Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur l'analyse et l'évaluation de la situation économique et sociale et le rôle de la DARES, Paris le 13 novembre 2013.

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Circonstance : Colloque "les 20 ans de la DARES" à Paris le 13 novembre 2013

Texte intégral


Je suis heureux d'ouvrir ce colloque qui marque les 20 ans de la création de la DARES, et de le faire avec vous, « en famille » en quelque sorte. La famille du ministère, des équipes que je côtoies chaque jour –jusqu'à mon directeur de cabinet qui sévissait déjà il y à 20 ans et que vous avez invité à témoigner. Celle des autres directions du ministère, du Centre d'Etudes de l'Emploi et du CEREQ, mais aussi la famille élargie de tous ceux qui, dans le monde académique comme dans celui des acteurs sociaux, connaissent et apprécient la DARES et ces travaux.
Mes premiers mots sont d'abord des mots de gratitude, des mots de remerciement pour tous les agents qui depuis 20 ans ont fait, et qui font aujourd'hui la DARES. Votre travail est précieux, pour le ministre mais bien au-delà, pour tous les acteurs économiques et sociaux, pour la communauté scientifique et les experts, et encore au-delà pour les citoyens qui ont besoin d'être éclairés avec rigueur et pertinence, pour la société française toute entière.
Notre société elle a besoin d'un ministère du travail fort, plus fort. Et un ministère fort a besoin d'une DARES forte qui lui fournisse données, analyses, expertises, évaluations, regards critiques, agitation des idées.
Nous, responsables politiques – mais c'est aussi le cas des acteurs économiques et sociaux – invoquons sans cesse l'action, la nécessité de mettre en œuvre, construire, transformer. C'est sur ce terrain que nous sommes attendus.
Cependant, pour avoir un effet sur le réel, pour viser juste – dans tous les sens du terme – cette action doit être pensée, ciblée, « documentée » en quelque sorte. La politique est d'abord affaire d'intuition et d'écoute de la société, d'ambition et parfois même d'utopies utiles. Mais elle est aussi affaire d'étude réfléchie des données économiques et sociales, des statistiques capables d'éclairer la décision par la compréhension fine du tissu social sur lequel nous travaillons.
Ainsi, le travail de la DARES, comme celui d'autres institutions, est nécessaire :
- avant d'agir, pour nourrir la conception des politiques, ouvrir ou suggérer des pistes nouvelles aux acteurs sociaux et ne pas réinventer en permanence les mêmes solutions ou les mêmes « fausses pistes », bref pour éclairer la décision politique.
- Mais aussi dans l'action, pour évaluer les politiques conduites, capitaliser les expériences et éclairer le débat public pour le faire progresser
Ces liens réciproques entre la statistique, les études économiques et l'action me paraissent au cœur du projet de la DARES, depuis ses débuts. Ce lien est plus que jamais nécessaire dans un monde qui change si vite : il va nous falloir de grands renforts d'analyse pour le rendre intelligible, et d'abord intelligible à nous-mêmes.
La DARES a été créée en janvier 1993, à l'initiative de Martine AUBRY, par transformation du service des études et de la statistique (SES) pour répondre au besoin de connaissance statistique plus pointue du monde économique et social. Son projet était clairement affiché : créer une capacité d'expertise qui fasse l'équilibre – d'aucuns diraient le contrepoids – avec les statistiques et les analyses produites par la Direction de la Prévision de Bercy, aujourd'hui DG-Trésor. J'étais moi-même ministre des finances à ce moment, je me souviens des regards méfiants portés vers cette initiative à Bercy. Mais Martine AUBRY avait raison, ces 20 années l'ont montré : un dialogue, une pluralité, une confrontation parfois, n'affaiblissent personne mais au contraire enrichissent la connaissance, la compréhension et l'éclairage des décisions. Il faut que l'on entende fortement la voix du ministère du travail – sa culture et son approche – sur nos sujets.
Au fil de ses vingt années d'existence, la DARES a su devenir un acteur incontournable, et aussi un interlocuteur technique reconnu des institutions internationales. C'est le signe de la crédibilité de vos travaux.
Comme ministre aujourd'hui, je formule souvent 3 exigences vis-à-vis de la DARES :
- Fiabilité. En ce qu'elles concourent à la décision politique comme au débat publique, votre travaux nécessitent la plus grande rigueur et je mesure depuis 18 mois votre implication et le soin apporté à cette fin. C'est une condition de la crédibilité, et c'est une vigilance et un combat permanent. Le malheureux épisode du « bug SFR » sur les statistiques DEFM d'août dernier a montré à quel point nous ne pouvons pas nous permettre la moindre erreur dans ce domaine ;
- Pertinence, ce qui appelle de la DARES un effort continu d'attention aux demandes sociales. Je pense en particulier à celles des partenaires sociaux et au-delà de la société civile. Ce n'est pas une question facile car le temps des priorités sociales ou politiques n'est pas forcement le temps des enquêtes, études et recherches, qui demandent une certaine durée de conception, de réalisation puis de valorisation des résultats. Il faut alors subir une certaine frustration…
- Mais aussi -et c'est ma troisième exigence- besoin de Célérité, dans un double sens : réponse à la sollicitation – et je crois être un ministre, assisté d'un cabinet, gourmand de vos travaux – et capacité à produire des statistiques en temps réel ou presque, lorsque cela est possible. A ce titre, vous devez allier le suivi conjoncturel des tendances et l'analyse structurelle des évolutions.
Un mot du rôle d'animation de la recherche qui incombe à la DARES. J'ouvrais dans cette même salle le colloque international sur les politiques actives du marché du travail en février dernier. Voilà un exemple parmi d'autres de cette animation des travaux et des réflexions. Un conseil scientifique, rassemblant chercheurs indépendants et représentants des autres directions du ministère et des organismes de recherche rattachés, veille à la pertinence et à la qualité scientifique de ces travaux.
