Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur les pensions militaires, à Paris le 17 octobre 2013.

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Circonstance : Intervention devant les conseils de la fonction militaire, à Paris le 17 octobre 2013

Texte intégral

J'interviens aujourd'hui pour la première fois devant l'ensemble des CFM. Je profite en effet de votre réunion pour m'adresser à l'ensemble des membres des CFM. Je souhaite en effet vous faire part de l'action que j'ai menée pour faire valoir les spécificités militaires dans le cadre des travaux du gouvernement sur la réforme des retraites.
Lors du CSFM extraordinaire du 15 au 19 juillet dernier,vous avez travaillé sur le régime des pensions militaires. Vous avez entendu une présentation du rapport de Yannick MOREAU.
Le CSFM m'a rendu un rapport très détaillé sur les points clé de votre régime de pension, ses spécificités et les dispositions spécifiques dont la communauté militaire estime, à juste titre, qu'elles se fondent sur les spécificités de votre métier.
Je m'étais engagé à cette occasion devant le CSFM à me faire, en quelques sortes, votre porte-parole dans la concertation gouvernementale sur le projet de réforme des retraites. J'ai écrit au premier ministre dès le 26 juillet pour lui faire part de ces « lignes rouges » que vous aviez exprimées.
Lors de son discours du 13 juillet à l'Hôtel de Brienne, le Président de la République avait rappelé la nécessité de " la prise en compte de la spécificité de la condition militaire, de ses obligations, de ce qu'elle signifie pour les hommes et les femmes qui servent dans nos armées et pour leur familles "
Et le 30 septembre dernier, vous avez été accueilli par le Président de la république qui vous a confirmé que ces spécificités avaient bien été prises en compte.
Je souhaite donc ici, comme je m'y étais engagé, de vous rendre compte de mon action et des décisions du gouvernement sur ce dossier. Mais je peux d'ores déjà vous dire qu'aucune des dispositions spécifiques aux régimes des pensions militaires n'ont été touchées par la réforme.
Le gouvernement a travaillé sur un projet de loi portant réforme des retraites avec pour objectif le redressement des comptes sociaux.
Vous l'avez compris lors de la présentation du rapport de Mme MOREAU, le système des retraites est d'une grande complexité et technicité. Et assez naturellement, un certain nombre de particularités émergent lorsque l'on considère le dispositif dans sa globalité.
L'une de ces singularités est le régime particulier des bonifications.
Actuellement, le taux de liquidation des pensions est plafonné à 75% du dernier traitement (hors primes) mais les militaires et certains fonctionnaires, douaniers, policiers…) peuvent améliorer ce taux jusqu'à 80%par la prise en compte de trimestres supplémentaires de bonifications acquis dans le cadre d'activités spécifiques (parachutisme, temps de navigation sous-marine, missions aériennes…). Ce sont ainsi plus du tiers des militaires qui bénéficient d'une retraite à 80% au lieu de 75%.
Les ministères chargés de préparer la réforme se sont interrogés sur cette disposition qui pouvait apparaître comme un avant age réservé à certaines catégories et sur sa légitimité dans ce contexte où on recherche à la fois à équilibrer les comptes sociaux et à simplifier l'ensemble du dispositif « en équité ».
La question s'est posée de plafonner, quelles que soient les bonifications acquises, le taux de liquidation à 75% et donc d'aligner les militaires sur le régime de droit commun qui est plafonné à 75%. On aurait pu lire cela comme une mesure de convergence avec le régime général (qui ne dispose pas de ce régime de bonifications).
Je me suis appuyé sur votre avis et j'ai fait valoir les arguments suivants :
Tout d'abord, les militaires sont contraints par des limites d'âge statutaires. La rémunération indiciaire sur laquelle est calculée la pension est donc mécaniquement plus faible, puisqu'elle correspond à celle d'un fonctionnaire du même âge, mais qui, lui, pourra poursuivre sa carrière et l'évolution de sa rémunération pendant encore plusieurs années. La valeur en euros des « 6 derniers mois » d'un fonctionnaire de 62 ans est donc logiquement plus élevée que celle des « 6 derniers mois » d'un militaire contraint de partir à 52 ans, par exemple.
