Monsieur le Ministre, vous avez déjà eu l'occasion de venir à plusieurs reprises à bord, cette fois-ci vous avez tenu à passer une nuit parmi nous à la mer, permettez-moi de vous poser la première question sur le "Charles de Gaulle". Qu'avez-vous pensé de la controverse entretenue en son temps par la presse sur le "Charles de Gaulle", qui a paru injuste et blessante à son équipage légitimement fier de son bâtiment ?
Alain Richard : Il y a un grand principe qui est celui de la liberté de la presse, par conséquent toutes les opinions peuvent s'y exprimer et je constate une réalité : pendant un moment, il y a eu un phénomène de convergence. Les papiers critiques ou ironiques sur le Charles de Gaulle "qui a coûté si cher, qui est si lourd, si difficile à mettre au point, etc." ont fleuri. Si l'on parvient maintenant à illustrer par son activité les extraordinaires capacités du Charles de Gaulle, système de combat unique en Europe et parmi les meilleurs du monde, j'espère que nous aurons des papiers plus favorables qui feront oublier les précédents. En tout cas, malgré la petite amertume qui peut rester pour les membres de l'équipage, que je comprends et que je partage d'ailleurs, c'est le moment d'être plutôt réceptif vis-à-vis des journalistes parce que je crois qu'on est dans une phase de nouvelle curiosité "positive".
CB - Si vous le permettez, parlons maintenant du présent et de l'avenir. Le marin aime naviguer sur l'avant pour préparer la manuvre suivante et l'évolution prochaine de son navire. Si l'on regarde plus loin encore vers l'avenir pour ce qui concerne les perspectives de la Marine et de son modèle 2015, que peuvent attendre les marins de la loi de programmation militaire ? Question un peu plus précise dans ce cadre, la question fréquemment posée est celle du deuxième porte-avions, est-il envisageable ?
AR : Ce que les marins globalement doivent attendre de la prochaine loi de programmation, ce sont des bateaux neufs. Cela me paraît être l'impératif premier. Ces dernières années, peu de navires nouveaux ont été mis en chantier et, quand on fait la projection vers 2005-2007, on s'aperçoit que la flotte vieillit. C'est pourquoi, en plein accord avec l'état-major de la Marine, l'option que je propose au gouvernement et au chef de l'État pour la prochaine programmation est de donner la priorité aux bateaux neufs. Bien sûr, il faut assumer, et cela va être coûteux, la livraison de la flotte aérienne : les Rafale d'abord et en fin de période les hélicoptères. Pour ce qui concerne le deuxième porte-avions, et pour aller vite, avec les crédits dont on va disposer comme je l'espère pour cette période 2003-2008, il faudra que l'on choisisse le moment de sa mise en chantier de manière à ne pas faire obstacle à la sortie de la nouvelle génération de frégates. Dans mon esprit, la mise en chantier du 2e PA aura lieu pendant cette période, mais elle se fera plus ou moins tôt, ou plus ou moins tard, en fonction des crédits que l'on veut consacrer à rajeunir la flotte et à mettre en ligne un nombre suffisant de bateaux neufs.
CB : Un des points cruciaux de cet avenir est celui de l'évolution du soutien industriel et logistique de nos forces. Cela concerne en premier chef la mutation de l'entreprise DCN. Quelle solution vous paraîtrait la plus pertinente ?
AR : L'entretien de la flotte, c'est en premier lieu toute une chaîne de décisions, de procédures, de systèmes de management et nous avons mis en place, il y a déjà près d'un an maintenant, le service de soutien de la flotte (SSF), de manière à rationaliser la prévision des opérations d'entretien, la répartition des rôles entre les différents intervenants, les différents prestataires et j'en attends une amélioration du niveau de disponibilité des bâtiments et de la bonne qualité de finition des opérations de réparation et de modernisation.
