Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur le dialogue social dans le secteur de l'artisanat et l'apprentissage, Paris le 24 octobre 2013.

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Circonstance : Congrès de l'Union Professionnelle Artisanale (UPA) à Paris le 24 octobre 2013

Texte intégral


Merci pour votre propos offensif et plein de franchise. Je vais tâcher de vous apporter des réponses avec la même franchise, au moins dans les domaines qui sont de ma compétence, mais aussi au-delà de vous livrer mon sentiment et ma vision concernant l'artisanat dans notre pays.
Je pourrais me contenter de vous dire que je suis conscient des difficultés que vous traversez et ajouter que la croissance revient, à force d'efforts – de sacrifices aussi. Je suis convaincu que ceux auxquels vous avez consenti ne sont pas vain. Mais, oui, il y a de la douleur dans ces efforts et ces sacrifices, pour vous, et pour d'autres dans notre pays.
Je pourrais aussi vous « caresser dans le sens du poil », comme l'on dit, et féliciter l'artisanat, première entreprise de France, largement contributrice à la richesse de notre pays, à l'entretien de savoir-faire et de l'excellence, mais aussi –et c'est peut être le plus important pour moi – à l'intégration des jeunes dans l'emploi par la formation et la transmission de compétences.
Tout cela est rigoureusement exact – vous avez dû l'entendre dans la bouche de nombreux ministres avant moi. Pourtant, ce n'est pas ce que je suis venu dire.
Je suis venu vous dire que ce que j'apprécie dans l'artisanat, c'est quand il va de l'avant, quand il est plus fort que l'adversité des temps.
J'ai de l'artisanat cette image de travailleurs qui aiment ce qu'ils font, qui connaissent le privilège de faire de leurs mains et de laisser quelque chose derrière eux, contrairement à ces métiers tellement immatériels qu'il ne reste rien une fois l'instant de travail passé. Et ce n'est pas parce qu'on est ici à la Bourse que vous êtes obligés de penser aux traders et autres « divas » des marchés financiers.
Etre artisan, c'est cette force que l'on trouve debout, au travail bien avant le point du jour et qui, la plupart du temps, n'échangerait sa position pour aucune autre. Car être artisan, c'est aimer son métier.
Certes, on peut vouloir améliorer les conditions d'exercice de son métier – j'entends vos doléances et je vais vous apporter certaines réponses – mais il faut d'abord commencer par ce discours d'engagement, de fierté – car vous n'avez pas à rougir d'être ce que vous êtes.
Je sais que rien n'est facile. Vous avez dit monsieur le Président quelques unes des difficultés -et même des expirations- que vous vivez, mais vous êtes conscients j'en suis certain que ce n'est facile pour personne.
Nous devons collectivement faire attention aux visions trop simplistes : il n'y a pas d'un côté ceux qui profitent et ne font rien et de l'autre ceux qui travaillent et ne sont pas payés en retour. Il nous faut de la justice dans le partage des efforts, c'est une condition de leur acceptation, et j'entends monsieur le Président votre message sur ce point essentiel.
Artisans, vous vous battez tous les jours, avec courage, volonté, détermination. C'est ce qui nous sortira -et vous sortira- de la crise. C'est grâce à un combat quotidien pour bien faire son travail, satisfaire ses clients, chercher à innover, créer de bonnes conditions de travail pour ses salariés que nous nous en sortirons et que vous vous y sortirez. On peut discuter de l'épaisseur du code du travail, du niveau des cotisations sociales, mais dans le fond vous savez bien que tout aussi déterminante est la capacité à faire du bon travail, à satisfaire ses clients, à former et intégrer des jeunes, à faire vivre le dialogue social y compris dans vos petites entreprises, à « motiver vos gars » comme l'on dit.
En retour, nous vous devons nous-mêmes de combattre sans relâche pour l'amélioration des perspectives de croissance. Nous avons fait le pacte de compétitivité : c'est un effort de 20 milliards pour les entreprises. Nous avons cherché, obtenu et transcrit dans la loi l'accord national interprofessionnel du 11 janvier dernier réformant le marché du travail, une réforme que personne n'avait faite depuis 40 ans et dont vous avez été les artisans (sans jeu de mot).
Nous redressons les comptes de la nation, vous y avez fait allusion monsieur le Président, parce que depuis des années et des années la situation était calamiteuse et que ça ne peut plus durer.
Alors oui, c'est douloureux. Ce n'est pas populaire. Mais nous « faisons le boulot » parce qu'il faut le faire, et pas seulement en augmentant les impôts monsieur le Président mais aussi en diminuant les dépenses publiques. Je crois que cet état d'esprit, apporter des solutions aux problèmes du pays, nous est commun.
C'est un combat de tous les jours, comme faire vivre une petite entreprise est un combat de tous les jours, au cas par cas, sur le terrain, dans les départements, partout en France. Et c'est admirable ! Voilà mon message, la première réponse que je souhaite vous faire pour lancer cette journée et les échanges qui vont suivre.