Le paysage de la recherche dans le champ du ministère, animé par la DARES, est en train d'évoluer vous le savez. J'ai trouvé en arrivant dans ce ministère il y a 18 mois un Centre d'Etudes de l'Emploi (CEE) en grande difficulté, ne disposant plus des moyens d'une vie autonome. Nous nous sommes attelés à la construction d'une solution d'avenir pour le Centre afin de sauvegarder son originalité, ses savoir-faire et garantir une viabilité financière. Mireille ELBAUM, que j'avais missionnée à cet effet et que je remercie encore pour ce travail, nous a rendu des propositions au printemps. Les travaux menés depuis avec nos collègues du ministère de la recherche, et la concertation avec les acteurs, permettent aujourd'hui d'entrevoir un projet crédible et solide par un scénario de rapprochement avec l'Université de Marne-la-Vallée et d'association avec le CEREQ, avec le maintien que je crois indispensable du lien et de l'engagement du ministère, sous une forme nouvelle à inventer. Nous avons encore quelques semaines pour y travailler, avec les personnels et leurs représentants, et je suis persuadé que nous allons parvenir à concrétiser ce nouveau projet scientifique et humain pour le CEE.
Pour conclure et nourrir vos échanges sur la demande sociale adressée à la DARES, je vous livre une salve des attentes du ministre pour les travaux de la DARES de ces derniers mois ou de l'année à venir :
- Travaux sur le chômage. Je pense à la connaissance marché du travail et donc des besoins. La DARES (avec Pôle emploi) nous aide ainsi à préciser quels sont les secteurs qui recrutent, ceux qui ont besoin de compétences nouvelles. Ainsi, nous avons pu préparer le plan 30 000 formation prioritaires pour l'emploi. Travaux sur le chômage, mais aussi travaux sur les chômeurs : indemnisation, sous-emploi afin d'agir au plus près des situations réelles et constatées.
- Travaux sur l'emploi, première préoccupation des Français : conjoncture et prévisions, mouvements de main-d'œuvre, emploi salarié, formes particulières d'emploi, intérim. Il faut reconnaître l'utilité de ces travaux dans la préparation de la loi de sécurisation de l'emploi.
- Travaux sur l'activité économique. Je pense notamment à ce que la DARES a pu produire sur l'activité partielle nous permettant de refondre les dispositifs en un seul et, qui plus est, simplifié.
- Travaux sur l'évolution des métiers et des qualifications, alors que nous nous comprenons que l'avenir des politiques de l'emploi est de jouer sur l'anticipation de l'évolution des compétences pour éviter la rupture du chômage. A ce titre, l'actualité de nombreuses restructurations montre bien que le sujet est de former les travailleurs, leur permettre d'évoluer professionnellement, de construire une carrière faute de quoi, si la crise survient, c'est le drame pour tous. Dans cette évolution des politiques de l'emploi, il y a, là encore, le substrat de vos travaux et les germes de la réforme de la formation professionnelle.
- Travaux sur l'insertion dans l'emploi, travaux sur la situation des jeunes qui permet d'en faire une priorité et de la conduire jusqu'au niveau européen. Nous réunissions hier les ministres du travail de l'Union européenne pour donner une impulsion supplémentaire à l'action en faveur de l'emploi des jeunes et nous avons pu évoquer ce que la France fait, depuis les dispositifs que vous connaissez bien – les emplois d'avenir et les contrats de génération – jusqu'aux liens entre l'université et l'entreprise. Mon message a été le suivant : l'Europe ne peut se permettre de sacrifier une génération. Vous avez nourri cette conviction, elle-même portée par le Président de la République.
- J'ajoute, sans être exhaustif, les travaux sur les conditions de travail et la santé au travail. Notre pays est à l'heure d'un gigantesque effort pour améliorer la qualité du travail et la qualité de vie au travail. Parce que la performance économique tient de la performance sociale, du bien-être, du plaisir de travailler dans de bonnes conditions, de la qualité de l'environnement qui donne la possibilité d'être créatif. Et sur tous ces plans, nous agissons : de la création du compte pénibilité à la mise en place du 3ème plan santé au travail (2015-2019).
Dans tous ces exemples, la DARES est là à la naissance de la réflexion, pour peu qu'un œil politique sache tirer du sens de la donnée économique et sociale que vous produisez.
- Il en va de même pour la question des relations sociales que vous suivez et qui constituent le matériau brut pour imaginer une action véritablement politique, c'est-à-dire qui fait bouger la société : le dialogue social à la française.
Ainsi, la statistique n'est pas que la production de données fiables et pertinentes, elle est à la genèse de la réflexion politique sur la société et de la conduite du changement qui en découle. C'est bien cela qu'il y a derrière les données que vous produisez.
Un dernier mot, une invitation à la reflexion en fait : parmi les conclusions du rapport rendu par Mireille ELBAUM au printemps, l'une d'entres elles à particulièrement retenue mon attention à savoir la nécessité d'améliorer la concertation et la coordination de la programmation des études dans le champ travail/emploi.
Je propose que nous réfléchissions ensemble, et au-delà de cette journée, à la méthode de construction du programme de travail de la DARES, peut être avec une vision davantage pluriannuelle. Vous aurez surement l'occasion d'en discuter dans les tables rondes de la matinée et à ce sujet, je serais heureux de retrouver vos propositions par la voix d'Antoine MAGNIER d'ici à la fin de l'année.
Je m'arrête là. Bon travaux ce matin. Et encore merci à vous tous, pour ces 20 premières années de la DARES et pour les 20 prochaines ! Je vous remercie.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 14 novembre 2013