Interview de M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, à "France Inter" le 16 septembre 2013, sur les choix économiques et budgétaires du gouvernement pour plus de justice fiscale et le redressement économique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral


PATRICK COHEN
Ce qu’a annoncé François HOLLANDE hier soir vous paraît de nature à désamorcer la grogne fiscale ?
ARNAUD MONTEBOURG
Je le souhaite et l’espère. Vous savez que le chemin du redressement des comptes publics n’est pas facile, puisque la situation dans laquelle – comme le rappelait le ministre du Budget – nous nous trouvons, est extrêmement critique et préoccupante. Nous empruntons chaque année 180 milliards d’euros, nous avons un stock de dette publique de 1600 milliards, le sarkozysme a finalement fait sa politique à crédit. On parlait des heures supplémentaires, nous avons été obligés de, finalement, re-fiscaliser, pourquoi ? Parce que c’était de l’argent distribué à crédit. Le SARKOZY ça consistait à emprunter sur le marché financier pour distribuer des cadeaux fiscaux, et essayer de se faire réélire, d’ailleurs ça a failli marcher, vous l’avez remarqué.
PATRICK COHEN
C’est valable pour toutes les dépenses de l’Etat dans ce cas-là, Arnaud MONTEBOURG.
ARNAUD MONTEBOURG
Non, ce n’est pas valable, puisque nous sommes dans une situation de dépendance maintenant. Quand vous avez 5,3% de la richesse nationale qui est le déficit, nous faisons des efforts pour le rétablir, pour retrouver un tant soit peu de souveraineté, c'est-à-dire le droit de dire que nous pouvons vivre sans marchés financiers, que nous pouvons nous-mêmes produire la richesse que nous dépensons.
PATRICK COHEN
C’est un peu le discours que vous teniez pendant la primaire présidentielle au Parti socialiste, Arnaud MONTEBOURG.
ARNAUD MONTEBOURG
C’est exactement le discours qu’on a toujours tenu, c'est-à-dire qu’un pays n’est pas libre s’il est enchaîné à la puissance financière qui lui octroie des crédits. Vous savez, il y a deux manières, disait un grand penseur, de prendre un pays, soit par l’épée, soit par la créance et la dette. Eh bien nous sommes enchaînés. Donc, notre travail, c’est de briser ces chaînes, donc ce n’est pas facile. Quel est le gouvernement qui a la facilité d’augmenter les impôts ? Aucun, c’est une garantie d’impopularité. Pourtant, nous le faisons, de façon la plus juste possible, en équilibrant les efforts, pour essayer de retrouver l’équilibre de nos comptes publics. Donc, ce n’est pas facile, moi j’apprécie que le président de la République soit sensible à ce que dit la société française, et nous faisons aujourd’hui le travail en… l’essentiel… 80%, sur les économies budgétaires, c’est quand même 15 milliards de moins, d’ailleurs nous le savons dans nos ministères.
PATRICK COHEN
D’où le refus d’augmenter la fiscalité du diesel.
ARNAUD MONTEBOURG
Exactement, c'est-à-dire que nous ne voulons pas que les classes populaires, moyennes et modestes, payent, nous souhaitons, au contraire, nous-mêmes travailler sur le système de protection sociale, il y a quand même un demi-milliard d’économies qui est fait sur la Sécurité Sociale, des économies de gestion, pour l’année prochaine, il y a 6 milliards dans la sphère du social, d’économies, en tout 15 milliards. Nous avons demandé des efforts aux collectivités locales, puisque nous leur octroyons des dotations d’Etat, là aussi nous faisons ce travail. 15 milliards d’économies ça ne s’est jamais vu, ça ne s’est jamais vu, depuis le début de la Vème République.
PATRICK COHEN
Et 6 milliards à payer en TVA pour les ménages. Et 6 milliards de TVA.
ARNAUD MONTEBOURG
C’est vrai, mais vous savez, c’est la facture de ces dernières années, que nous sommes en train… d’une certaine manière, ce gouvernement fait le sale travail, parce que nous avons été choisis par les Français pour notre sérieux, et nous sommes obligés d’en passer par là, donc il faut l’assumer et le dire aux Français.
PATRICK COHEN
Arnaud MONTEBOURG, vous publiez cette semaine chez FLAMMARION « La bataille du Made in France », bataille et le rhétorique guerrière est présente presqu’à chaque page. Juin 40, DE GAULLE, la bataille du rail. On est en guerre contre qui, Arnaud MONTEBOURG ?
