Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, avec la presse, sur les sujets à l'ordre du jour des ministres des affaires étrangères du G8 concernant le Proche-Orient, les Balkans, la Serbie, la Macédoine, l'Afrique, la Corée du Nord, la pauvreté et le climat, Rome le 18 juillet 2001.

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Circonstance : Réunion des ministres des Affaires étrangères du G8 à Rome le 18 juillet 2001

Média : Agence Algérie Presse Service - Presse

Texte intégral

Je vais vous donner quelques indications sur les sujets dont nous avons parlé dans ce cadre très agréable.
On n'a pas encore parlé de tous les sujets, ce qui ne m'empêche pas de répondre à vos questions si vous le souhaitez.
Nous avons eu une discussion sur le Proche-Orient, que j'ai trouvé assez comparable à celle que nous avons eu lundi au Conseil Affaires générales des Quinze parce qu'on se retrouve sur les mêmes conclusions : urgence à enclencher la mise en oeuvre du processus Mitchell, donc appel aux autorités israéliennes pour qu'il n'y ait pas de position qui reporte sans arrêt ce début. Ceci étant doublé d'un appel aux dirigeants palestiniens pour qu'ils renforcent encore leurs efforts et leurs déclarations contre le terrorisme, qu'ils crédibilisent ces déclarations. Nous avions dit à Quinze lundi que nous souhaitions que les Etats-Unis restent engagés et résistent à la tentation de se désengager et il nous semble que Colin Powell veut rester engagé. Sur le Proche-Orient, les Huit sont conscients de la gravité des choses et se retrouvent sur les mêmes conclusions et sur la façon de sortir de ce guêpier dangereux.
Nous avons parlé des Balkans, de la Macédoine pour faire le point de la situation. Vous savez que les négociations avancent, puis se bloquent, puis avancent à nouveau, puis se re-bloquent. La situation reste difficile. Je ne suis ni pessimiste, ni optimiste, mais je ne crois pas que l'accord soit dans la poche. C'est délicat, comme on le sait. On en a parlé beaucoup avec Javier Solana qui faisait le point exact des négociations. Nous pensons qu'il faut persévérer. On continue à travailler sur cet accord en corrigeant ceci ou cela pour arriver à l'agrément des deux côtés. On n'y est pas encore. Javier Solana doit y revenir peut-être, dans quelques jours, pour renforcer les efforts de François Léotard et James Pardew. Ce n'est pas encore tout à fait sûr.
On va parler de la Yougoslavie. Il y aura un paragraphe dans le communiqué, avec quelques nuances parce que les Russes sont évidemment gênés par la façon dont s'est produite l'extradition de Milosevic. Ils sont gênés, en désaccord et ils l'ont dit à plusieurs reprises, mais ils n'ont pas de désaccord global sur l'objectif de notre politique par rapport à la Yougoslavie et la consolidation de la démocratie.
Nous avons parlé de l'Afrique, notamment à l'initiative de la présidence belge, qui a développé ici, dans le cadre du G8, ce qu'elle a dit lundi, c'est-à-dire la volonté de relancer la politique de l'Union européenne en Afrique, mais surtout dans l'Afrique des Grands lacs. A l'occasion de cette présidence belge, j'avais dit lundi à Bruxelles, et je le confirme ici, que la France soutiendra à fond la Belgique dans ses efforts.
Nous avons eu, avant la pause, un échange sur la prévention des conflits. J'ai rappelé que toute notre activité est une activité de prévention des conflits. Ce que font les ministres des Affaires étrangères tout le temps, sous toutes ses formes, c'est une façon d'empêcher que naissent un jour des conflits qui aboutissent à la force. Evidemment, nous nous concentrons sur la prévention immédiate en plus. Il s'agit de savoir ce que l'on fait, pas uniquement quand on travaille dans le long terme, mais quand un conflit apparaît. Là, il faut perfectionner les alertes, réagir plus vite, développer une culture de prévention, articuler les interventions internationales qui sont très nombreuses en réalité aujourd'hui et qui parfois sont inefficaces parce qu'elle se contredisent. J'ai de nombreux exemples à l'esprit d'organisations qui ont souvent les mêmes objectifs.
