Conférence de presse de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, et son entretien avec "RFI", le 23 octobre 2001, sur les relations et la coopération franco-libyennes, les relations aériennes entre les deux pays après l'attentat contre UTA, le rôle de la Libye en faveur de l'Union africaine et la lutte contre le terrorisme international, Tripoli, Libye, les 22 et 23 octobre 2001.

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Circonstance : Voyage de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, à Tripoli, Libye, les 22 et 23 octobre 2001

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Entretien de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, avec les medias
Q - Le Colonel Kadhafi a dit : "Chaque fois que nos relations s'améliorent avec la France, elles se dégradent de nouveau, il y a un problème qui fait qu'elles se dégradent de nouveau. Il y a eu le Tchad, il y a eu l'affaire de l'avion UTA. A présent, le syndicat des pilotes en France aurait refusé qu'il y ait un vol entre la Libye et la France.
R - Moi, je pourrais répondre que c'est la marque des amours passionnels, de connaître comme cela des changements d'intensité. Mais je voudrais vous demander à quand remonte la dernière déclaration du Colonel Kadhafi sur le même sujet ? Je pense que ce n'est pas une déclaration récente.
Q - Moins d'un an. En début d'année, au début de janvier, il y avait une conférence de presse. Il a dit spécifiquement : "La France est un pays qui n'a pas de chance avec la Libye et le problème vient des Français pas de Libyens".
R - Je veux bien que la question de la relation aérienne engage un peu plus la responsabilité française. On voudra bien admettre que, s'agissant des autres éléments présents dans votre démonstration, ce n'était pas tellement la France qui doit être tenue responsable. Je sais l'espoir pour la question d'Air France, je sais les souhaits des Libyens de voir une liaison aérienne assurée par Air France entre Paris et Tripoli. Lorsque j'ai eu mes premiers contacts avec les ministres libyens, cela remonte à deux ans maintenant, cette question avait déjà été soulevée. Il est vrai que les personnels naviguants d'Air France qui ont payé un lourd tribut à l'insécurité se préoccupent tout naturellement de la sécurité des équipages.
Mais je voulais rappeler aussi qu'Air France est une compagnie qui a évidemment des préoccupations d'équilibre financier, que la tendance au cours de ces dernières années a été plutôt de réduire le nombre de ses liaisons pour en augmenter la fréquence. Les dirigeants d'Air France sont convaincus que sur cette ligne, c'est la fidélité à une compagnie aérienne qui permet à celle-ci de meilleures performances. D'où le choix, je le répète, de liaisons moins nombreuses mais assurées quotidiennement. C'est la politique d'Air France sur beaucoup de destinations. Pour autant, je suis prêt, à mon retour en France, à m'entretenir avec Jean-Cyril Spinetta, pour lui faire part du choix des Libyens, en espérant par ailleurs que les questions de sécurité pourront trouver une solution.
Mais, je voudrais, en tout cas, profiter de l'occasion pour vous dire le souhait de la France d'inscrire nos relations dans un développement durable, convaincus que rien ne se fait sans la paix. Les questions que nous pouvons évoquer en commun sont trop importantes pour espérer les résoudre rapidement. Il faut donc que nous ayons un dialogue long et pas seulement intense, qu'il s'agisse de la réunification et du développement de l'Afrique, qu'il s'agisse de la paix et du développement de la Méditerranée, qu'il s'agisse de mettre la sérénité dans la relation entre l'Occident et l'Orient. Voilà les questions à la fois urgentes et importantes. Parce que nous avons une position particulière, nous en Europe, la Libye à la fois en Afrique et dans le monde arabe, je crois au dialogue pour participer, contribuer à la paix du monde.
Q - Vous avez rencontré un certain nombre de responsables libyens. Pouvons-nous savoir qu'elle a été le contenu de vos échanges avec eux ?