Et dans ce combat du quotidien dont je parlais, nous ne vous abandonnons pas.
Vous voudriez que nous allions plus loin. Je peux le comprendre.
* Nous avons réformé et davantage encadré le statut de l'auto-entrepreneur pour vous protéger d'une concurrence déloyale.
* Je me bats actuellement au niveau européen pour que l'on aboutisse à un texte ambitieux sur le détachement des travailleurs, donnant les moyens de la lutte contre le dumping social, renforçant les contrôles et instituant un régime de responsabilité solidaire du donneur d'ordre et du sous-traitant. Je prends l'exemple du secteur du bâtiment, secteur particulièrement touché par le travail illégal, par les formes très variées du travail illégal, même. Je suis fermement déterminé à m'attaquer aux fraudes complexes et organisées, en abordant plus particulièrement les questions de l'intervention d'entreprises étrangères en France qui ne respectent pas nos règles. Ces orientations s'inscrivent dans le plan national de lutte contre le travail illégal adopté lors du comité national de lutte contre le travail illégal du 27 novembre dernier. Et la réforme en cours de l'inspection du travail va donner des moyens d'action plus efficaces sur ce sujet du travail illégal.
* C'est aussi en pensant à votre situation bien particulière –et à votre instigation- que nous avons imaginé le volet transmission d'entreprise dans le contrat de génération. Car c'est un enjeu absolument majeur pour les artisans que vous êtes : former votre successeur, quitter en douceur, s'assurer que l'entreprise – c'est à dire 40 ou 45 ans de votre vie – est entre de bonnes mains. Voilà ce qui compte. Je veux vous donner un exemple. Dans mes nombreux déplacements sur le sujet, j'ai participé à la signature d'un contrat de génération dans une entreprise du Maine-et-Loire. Le fondateur de l'entreprise venait de passer le relais à son fils. Et, pour cesser progressivement son activité tout en formant celui qui le remplacerait pour épauler son fils, il avait proposé un contrat de génération à un jeune de 26 ans. C'est très concret et qui peut dire que cela ne répond pas à une problématique du monde artisanal ?
* C'est aussi dans la perspective des plus petites entreprises que nous menons la réforme de la formation professionnelle. Quel est notre constat ? Aujourd'hui, la formation professionnelle bénéficie davantage aux plus grandes entreprises et aux salariés les plus qualifiés. Nous voulons rééquilibrer l'accès à la formation. Nous vous le devons, à vous, petites entreprises, mais c'est loin d'être simple car une semaine de formation quand on a un ou deux salariés, ce n'est pas simple. Alors il faudra que les partenaires sociaux innovent. C'est l'un des enjeux de la négociation en cours et je compte sur vous pour y apporter votre contribution.
* Car, vous l'aurez compris, nous construisons par le dialogue social, un dialogue social dont vous prenez toute votre part. Nous l'avons vu dans le cas de l'ANI du 11 janvier. C'est une belle réussite qui vous appartient pleinement.
Mais je sais que vous restez sur une déception. Le Conseil Constitutionnel n'a pas compris le sens des clauses de désignation et a remis en cause, à l'occasion de cette loi, tout un édifice mis en place dans de nombreuses branches pour la complémentaire santé et la prévoyance.
Je le regrette et j'en prends acte. Mais je ne fais pas que le regretter. Nous allons trouver une solution pour protéger les équilibres conventionnels -et ce faisant les petites entreprises- en permettant aux branches de recommander un organisme et en modulant le forfait social au bénéfice des entreprises qui auront recours à l'organisme recommandé. Le Gouvernement a déposé avant-hier en ce sens un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité Sociale. Voilà de quoi répondre à votre demande bien légitime.
*Je me suis fixé une règle : ce que le dialogue social a construit, il faut le préserver. Vous qui êtes moteur du dialogue social, au niveau interprofessionnel, dans les branches mais aussi dans les toutes petites entreprises, vous en savez la valeur. Et puisque l'occasion m'est donnée, je tiens à vous féliciter pour les fruits que porte le dialogue social dans votre champ.
Vous avez su être précurseur, y compris face à des oppositions fortes. Je pense par exemple à votre accord de financement du dialogue social qui prévoit que toutes les entreprises du champ conventionnel de l'UPA payent des cotisations pour financer ce dialogue indispensable. Ce n'est pas parce que l'on est une petite structure que le dialogue social n'a pas sa place. Vous le démontrez.
C'est cette capacité à dialoguer entre acteurs légitimes que la réforme de la représentativité patronale devra renforcer. Jean-Denis Combrexelle m'a remis hier son rapport. Il décline, précise, prolonge la position commune des organisations patronales du 19 juin dernier. Il propose des critères de représentativité et confirme que l'adhésion aux organisations professionnelles au niveau national, interprofessionnel et dans les branches est le socle de la représentativité.
En tant que ministre du travail, je poursuis un but : renforcer les acteurs pour avoir un dialogue de qualité entre parties prenantes qui se sentent fortes car légitimes et représentatives. Cela peut paraître étonnant, mais je suis convaincu que plus les acteurs sont forts et plus les équilibres sont possibles à trouver.
