Texte intégral
JEAN-JACQUES BOURDIN
La France préside le conseil de sécurité de l'ONU pour le mois de décembre, un mois. Adoption aujourd'hui par l'ONU du projet de résolution présenté par la France, projet autorisant le déploiement d'une force africaine soutenue par la France en République Centrafricaine et autorisant le déploiement d'une force française sera voté dans quelques heures, je crois.
LAURENT FABIUS
Oui. Avec le décalage horaire, ce sera voté en France dans l'après-midi, oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Aucun doute sur la résolution : elle sera adoptée.
LAURENT FABIUS
Oui. Il y a eu un gros travail de fait parce qu'au départ, évidemment il y a un travail de conviction, mais elle va être adoptée à l'unanimité, oui, je pense.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Elle va être adoptée à l'unanimité. Il y a déjà des soldats français en République Centrafricaine, ça veut dire que nous allons renforcer la présence française. Quand ? Quelle sera la mission ?
LAURENT FABIUS
La résolution, c'est la deuxième. Il y en avait déjà eu une à la demande de la France et puis là, c'est la deuxième qui est, comme on dit, sous chapitre 7, c'est-à-dire qui autorise la force. L'essentiel va concerner les troupes africaines, ce qu'on appelle la MISCA, et la France est autorisée à venir en appui. Pour faire quoi ? Essentiellement pour éviter les drames humanitaires épouvantables qui existent là-bas, et puis pour rétablir la sécurité. Puis, dans un deuxième temps, pour favoriser une transition démocratique parce qu'il va falloir qu'il y ait des élections et le développement. Donc concrètement, ça va être voté aujourd'hui et le président de la République, dans les jours qui viennent, prendra la décision d'appliquer la résolution. Ça tombe bien, si je puis dire, puisque nous avons entre aujourd'hui et samedi à Paris à la fois les États africains, plus le secrétaire général des Nations Unies qui est là, plus le président de l'Union européenne. Tout le monde est là et nous avons prévu une réunion samedi après-midi autour de la Centrafrique.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc l'annonce de l'intervention officielle française aura lieu ce week-end.
LAURENT FABIUS
Entre le vote de la résolution, c'est-à-dire ce soir puisqu'il faut être conforme au droit, et puis la date que choisira le président.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, qui sera probablement ce week-end, parce qu'il faut que l'intervention soit urgente maintenant.
LAURENT FABIUS
Oui, parce que je ne sais pas si vous avez vu, mais ce matin dès cinq heures du matin d'ailleurs, il y a eu des troubles à Bangui. L'ambassadeur me tient au courant heure par heure. On ne sait pas encore l'ampleur de ces troubles mais c'est vrai qu'il y a eu dans ces dernières semaines une amplification. Hier il y a eu douze personnes qui ont été assassinées. Ça prend en même temps un tour religieux qui est extrêmement grave, qui n'est pas dans la tradition de la Centrafrique.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Entre chrétiens et musulmans, oui.
LAURENT FABIUS
Voilà. Donc il faut mettre fin à cette catastrophe humanitaire et puis rétablir la sécurité, mais ce sont d'abord les Africains qui vont le faire. Ça ne ressemble pas à l'affaire du Mali ; souvent on confond. D'abord, ce sera de beaucoup moins d'ampleur.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Combien de soldats en tout ?
LAURENT FABIUS
Il y a deux mille cinq cents Africains déjà, qui doivent monter à trois mille six cents, et les Français aujourd'hui étaient quatre cents, ils sont deux cents de plus, et on devrait aller autour de douze cents.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Douze cents à quelle échéance ?
LAURENT FABIUS
Assez rapide puisqu'on a prévu les choses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire que si ce week-end le président de la République dit : « On y va », les douze cents soldats seront présents sur le terrain dans les semaines qui viennent. Avant la fin de l'année ?
LAURENT FABIUS
Dès que le président de la République aura donné le top, les choses vont aller très vite.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avant la fin de l'année ?
LAURENT FABIUS
Non, non, bien avant. Bien avant.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien avant ?
LAURENT FABIUS
Oui. Les choses ont été préparées.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Embargo sur les armes aussi, j'ai vu. Embargo sur les armes, commission d'enquête sur les droits de l'homme.