R - Nous avons parlé coopération bilatérale, nous avons beaucoup parlé de questions politiques et en particulier à cause de l'actualité, de cette question qui occupe le devant de la scène, le terrorisme international. Ceci a été l'occasion d'un échange très franc, très libre, sur notre approche de cette question du terrorisme et de la nécessité d'y apporter les bonnes réponses qui ne peuvent pas être seulement des actions militaires mais qui nécessitent une coopération internationale tant policière, judiciaire, financière mais aussi, plus généralement, un combat plus déterminant pour réduire les inégalités du monde. Enfin, il faut un dialogue beaucoup plus attentif entre cultures.
Q - A travers ces entretiens avec les responsables libyens, ne vous a-t-on pas fait part, ne fusse qu'incidemment, d'un certain mécontentement quant au fait que M. Védrine n'a pas compté Tripoli parmi les escales lors de sa tournée dans la région, d'autant plus que les Libyens s'attendaient à cette visite ?
R - M. Védrine aurait certainement, lui aussi, souhaité pouvoir s'arrêter à Tripoli. Il avait souhaité rencontrer les dirigeants des pays du Maghreb avec lesquels on voudra bien comprendre que la France a une relation également importante. L'agenda international est actuellement très contraint, il devait aller à Rome pour rencontrer l'ancien Roi d'Afghanistan dans le cadre de la recherche d'une solution politique, dont l'urgence est très grande. Il avait des réunions à Bruxelles, une rencontre avec M. Schroeder. Son agenda ne lui permettait pas de s'arrêter à Tripoli et en plus, il savait que moi-même, je devais y aller et comme nous travaillons à ces déplacements ensemble, il a pu normalement penser que mon voyage serait considéré comme entrant dans la relation entre la France et la Libye. Mais, bien évidemment, ce n'est que partie remise. Il a l'intention de venir à Tripoli et sa présence s'inscrira tout naturellement dans ce dialogue politique renforcé que nous souhaitons de part et d'autre.
Q - La semaine dernière, j'ai rencontré le président de la Chambre de Commerce franco-libyenne. Il a dit que les relations entre la Libye et la France vivaient ces jours-ci ses plus beaux jours. D'où tirait-il cette impression ?
R - Parce qu'il est vrai que, dans un passé récent, nous avons pu regretter que notre relation ait été contrariée. Il y avait cette question judiciaire qui ne permettait pas à notre relation de se développer complètement mais il est vrai que le voyage organisé par le patronat français a permis de confirmer l'intérêt que les entreprises françaises accordent à la Libye. Je suis heureux de voir que les autorités libyennes souhaitent de leur côté encourager la présence des entreprises françaises, ce qui se justifie aussi par les performances de nos entreprises dans un certain nombre de secteurs qui sont ceux, précisément, où la Libye souhaite développer et produire des richesses.
Q - Pensez-vous que le dossier UTA a été définitivement clos ?
R - Je considère l'affaire comme ayant été jugée. Et c'est cela qui nous autorise l'optimisme quant à l'avenir de nos relations.
Q - La Libye oeuvre pour l'Union africaine. Quelle est l'évaluation française de ces efforts libyens en faveur de l'union africaine, étant donnée l'importance des relations avec l'Afrique, notamment au sein de la francophonie ?
R - La situation de l'Afrique nous préoccupe. Les statistiques sont d'une très grande brutalité. Qu'il s'agisse de l'espérance de vie qui recule, ou la part des investissements étrangers qui régressent, il faut certainement que l'Afrique bénéficie d'une plus grande solidarité et il faut que l'aide publique au développement se mobilise davantage. Il y a quelques bonnes nouvelles : l'effacement de la dette qui va profiter surtout aux pays africains, la mise en place du fond mondial contre le SIDA, la mise en place aussi du fond mondial pour l'environnement.
Mais il faut que les Africains sachent eux-mêmes trouver la voie de la paix et tout ce qui contribue à rassembler les Africains, qui leur permet de définir en commun les objectifs de leur développement doit être encouragé. Nous avons ressenti, analysé, avec beaucoup de sympathie, les efforts engagés pour réunir les Africains. Nous avons observé qu'il y a désormais un nombre suffisant de ratifications au traité constitutif de l'Union africaine. Nous allons voir si l'Union africaine va donner, en quelque sorte, la légitimité nécessaire à cette nouvelle initiative africaine qui a, d'ores et déjà, fait l'objet d'échange entre Europe et Afrique. Je rappelle que cette question figurait à l'ordre du jour du suivi du sommet Europe-Afrique qui s'est réuni à Bruxelles la semaine dernière, à laquelle participaient d'ailleurs les ministres africains.