ARNAUD MONTEBOURG
Peut-être, déjà, nous sommes nous-mêmes victimes de nos propres erreurs, c’est d’abord contre nous-mêmes, c'est-à-dire que nous ne croyons pas que nous soyons une grande nation industrielle, productive, technologique, or nous le sommes, nous l’avons été et nous pouvons très facilement le redevenir.
PATRICK COHEN
En guerre contre votre propre administration, j’ai envie de vous dire en premier lieu. On a l’impression que – alors il y a des pages incroyablement sévères avec Bercy, sa gueule de forteresse, siège de l’état-major économique, qui a laissé tomber nos industries dans la guerre économique ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ecoutez, les chiffres sont là Monsieur COHEN, quand on regarde les statistiques européennes de la part de la richesse nationale consacrée à l’industrie, les Allemands sont à 23, les Italiens à 16, les Espagnols à 15, les Italiens, je viens de le dire, les Anglais sont à 12, la France est à 11, ça veut dire qu’aujourd’hui la base de création de richesses productives est si étroite que nous ne pouvons plus assurer la prospérité de notre pays. Comment on va payer la Sécurité Sociale, les hôpitaux, l’Education nationale, comment on va faire ?
PATRICK COHEN
Non, mais ça c’est Bercy, ses fonctionnaires, ses hauts fonctionnaires, toujours les mêmes ?
ARNAUD MONTEBOURG
Non, les responsables politiques ont été sanctionnés, Monsieur COHEN, mais ceux qui ont inspiré toujours la même politique, qui nous a conduit finalement à toujours préférer l’économie financière à l’économie industrielle, la production manufacturière, ceux qui ont préféré les services à l’industrie, toute cette classe dirigeante…
PATRICK COHEN
C’est la direction du Trésor ?
ARNAUD MONTEBOURG
Il y en a d’autres…
PATRICK COHEN
Et vous dites elle est toujours là, ça n’a pas changé, ce sont les mêmes depuis 25 ans.
ARNAUD MONTEBOURG
Oui, c’est les mêmes, oui bien sûr, d’ailleurs c’est ceux qu’on retrouve dans les banques, parce qu’il y a une sorte de, non seulement de conformisme, mais aussi de pantouflage.
PATRICK COHEN
Et Pierre MOSCOVICI, votre collègue de l’Economie et des Finances, il est otage de cette direction du Trésor, qui n’a pas changé, vous l’écrivez dans le livre ?
ARNAUD MONTEBOURG
Ecoutez, moi je crois qu’il est nécessaire d’amener la haute Administration à changer ses vues, donc je le fais et Pierre MOSCOVICI le fait également. Et je voudrais vous dire qu’il n’y a pas que, finalement la haute Administration, il y a aussi une certaine classe dirigeante. Lorsque monsieur TCHURUK théorisait la France sans usines, il faisait exactement la même chose, à tel point d’ailleurs qu’il y a même eu un prix Goncourt, Monsieur HOUELLEBECQ, c’est un grand écrivain français, qui a théorisé la France comme un vaste « hôtel Resort & Spa », pour une sorte de clientèle européenne chic qui venait dans nos stations de ski, sur notre littoral, dans nos musées, à Disneyland, comme s’il n’y avait plus que du tourisme pour faire vivre la France. Or, je crois qu’il y a aujourd’hui un réveil des Français, sur le terrain, beaucoup d’invisibles, dans les entreprises, qui se battent pour produire sur notre territoire, et nous devons leur apporter l’appui, ce sont les fantassins du quotidien. Je leur donne la parole. Je veux, d’ailleurs, les faire connaître, parce que dans des tas de PME vous avez, patrons, ouvriers, cadres, ingénieurs, qui travaillent sur « je veux produire chez moi », et les consommateurs ont un pouvoir, ils n’en n’ont pas conscience, mais ont un pouvoir de les aider. Donc il s’agit finalement, ce petit livre, qui est accessible à tous, c’est le moyen pour chaque Français d’entrer dans la bataille et d’appuyer ceux qui aujourd’hui font notre richesse.
PATRICK COHEN
La bataille, les fantassins, les grognards, donc la rhétorique continue…
ARNAUD MONTEBOURG
Non, mais ce n’est pas de la rhétorique…
PATRICK COHEN
Vous êtes aussi en guerre contre…
ARNAUD MONTEBOURG
Non, mais Monsieur COHEN, je vous arrête tout de suite, parce que vous êtes…
PATRICK COHEN
Non, non, je vous parle du fond…
ARNAUD MONTEBOURG
Je vais vous répondre Monsieur COHEN.
