Point de presse de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur la coopération entre la France, l'Union européenne et le Soudan et la lutte contre le terrorisme, Khartoum, Soudan, le 24 octobre 2001.

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Circonstance : Voyage de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, au Soudan, les 24 et 25 octobre 2001

Texte intégral

Point de presse conjoint de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, de M. Moses Machar, vice-président de la République du Soudan et de M.Gutluak Deng, président du conseil de coordination des Etats du sud.
Je vais parler en français pour deux raisons principales : la première, c'est que je ne suis pas très à l'aise en anglais, et la deuxième c'est que je suis ministre de la Francophonie, même si j'ai une conception très large de la Francophonie.
Monsieur le vice-président,
Mesdames et Messieurs,
Excellences,
C'est mon second voyage au Soudan. A l'été 1998, les responsables politiques et économiques occidentaux n'étaient pas très nombreux à prendre le chemin de Khartoum. Je suis heureux de constater qu'aujourd'hui la situation a changé. J'y vois le résultat de ces efforts qui ont été entrepris pour faire vivre la démocratie. Mais aussi des efforts pour faire avancer l'effort de paix. Je suis heureux d'avoir pu convaincre mon gouvernement, après ce premier voyage, de faire le choix d'accompagner le Soudan dans ces efforts plutôt que de l'exclure de la communauté internationale. Je suis heureux d'avoir pu convaincre aussi mes collègues européens de porter un regard positif sur le Soudan. Je n'ai eu de cesse dans mes contacts avec mes collègues américains de plaider en faveur de votre pays car il a besoin de la solidarité internationale. Je suis particulièrement heureux de rencontrer des responsables des Etats du Sud vers lesquels sont braqués souvent les projecteurs de l'actualité, qui montrent les souffrances des populations déplacées, qui montrent aussi l'incapacité de régions entières à nourrir leurs propres enfants. J'aimerais pouvoir recueillir de votre bouche des informations sur la réalité de votre situation, celle de vos provinces, peut-être aussi vos projets pour le Sud et son développement, la mise en valeur de ses richesses, mais aussi sa relation avec Khartoum, lorsque la paix aura enfin été gagnée. J'entends la volonté de maintenir la volonté de maintenir l'unité du Soudan réaffirmée par tous les acteurs, j'entends aussi cette volonté de prendre en compte les spécificités des provinces du Sud. Il m'intéresserait de vous entendre me dire comment il vous paraît possible, souhaitable, de concilier ces deux entités.
Nous serons prêts à prendre notre part dans le travail, notamment dans le cadre de la coopération bilatérale, de reconstruction et de développement des provinces qui ont souffert et à plaider la cause du Soudan dans les instances européennes, aussi au Conseil de Sécurité des Nations unies, et enfin à Washington. Sachez simplement que la solidarité internationale sera en proportion des efforts que tous les Soudanais feront pour faire progresser, je le répète, à la fois la démocratie, les Droits de l'Homme, le développement et la paix.
* * *
Merci d'abord pour votre invitation à me rendre dans le Sud. Je vais essayer de serrer davantage mon agenda, mais pas cette fois, je dois malheureusement rentrer à Paris demain.
J'ai entendu plusieurs projets de coopération évoqués par les uns et les autres. On a parlé de santé, et notamment de l'hôpital de Juba, on a parlé d'électricité, de tourisme, d'environnement. On a évoqué la situation particulière des réfugiés, non seulement de ceux qui sont en mouvement mais aussi de ceux qui ont quitté le Sud et qui voudraient probablement y revenir et pour lesquels il faudra prévoir des programmes spécifiques.
Je voudrais attirer votre attention sur le rôle que l'Union européenne devrait pouvoir jouer. Il y a une relation spécifique entre l'Union européenne et l'Afrique, ce sont les accords ACP. Malheureusement, les relations entre l'Europe et le Soudan sont suspendues depuis déjà plusieurs années et ceci prive le Soudan d'un outil important qui est le Fonds européen de développement. Et la France, qui finance presque le quart de ce fonds à elle seule, regrette encore plus que cette suspension de la coopération empêche le financement de ces projets dont vous avez parlé et dont nous reconnaissons bien l'utilité. Il y a des arriérés au titre notamment de deux outils spécifiques qui sont le STABEX (outil de stabilisation des produits agricoles) et le SYSMIN (qui concerne les produits miniers) et qui sont quelque part alloués au compte du Soudan, mais dont vous ne pouvez pas bénéficier car il y a eu cette suspension de la coopération. Il faut que, très vite, nous arrivions à reprendre cette coopération. L'arrêt des sanctions, décidée à la fin du mois de septembre, est un élément positif et il faut continuer dans cette direction.