Q - En fait j'ai posé la question concernant tout particulièrement le rôle libyen en faveur de l'Union africaine et comment la France évalue-t-elle cela ?
R - Je suis prêt à apporter le témoignage du rôle de la Libye. Nous avons pu apprécier le rôle qu'a joué la Libye dans, à la fois l'émergence du concept mais aussi dans sa mise en oeuvre. Ce n'est pas par hasard que Syrte a été en quelque sorte le berceau de l'Union africaine. Ceci donne à la relation de la France et la Libye une signification particulière car, au moment où la Libye manifeste un intérêt accru pour l'Afrique, la France de son côté a modifié son dispositif de coopération internationale pour s'ouvrir à l'ensemble de l'Afrique et plus seulement l'Afrique francophone.
Et puisque je parle de la Francophonie, je voudrais dire l'importance de la coopération culturelle pour garantir la durabilité de notre coopération. La coopération culturelle peut supporter les accidents de l'histoire. Et je crois, en outre, que l'apprentissage du Français par les Libyens est le vrai passeport pour jouer un rôle en Afrique.
Q - L'Afrique, en plus des cultures locales, appartient à deux grandes cultures : la culture francophone et la culture anglophone, sans compter la présence de l'Islam, d'une façon très nette dans ce continent. Vous mettez l'accent sur la culture française. Que voulez-vous dire par là ?
R - Je pense que l'Afrique, outre les langues vernaculaires, originelles, oblige en quelque sorte à pratiquer trois langues. On me pardonnera de commencer par le français. On continuera par l'arabe et puis l'anglais. Mais je crois que l'avenir du monde est dans le pluralisme. Nous pensons que le français est une des grandes langues du monde. Au-delà de la langue, il y a aussi la culture et je suis heureux d'avoir pu, il y a quelques jours, présenter un ouvrage qui s'intitule "arabofrancophonie" pour montrer les liens très étroits qui existent entre ces deux langues et je ne suis pas un linguiste moi-même mais je sais qu'il y a de nombreux mots arabes dans la langue française et réciproquement. Je crois que nous avons tous, en quelque sorte, mission de défendre cette diversité linguistique pour se mettre à l'abri de la monoculture.
Q - La Libye a contribué, l'année dernière, à l'élaboration d'un livre, en collaboration avec l'UNESCO, sur l'histoire de l'Afrique et cet ouvrage est en dix volumes et a nécessité quinze années de travail pour son élaboration. Avez-vous eu connaissance de cette encyclopédie et quelle évaluation en faites-vous ?
R - Non ! Mais je vais le demander.
Q - A propos de la Commission mixte ?
R - Nous appelons une Commission mixte, une réunion qui se fait au niveau ministériel qui fait à la fois le bilan de la coopération passée et bâtit le programme de la coopération à venir, en général pour une période de cinq ans. La partie libyenne souhaitait qu'une commission mixte ait lieu pour donner, en quelque sorte, une plus grande valeur à notre engagement. Il faut, évidemment, le temps pour préparer sérieusement cette commission car il faut que toutes les administrations concernées puissent travailler ensemble : la santé, l'éducation, les relations économiques. Bref, nous sommes convenus de mettre en place, dès à présent, un groupe de travail mixte pour préparer cette commission mixte qui pourrait se tenir à la fin du premier semestre de l'année 2002, normalement au mois de juin. Ce serait aussi l'occasion de réactualiser un accord culturel franco-libyen qui date de 1976 alors que beaucoup de choses se sont passées depuis.
Q - Il peut y avoir une visite de Monsieur Védrine avant cela en Libye ?