LAURENT FABIUS
Oui. Exactions, sur les exactions bien sûr. Et préparation de la transition démocratique parce que nous avons là-bas un président qui s'appelle monsieur DJOTODIA, un Premier ministre qui s'appelle monsieur TIANGAYE mais qui n'ont pas été élus régulièrement. Donc ce sont des autorités de transition et il va falloir avoir un vrai pouvoir légitime. Ça doit être fait entre le moment où la résolution sera acceptée et puis février 2015, c'est-à-dire dans un an. Ça demande un très gros travail parce que, par exemple, l'état civil a été complètement dévasté. À Bangui, il y a un gros travail à faire mais ce sera surtout dans les régions parce que c'est dans les régions que le problème se pose.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est quand même une nouvelle intervention française.
LAURENT FABIUS
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Une nouvelle intervention française. Est-ce que le parlement sera consulté ?
LAURENT FABIUS
Oui, bien sûr. Bien sûr, c'est tout à fait légitime. Le problème de l'intervention, nous n'avons pas du tout vocation à être les gendarmes de l'Afrique mais regardez l'affaire du Mali.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais nous le sommes : Mali, République Centrafricaine.
LAURENT FABIUS
Non mais personne n'était prêt à intervenir. Au Mali, avec le terrorisme, le Mali était mort si on n'était pas intervenu. Ici, il y a des dizaines et des dizaines de gens qui sont tués. Sur quatre millions et demi d'habitants, vous avez un million et demi de personnes qui sont en situation de pré-famine. Vous voyez ce que ça représente ? Un tiers de la population. Sur quatre millions et demi de personnes, il y a sept chirurgiens (cinq et deux). Sur quatre millions et demi de personnes, il y a une mortalité infantile qui dans certains coins atteint vingt pourcents, c'est-à-dire un enfant sur cinq qui meurt. Il se trouve qu'il n'y a pas de force africaine organisée. Il se trouve qu'il n'y a pas de force africaine organisée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
(incompréhensible)
LAURENT FABIUS
Non, c'est difficile. Génocide, c'est spécifique. En tous cas, c'est une situation dramatique et le problème, c'est qu'il n'y a pas aujourd'hui de force africaine organisée pour l'ensemble du continent. Nous avons en ce moment enfin, ça va commencer demain une réunion de l'Afrique et de la France et les Africains demandent, et c'est une excellente chose, à mettre sur pied une espèce de force africaine.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est le devoir de la France ?
LAURENT FABIUS
Bien sûr. Si ce n'était pas le devoir de la France, nous n'aurions pas à notre soutien l'ensemble de la communauté internationale, les Africains et l'Union européenne qui va nous aider. La France ne sera pas toute seule.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Comment, l'Union européenne ?
LAURENT FABIUS
Logistiquement d'une part ; c'est-à-dire qu'il va y avoir des avions, et cætera qui vont être mis à disposition par d'autres pays, et puis financièrement bien sûr. L'Europe a déjà accepté de débloquer cinquante millions d'euros.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Cinquante millions d'euros de l'Europe. Et ça va coûter combien ? Vous avez déjà chiffré le coût de cette intervention ?
LAURENT FABIUS
L'Europe a déjà décidé cinquante millions d'euros, les États-Unis entre trente et quarante millions d'euros, différents pays d'Afrique qui interviennent, nous-mêmes nous avons prévu ça dans ce qu'on appelle les OPEX, c'est-à-dire les opérations extérieures. Le problème n'est pas essentiellement financier, mais le problème c'est qu'il n'existe pas aujourd'hui de force africaine organisée. Donc il faut qu'elle existe et la France, elle, vient en soutien.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Le Mali : le président malien estime que la France a un devoir de solidarité, il a même déclaré : « Pourquoi la France nous empêche-t-elle de rétablir l'autorité de l'État à Kidal, le pays des Touaregs ? »
LAURENT FABIUS
Je suis content que vous me posiez cette question parce que j'ai vu son interview dans Le Monde et puis je verrai le président KEÏTA, qui est un ami, aujourd'hui ou demain. Soyons clairs. Au début de l'année, parce qu'on oublie même le temps, le Mali était quasiment mort. L'intervention a eu lieu au mois de janvier, janvier de cette année. La France est intervenue, on peut dire qu'elle a sauvé le Mali. Ça a permis un rétablissement démocratique, le président IBK a été élu d'ailleurs très largement, il y a des élections législatives en ce moment, donc la situation démocratique est rétablie. Bien, premier point. Deuxième point : maintenant, c'est aux Maliens et singulièrement au président IBK à agir et je suis très clair puisque là, dans son interview, il est question du mouvement qu'on appelle le MNLA.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, le MNLA. « La France contrainte de négocier avec un groupe armé » : c'est ce qu'il dit.
