Déclaration de M. Kader Arif, ministre des anciens combattants, sur le Centenaire de la Première Guerre mondiale, à Paris le 21 novembre 2013.

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Circonstance : Discours devant le Congrès des maires de France, à l’occasion du lancement des commémorations du Centenaire de la première guerre mondiale, à Paris le 21 novembre 2013

Texte intégral

Monsieur le Président de l'Association des Maires de France,
Monsieur le Président de la Mission du Centenaire, Mon général,
Monsieur le Directeur général de la Mission du Centenaire,
Monsieur le Professeur, cher Antoine Prost,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
L'Association des Maires de France a décidé cette année de donner une place toute particulière aux commémorations du Centenaire dans lesquelles notre pays s'engage depuis quelques jours avec enthousiasme, avec ferveur, avec responsabilité et qui seront l'année prochaine au cœur de la vie de tous les Français.
Cet enthousiasme de nos concitoyens nous avons tous pu le mesurer ces derniers jours, avec le succès de la Grande collecte, organisée avec le soutien de la Mission du Centenaire, ou à l'occasion des multiples manifestations sportives qui, dans la semaine précédant le 11 Novembre, ont été placée sous le signe du Centenaire de la Grande guerre. Pour ma part, je dois dire mon émotion sincère, le 9 Novembre dernier, dans un Stade de France totalement plein, de voir une minute de silence respectée en mémoire des soldats français et néo-zélandais tombés pour notre liberté il y a près de cent ans.
Cet enthousiasme enfin, il se ressent à la lecture du programme officiel du Centenaire composé de pas moins de 1000 projets émanant de France et d'ailleurs retenus par la mission du Centenaire.
Mesdames et Messieurs les maires, la France est un grand pays, avec une grande Histoire. En 2014, notre pays a rendez-vous avec cette histoire, et avec l'histoire du monde.
L'an prochain en effet, le Centenaire de la première guerre mondiale et le 70e anniversaire des libérations du territoire constitueront un moment rare pour chaque Français, quel que soit son âge, son origine sociale ou géographique,quel que soit son parcours. Chacun aura l'occasion d'appréhender le passé de la France, dans sa justesse et dans sa gravité, d'y saisir ce qui nous unit en une communauté nationale, et d'y puiser ainsi les fondements d'un avenir que nous devons construire à l'unisson.
Le 7 novembre dernier, le Président de la République a donné le coup d'envoi des commémorations du Centenaire, et il a spécifiquement souligné l'implication des maires de France, et de l'Association des Maires de France, à cette entreprise du pays tout entier. Les maires sont les premiers acteurs d'une mémoire que le Président de la République souhaite voir « partagée dans la diversité de nos territoires ». Nous devons à nos concitoyens un Centenaire réussi, un Centenaire de cohésion nationale, et un Centenaire qui leur parle de paix et de réconciliation pour l'Europe et pour le Monde.
La force de ces messages, que nous partageons également avec nos partenaires étrangers, elle réside dans le caractère unique de l'épreuve que constitue la Grande guerre pour la France en tant que Nation, et pour la République en tant que régime politique. Qu'on s'y attarde un peu et l'on comprendra le caractère inouï d'un cataclysme débouchant sur la mort de 1,4 millions de soldats, 10 % des hommes en âge de travailler, 3 % de la population totale, auxquels il faut ajouter plus de 4 millions de blessés.
Ce lourd tribut,chaque commune en France en a payé une part, pas une n'y a échappé, pas une ne s'y est soustraite. Si près de 3.000 d'entre elles ont reçu la croix de guerre 14-18, c'est que les villes et les villages de France ont été l'un des piliers les plus fermes de la République pour surmonter, à l'issue de quatre années terribles, une épreuve sans précédent pour ce pays. En 1917, la ville de Dunkerque est la première à être décorée et se voit qualifiée d'exemple pour toute la Nation.
En 1920, c'est Saint-Quentin qui est honorée parmi des centaines d'autres communes, avec une citation que je vous livre parce qu'elle m'a frappée : « La ville de Saint-Quentin, soumise, dès 1914, à l'occupation allemande,a supporté stoïquement la ruine et l'incendie, lorsque les armées alliées engagèrent sous ses murs, au printemps 1917, une bataille acharnée. Évacuée par ordre du commandant allemand, elle a subi fièrement ce nouveau sacrifice. Malgré les souffrances et les vexations, elle a conservé intacte sa foi dans le succès final. »
Rares sont les communes de France à ne pas avoir vu tomber certains de leurs enfants. Nombreuses sont en revanche celles qui portent encore aujourd'hui, alors qu'un siècle s'est écoulé, les stigmates de ce conflit. Il y a eu les villages martyres comme Bezonvaux dans la Meuse, comme Craonne dans l'Aisne, ou comme Flirey en Meurthe-et-Moselle, qu'il fallut reconstruire entièrement après la guerre.
