Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur la politique de l'emploi, les enjeux de la lutte contre l'exclusion du marché du travail et l'action du Minéfi dans ce domaine, Paris, le 26 septembre 2001.

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Circonstance : Colloque sur "La politique de plein emploi et la lutte contre l'exclusion du marché du travail", à Paris le 26 septembre 2001

Texte intégral

COLLOQUE " LA POLITIQUE DE L'EMPLOI ET
LA LUTTE CONTRE L'EXCLUSION DU MARCHÉ DU TRAVAIL "
CENTRE PIERRE MENDÈS FRANCE
Intervention
de M. Laurent FABIUS,
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie
- 26 SEPTEMBRE 2001
Mesdames et messieurs,
Je suis heureux d'être parmi vous à l'issue de cette première conférence du cycle " MINEFI contre l'exclusion ". Je salue les agents du ministère et chacun de nos invités, en particulier Jacques Delors qui a assuré la présidence de la conférence. Les réflexions que je souhaite ajouter aux débats qui ont eu lieu pendant cette matinée concernent trois domaines:
les enjeux de la lutte contre l'exclusion du marché du travail
l'action du Gouvernement et notamment du Minéfi
l'importance du cycle " Minéfi contre l'exclusion ".

Les enjeux des politiques de l'emploi et de la lutte contre les exclusions doivent rester la priorité absolue de toute la nation.
Depuis 1998, notre pays a connu une baisse importante du chômage due à une conjoncture favorable, au travail des Français et à la politique menée par le Gouvernement de Lionel Jospin. Après 25 ans de crise, nous avons retrouvé un taux de chômage à un chiffre et près de 1,5 million d'emplois ont été créés dans le secteur marchand. L'emploi a renforcé la croissance comme la croissance a renforcé l'emploi. La croissance internationale n'aurait pas suffi à atteindre ces résultats sans une stratégie économique active. A titre de comparaison, entre 1987 et 1991, avec une conjoncture internationale en moyenne plus favorable et un taux de croissance équivalent, 700 000 emplois seulement avaient été créés, soit moitié moins.
La baisse du chômage, qu'il faut bien sûr conforter, constitue une performance remarquable mais encore insuffisante. L'environnement économique, moins favorable depuis le début de l'année, a été sérieusement secoué par les attaques terroristes du 11 septembre. Dans une économie globalisée, nous en subissons naturellement le contrecoup. Nous ne pouvons encore en connaître toutes les conséquences mais pouvoirs publics, consommateurs et entreprises doivent rester mobilisés et volontaires. Depuis quelques mois le rythme des créations d'emplois s'est ralenti. Devons-nous pour autant abandonner notre objectif de plein emploi ? Non. Nous devons maintenir notre cap, redoubler d'efforts pour maintenir la dynamique de la croissance et attaquer le noyau dur de l'exclusion.
Les propos des anciens chômeurs diffusés en ouverture de vos travaux l'ont rappelé avec force : le chômage est d'abord une souffrance humaine qui s'accompagne souvent de drames familiaux, de perte de confiance en soi et d'isolement. Dans nos sociétés cimentées par le travail, la perte d'emploi signifie, d'une certaine manière, perte d'identité. L'emploi nourrit le lien social, le chômage le détruit.
Le chômage est aussi un handicap économique pour la collectivité tout entière. Certains préconisaient jadis de " grignoter le chômage " en l'attaquant de tous les côtés à la fois. La recette vaut plus que jamais et nous l'appliquons. C'est le sens du projet de budget que je présentais ici-même la semaine dernière : faire en sorte que l'élan vers l'emploi qui anime notre économie depuis 4 ans ne trébuche ni sur les difficultés conjoncturelles ni sur les contraintes d'offre associées aux mécanismes qui aboutissent parfois à priver les personnes de l'essentiel des fruits de leur travail quand ils reprennent une activité.
La politique de l'emploi repose sur un faisceau de stratégies complémentaires.
