Texte intégral
ARNAUD PONTUS
Votre invitée, Frédéric RIVIÈRE, vous recevez ce matin Marisol TOURAINE, la ministre française des affaires sociales et de la santé.
FREDERIC RIVIÈRE
Bonjour Marisol TOURAINE.
MADAME LA MINISTRE MARISOL TOURAINE
Bonjour.
FREDERIC RIVIÈRE
L'Assemblée nationale a entamé hier l'examen du projet de réforme des retraites qui prévoit un allongement progressif de la durée de cotisation pour les générations nées à partir de 1958. C'est la première réforme des retraites d'un gouvernement de gauche. Cependant, l'aile gauche du PS ou le Front de Gauche considèrent justement que ce n'est pas une réforme de gauche. Comment pouvez-vous les convaincre du contraire ?
MARISOL TOURAINE
Quel est l'enjeu de cette réforme ? Il s'agit de garantir aux jeunes générations, aux jeunes actifs, que lorsque viendra leur tour de partir en retraite, ils pourront compter sur la solidarité collective. C'est une réforme d'avenir dans la mesure où elle prévoit un financement solide de nos régimes de retraite qui, malgré la réforme censée tout régler de 2010, se retrouvent en déficit très préoccupants, et puis elle apporte des droits nouveaux. Moi hier à l'assemblée, j'ai entendu sur les bancs de la gauche, de manière unanime, la reconnaissance des avancées qualifiées d'historiques par certains, de la prise en compte de la pénibilité par exemple au moment du départ en retraite, de mesures permettant de mieux reconnaître la situation des femmes où les jeunes Il y a donc là une réforme qui, pour la première fois, traite à la fois de l'équilibre financier parce que cet équilibre financier, il doit évidemment être garanti, et qui apporte des droits nouveaux. Donc, le socle de la réforme c'est de dire, comme vous l'avez indiqué, que puisque nous vivons plus longtemps, nous pouvons travailler
FREDERIC RIVIÈRE
Ça, c'était l'argument de la droite lors de la réforme de 2010 que la gauche combattait. On vit plus longtemps donc on travaille plus longtemps.
MARISOL TOURAINE
La droite a toujours eu comme seule et unique obsession de relever l'âge légal. Aujourd'hui encore, qu'est-ce qu'elle nous dit la droite ? Elle nous dit : « Il faut faire partir à les gens à soixante-cinq ans à la retraite ». Or, cela a un effet pervers que nous avions dénoncé en 2010 et qui est avéré. C'est que lorsque vous avez commencé à travailler jeune, vous travaillez plus longtemps que lorsque vous avez eu la chance parce que c'est une chance de faire des études. Et donc la durée de cotisation est donc une référence qui est plus juste puisqu'au fond, quel que soit l'âge auquel vous avez commencé à travailler, l'effort que vous devez apporter est identique. En même temps, nous disons : « La durée de cotisation doit être modulée pour tenir compte des conditions de la vie professionnelle ». Ça, c'est une avancée au sens où c'est une novation.
FREDERIC RIVIÈRE
Notamment la prise en compte des stages. C'est un des éléments sur lesquels vous lâchez du lest en quelque sorte.
MARISOL TOURAINE
Oui. Mais vous savez, l'élément central qui pour moi marque un vrai bouleversement dans la manière de concevoir nos régimes de retraite, c'est que pour la première fois, nous disons : « Prenons en compte ce qui fait la caractéristique du parcours professionnel de chacun ». Vous, moi, d'autres personnes, nous n'avons pas la même vie, le même parcours professionnel, nous ne sommes pas exposés aux mêmes situations. Il est normal que quelqu'un qui porte des charges lourdes concrètement, qui travaille la nuit pendant une longue période, que quelqu'un qui est exposé à des facteurs ou à des produits cancérigènes, il est normal que cette personne parte en retraite avant d'autres qui, eux, ont des conditions de travail plus confortables.
FREDERIC RIVIÈRE
Vous avez dit tout à l'heure que vous avez vu hier une gauche unanime sur les avancées de la réforme. Vous êtes sûre que cette unanimité va se retrouver au moment du vote sur le texte ?