Mesdames et Messieurs les maires, vous le savez, vous avez un rôle éminent, un rôle central, un rôle décisif pour que l'année 2014 soit l'année d'un grand Centenaire.
Ce rôle, vous en avez d'une certaine manière hérité de vos prédécesseurs lointains, des maires de la Première guerre mondiale dont Antoine Prost vous a parlé avec le talent qui le caractérise. Car la commune est, depuis ce temps-là, la brique fondamentale de notre mémoire nationale. Elle est le lieu où les destins individuels, d'hommes et de femmes, se mêlent et s'entremêlent et rencontrent le destin de la Nation pour former l'Histoire de notre pays.
Car c'est bien dans les communes de France, dès avant la fin de la guerre et plus encore dans l'immédiat après-guerre que s'organise le souvenir des morts pour la France,qui est aujourd'hui au cœur de notre politique de mémoire.
Avec les associations d'Anciens combattants, avec des citoyens conscients de la nécessité d'honorer ceux qui sont tombés pour la patrie, ce sont d'abord les maires et les conseils municipaux qui sont à l'initiative de la construction de ce qui constitue un point de ralliement de notre mémoire collective : le monument aux morts.
Entre la République et les Français, la démocratie municipale, cette démocratie de proximité, tient une place toute particulière dans la vie sociale et politique des Français. Elle est le lieu qui protège, elle est le lieu de la solidarité nationale dont vient de nous parler Antoine Prost : solidarité de l'arrière avec le front avec le soutien matériel aux soldats qui en ont cruellement besoin, solidarité avec les réfugiés qui ont tout perdu, solidarité entre les territoires car chacun doit être ravitaillé à la mesure de ses besoins.
L'histoire des combats de nos aînés, des épreuves surmontées par notre République, elle est partout autour de nous. Elle est dans ces paysages, elle est dans nos monuments aux morts, elle est également dans nos musées et dans les sites dont l'Etat et les collectivités sont aujourd'hui les dépositaires. Elle est aussi dans les mémoires des familles de France, celles à qui les combattants ont souhaité transmettre leurs témoignages, en leur contant leur histoire ou en leur confiant des souvenirs matériels de cette période.
Mais si la commune constitue un lien entre le citoyen et la République, c'est aussi un lien incarné. Sa force, elle découle dans une large mesure d'une figure : celle du maire. Ce maire qui parfois a été lui-même combattant de la Grande Guerre. Ce maire qui travaille au quotidien avec les représentants de l'Etat, depuis le jour de la mobilisation jusqu'à celui du retour des combattants, il est un dépositaire de la cohésion du pays. Car il est un maire de France.
Pendant la première guerre mondiale, pendant la seconde guerre mondiale aussi, les maires ont donné des exemples d'engagement personnel et désintéressé au service de leurs concitoyens. Ainsi le maire de Senlis, Eugène Odent, fusillé le 2 septembre 1914 avec cinq habitants de sa commune, martyre dans une ville meurtrie,dont plus de cent familles ont vu leurs maisons détruites et qui, en 1918, se verra attribuer la Croix de Guerre.
Les guerres ont fait des martyres, elles ont également été l'occasion pour des maires de se révéler grands dans l'épreuve. Nous célébrions, il y a quelques jours à peine,le 70ième anniversaire du défilé des maquisards de l'Ain à Oyonnax. Souvenons-nous d'un homme, René Nicod qui, opposé par pacifisme à l'allongement du service militaire en 1913, accepte sans réticence sa mobilisation, fait son devoir une première fois et revient blessé du front après trois ans de combats.
Cet homme, il était en 1940 maire d'Oyonnax et il vota le 10 juillet contre les pleins pouvoirs donnés à Pétain, ce qui lui valut d'être interné pendant quatre années par Vichy. Souvenons-nous aussi d'un autre maire, Gaston Thiébaut qui, maire de Verdun en 1940, eût le courage et la lucidité de s'opposer à celui qui s'apprêtait à entraîner la France dans la collaboration en s'appuyant justement sur le respect qu'inspirait chez les Français la victoire qu'il avait su arracher en 1917 dans les champs de bataille de la Meuse.