DCN est le prestataire principal pour les grosses réparations et la construction neuve. C'est une entreprise dont la qualité technique est reconnue. Elle a été choisie comme constructeur par des marines de nombreux pays parce qu'elle offre un savoir-faire de maître d'uvre incontesté pour les bateaux les plus complexes, les ensembles les plus sophistiqués. C'est un réel atout sur lequel je veux m'appuyer. Ce qui est extrêmement pénalisant pour DCN, c'est l'obligation qui lui est faite d'acheter les composants des bâtiments conformément aux procédures instituées pour l'achat de biens administratifs. Ensuite, comme dans toutes les industries de défense, il va y avoir dans les cinq ou dix ans qui viennent des rapprochements, des alliances, entre firmes européennes et tant que DCN sera une administration de l'Etat, elle ne pourra pas fusionner ou simplement créer une société commune avec un de ses grands partenaires. C'est ce qui m'a conduit à préconiser que le gouvernement transforme DCN, qui est aujourd'hui un service de l'État, en société nationale et nous sommes au travail pour préciser ce que devra être le planning de cette opération et pour prendre la décision de mise en uvre. Moi, en tout cas, je souhaite ne pas trop attendre. Je précise que nous estimons pouvoir faire cela en maintenant le statut du personnel de DCN qui n'est pas en question.
CB : Parlons un peu des marins si vous le voulez bien. Beaucoup d'entre eux ont exprimé l'inquiétude à plusieurs reprises dans des CFMM de voir la professionnalisation banaliser leur métier, et restreindre leur couverture sociale et leur protection juridique, lors d'escales notamment. Cette crainte a-t-elle selon vous un fondement et va-t-on vers un alignement des militaires sur le droit commun et le monde civil ?
AR : D'abord, parlons de banalisation, j'entends ce que veut dire ce terme et il m'arrive de l'employer mais en même temps, je considère que dans une défense professionnalisée, les militaires en tant que salariés, en tant qu'agents, ont des droits qui sont les droits des agents publics en général. C'est ce qui me conduit à préconiser que l'on fasse un effort pour réduire les charges de travail des militaires, de manière à rester à peu près en harmonie avec ce qui va se faire avec la durée du travail des agents publics. De même, le système de protection sociale doit rester aligné sur celui qui est valable pour l'ensemble des agents publics. Il y a donc une banalisation positive qui assure que les droits professionnels des personnels militaires restent harmonisés avec ceux de l'ensemble de la société.
Ensuite, la question de la protection sociale et surtout de la garantie juridique pour les accidents survenus en escale est une question qui s'impose à nous parce que la loi prévoit que l'indemnisation par le service des accidents, des sinistres, vient justement de leur lien au service. Dans le passé, il y a eu des situations qui étaient trop floues notamment pour des activités collectives en escale. Imposées aux militaires, elles n'étaient pourtant pas classées comme activités de service. J'ai donc mis en place un groupe de travail des différents CFM concernés par ce sujet pour qu'il préconise des mesures qui ramèneraient dans l'activité de service tout ce qui peut y être. Enfin, il y a eu des cas dans lesquels, c'est vrai, il a été fait appel de décisions favorables devant les tribunaux et j'ai donné des instructions pour que dorénavant les cas d'appels ne correspondent vraiment qu'à des situations extrêmes dans lesquels il y aurait eu un abus de droits. Nous présentons l'ensemble de ces nouvelles propositions au CSFM de fin mai et en fonction des avis qui nous seront donnés, elles seront mises en uvre. Il restera toutefois des situations dans lesquelles, quand le militaire est en situation purement libre d'activités individuelles de loisirs en escale, il lui faudra prendre une garantie juridique, mais ce que l'on espère, c'est que le nombre de cas concernés sera très faible et par conséquent la charge de la protection juridique infime.
CB : Pour conclure notre entretien, permettez-moi d'évoquer avec vous des perspectives qui dépassent le cadre de notre marine et même de notre nation, qui engagent le devenir de notre continent et auxquelles nous sommes sensibilisés à bord de notre porte-avions. En effet, nous sommes dans l'exercice Trident d'or au côté de nombreux bâtiments représentant plus de dix nations, nous vivons au quotidien avec deux équipages de "Sea King" allemands et avons également parmi nous un officier britannique et un officier espagnol. Nous pratiquons également au quotidien l'interarmées avec un détachement de l'Alat et un détachement de l'armée de l'Air. Sous quelle forme pratique voyez-vous la progression, l'évolution future de l'Europe de la Défense dans les prochaines années ?