PATRICK COHEN
Je parle du fond. L’autre ennemi qui est désigné dans le bouquin, c’est la Commission européenne, Bruxelles qui n’a rien compris, qui a ouvert l’Europe à tous les vents. Vous aviez dit, avant l’été, que José-Manuel BARROSO, le président de la Commission européenne, était le carburant du Front national. La Commission européenne, aussi, vous tentez de la faire évoluer, à la changer ou… ?
ARNAUD MONTEBOURG
Comme vous le savez, le président François HOLLANDE a été élu sur un mandat de réorientation de l’Union européenne, c'est-à-dire qu’elle change sa politique. Sa politique c’est quoi ? C’est ce que décrit Hubert VEDRINE, nous sommes les naïfs du village global, c'est-à-dire tous les pays se protègent, les Etats-Unis, l’Amérique du Sud, la Chine, c’est le pays le plus protectionniste du monde, pourquoi ? Parce qu’ils défendent leurs intérêts industriels, et que nous, nous ne le faisons pas. D’ailleurs, à force d’utiliser quand même, ce que vous vous appelez la rhétorique, mais qui pour moi est juste une revendication politique qui nous est donnée par le mandat populaire, c’est que l’Europe bouge. Exemple, sur les céramiques, sur les porcelaines, sur les aciers spéciaux, sur les équipements télécoms, ça y est, il y a des enquêtes, il y a des décisions de taxation, mais c’est très insuffisant. L’Europe est ouverte à 99,7%, et 0,3% de protection, alors que tous les autres pays sont beaucoup plus intelligents dans leur manière de faire les choses. Donc, il s’agit de se battre, d’abord contre nous-mêmes, contre notre espèce d’apathie ou de dépression nerveuse, de croire en nous-mêmes, de défendre ceux qui se battent, ça c’est ce qu’on fait, et d’éviter que l’Union européenne, finalement, soit comme la Cavalerie américaine qui arrive quand tout le monde s’est fait scalper, parce que c’est quand même ça aujourd’hui. Sur le panneau photovoltaïque regardez les résultats, notre industrie européenne, allemande, italienne, française, espagnole, est à plat, et l’Union européenne commence à se décider à. Notre choix est le choix, finalement, de la combativité, voilà, c’est ça « La bataille du Made in France. » Et je vais vous dire, c’est une bataille dans laquelle tout le monde peut participer, le haut fonctionnaire de Bercy, pour qu’il change ce qu’il y a dans sa tête, l’élu de base quand il soutient sa PME, et le français quand il va au supermarché, et y compris le dirigeant à Bruxelles, qui finalement vit sur des idées qui sont obsolètes, d’il y a 50 ans.
PATRICK COHEN
Vous venez de citer les Etats-Unis, qui opèrent en ce moment des relocalisations industrielles importantes grâce à l’exploitation des gaz de schiste, est-ce que la France industrielle de demain, dans l’avenir que vous imaginez, peut s’appuyer sur l’exploitation de gaz de schiste ?
ARNAUD MONTEBOURG
Pas seulement à cause des gaz de schiste, parce qu’ils ont une stratégie industrielle sur les coûts de production, ce que d’ailleurs nous faisons en France. nous travaillons sur le coût du travail, c’était le crédit d’impôt compétitivité emploi, 20 milliards mis sur la table, c’est 6% de la masse salariale issue de main d’oeuvre qui peut diminuer pour les entreprises, nous le faisons également sur le coût du capital, on a créé la Banque Publique d’Investissement pour diminuer le coût d’accès au capital pour toutes nos petites entreprises, et puis enfin le coût de l’énergie, c’est ce qui sortira du débat de la transition énergétique dans les jours et les semaines qui viennent. Notre position, la position de mon ministère, du Redressement productif, du redressement de la production dans notre pays, du « Made in France », c’est de dire nous ne pouvons pas augmenter les coûts de production énergétique, nous devons garder notre avantage compétitif, qui est lié notamment au nucléaire, et ça c’est un avantage très important dans notre pays.
PATRICK COHEN
Est-ce que la France industrielle de demain peut s’appuyer, d’une façon ou d’une autre, sur les gaz de schiste, Arnaud MONTEBOURG ?
ARNAUD MONTEBOURG
La décision a été prise par le président de la République qui a dit « pas d’exploitation », donc pour l’instant la décision est celle-ci, et je vous renvoie à ces déclarations.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 septembre 2013