Tout à l'heure, au dîner, nous allons parler désarmement et non-prolifération et nous allons parler de globalisation, de mondialisation, des manifestations contre la mondialisation et dialoguer sur ces sujets.
Il faut rappeler qu'après Göteborg, il avait été décidé qu'il y aurait une réunion spéciale des ministres de l'Intérieur concernés et dans un Conseil Affaires générales. A l'époque, j'avais indiqué qu'il ne fallait pas seulement considérer ce volet, qui est indispensable, puisque le droit de manifester existe mais il faut qu'il puisse s'exercer démocratiquement. Il ne faut pas que les manifestations soient détournées de leur objet par les casseurs et, en même temps, il doit y avoir un dialogue politique, mais pas avec des gens violents, avec des gens qui développent des thèmes. J'avais souligné que le ministre de l'Intérieur devait s'occuper d'un volet mais que le ministre des Affaires étrangères devait s'occuper d'un autre volet qui est la discussion sur le fond. Nous aurons un échange pendant le dîner sur ce sujet qui promet d'être intéressant et demain on peaufinera les conclusions.
Tout s'est bien passé, dans une ambiance fort sympathique, une bonne présidence de M. Ruggiero.
Q - Sur le Proche-Orient quelles initiatives le G8 peut-il prendre ?
R - Il est important de voir que les Huit, ce n'est quand même pas la même formation que les Quinze. Il est important de voir qu'il n'y pas que les Européens, mais il y aussi les Américains et les Russes qui ont maintenant cette approche. Il y a quand même une convergence forte et je crois qu'on peut dire qu'il y une sorte d'impatience internationale forte quant au début de la mise en oeuvre du processus Mitchell.
Vous avez noté d'autre part que lundi les Quinze ont franchi un petit pas en ajoutant l'idée d'un mécanisme d'observation impartial, dont nous pensons qu'il serait très utile pour les Israéliens comme pour les Palestiniens. Cela est récusé dans son principe par les Israéliens, mais cela commence à faire partie du paysage. Colin Powell a dit que c'était prématuré, mais il n'a pas dit qu'il était contre, d'ailleurs il l'avait évoqué à un moment donné. Donc les idées cheminent quand même. Nous sommes en train d'élargir et de consolider le consensus sur la façon de sortir de la crise actuelle. C'est déjà ça, me semble-t-il.
Q - Cela signifie-t-il que l'on va vers des observateurs internationaux ?
R - Je suis en train de vous dire que le concept d'observateurs impartiaux progresse doucement, mais il progresse quand même. Vous ne pouvez pas envoyer des observateurs de force, sinon ce ne sont pas des observateurs. Vous n'envoyez pas des observateurs s'ils sont refusés par le pays. Les observateurs supposent qu'il y ait un minimum d'acceptation. Alors on peut discuter après. Il y a d'ailleurs au Proche-Orient y compris en Israël, différentes forces qui sont présentes et qui finalement sont acceptées. Il ne faut pas partir de l'idée que le refus sera perpétuel.
Q - Comment enclencher le mécanisme de la Commission Mitchell ?
R - Nous allons continuer à faire pression et à renforcer. Les Russes sont d'accord avec ça.
Il n'y a pas lieu d'imposer les choses. Si on pouvait imposer les choses au Proche-Orient, il y a longtemps qu'une solution aurait été imposée. Même Bill Clinton, quand il y avait Ehud Barak, n'a pas pu lui imposer sa solution. Chacun connaît la difficulté. Nous ne travaillons pas par magie !
Q - Sur la défense anti-missile ?
R - Là les positions sont connues, il n'y pas d'éléments très nouveaux sur le plan des positions politiques depuis le voyage du président Bush en Europe.
Q - Sur le mécanisme de surveillance, Colin Powell a-t-il indiqué que c'est prématuré ? Quelle est votre interprétation ?
R - Je n'ai pas d'interprétation. Je crois que s'il pensait que c'était une mauvaise idée, il l'aurait dit. S'il pensait que c'était impossible, il l'aurait dit. Quand il dit que c'est prématuré, ce n'est pas un refus de principe, ni un refus de fond. C'est une position qui reste ouverte.