AR : Beaucoup sous des formes comme celles-là. C'est-à-dire que l'Europe de la Défense ne consiste pas, pour toutes les années qui viennent, à fabriquer une nouvelle armée européenne. Chacun restera sous son pavillon, sous son drapeau, et restera organisé au sein de son armée nationale. Le projet européen de défense ne consiste pas à avoir des organismes qui peuvent prendre des décisions au nom de l'ensemble des Européens. Comme au sein de l'Alliance atlantique, nous avons mis en place un comité politique et de sécurité qui est composé d'ambassadeurs représentant en direct les gouvernements et qui, comme le conseil atlantique au sein de l'Alliance, peut gérer une situation et prendre les décisions militaires au quotidien. Nous avons mis en place un comité militaire. Nous avons également constitué un état-major de l'Union européenne qui est en train de monter en puissance. Enfin, les Européens se sont engagés à fournir des capacités de commandement, des capacités de transport et des capacités proprement militaires. Chacun a annoncé la part qu'il acceptait de prendre dans la force de réaction rapide, aussi bien navale, aérienne que terrestre, et nous sommes dans la phase maintenant où ces différentes unités sont appelées à faire des exercices et à échanger des informations pour assurer une meilleure interopérabilité. Il faut que nous répétions que l'Europe de la Défense n'est pas qu'un exercice papier. Les Européens se sont mis d'accord, je le souligne, pour dire qu'ils sont prêts à intervenir, à jouer un rôle de force de paix dans une situation de conflit, d'une part sur le territoire européen si une nouvelle crise survenait, mais aussi ailleurs dans le cadre d'une opération des Nations-Unies. À cet égard, je constate que, notamment pour des crises africaines, parce que hélas il s'en produit beaucoup, nos amis européens dans l'ensemble avaient une attitude très distante et j'observe, aujourd'hui, que les Britanniques, les Néerlandais, les Danois ont accepté pendant ces derniers mois, dans ces deux dernières années, de prendre des responsabilités dans des crises difficiles en Afrique. Autre exemple, à Timor, alors que nous étions pourtant assez chargés par l'affaire du Kosovo, il y a eu sept pays européens différents qui ont décidé d'envoyer des forces ou des moyens militaires pour régler la crise alors qu'elle se situait à quinze mille kilomètres. Il y a je crois aujourd'hui un état d'esprit européen beaucoup plus décidé à prendre des responsabilités collectives qu'il y a encore quelques années.
Ajoutons à cela que si les États-Unis souhaitent, bien sûr, conserver la responsabilité de fait que leur donne l'Alliance atlantique par leur poids propre, ils respectent l'identité européenne parce que l'Europe est leur grand partenaire. Nous partageons beaucoup de valeurs. Ensuite, et nous n'en sommes pas toujours conscients, les États-Unis sont absorbés par une multitude de crises sur les cinq continents : Taiwan-Chine, Corée-du-nord-Corée-du-sud, Proche-Orient et bien d'autres encore. Leur tentation, légitime à mon avis pour une grande démocratie, c'est de se demander s'ils doivent s'engager dans dix ou quinze opérations à la fois et s'ils ne pourraient pas laisser leurs alliés agir dans un contexte régional qu'ils connaissent à la limite mieux qu'eux.