Première priorité : le soutien de l'offre par la multiplication des mesures d'intéressement à la reprise du travail. La taxe d'habitation et les allocations logements ont été réformées pour que les personnes qui retrouvent un emploi ne soient plus pénalisées par la diminution de leurs allocations et l'augmentation de leurs impôts. La possibilité de cumul entre le RMI et les revenus d'activité a été élargie : le cumul intégral des " prestations " et " revenus d'activité " par le RMI et l'API a ainsi été allongé d'un trimestre. Nous avons mis en place la prime pour l'emploi. L'encouragement au retour à l'emploi y est assuré par l'augmentation de la rémunération du travail. Avec un montant de près de 1000 francs en moyenne pour plus de 8 millions d'actifs aux revenus modestes, son impact est massif. Il est proposé qu'elle soit doublée l'an prochain. Au total, en 2002, ce sont 4 milliards d'euros qui seront consacrés au retour à l'emploi.
Priorité au plein emploi. Dans un souci d'efficacité, le Gouvernement a misé sur la baisse des cotisations sociales pour les bas salaires : les cotisations sur les salaires diminueront de plus de 3 milliards d'euros cette année et le mouvement se poursuivra en 2002. En outre, près de 3 milliards d'euros sont consacrés cette année - 4 en 2002 - à réduire la taxe professionnelle sur les salaires. Dans le même temps, nous maintenons notre stratégie de réduction du temps de travail tout en l'assouplissant quand nécessaire : ses modalités sont adaptées aux spécificités des petites entreprises pour que le processus de RTT accompagne leur développement. Enfin, pour donner à plus de jeunes une première chance, le Gouvernement a décidé la création de 25 000 nouveaux emplois jeunes dans la sphère publique en 2001. L'effort sera poursuivi en 2002.
La mise en oeuvre de programmes ambitieux de retour à l'emploi à destination des personnes en difficulté encore exclues du marché du travail. Un peu dans le même sens. C'est un impératif de solidarité à travers plusieurs champs d'action. L'accompagnement personnalisé des demandeurs d'emploi les plus fragiles, le programme " nouveau départ " prend en charge près d'un million de chômeurs par an. Ses principes ont été généralisés à partir de janvier 2001 par la mise en oeuvre du Plan d'aide au retour à l'Emploi (PARE) qui allie politique de formation, bilans de compétence, dispositif d'aide à la recherche d'un emploi et propositions d'offres d'emploi ciblées. La relance des contrats aidés se poursuit avec au moins 50 000 CES supplémentaires pour 2001. Les crédits et les effectifs du programme TRACE seront augmentés de 50 % en 2002 : une allocation d'accès à l'emploi versée durant le parcours TRACE aux jeunes sans ressources sera créée ainsi que de nouvelles prestations d'accompagnement pour les chômeurs non indemnisés.
Il nous reste cependant encore beaucoup à faire. Au-delà de ces 3 grands axes, en tant que ministre en charge du développement économique, je suis impressionné par le potentiel d'initiatives qui existe dans notre pays. La création d'entreprises génère 300 000 emplois par an - en fait plus de 500 000, si l'on intègre les reprises. Il y a là un trésor de volonté et de dynamisme qui souffre parfois de la complexité excessive des règlements - qui est en soi un facteur d'exclusion - et du poids des cotisations sociales au démarrage, créant une véritable trappe au travail au noir. Nous voulons changer cet état de fait. A problèmes de fond, réponses durables. Il faut développer une nouvelle forme d'éducation continuelle qui passe par une redéfinition du mode de validation des acquis, notamment un élargissement du système défini par la loi, et surtout par l'institution d'un droit à la formation tout au long de la vie, individuel, transférable et garanti collectivement. J'en suis un militant de longue date. La création d'un " Compte Education Formation " est désormais indispensable. Ce travail de long terme est nécessaire pour apporter une réponse durable au problème de l'emploi.
Dans cette bataille pour l'emploi et la solidarité, l'action des agents du Minéfi est centrale.