Je voudrais dire enfin, puisque l'un d'entre vous évoquait la volonté des pays occidentaux de voir changer le gouvernement de Khartoum, que le temps n'est plus où les Occidentaux choisissaient à la place des Africains leurs propres dirigeants. Ca, c'est terminé. Il faut que les occidentaux cessent de cultiver la nostalgie. C'est à vous de choisir vos dirigeants. Nous espérons aussi que vos dirigeants sauront faire progresser ces valeurs auxquelles nous sommes attachés, et vous aussi j'en suis sûr : elles s'appellent démocratie et Droits de l'Homme. Et puisque l'actualité nous offre un nouveau sujet de coopération, c'est la lutte contre le terrorisme, il y a là une raison de plus pour s'aider.
Je voudrais enfin vous dire ma volonté d'essayer d'impliquer dans cette coopération la société française, peut-être même des institutions particulières par exemple les hôpitaux : il s'agirait de mettre en relation nos hôpitaux avec des hôpitaux des pays du Sud. Au-delà de la coopération entre les Etats, il y a aussi cette coopération entre les collectivités locales et les institutions. Cette coopération là peut aussi produire des résultats importants..
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 octobre 2001)
Conférence de presse de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie
Q - Quelles sont les questions les plus importantes dont vous avez discuté avec le président ?
R - Nous avons discuté de l'équilibre du monde, nous avons parlé de cette tension qui se manifeste entre le Nord du Sud, nous avons parlé du sentiment d'injustice, des inégalités, de ce qui fabrique de la frustration et de la haine et qui facilite parfois, dans les esprits, le travail des terroristes. Nous avons parlé de cette mobilisation contre le terrorisme international, du besoin aussi pour les populations de comprendre les engagements et les actions de leurs dirigeants car nous sommes tous conscients qu'entre l'engagement des dirigeants dans la lutte contre le terrorisme et la sensibilité des populations de la rue, il puisse y avoir parfois certaines contradictions, certaines tensions. Et, il faut que ces tensions soient prises aussi en considération car elles peuvent produire à leur tour des violences.
Je me suis surtout félicité des efforts qui sont accomplis, sous l'autorité du président Béchir, pour faire vivre mieux la démocratie et faire avancer la paix. Le président a rappelé que c'est bien, en effet, la guerre qui empêche le progrès de la démocratie et celui des Droits de l'Homme. Et je pourrais conclure en disant qu'il y a des guerres plus ou moins sales. Mais aucune n'est véritablement propre.
Q - Avez-vous demandé au Soudan de jouer un rôle précis dans la coalition internationale de lutte antiterroriste ?
R - Le rôle que le Soudan a déjà choisi de jouer, et en particulier sur le plan de la coopération judiciaire, policière et éventuellement financière. Et c'est dans ces domaines que la coopération internationale est particulièrement essentielle notamment dans tout ce qui tourne autour du financement du terrorisme. Mais, je le répète, nous avons élargi notre propos à ce besoin de lutter mieux contre les inégalités et le sentiment d'injustice. Pour le reste, la coopération entre la France et le Soudan est une relation de confiance et nous espérons bien que nous allons pouvoir renforcer encore nos actions de coopération dans les domaines qui correspondent aux besoins du Soudan.
Q - Est-ce que la France a une vision bien définie des projets de paix du Soudan ?
R - Non, je veux simplement observer qu'il n'y a pas d'autre solution que politique, que le mieux pour le Soudan c'est le cessez-le-feu le plus rapidement possible. Ensuite, on saura trouver une solution politique. Mais, il faut arrêter les souffrances et les violences car ce sont toujours les plus faibles qui paient le prix le plus cher de la guerre.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 octobre 2001)
Entretien de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, avec la presse écrite soudanaise
Je suis heureux de pouvoir faire un point avec vous alors que ma visite à Khartoum en est à un peu plus de la moitié.