Il y a une assez bonne acceptation par les États-Unis de l'Europe de la Défense. Souvent, d'ailleurs, les parlementaires ou les observateurs américains me disent quand je vais dans les cercles internationaux pour la plaider : "Nous avons compris votre idée, elle se défend et peut nous intéresser, mais montrez-nous ce que vous savez faire." L'avenir de l'Europe de la Défense est désormais entre les mains des Européens.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 2 juillet 2001)
Cols Bleus : Monsieur le Ministre, vous avez déjà eu l'occasion de venir à plusieurs reprises à bord, cette fois-ci vous avez tenu à passer une nuit parmi nous à la mer, permettez-moi de vous poser la première question sur le "Charles de Gaulle". Qu'avez-vous pensé de la controverse entretenue en son temps par la presse sur le "Charles de Gaulle", qui a paru injuste et blessante à son équipage légitimement fier de son bâtiment ?
Alain Richard : Il y a un grand principe qui est celui de la liberté de la presse, par conséquent toutes les opinions peuvent s'y exprimer et je constate une réalité : pendant un moment, il y a eu un phénomène de convergence. Les papiers critiques ou ironiques sur le Charles de Gaulle "qui a coûté si cher, qui est si lourd, si difficile à mettre au point, etc." ont fleuri. Si l'on parvient maintenant à illustrer par son activité les extraordinaires capacités du Charles de Gaulle, système de combat unique en Europe et parmi les meilleurs du monde, j'espère que nous aurons des papiers plus favorables qui feront oublier les précédents. En tout cas, malgré la petite amertume qui peut rester pour les membres de l'équipage, que je comprends et que je partage d'ailleurs, c'est le moment d'être plutôt réceptif vis-à-vis des journalistes parce que je crois qu'on est dans une phase de nouvelle curiosité "positive".
CB - Si vous le permettez, parlons maintenant du présent et de l'avenir. Le marin aime naviguer sur l'avant pour préparer la manuvre suivante et l'évolution prochaine de son navire. Si l'on regarde plus loin encore vers l'avenir pour ce qui concerne les perspectives de la Marine et de son modèle 2015, que peuvent attendre les marins de la loi de programmation militaire ? Question un peu plus précise dans ce cadre, la question fréquemment posée est celle du deuxième porte-avions, est-il envisageable ?
AR : Ce que les marins globalement doivent attendre de la prochaine loi de programmation, ce sont des bateaux neufs. Cela me paraît être l'impératif premier. Ces dernières années, peu de navires nouveaux ont été mis en chantier et, quand on fait la projection vers 2005-2007, on s'aperçoit que la flotte vieillit. C'est pourquoi, en plein accord avec l'état-major de la Marine, l'option que je propose au gouvernement et au chef de l'État pour la prochaine programmation est de donner la priorité aux bateaux neufs. Bien sûr, il faut assumer, et cela va être coûteux, la livraison de la flotte aérienne : les Rafale d'abord et en fin de période les hélicoptères. Pour ce qui concerne le deuxième porte-avions, et pour aller vite, avec les crédits dont on va disposer comme je l'espère pour cette période 2003-2008, il faudra que l'on choisisse le moment de sa mise en chantier de manière à ne pas faire obstacle à la sortie de la nouvelle génération de frégates. Dans mon esprit, la mise en chantier du 2e PA aura lieu pendant cette période, mais elle se fera plus ou moins tôt, ou plus ou moins tard, en fonction des crédits que l'on veut consacrer à rajeunir la flotte et à mettre en ligne un nombre suffisant de bateaux neufs.
CB : Un des points cruciaux de cet avenir est celui de l'évolution du soutien industriel et logistique de nos forces. Cela concerne en premier chef la mutation de l'entreprise DCN. Quelle solution vous paraîtrait la plus pertinente ?
AR : L'entretien de la flotte, c'est en premier lieu toute une chaîne de décisions, de procédures, de systèmes de management et nous avons mis en place, il y a déjà près d'un an maintenant, le service de soutien de la flotte (SSF), de manière à rationaliser la prévision des opérations d'entretien, la répartition des rôles entre les différents intervenants, les différents prestataires et j'en attends une amélioration du niveau de disponibilité des bâtiments et de la bonne qualité de finition des opérations de réparation et de modernisation.