J'ai souhaité qu'à travers le cycle de conférences " Minefi contre l'exclusion " que m'ont proposé plusieurs responsables de notre maison, dont Maria Nowak, tous les agents de ce ministère perçoivent la vision globale des politiques d'emploi menées par le Gouvernement, pour mieux la traduire au quotidien dans leur activité professionnelle, en liaison avec les partenaires économiques et sociaux, mieux se coordonner avec les autres services de l'Etat et s'engager, le cas échéant, en tant que citoyens dans un combat qui nous concerne tous. Notre implication est totale.
La lutte contre l'exclusion n'est pas une dimension nouvelle à Bercy. Qu'il s'agisse des études statistiques sur la pauvreté, du traitement des dossiers fiscaux, des dossiers de surendettement, de l'introduction de l'euro auprès des publics fragiles, du soutien à la création d'entreprise ou de la lutte contre la fracture numérique, la lutte contre l'exclusion est présente dans de nombreux domaines. Avec la distribution de la prime pour l'emploi à 8 millions de nos concitoyens, elle est entrée massivement dans nos activités cette année. Pour mieux servir les Français, les services de l'Etat doivent mieux les connaître.
Je remercie la Direction de la Prévision d'avoir organisé cette conférence. D'autres conférences, organisées par le Trésor, la DECAS ou la Caisse des Dépôts et Consignations ont été prévues. Leurs thèmes ont été choisis pour appuyer les politiques de l'emploi là où notre ministère peut y aider.
L'entreprise socialement responsable correspond à un enjeu majeur d'auto-régulation des entreprises. Je n'oublie pas que c'est vous, Monsieur le Président Jacques Delors, qui avez été à l'origine du premier manifeste des entreprises européennes contre l'exclusion et de la constitution du réseau européen pour la cohésion sociale devenu aujourd'hui " CSR Europe ".
La création d'entreprises par les personnes en difficulté est une autre piste importante : entre 30 % et 50 % des entreprises françaises sont créées par des chômeurs. Leurs performances sont comparables à la moyenne nationale lorsqu'elles peuvent bénéficier d'un financement et d'un accompagnement approprié. Créateurs de richesses ou seulement bénéficiaires de transferts sociaux ? Là aussi, le choix est essentiel.
Le développement des activités économiques dans les quartiers en difficulté est un sujet majeur pour la cohésion sociale. Ces quartiers représentent 10 % de la population active. Leur taux de chômage élevé est d'autant plus préoccupant qu'il touche une population jeune, qui est l'avenir et la richesse de notre pays. Le désespoir des jeunes mène à la violence. A nous de favoriser d'autres issues.
L'exclusion financière, enfin, touche une partie notable de nos concitoyens, qu'il s'agisse des services bancaires de base ou de l'accès au crédit. Les réponses que nous pourrons y apporter contribueront aussi à l'insertion des exclus.
Les thèmes qui seront évoqués ne sont évidemment pas exhaustifs et d'autres conférences pourront être organisées en fonction des suggestions des services et des agents eux-mêmes. Il nous faut multiplier les approches, croiser les expériences. Les obstacles sont connus : ils ont pour nom égoïsme, dogmatisme et défaitisme. Il nous faut poursuivre notre travail.
Mesdames et Messieurs, il n'y a pas de développement durable sans cohésion sociale et sans solidarité réelle entre les citoyens. La solidarité passe par l'ouverture de l'économie d'échange à ceux qui sont confinés, au delà de l'urgence, dans une économie du don. La dignité passe par l'échange, et donc par le travail. A côté du droit du travail, il y a aussi un droit au travail, et c'est à l'Etat de le faire respecter. Le Gouvernement fait ce qu'il doit faire dans ce sens érigeant l'emploi comme priorité des priorités : 80 % des fruits de la croissance sont allés au travail depuis 1997. Nous agissons avec les partenaires sociaux dans le cadre d'un programme large qui passe par le développement de l'actionnariat salarié et de la démocratie dans l'entreprise. Nous devons tout faire pour redonner leur chance à ceux qui ont été exclus du système. Etat, acteurs économiques, responsables associatifs, ensemble, nous ne devons ménager ni nos efforts, ni nos imaginations. Dans ce domaine, on ne fait jamais assez. C'est le message que je retiens de vos débats.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 28 septembre 2001)