J'ai rencontré le ministre des Affaires étrangères, le conseiller présidentiel à la paix. J'ai rencontré également le vice-président Moses Machar, il était accompagné d'élus du Sud. Demain j'aurai l'occasion de rencontrer d'autres sensibilités politiques, je pense notamment à M. Abel Alier, M. Sadeq El Mahdi et M Ali Hassanein. Ceci me permettra d'avoir une image plus complète du paysage politique soudanais.
L'objet de ces échanges, c'est la question du dialogue politique au Soudan, c'est bien sûr la question de la relation avec le Sud et plus encore l'apaisement dans le Sud. Je me suis entretenu avec le président El-Bashir. Nous avons discuté de questions, qui sont évidemment les questions de tout chef d'Etat : les relations de son pays avec les pays voisins, les questions que posent la mobilisation du monde contre le terrorisme. Et à cet égard d'ailleurs, j'ai eu l'occasion de rappeler combien la France avait apprécié que le Soudan ait pris à cet égard une position claire, que le Soudan est lui aussi acteur de cette lutte. Je lui ai dit le souci de la France de lutter contre l'amalgame que les terroristes essaient d'accroire entre terrorisme et monde musulman. C'est peut être ce risque d'amalgame qui est aujourd'hui la plus grande menace pour la paix du monde et cette question nous soucie beaucoup. C'est d'ailleurs en partie cette confusion entretenue par certains qui peut produire une certaine tension entre les dirigeants de certains pays et leur peuple. C'est à cause de cela aussi qu'il faut faire preuve d'une très grande prudence dans la présentation de tout cela, mais surtout d'une grande détermination. Une lutte, chacun le voit bien, qui ne se gagnera pas seulement sur le plan militaire, mais aussi sur le plan judiciaire, policier, dans l'organisation bancaire, et je pense là en particulier à la lutte contre le financement du terrorisme. Dans tous ces domaines, la collaboration est essentielle et je suis heureux, je le répète, que le Soudan soit prêt à cette coopération internationale.
S'agissant de la situation au Soudan, avant même d'avoir tous ces contacts que j'aurai demain matin, j'ai la conviction que le Soudan est engagé sur la voie de la démocratie, même si des progrès restent à faire dans ce domaine et dans celui des Droits de l'Homme. La guerre contredit, en quelque sorte, ce mouvement mais elle ne doit pas non plus servir d'excuse à l'immobilisme dans ce domaine. Il faut que le Soudan puisse compter sur la solidarité de la communauté internationale pour continuer le mouvement engagé. La France, en tout cas, y est disposée. Nous avons, depuis trois ans déjà, depuis mon premier voyage à Khartoum, fait le choix de parier, en quelque sorte, sur cette capacité du Soudan à évoluer positivement. J'observe que d'autres pays nous ont rejoint dans cette analyse et que les délégations étrangères sont aujourd'hui plus nombreuses à Khartoum qu'elles ne l'étaient il y a trois ans. Je souhaite que les autorités soudanaises trouvent dans cet appui international des raisons supplémentaires pour poursuivre les efforts engagés.
Je souhaite aussi que tout le monde veuille la paix mais malheureusement dans ce conflit comme dans beaucoup d'autres, ceux que nous rencontrons dans d'autres pays africains, autour des Grands lacs notamment, on peut craindre que certains considèrent que la guerre permet plus facilement, plus rapidement, toutes sortes d'enrichissement. Il faut rappeler avec force que la guerre ne saurait avoir aucun avantage comparatif par rapport à la paix, sauf parfois pour ceux qui la mènent mais certainement pas pour ceux qui la subissent. J'aimerais bien que ce soit le sort des populations qui guide les choix. L'action humanitaire s'est beaucoup développée au Soudan. Elle constitue certainement un élément indispensable et notamment pour faire face aux besoins des populations déplacées, réfugiées. Et vous comprendrez que nous soyons attristés en voyant qu'un pays qui dispose de telles richesses, de telles ressources, ne puisse pas ainsi nourrir ses propres enfants. J'espère en tous cas que les progrès que je constate vont se poursuivre. Et la France, je le répète, s'honore de compter le Soudan parmi ses pays amis.
Et maintenant je suis prêt à répondre à vos questions.
Q - Monsieur le Ministre, quelle est la nature des efforts de la France pour la réalisation de la paix au Soudan, alors que plusieurs initiatives sont en cours ?