Q - Quelle a été la position russe sur les Balkans ?
R - A propos de Milosevic, ils ne veulent pas se réjouir de la façon dont cela s'est passé, parce qu'ils reprennent l'argumentation de ceux qui, en Yougoslavie, considèrent que cela a été fait de façon anticonstitutionnelle, sous la pression d'un chantage financier. Que, par conséquent, ce n'est pas une victoire de la démocratie en soi, contrairement à ce que l'on dit. C'est leur réaction. Mais en même temps ils ne contestent pas le fait que la Yougoslavie doit respecter ses obligations internationales, ils ne contestent pas qu'un jugement a été nécessaire, ils ne contestent pas le tribunal en soi, qu'ils avaient d'ailleurs contribué à créer à l'époque. La contestation est donc limitée sur une partie du texte et sur le ton.
Q - Et la Macédoine ?
R - Sur l'affaire de la Macédoine, c'est tout à fait différent. Ils font remarquer simplement que François Léotard représente l'Union européenne sous le contrôle de Javier Solana, que James Pardew représente les Etats-Unis et eux ne se sentent pas engagés. Ils gardent une sorte de recul prudent. Par rapport aux négociations, ils se sentent mêlés, engagés par chaque détail de la négociation. Et je comprends qu'ils veulent garder leur liberté d'appréciation sur le résultat. C'est parce qu'ils n'y sont pas qu'ils ont une attitude différente. Ils n'ont pas envie d'y être, sinon ils proposeraient qu'il y ait quelqu'un.
Q - Ils soutiennent Skopje ?
R - Pourquoi vous parlez de soutien, personne n'est contre Skopje dans l'affaire. Mais justement ils ne veulent pas rentrer dans un bout de la discussion, la discussion forme un tout : les institutions, les vice-présidents, la question des langues, la question de la police, il y a beaucoup de choses. Comme ils ne sont pas directement engagés dans la négociation, ils ne se sentent pas obligés de se prononcer en détail sur ce point plutôt que sur un autre. Aucun d'entre nous ne veut soutenir les uns contre les autres. Il ne s'agit pas de faire pression sur une partie et pas sur l'autre. Il s'agit d'obtenir que ces deux parties, qui doivent vivre ensemble, dans le même pays, acceptent ce cadre politique institutionnel nouveau qui garantit leur coexistence durable. Il faut demander un effort aux uns sur tel point, aux autres sur tel autre. Ne faites pas d'analyse comme s'il y avait affaire à des bons qui acceptent un bon plan et il faut faire pression sur les autres. Ce n'est pas du tout la situation.
Ici les Huit disent : "Nous restons engagés en Macédoine", avec la nuance russe qui dit "on n'est pas engagés directement, donc on verra. On n'est pas contre vos efforts, mais on verra les résultats" et les autres veulent que cela aboutisse. Et que cela aboutisse, cela suppose une volonté politique du côté slavo-macédonien, comme du côté albano-macédonien. Il s'agit de leur permettre de vivre ensemble dans la confiance, pas de faire remporter une victoire des uns contre les autres.
Q - Avez-vous parlé de la Corée du Nord et allez-vous rétablir les relations diplomatiques bilatérales ?
R - Sur la Corée, il y a une discussion des directeurs politiques. Cela a été évoqué dans un sens constructif, par rapport à la politique souhaitée et inspirée par la Corée du Sud.
Q - Sur le rétablissement des relations diplomatiques entre la France et la Corée du Nord.
R - Si on remontait en arrière, dans l'idéal, cela aurait été bien que tous les Européens le fassent au même moment, donnant à cela le même sens. Mais comme on était déjà dans des situations disparates, ceux qui avaient des relations, ceux qui n'en avaient pas, ceux qui considéraient que c'était très important d'en établir, finalement chacun a géré sa situation un petit peu comme il l'entendait. Nous avons cherché à établir une vraie cohérence dans nos politiques, dans le fond et dans les démarches, plutôt que dans le fait d'avoir des relations diplomatiques ou pas. On a relativisé cette question.
