Extraits d'un entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec France Inter le 9 novembre 2013, sur le nucléaire iranien.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q - Vous n'avez - j'imagine - pas beaucoup dormi, si je compte bien cinq ministres des affaires étrangères ont fait le déplacement, John Kerry est sur place, il y a vos homologues britanniques et allemands aussi, vous attendez le chef de la diplomatie russe dans la matinée. Est-ce que c'est plutôt bon signe ?
R - Nous souhaitons un accord mais au moment où on se parle, il y a encore des questions majeures qui ne sont pas réglées. Le problème est très important parce que c'est toute la question du nucléaire iranien, avec des incidences sur la sécurité régionale et la sécurité mondiale.
Nous voulons un accord, mais pendant des années et des années l'Iran a développé un programme nucléaire dont nous suspectons qu'il soit à finalité militaire. Or, autant nous acceptons parfaitement que l'Iran utilise l'énergie nucléaire civile, autant nous refusons qu'il possède la bombe atomique parce que ce serait extraordinairement dangereux dans toute la région et au-delà. Nous sommes donc est en train de discuter de cela ; il y a eu des avancées.
Il y avait un texte initial que nous n'acceptons pas parce que certains points ne sont pas satisfaisants. On est en train de discuter de cela. On a un peu avancé mais à l'heure où je parle, je ne peux pas dire que j'ai aucune certitude que l'on puisse conclure. Donc, je vais voir Mme Ashton qui négocie. Je verrai ensuite le ministre des affaires étrangères iranien, et puis on va voir comment on avance dans la matinée et si on peut avancer.

Q - Alors la France, on l'a bien compris, ne veut pas d'un accord au rabais ...
R - On veut un accord, bien sûr, mais pas de jeu de dupe. Il y a quelques points sur lesquels nous ne sommes pas satisfaits par rapport au texte initial. Je vous en donne deux parce que je ne veux pas être trop technique. Il y a un point qui concerne le réacteur d'Arak. Il y a plusieurs types de réacteurs, mais celui-là produit beaucoup de plutonium et c'est extrêmement proliférant. Donc nous ne voulons pas que, pendant la négociation, les choses continuent parce qu'à ce moment-là, on serait devant le fait accompli. Évidemment les Iraniens sont réticents, mais pour nous cette affaire d'Arak est un point absolument dur.
Le deuxième point, c'est ce que l'on appelle l'enrichissement. Il y a tout un stock d'uranium enrichi à 20 %. 20 %, c'est beaucoup, cela permet d'aller à 90 % et à 90 % cela devient militaire. Nous posons donc la question suivante : comment redescendre pour une très grande partie de ce stock de 20 % vers 5 %, ce qui est beaucoup moins dangereux ; et que fera-t-on pour le futur ?
Nous sommes en train de discuter de toutes ces questions. J'espère, encore une fois, qu'il y aura un accord, mais si ces questions-là ne sont pas réglées, ce ne sera pas possible.
Et puis il y a un autre aspect. Évidemment, les Iraniens disent : «si on fait des concessions majeures, il faut qu'il y ait des allègements sur les sanctions». Nous n'y sommes pas opposés, mais ces allègements doivent être ciblés et, d'autre part, réversibles, puisque toute notre démarche c'est de dire : «voilà, il y a un accord en perspective pour les six mois qui viennent, on fera le bilan, on contrôlera tout cela, et si c'est satisfaisant on ira plus loin, vers quelque chose de définitif ». Donc, c'est très complexe et important : volonté de notre part d'aboutir mais pas d'accord de dupe.

Q - Mais on sait aussi que la levée - même partielle - de sanctions internationales, cela ne se fait pas non plus comme ça.
R - Non, c'est difficile.

Q - On sait que Barack Obama, par exemple, a besoin de l'accord du Congrès, et qui n'est pas forcément sur la même ligne que le Congrès et que la Maison Blanche. Donc c'est très compliqué.
R - Oui, vous avez raison. Il y a plusieurs types de sanction : il y a les sanctions américaines et les sanctions européennes.
En ce qui concerne les sanctions américaines, vous avez juridiquement deux catégories : vous avez les sanctions dont la levée exige de passer devant le Congrès - et cela risque d'être difficile - et puis vous avez des sanctions que le président peut lever lui-même par ce qu'on appelle un «waiver». Dans le projet, évidemment, c'est plutôt vers ce deuxième type de levée de sanctions que les Américains s'orientent. Pour nous, les Européens, si nous devions lever nos sanctions, cela demanderait un accord unanime, donc, cela demande que chaque pays soit d'accord et on a une responsabilité particulière.

Q - Les Iraniens de leur côté sont étranglés d'un point de vue économique, la situation n'est plus tenable pour eux. Il y a même peut-être un risque de guerre civile en Iran ?
R - Je n'irai pas jusque-là mais il est vrai que les sanctions ont eu un effet considérable. Au départ, elles ont été contestées par les uns et par les autres. Elles sont évidemment très fortement contestées par les Iraniens, mais c'est ce qui explique leur changement de position. Cela explique d'ailleurs peut-être aussi l'élection du président Rohani. Le président Rohani, de tous les candidats, était le plus novateur, si on peut employer cette expression. Et si la population iranienne a voté massivement pour lui, c'est parce qu'elle espère qu'il va y avoir un changement et, notamment, dans cette affaire de sanctions.
C'est donc une arme très puissante et il n'est pas possible de lever cette arme, qui a été efficace, s'il n'y a pas de l'autre côté des concessions absolument majeures. C'est pourquoi c'est à la fois très délicat et très important.

Q - Et Israël, parce qu'on a bien entendu, Benyamin Netanyahou est furieux, je ne sais pas s'il est contre tout accord, en tout cas sûrement pas contre n'importe quel accord, il se réserve d'ailleurs toujours le droit de se défendre lui-même !
R - Oui, tout à fait, le Premier ministre israélien s'est exprimé et évidemment, il y a des contacts entre lui et nous.

Q - Je crois même savoir que François Hollande se rend en Israël très prochainement !
R - Oui, dans une dizaine de jours.

Q - Donc j'imagine qu'ils vont aborder le sujet !
R - Oui, bien sûr. La position du Premier ministre israélien est de dire qu'il ne doit pas y avoir d'accord en deux phases, parce que cela risque d'être finalement une opération un peu artificielle. Sur le fond, il conteste cet accord. Il faut bien sûr prendre en compte pleinement les soucis de sécurité d'Israël et de l'ensemble des pays de la région.
Nous sommes pour un accord, il faut être clair, mais il faut que - encore une fois - cet accord soit sérieux, crédible. Le texte initial enregistrait des avancées mais pas suffisamment, donc c'est de cela que l'on discute. Ma position et celle du président de la République est d'être ouvert à un accord mais d'être extrêmement ferme.

Q - Puisque nous parlons du voyage en Israël du président de la République, de François Hollande...
R - En Israël et en Palestine...

Q - Est-ce que François Hollande fera un discours à la Knesset ?
R - Oui, je pense qu'il le fera.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2013