Le projet de loi portant ces dispositions sera déposé en fin d'année.
L'emploi dans l'artisanat est précieux.
Il est non délocalisable, facteur d'insertion professionnelle pour de nombreux jeunes et actifs peu qualifiés et socle de l'économie de nos territoires.
Mais comme toutes les choses précieuses, il est fragile. C'est pourquoi nous vous aiderons pour faire en sorte que les perspectives sombres que vous évoquiez ne deviennent pas réalité.
Vous rencontrez des difficultés à recruter dans vos secteurs. Nous avons mis en place avec les partenaires sociaux et les régions un plan de formations prioritaires pour l'emploi (« plan 30 000 formations pour 30 000 emplois »), mais nous pouvons faire davantage. Il est ainsi plus facile de former les futurs salariés dont vous avez besoin, demandez à votre Pôle emploi local de vous appuyer.
Vous aider passe également par un effort en faveur de l'apprentissage. Il favorise l'insertion durable des jeunes dans l'emploi, il assure la relève et offre aussi une main d'œuvre dont la masse salariale fait l'objet d'exonérations importantes – ce n'est pas un aspect négligeable. Dans l'artisanat, l'apprentissage est une évidence, la transmission des savoirs des plus anciens vers les plus jeunes fait partie de votre ADN. Là encore nous agissons pour vous.
Pourquoi est-ce si important ? Parce que sur 1 million d'artisans, 500 000 sont d'anciens apprentis. L'apprentissage représente dans votre secteur d'activité bien plus qu'une modalité contractuelle.
Je vais avoir besoin de vous pour atteindre l'objectif élevé mais réaliste que nous nous sommes donné : 500 000 apprentis en 2017, contre 430 000 aujourd'hui. De mon côté, ma responsabilité sera de mettre en place les conditions de notre réussite collective. C'est pourquoi l'apprentissage est au cœur de la loi relative à la formation professionnelle que je présenterai d'ici la fin de l'année ou au tout début de l'année 2014.
Mais, dans l'immédiat, j'ai voulu préserver une aide à l'embauche d'apprentis pour les entreprises de moins de 10 salariés, sans que cela n'empêche pour autant les Régions de cibler l'aide également sur d'autres priorités en termes de taille d'entreprise ou de secteurs d'activité.
Il y a eu sur ce sujet des ambigüités. Elles sont désormais levées et dans un sens qui ne vous est pas défavorable. J'ajoute que le cofinancement par l'Etat des développeurs de l'apprentissage attachés aux chambres des métiers et de l'artisanat sera reconduit en 2014.
Au-delà du seul financement, la réforme de l'apprentissage en préparation prend appui sur la concertation que je viens de mener avec les partenaires sociaux, dont l'UPA au premier chef bien sûr, les réseaux consulaires et les Régions.
* Nous développerons l'apprentissage à tous les niveaux de formation, en particulier pour les premiers niveaux.
* Nous flècherons une part plus importante de la taxe d'apprentissage vers l'apprentissage lui-même, conformément au souhait du Président de la République, qui est aussi le vôtre.
* Nous associerons mieux les partenaires sociaux à l'établissement de la carte des formations initiales ainsi qu'au service public de l'orientation.
* Nous instaurerons une vraie concertation organismes collecteurs / Régions / partenaires sociaux pour la répartition des fonds libres de la taxe d'apprentissage.
* Nous rationaliserons le réseau de collecte au niveau national et au niveau régional.
* Et nous accompagnerons les jeunes et les entreprises, notamment pour prévenir les ruptures de contrats.
Voilà qui est ambitieux et qui répondra à vos souhaits en matière de formation des jeunes et d'insertion dans la vie professionnelle.
Pour conclure d'un mot, je veux vous dire que je sais à quel point vos attentes sont fortes.
Convenons que sur beaucoup de questions nous avançons ensemble dans la bonne direction.
La question fiscale est importante, elle sera traitée bientôt dans une démarche conduite par mon collègue de Bercy des assises de la fiscalité des entreprises, mais elle ne peut être l'arbre qui cache la forêt.
Dans mon domaine, celui du travail, de l'emploi, de la formation, du dialogue social, travaillons ensemble dans l'écoute et la franchise. Travaillons dans le même sens, celui de la promotion de l'artisanat, de sa protection contre la concurrence déloyale, de la transmission des compétences et des entreprises, d'un meilleur accès à la formation professionnelle, de règles renforcées d'une démocratie sociale qui reconnaît votre juste place, et du développement de l'apprentissage.
Bien sûr, c'est moins spectaculaire que des actions de protestation mais c'est redoutablement plus efficace. Dans le respect des différences et des places de chacun, mais côte à côte, nous serons plus forts et c'est finalement cela qui importe.
Mon sentiment est que ce qui nous rassemble est plus important que ce qui nous sépare. Ma porte vous est toujours ouverte vous le savez, et merci de m'avoir ouvert la vôtre ce matin.
Je vous remercie.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 25 octobre 2013