R - Oui, je pense. Le monde nous réserve malheureusement souvent des surprises, même mauvaises. J'espère aussi que nous pourrons préparer une manifestation culturelle importante qui permettrait aux Parisiens, aux Français, et aux étrangers qui visitent Paris, de découvrir la richesse du patrimoine libyen mais aussi la réalité de la Libye d'aujourd'hui. La Libye n'est pas suffisamment connue. Il est de la responsabilité des Libyens et des Français de la faire mieux connaître
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 octobre 2001)
Entretien de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, avec "RFI"
Q - Avez-vous évoqué avec M. Kadhafi la lutte contre le terrorisme suite aux attentats du 11 septembre ?
R - Lui a spontanément parlé de terrorisme. Il est vrai que nous en avions parlé hier avec certains de ses ministres. Il est à nouveau revenu sur le besoin qu'il juge plus nécessaire que jamais, d'une clarification du concept de terrorisme pour lever l'ambiguïté entre les mouvements de libération - il fait référence à sa propre histoire puisqu'il les a soutenus, il l'a rappelé ce matin -, et puis cet autre terrorisme, lui, inqualifiable, parce que non porteur de projet politique et il est clair qu'il met ceux qui ont commis les attentats à New York dans cette seconde catégorie.
Q - Quelle est sa position ?
R - Il a surtout rappelé qu'il y avait des Libyens liés au mouvement de M. Ben Laden, dont certains étaient par exemple à Londres. Ce qui devrait inciter d'ailleurs à rechercher aussi à Londres les terroristes et pas seulement en Afghanistan, mais je veux dire que d'autres pays pourraient malheureusement s'attendre à être aussi dans la même situation.
Q - Exprime-t-il des doutes sur la manière de répondre au terrorisme ?
R - Non, je crois qu'il est prêt en ce qui concerne la coopération. Il opine quand on souligne le besoin d'une coopération policière, judiciaire. Je ne vais pas rentrer dans le détail, mais on peut en déduire son accord pour participer à ce type d'action. S'agissant des actions militaires en Afghanistan, il a exprimé quelques réserves mais sur la coopération policière et judiciaire et bancaire, puisque que nous avons évoqué aussi cette forme de lutte contre le terrorisme, il agrée.
Q - Et sur l'opération militaire en cours ?
R - Il considère qu'il ne suffira pas, c'est lui qui s'exprime, de se saisir de M. Ben Laden pour mettre fin, forcément, à la menace terroriste.
Q - Et sur les Nations unies ?
R - Il fait référence aux Nations unies mais davantage pour critiquer leur manque de démocratie que pour faire appel à leur intervention.
Q - Qu'attend-il de la France ?
R - Moi, je pense qu'il a voulu, en me recevant longuement ce matin, souligner l'intérêt qu'il attache à un dialogue politique avec la France, à une reprise de notre coopération. Il a évoqué la rencontre qu'il avait eue avec le président Chirac au Sommet du Caire, il a fait référence dans la conversation au président Mitterrand, au général de Gaulle et il nous a dit son souci de voir se développer la coopération entre la Libye et la France en particulier à propos de l'Afrique. En Afrique, tout en souhaitant, tout en insistant, sur la nouvelle politique africaine de la France, j'ai d'ailleurs eu l'occasion de lui rappeler que la coopération n'était pas, en effet, sans intérêt.
Q - A-t-il évoqué le contentieux entre les deux pays ?
R - La question de l'attentat contre UTA a été jugée. On peut en effet, du point de vue de notre coopération, considérer que la parenthèse est refermée et que désormais sur le plan aussi bien culturel que scientifique, technique et bien sûr économique, la coopération entre nos deux pays peut désormais se développer normalement, c'est incontestablement l'espoir aussi de la partie libyenne.
Q - Participera-t-il à la lutte contre le terrorisme ?
R - Je crois en tout cas que l'argument que j'ai développé depuis mon arrivée hier, à savoir que la participation de la Libye à la lutte contre le terrorisme international est peut-être une bonne manière pour la Libye d'intégrer complètement la communauté internationale, a pu être entendue.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 octobre 2001)