Il en résulte que si le montant moyen de pension d'un militaire reste équivalent au montant moyen de pension d'un fonctionnaire,c'est grâce au fait que les militaires peuvent dépasser le taux plein.
Ensuite, ce système de bonifications qui améliore la pension jusqu'à 80%, est une façon de valoriser la pénibilité et la dangerosité particulières des activités qui ouvrent droit à bonifications : OPEX bien sûr,mais aussi les services aériens et sous-marins ; au moment où la réforme introduit la prise en compte de la pénibilité, elle ne pouvait pas être en cause pour les militaires.
Enfin, l'attractivité des outils d'aide au départ (pension au grade supérieur et promotion fonctionnelle) prévus par la LPM pour permettre de conduire les déflations d'effectifs repose précisément sur ces bonifications.
Ces arguments ont été entendus et l'idée de plafonner le taux de pension des militaires au même niveau que celui des fonctionnaires a été écartée.
Une mesure d'ordre général et fiscal est prévue dans le projet de loi, comme vous le savez sans doute. Il s'agit de rendre imposable la part "majoration pour enfants" de la pension soient 10% à partir de 3 enfants (+ 5% par enfant au-delà).
Cette mesure, fiscale et d'ordre général, ne s'applique pas aux militaires parce qu'ils sont militaires, mais parce qu'ils sont des contribuables. Or, j'ai entendu vos « lignes rouges » mais j'ai également entendu la volonté de la communauté militaire de contribuer à l'effort de redressement des comptes sociaux, là encore, ni plus ni moins.
On pourrait penser que cette mesure impacte plus directement les militaires parce qu'ils auraient en moyenne plus d'enfants que les autres.
En réalité, ce n'est ni tout à fait exact, ni très significatif.
La moyenne nationale pour un couple de 35-37 ans est de 1,71 enfant et il est rigoureusement le même, 1,71 enfant, pour un couple du même âge dont l'un des conjoints est militaire ;
A 40-42 ans le nombre d'enfants est légèrement plus élevé dans un couple dont l'un des conjoints est militaire, 2.03 enfant, quand la moyenne nationale est de 1.94 ;
Et à 50-52 ans, un couple dont l'un des conjoints est militaire a, en moyenne, cette fois-ci moins d'enfants que la moyenne avec 2.06 contre 2.08 pour la moyenne des français.
Ce sont bien sûr des moyennes et selon la catégorie, on note des disparités : les officiers supérieurs (à 45 ans en moyenne) ont davantage d'enfants (2,8) que les sous-officiers supérieurs (à 43 ans) qui en ont 2,1.
Et bien sûr, au cas particulier, cette mesure de fiscalisation impacte plus sensiblement les familles nombreuses et on en trouve chez les militaires, mais en moyenne toujours, pas plus que dans le reste de la population.
Et cela les impacte à proportion de leurs revenus de pensionnés. Ceux qui n'étaient pas ou peu imposables, le seront toujours pas ou peu. Ce dont les pensions sont plus élevées et déjà imposables, le seront un peu plus.
Donc, vous le voyez, cette mesure ne vise pas les militaires en particulier, elle concerne tous les contribuables de la même manière, selon le niveau de leurs revenus et leur nombre d'enfants, et indépendamment de leur métier.
Une autre idée a été évoquée : celle de soumettre l'octroi des majorations pour enfant à des conditions d'interruption du travail.
Cette mesure générale – là aussi pour tous les contribuables- s'inscrivait dans un souci de favoriser les femmes qui du fait des interruptions de leur carrière professionnelle pour donner naissance et élever les enfants dans les premières années de leurs vies a rapidement soulevé d'autres questions.
Tous les métiers ne permettent pas d'interrompre l'activité pour une longue période. La durée de cette interruption nécessitait d'ailleurs d'être étudiée. Certaines femmes ne travaillent pas, auraient-elles droit à cette majoration si elles n'avaient pas dès lors d'activité à interrompre ? Combien de temps faudrait-il que dure cette interruption pour ouvrir droit à cette majoration ? Et les contreparties à cette condition d'arrêter de travailler, comme par exemple, l'octroi de cette majoration dès le premier enfant et non plus seulement à partir du 3ème nécessitait d'être étudiée plus avant.