Mesdames et messieurs les maires, nous avons une occasion unique, dans les mois qui viennent, de parler à nos concitoyens de ce qui nous unit. Et ce qui nous unit, ce sont d'abord les valeurs fondamentales, simples mais solides de notre République. Car la guerre de 14, ce fut la Guerre de la République.
C'est cela que nous disent les monuments aux morts, lorsqu'ils rendent à tous les honneurs qui leurs sont dus,sans distinction de grade ou d'origine, mais le plus souvent par ordre alphabétique. Ceux qui sont tombés, « ceux de 14 », ils étaient tous ces soldats, ces « honnêtes ouvriers » de la Guerre comme les nommera Bernanos et rien ne les distingue dans le sacrifice.
Cette guerre de 14, la France ne l'a pas voulue, mais elle a su la faire, et elle l'a emportée. Nombreux étaient pourtant ceux qui, à l'aube du XXe siècle, craignaient qu'une République ne puisse prévaloir contre des régimes autoritaires.
Et pourtant, c'est bien la France républicaine qui a prévalu : les libertés ont été maintenues, les institutions ont continué à fonctionner, l'armée a été républicaine, la société a fait preuve de résilience et a fait corps, pour défendre sa liberté. C'est d'ailleurs devant les Assemblées que, le 4 août 1914, le Président de la République Raymond Poincaré fait lire par le Président du Conseil René Vivianison message sur l'Union Sacrée.
Ce lien entre la Grande Guerre et cette République qui nous unit, nous ne le créons pas artificiellement à un siècle de distance. Il a été pensé et mis en scène par les contemporains. Si le corps du soldat inconnu rejoint le cœur de Gambetta dans une chapelle ardente à Denfert-Rochereau et que la République célèbre le 11 novembre 1920, dans le même mouvement, son cinquantenaire et le second anniversaire de la victoire,c'est bien pour souligner ce lien.
Si une foule immense suit le convoi qui mène au Panthéon le cœur de Gambetta puis le corps du Soldat inconnu sous l'Arc de Triomphe, c'est encore pour communier dans ce lien. « Suprême hommage, le plus splendide que la France ait jamais rendu à l'un de ses enfants, mais qui n'est pas trop grand pour celui qui symbolise la vaillance française, dont le sacrifice anonyme a sauvé la Patrie, le Droit et la Liberté, » dira André Maginot.
En France, j'ai déjà eu l'occasion de le dire, plus de 1.000 initiatives labellisées par la Mission du Centenaire permettront tout au long de l'année 2014 de célébrer ces valeurs. A Reims, l'exposition « 1910-1925 : la Paix ? » invite les artistes allemands et français à illustrer l'impact de la Grande Guerre sur la vie des femmes et des hommes.
A Nancy, le projet « Raconter la Grande Guerre » entend faire réaliser à des élèves une production à partir des traces physiques ou écrites laissées par la Grande Guerre.
Les enseignants et les élèves seront en effet pleinement impliqués car la transmission aux jeunes générations est au cœur de ces commémorations : les comités académiques du Centenaires ont en place sur l'ensemble du territoire pour soutenir les initiatives pédagogiques. A cet égard, la bataille de la Marne, dont nous commémorerons le centenaire le 12 septembre 2014, constituera un moment privilégié, puisque les cérémonies seront quasiment concomitantes de la rentrée scolaire.
Mesdames et Messieurs les maires, le Centenaire de la Grande guerre nous donne également une occasion unique et sans précédent de mettre en valeur notre patrimoine mémoriel, et de le faire vivre au bénéfice des territoires qui l'hébergent. Pour cela, il doit d'abord être reconnu. L'Etat doit y prendre sa part. Dans tous les domaines, il doit montrer l'exemple et être aux côtés des territoires en s'engagent financièrement, comme l'a rappelé le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault lorsqu'il s'est adressé à vous mardi.
Mon ministère a ainsi décidé de qualifier deux nouveaux sites de hauts lieux de la mémoire nationale. Il s'agit du cimetière national de Notre-Dame-de-Lorette et du site comprenant la nécropole de Fleury devant Douaumont et la tranchée des baïonnettes. Ils sont les deux premiers sites 14-18 à devenir des hauts-lieux de la mémoire nationale.
Cette reconnaissance elle pourrait être demain internationale. Aujourd'hui, vous les avez, les départements du Nord et de l'Est de la France et les régions belges portent un projet important d'inscription au patrimoine mondial de l'UNESCO des principaux sites funéraires de la guerre de 1914-1918. Cette démarche s'inscrit pleinement dans la volonté d'exprimer l'universalité de ces sites et l'Etat entend la suivre avec la plus grande attention.