MARISOL TOURAINE
Je le souhaite. En tous cas quand je dis « la gauche », à l'évidence le Front de Gauche ne votera pas cette réforme, même s'il est mal à l'aise pour critiquer les avancées qu'il y a dans la loi. Moi je souhaite en tous cas que le Parti socialiste se retrouve autour de, encore une fois, ce qui a été qualifié d'avancée historique, y compris par des représentants de ce que vous appelez l'aile gauche du Parti socialiste. Nous pouvons être fiers de conjuguer rétablissement des comptes sociaux et mise en oeuvre de droits nouveaux. Parce qu'au fond, c'est ça la gauche. La gauche, ça n'est pas nier les responsabilités financières, les responsabilités vis-à-vis de l'avenir. Nous avons des efforts à demander et ces efforts, nous les demandons. Mais c'est de leur donner un sens et la gauche, elle est là pour marquer le sens d'une réforme et le sens d'une réforme, c'est davantage d'égalité, davantage de prise en compte des situations les plus difficiles, davantage de droits aussi pour les femmes, pour les personnes en situation d'apprentissage et je pourrais donner d'autres exemples.
FREDERIC RIVIÈRE
Alors autre sujet, Marisol TOURAINE, sur lequel votre avis est important. Le parlement européen examine aujourd'hui la directive « tabac » qui doit en principe contribuer à limiter la consommation de tabac. Le cas de la cigarette électronique qui est un produit en pleine expansion va être examiné, et elle pourrait être considérée comme un produit de sevrage tabagique et par conséquent, vendu uniquement en pharmacie. Beaucoup de spécialistes en santé - des médecins, des cancérologues - notamment le pneumologue président de l'office français de prévention du tabagisme Bertrand DAUTZENBERG considère que ce serait contre-productif de limiter la vente de ce produit aux pharmacies. Quelle politique, quelle réglementation la France veut-elle avec la cigarette électronique ?
MARISOL TOURAINE
Je commence par vous répondre sur la cigarette électronique en vous disant que je suis très interrogative sur le classement de la cigarette électronique comme médicament. Nous allons d'ailleurs avoir du temps. Si la directive est adoptée aujourd'hui, ce que je souhaite et je vais vous dire pourquoi, si cette directive est adoptée, nous aurons du temps pour avoir davantage d'études. Parce qu'aujourd'hui, au fond, nous disposons de très peu d'études scientifiques sur les effets, l'impact de la cigarette électronique. Mais même si j'ai moi-même alerté contre les risques d'une banalisation de la cigarette électronique qui me paraît préoccupante aujourd'hui, je veux dire que la directive qui est en discussion, qui sera en discussion dans quelques heures, ne concerne pas uniquement la cigarette électronique.
FREDERIC RIVIÈRE
Non, non, bien entendu.
MARISOL TOURAINE
Mais il y a un effet miroir ou un effet déformant qui voudrait que l'on déplace l'attention vers la cigarette électronique. Je veux rappeler que le tabac tue, le tabac tue plus de soixante-dix mille personnes en France, sept cent mille personnes en Europe chaque année et donc un des enjeux aujourd'hui, c'est de faire en sorte que les avertissements sanitaires soient plus importants sur les paquets de cigarettes, de contrôler la vente sur Internet transfrontières, d'interdire des arômes artificiels qui rendent encore plus addictif le fait de fumer. Nous ne pouvons pas traiter à la légère cette affaire du tabac. On a un peu tendance à considérer que ça fait partie de la vie et que c'est comme ça. On peut lutter contre le tabagisme.
FREDERIC RIVIÈRE
D'après vous, c'est mieux de recourir à la cigarette électronique que de fumer de vraies cigarettes ? oui ou non ? C'est ce que dit la plupart des médecins et des spécialistes.
MARISOL TOURAINE
Il y a des avis extrêmement controversés. J'ai eu l'occasion de m'exprimer sur ce point-là. Pour quelqu'un qui fume, qui est un gros fumeur de cigarettes classiques, il est évident que si la cigarette électronique lui permet d'arrêter, c'est une bonne chose. Sortir du tabac par la cigarette électronique, pourquoi pas ? Mais la cigarette électronique aujourd'hui est de plus en plus présentée comme au fond un produit de consommation un peu valorisant. On voit des publicités qui valorisent ce produit, ce qui peut amener des jeunes ou des moins jeunes à entrer dans le tabac par la cigarette électronique. Moi, j'appelle à la grande prudence. Je comprends qu'il y a des fumeurs qui cherchent à en sortir. Dans la loi sur le financement de la sécurité sociale qui arrivera en débat dans quelques jours, je proposerai des mesures de sevrage fortes, importantes en direction des plus jeunes qu'il faut aider à sortir du tabac.
FREDERIC RIVIÈRE
Merci Marisol TOURAINE.
MARISOL TOURAINE
Merci à vous.
FREDERIC RIVIÈRE
Bonne journée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 octobre 2013