R - Il y a les procédures que nous connaissons : il y a l'IGAD, il y a l'initiative égypto-libyenne qui est venue, en quelque sorte, appuyer ces négociations. Ca, c'est la partie officielle en quelque sorte. Et la France appuie le processus de l'IGAD et elle regarde avec sympathie l'initiative égypto-libyenne dès lors qu'elle peut constituer une chance de plus de parvenir à la paix. Mais je crois qu'il y a aussi une autre action, moins officielle peut-être mais tout aussi importante, et à laquelle sont appelés tous ceux qui s'intéressent au Soudan. C'est utiliser l'influence dont dispose tel ou tel pays vis-à-vis de tel ou tel protagoniste pour le convaincre d'abord d'arrêter la guerre. Il n'y a qu'une solution politique à ce conflit. Et certains pays ont, j'en suis sûr, le pouvoir d'influencer, de manière décisive, certains des protagonistes. La France, en tous cas, s'efforce, chaque fois que l'occasion lui est donnée, de faire passer ce message. Ces messages concernent les Etats, mais aussi la société civile. Il faut que telle ou telle organisation, mais cela vaut aussi pour les médias et les universitaires, s'efforcent de regarder, avec peut-être plus d'objectivité, la réalité soudanaise.
Q - Dans quelle mesure la situation des Droits de l'Homme a évolué depuis trois ans ?
R - C'est probablement le dossier qui a un peu plus de mal à bouger et je ne doute pas que mes interlocuteurs de demain mettront l'accent sur ce dossier. J'ai eu l'occasion d'en parler aujourd'hui avec mes interlocuteurs en leur disant que, pour l'instant, même si la guerre empêche d'aller aussi vite et aussi loin qu'on le voudrait, elle ne peut pas constituer une excuse. Pour autant, j'observe que certaines libérations sont intervenues. Vous sauriez mieux que moi me dire ce qu'il en est de la liberté de la presse. J'observe qu'il y a une presse assez nombreuse. Je pense qu'elle a sa liberté, ça c'est un élément tout à fait essentiel. Je sais les progrès que tous les pays en développement ont à faire en ce qui concerne l'organisation judiciaire, en ce qui concerne les pratiques policières, en ce qui concerne la situation faite aux prisonniers. Il y a d'ailleurs quelques actions engagées par des ONG françaises, je pense en particulier à la situation des femmes qui sont emprisonnées. Tous ces domaines, je le répète, doivent faire l'objet de plus d'attention de la part des dirigeants. Et la communauté internationale doit les y aider. La France a, dans de nombreux pays, une action d'appui institutionnel, précisément pour aider les pays à améliorer le fonctionnement de la justice et de la police, c'est aussi ça les Droits de l'Homme.
Q - Est-ce que la France compte utiliser son influence pour coordonner les efforts de l'IGAD et de l'initiative conjointe, car actuellement ce sont deux initiatives qui semblent être en concurrence.
R - J'ai eu l'occasion justement, lors d'une réunion qui s'est tenue il y a quelques mois, de plaider pour qu'on évite d'opposer l'initiative égypto-libyenne et les procédures de l'IGAD. Il est possible aussi que la lenteur observée dans le processus de négociations ait pu susciter un peu de doute sur ces procédures. Il faut que ceux qui en ont la charge en prennent conscience. Il y a très certainement un besoin de réactiver ce processus. La France est tout à fait disposée à s'y employer mais je ferais observer qu'elle n'a pas de responsabilité particulière, elle ne s'est pas vu confier un rôle spécial. Nous intervenons dans ce que l'on appelle le groupe des amis de l'IGAD. Je voudrais vous dire que je ne parle pas du Soudan seulement au Soudan, mais qu'à chaque occasion qui nous est donnée de parler du dossier du Soudan, avec les Egyptiens, avec les Ethiopiens ou des voisins comme le Kenya, nous nous y employons, convaincus en outre que la paix au Sud-Soudan est une des clés de la paix dans les Grands lacs. Et, parmi les interlocuteurs avec lesquels nous avons déjà parlé et nous reparlerons du Soudan, il y a par exemple l'Ouganda. Lors de mon prochain voyage dans les Grands lacs que j'envisage de faire dans quelques semaines, je ne manquerai pas là aussi de faire passer ce message qui me paraît aller dans le sens de la paix au Soudan.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 octobre 2001)