Q - Sur le climat et la pauvreté, y aura-t-il de véritables annonces ?
R - Cela relève du Sommet proprement dit, du G8, mais le mot effet d'annonce dit bien ce qu'il veut dire et j'espère qu'il y aura un travail de fond, et pas uniquement des effets d'annonce.
Je participe aux sommets des Sept puis des Huit depuis un certain temps et je sais qu'il y a des cas où l'on a fait des annonces spectaculaires parce qu'il y avait une attente immédiate et trois jours après plus personne ne se souvient de ce qui était annoncé. Dans d'autres cas des politiques de fond ont été enclenchées par des sommets des Sept avec de vrais résultats. Le Sommet des Sept ce n'est pas une institution. Il est très important que les dirigeants à ce niveau là, les chefs d'Etat et de gouvernement des plus grands pays, disent, sur tel sujet, nous sommes vraiment d'accord, nous allons mener cette politique. Et même si l'annonce immédiate n'est pas spectaculaire, cela peut avoir de vrais résultats. Je prends un exemple, lors des G7, à la fin des années 80, je ne saurais pas vous dire la date exacte, François Mitterrand a lancé le mouvement de la remise de la dette pour les pays les plus pauvres. On a commencé par une tranche, puis une autre, puis une autre et cela continue sous la présidence actuelle. Les pays ont été progressivement d'accord les uns après les autres sur une vraie politique de fond. A ce moment là, le sommet à 7 a été un cadre très utile. Par contre, de nombreuses mesures annoncées à la fin des G7 ont été oubliées par les uns et les autres. C'est souvent un peu la même chose. Si les effets d'annonce sont réels, tant mieux, je ne veux pas critiquer, mais il est très important que cela crée une vraie cohérence politique de la part des huit pays.
Q - Et le climat ?
R - Il est question de beaucoup de choses, mais il est délicat pour moi d'entrer dans le détail de ce qui sera discuté à Gênes à partir d'après demain, parce qu'il y une distinction entre la réunion des ministres des Affaires étrangères et le sommet proprement dit qui a lieu après.
Q - Verra-t-on l'acceptation du protocole de Kyoto par les Américains ?
R - Sur Kyoto, je ne sais que ce qu'a dit le président Bush avant de partir, c'est-à-dire qu'il n'avait pas l'intention de changer position.
Là-dessus, nous continuons de penser que le cadre de Kyoto est fondamental. Que cette lutte contre le réchauffement du climat est d'intérêt vital pour l'ensemble de l'humanité. Nous continuons à penser qu'il n'y a pas d'autre alternative au protocole de Kyoto, même s'il a certainement des imperfections que l'on peut corriger. Mais par quoi le remplacerait-on ? On voit bien qu'il faut travailler dans le cadre de Kyoto et nous, Européens, continuons à penser qu'un pays comme les Etats-Unis, qui représentent au moins le quart des rejets de gaz et d'effets de serre, ne peut pas s'abstraire de cette lutte mondiale, ou alors parce qu'ils ont une analyse scientifique différente, mais il faut l'expliquer ; ou c'est parce qu'ils ont une autre solution pour agir et il faut le faire connaître. Les Etats-Unis ne sont pas sur une autre planète, ils sont sur la même planète que tous les autres et ils doivent aux autres membres de la communauté mondiale une explication et un engagement. Et cet engagement, nous, on ne le voit pas en dehors de Kyoto. S'ils ont des idées pour améliorer Kyoto, à ce moment là , la réunion de Bonn est là pour ça.
Q - La nouvelle ministre japonaise des Affaires étrangères a-t-elle opéré un changement de fond de la position japonaise ?
R - C'est difficile à dire. Les grands pays ne changent pas de politique étrangère comme ça. Il y a des logiques de fond. Il est évident qu'elle a un style différent mais quant aux positions japonaises, c'est trop tôt pour le dire. Peut-être après le sommet proprement dit, mais là, au niveau des ministres, elle n'a pas eu tellement l'occasion de rencontrer ses collègues, donc c'est plutôt des prises de contact. Elle m'a l'air d'une femme moderne, voilà ce que je peux dire.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juillet 2001)