Au-delà, nous avons à concevoir et à mettre en œuvre, avec l'ensemble des acteurs concernés, au premier rang desquels les Régions et les Départements, une véritable politique de développement du tourisme de mémoire. Le Centenaire nous offre une occasion d'améliorer nos outils et nos méthodes de travail, et de développer de nouvelles activités économiques.
Il y a quelques jours à Lille,la Ministre chargée du Tourisme, Mme Sylvia Pinel, et moi-même, accompagnés des représentants de 3 régions et de 4 départements, avons signé un premier contrat de destination Grande Guerre.
Il vise à augmenter les flux touristiques et les retombées économiques sur les territoires concernés, à améliorer la qualité de l'accueil des visiteurs et à accroître l'attractivité de la destination mémorielle. Le même jour, mon ministère s'est engagé en soutien de plusieurs projets structurants pour le développement du tourisme de mémoire en France.
Il y a à la clef des emplois, de l'activité et des échanges, particulièrement avec nos visiteurs étrangers, qui souhaitent venir en France à la rencontre des lieux qui sont aussi ceux de leur histoire.
Car nous avons, dans ces commémorations, une autre mission. Si la République a prévalu, et il légitime et naturel que nous soyons fiers de cette histoire, c'est grâce à l'appui de ces alliés.
Et si la République française vit en paix, dans une Europe en paix, c'est bien qu'elle a contribué à la réconciliation des peuples de ce continent, et qu'elle a tout particulièrement œuvré, depuis près de 70 ans, au rapprochement avec l'Allemagne. A tous nos partenaires étrangers, nous nous devons de faire une place toute particulière.
Aux Canadiens qui aujourd'hui encore impriment le mémorial de Vimy sur leurs billets de banque. Aux Australiens et aux Néo-Zélandais qui vinrent de si loin mourir sur le sol de France. Aux Algériens, aux Marocains, aux Sénégalais ou aux Maliens qui, dès la bataille de la Marne, furent engagés pour que survive et vive la France. A tous ceux-là, la France doit savoir dire« merci ».
C'est la raison pour laquelle elle a proposé de faire des grandes commémorations de l'été 2014, des manifestations internationales. Le 14 juillet, le Président de la République l'a annoncé, ce ne sont pas moins de 72 pays anciens belligérants qui seront invités à défiler à nos côtés sur les Champs Elysées, à Paris, le jour même de notre fête nationale.
Le 3 août, à l'issue d'un week-end marqué par le souvenir des mobilisations que Joseph Zimet vient d'évoquer, ce sont avec nos amis allemands que nous serons amenés à jeter un regard commun sur le siècle de déchirements et de réconciliations.
Enfin, le 12 septembre,Britanniques et Allemands, Russes, Algériens et Marocains seront avec nous pour commémorer la Bataille de la Marne, ce sursaut de la France qui ouvrait une guerre de quatre ans.
Mais l'Etat ne doit pas être seul à porter ce message international de réconciliation. Nombreux sont les acteurs sociaux qui entendent participer à ce mouvement international en faveur de la paix et de la réconciliation.
Cent ans plus tard, nous nous souviendrons de ces soldats qui spontanément organisèrent au Noël 14 des trêves et fraternisèrent autour de matchs de football.
Cent ans plus tard, nous nous souviendrons de tous les Français, venus de tout le territoire, des anciennes colonies et d'outre-mer, faisant bloc derrière la République.
Cent ans plus tard, nous nous souviendrons du 11 novembre 1918, ce jour même de l'armistice où Clemenceau, alors président du Conseil, tenait ces propos à jamais gravés dans nos mémoires : « par eux, la France retrouvait sa place dans le monde pour poursuivre sa course magnifique dans l'infini du progrès humain, autrefois soldat de Dieu, aujourd'hui soldat de l'humanité, toujours soldat de l'idéal ».
Cet hommage, mesdames et messieurs les maires, c'est en réalité une injonction qui nous est faite :nous avons un devoir de poursuivre cette quête du progrès, de l'humanité et je dirais également de la fraternité. Ces Français que nous saluons dans ce cycle commémoratif, il ne suffit pas de s'en souvenir, il ne suffit pas de saluer leur mémoire, il faut défendre leur héritage, et dire qu'ils ont combattu pour une République qui a tenu, unie, forte, fraternelle, dans la fange des tranchées, dans le froid de l'hiver, dans la peur du quotidien.
Car ce Centenaire, il doit être celui de la République et il doit être celui de la paix. Notre ambition collective est grande. L'attente des Français ne l'est pas moins. Nous ne réussirons qu'ensemble.
Je vous remercie.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 25 novembre 2013