DCN est le prestataire principal pour les grosses réparations et la construction neuve. C'est une entreprise dont la qualité technique est reconnue. Elle a été choisie comme constructeur par des marines de nombreux pays parce qu'elle offre un savoir-faire de maître d'uvre incontesté pour les bateaux les plus complexes, les ensembles les plus sophistiqués. C'est un réel atout sur lequel je veux m'appuyer. Ce qui est extrêmement pénalisant pour DCN, c'est l'obligation qui lui est faite d'acheter les composants des bâtiments conformément aux procédures instituées pour l'achat de biens administratifs. Ensuite, comme dans toutes les industries de défense, il va y avoir dans les cinq ou dix ans qui viennent des rapprochements, des alliances, entre firmes européennes et tant que DCN sera une administration de l'Etat, elle ne pourra pas fusionner ou simplement créer une société commune avec un de ses grands partenaires. C'est ce qui m'a conduit à préconiser que le gouvernement transforme DCN, qui est aujourd'hui un service de l'État, en société nationale et nous sommes au travail pour préciser ce que devra être le planning de cette opération et pour prendre la décision de mise en uvre. Moi, en tout cas, je souhaite ne pas trop attendre. Je précise que nous estimons pouvoir faire cela en maintenant le statut du personnel de DCN qui n'est pas en question.
CB : Parlons un peu des marins si vous le voulez bien. Beaucoup d'entre eux ont exprimé l'inquiétude à plusieurs reprises dans des CFMM de voir la professionnalisation banaliser leur métier, et restreindre leur couverture sociale et leur protection juridique, lors d'escales notamment. Cette crainte a-t-elle selon vous un fondement et va-t-on vers un alignement des militaires sur le droit commun et le monde civil ?
AR : D'abord, parlons de banalisation, j'entends ce que veut dire ce terme et il m'arrive de l'employer mais en même temps, je considère que dans une défense professionnalisée, les militaires en tant que salariés, en tant qu'agents, ont des droits qui sont les droits des agents publics en général. C'est ce qui me conduit à préconiser que l'on fasse un effort pour réduire les charges de travail des militaires, de manière à rester à peu près en harmonie avec ce qui va se faire avec la durée du travail des agents publics. De même, le système de protection sociale doit rester aligné sur celui qui est valable pour l'ensemble des agents publics. Il y a donc une banalisation positive qui assure que les droits professionnels des personnels militaires restent harmonisés avec ceux de l'ensemble de la société.
Ensuite, la question de la protection sociale et surtout de la garantie juridique pour les accidents survenus en escale est une question qui s'impose à nous parce que la loi prévoit que l'indemnisation par le service des accidents, des sinistres, vient justement de leur lien au service. Dans le passé, il y a eu des situations qui étaient trop floues notamment pour des activités collectives en escale. Imposées aux militaires, elles n'étaient pourtant pas classées comme activités de service. J'ai donc mis en place un groupe de travail des différents CFM concernés par ce sujet pour qu'il préconise des mesures qui ramèneraient dans l'activité de service tout ce qui peut y être. Enfin, il y a eu des cas dans lesquels, c'est vrai, il a été fait appel de décisions favorables devant les tribunaux et j'ai donné des instructions pour que dorénavant les cas d'appels ne correspondent vraiment qu'à des situations extrêmes dans lesquels il y aurait eu un abus de droits. Nous présentons l'ensemble de ces nouvelles propositions au CSFM de fin mai et en fonction des avis qui nous seront donnés, elles seront mises en uvre. Il restera toutefois des situations dans lesquelles, quand le militaire est en situation purement libre d'activités individuelles de loisirs en escale, il lui faudra prendre une garantie juridique, mais ce que l'on espère, c'est que le nombre de cas concernés sera très faible et par conséquent la charge de la protection juridique infime.
CB : Pour conclure notre entretien, permettez-moi d'évoquer avec vous des perspectives qui dépassent le cadre de notre marine et même de notre nation, qui engagent le devenir de notre continent et auxquelles nous sommes sensibilisés à bord de notre porte-avions. En effet, nous sommes dans l'exercice Trident d'or au côté de nombreux bâtiments représentant plus de dix nations, nous vivons au quotidien avec deux équipages de "Sea King" allemands et avons également parmi nous un officier britannique et un officier espagnol. Nous pratiquons également au quotidien l'interarmées avec un détachement de l'Alat et un détachement de l'armée de l'Air. Sous quelle forme pratique voyez-vous la progression, l'évolution future de l'Europe de la Défense dans les prochaines années ?