Le gouvernement a donc décidé de renoncer pour l'instant à cette mesure pour travailler à ses contours, son impact, ses conséquences, et le projet de loi devrait recommander cette étude.
Je veillerai, comme je l'ai fait tout au long de la concertation sur le projet de réforme des retraites, à ce que les spécificités du métier militaire soient prises en compte dans le cadre de cette étude.
Voilà pour les mesures qui avaient été évoquées et pour lesquelles comme vous le voyez, chaque fois qu'elles concernaient directement les militaires, j'ai fait valoir par la pédagogie et l'explication, les spécificités auxquelles vous êtes attachés et que le gouvernement et le Président de la République ont entendues et comprises.
Mais au-delà des « lignes rouges » mais aussi des souplesses que vous avez exprimées lors du CSFM de juillet dernier, vous m'aviez fait part d'une injustice qui touche les militaires qui quittent l'institution avant 15ans de service.
Je vous ai entendus. J'ai moi-même estimé qu'il y avait là une injustice et je m'étais engagé à obtenir qu'elle soit corrigée.
La réforme de 2010 avait abaissé de 15 à 2 ans pour tous les fonctionnaires la durée minimale de service nécessaire pour acquérir un droit à pension ; les militaires avaient été oubliés de cette évolution, or nombre d'entre eux effectue des carrières inférieures à 15 ans.
Les trimestres cotisés étaient donc reversés au régime général ; ils comptent dans le nombre total de trimestres au moment de la liquidation de la pension mais n'ouvrent pas de droits à la pension militaire.
Dès lors, le militaire devait, en quittant l'institution payer le différentiel de cotisations sociales entre le régime militaire, auquel il a cotisé, et le régime général, qui paiera sa retraite, les taux de cotisation au régime général étant plus élevés.
Par courrier au premier ministre, j'avais donc, dès le 26 juillet dernier demandé à ce que le projet de loi portant réforme des retraites en cours de préparation, intègre la correction de cette iniquité et aligne la durée de services exigée pour les militaires sur celle exigée pour les fonctionnaires, soit 2 ans.
Le 11 septembre dernier, le cabinet du premier ministre a arbitré en faveur de cette mesure pour les militaires engagés à partir du 1er janvier 2014.
Compte tenu des impacts financiers de court terme sur les comptes sociaux, une entrée en vigueur plus « rétroactive » nécessite une étude approfondie.
Mais c'est une avancée très importante: les nouveaux engagés bénéficieront désormais d'une clause de stage à 2 ans. Je citerais même Confucius : lorsqu'on répare une injustice, c'est l'humanité qui avance. Ici, c'est la condition militaire qui progresse grâce à cette avancé.
Comme pour tous les fonctionnaires, les bonifications ne sont comptabilisées que lorsque le militaire dépasse 15 ans de service.
Mais pour compenser les bonifications ainsi perdues lors de l'affiliation rétroactive au régime général, le ministère de la défense a créé l'indemnité d'activités militaires spécifiques (IAMS). Elle est calculée actuariellement sur l'estimation du manque à gagner en termes de pension, de ces bonifications non comptabilisées.
Dès lors que la mesure arbitrée n'inclut pas les bonifications, il y a lieu de maintenir le principe de leur compensation.
Voilà ce dont je voulais vous faire part.
Ce qu'il faut retenir, c'est que la communauté militaire,comme vous l'aviez exprimé dans votre avis, prend sa part dans l'effort de redressement des comptes sociaux car vous êtes aussi des contribuables, des citoyens à part entière.
Mais s'agissant de mesures spécifiques à la communauté militaires, comme la possibilité d'augmenter sa pension jusqu'à 80%, elles se justifient par les spécificités du métier militaire et je me suis attaché à les faire valoir comme je m'y étais engagé.
Bien expliquées, ces spécificités ont été comprises et le projet de loi sur la réforme des retraites qui est celui du gouvernement, tient compte de ces singularités.
Enfin, je me réjouis de l'avancée importante pour la communauté militaire de l'abaissement à 2 ans de la clause de stage et de son entrée en vigueur pour tous ceux qui entreront dans l'institution dès le 1erjanvier 2014.
Je vous remercie.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 21 octobre 2013