AR : Beaucoup sous des formes comme celles-là. C'est-à-dire que l'Europe de la Défense ne consiste pas, pour toutes les années qui viennent, à fabriquer une nouvelle armée européenne. Chacun restera sous son pavillon, sous son drapeau, et restera organisé au sein de son armée nationale. Le projet européen de défense ne consiste pas à avoir des organismes qui peuvent prendre des décisions au nom de l'ensemble des Européens. Comme au sein de l'Alliance atlantique, nous avons mis en place un comité politique et de sécurité qui est composé d'ambassadeurs représentant en direct les gouvernements et qui, comme le conseil atlantique au sein de l'Alliance, peut gérer une situation et prendre les décisions militaires au quotidien. Nous avons mis en place un comité militaire. Nous avons également constitué un état-major de l'Union européenne qui est en train de monter en puissance. Enfin, les Européens se sont engagés à fournir des capacités de commandement, des capacités de transport et des capacités proprement militaires. Chacun a annoncé la part qu'il acceptait de prendre dans la force de réaction rapide, aussi bien navale, aérienne que terrestre, et nous sommes dans la phase maintenant où ces différentes unités sont appelées à faire des exercices et à échanger des informations pour assurer une meilleure interopérabilité. Il faut que nous répétions que l'Europe de la Défense n'est pas qu'un exercice papier. Les Européens se sont mis d'accord, je le souligne, pour dire qu'ils sont prêts à intervenir, à jouer un rôle de force de paix dans une situation de conflit, d'une part sur le territoire européen si une nouvelle crise survenait, mais aussi ailleurs dans le cadre d'une opération des Nations-Unies. À cet égard, je constate que, notamment pour des crises africaines, parce que hélas il s'en produit beaucoup, nos amis européens dans l'ensemble avaient une attitude très distante et j'observe, aujourd'hui, que les Britanniques, les Néerlandais, les Danois ont accepté pendant ces derniers mois, dans ces deux dernières années, de prendre des responsabilités dans des crises difficiles en Afrique. Autre exemple, à Timor, alors que nous étions pourtant assez chargés par l'affaire du Kosovo, il y a eu sept pays européens différents qui ont décidé d'envoyer des forces ou des moyens militaires pour régler la crise alors qu'elle se situait à quinze mille kilomètres. Il y a je crois aujourd'hui un état d'esprit européen beaucoup plus décidé à prendre des responsabilités collectives qu'il y a encore quelques années.
Ajoutons à cela que si les États-Unis souhaitent, bien sûr, conserver la responsabilité de fait que leur donne l'Alliance atlantique par leur poids propre, ils respectent l'identité européenne parce que l'Europe est leur grand partenaire. Nous partageons beaucoup de valeurs. Ensuite, et nous n'en sommes pas toujours conscients, les États-Unis sont absorbés par une multitude de crises sur les cinq continents : Taiwan-Chine, Corée-du-nord-Corée-du-sud, Proche-Orient et bien d'autres encore. Leur tentation, légitime à mon avis pour une grande démocratie, c'est de se demander s'ils doivent s'engager dans dix ou quinze opérations à la fois et s'ils ne pourraient pas laisser leurs alliés agir dans un contexte régional qu'ils connaissent à la limite mieux qu'eux.
Il y a une assez bonne acceptation par les États-Unis de l'Europe de la Défense. Souvent, d'ailleurs, les parlementaires ou les observateurs américains me disent quand je vais dans les cercles internationaux pour la plaider : "Nous avons compris votre idée, elle se défend et peut nous intéresser, mais montrez-nous ce que vous savez faire." L'avenir de l'Europe de la Défense est désormais entre les mains des Européens.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 2 juillet 2001)