LAURENT FABIUS
Monsieur BOURDIN, je suis clair. Je suis le chef de la diplomatie française, la France ne soutient aucun groupe. C'est aux Maliens, et singulièrement au président malien, d'agir. Il est normal que l'intégrité du territoire soit assurée et la France n'a pas à se mêler de ça. Donc c'est clair et c'est net.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Parlons de l'Afrique encore avec la Libye. Vous avez que la charia a été instaurée.
LAURENT FABIUS
J'ai vu ça, j'ai vu ça, j'ai vu ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Depuis deux jours, la charia.
LAURENT FABIUS
La Libye, c'est un gros, gros, gros problème parce que c'est un État Enfin, « c'est un État » : ce n'est pas vraiment un État et c'est ça le problème. C'est-à-dire qu'il y a une Assemblée, il y a un Premier ministre d'ailleurs remarquable mais ce sont des tribus avec des armes considérables. Le reste de monsieur KADHAFI. Ce qui fait qu'aujourd'hui, un certain nombre de groupes terroristes sont situés dans le Sud de la Libye et toute une série de pays, de puissances internationales (les États-Unis, nous-mêmes, l'Algérie, beaucoup d'autres) se mettent à la disposition du Premier ministre libyen en disant : « Comment peut-on t'aider ? » Mais le problème, c'est qu'il ne suffit pas d'appuyer sur un bouton : il faut que l'État fonctionne.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous savez ce que disent les Libyens ? Ce que j'ai entendu dire de la bouche d'un Libyen ?
LAURENT FABIUS
Dites !
JEAN-JACQUES BOURDIN
« Avant on n'avait qu'un seul KADHAFI, maintenant on en a des dizaines ». C'est un peu excessif
LAURENT FABIUS
Je ne sais pas. Oui, c'est un peu excessif mais il y a quand même une leçon à en tirer. L'intervention en Libye, je pense qu'elle était justifiée mais là où je pense qu'il n'y a pas eu un bon comportement international, c'est qu'il ne suffit pas d'intervenir. Il faut aussi assurer le suivi et là, le suivi n'a pas été assuré.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vous pose la question. Avec le recul, est-ce que l'intervention française en Libye est un échec ou un succès ?
LAURENT FABIUS
Je pense qu'elle était justifiée mais la critique que je me permettrais de faire, c'est qu'il n'y a pas eu de suivi. Ce n'est pas parce que vous envoyez des bombes, ce n'est pas parce que monsieur KADHAFI a disparu que pour autant les choses étaient réglées. Il aurait fallu assurer le suivi, ce qui n'a pas été fait. Alors maintenant, il faut que la communauté internationale aide le pouvoir libyen pour qu'on puisse rétablir de l'ordre parce qu'il n'y en a pas : il n'y en a pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. La Syrie, est-ce que vous demandez toujours le départ du président ASSAD ?
LAURENT FABIUS
La situation en ce qui concerne monsieur ASSAD est claire : maintenant, il y a cent vingt-cinq mille morts. Il y a sept millions de personnes qui ont été déplacées. Dans les pays voisins, vous avez en Jordanie sept cent mille personnes qui sont des réfugiés syriens. Au Liban, qui est un petit pays très proche de la France, vous avez huit cent mille personnes qui viennent de Syrie. Quand on est dans une situation comme ça, personne de raisonnable ne peut penser que le dirigeant qui a conduit à cela va rester en place une éternité, ça n'a pas de sens. Mais le problème, c'est qu'il faut trouver une solution qui ne soit pas militaire, d'où la conférence de Genève 2
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le 22 janvier.
LAURENT FABIUS
Qui doit avoir lieu le 22 janvier mais qui est très difficile, pas seulement à monter mais à faire réussir parce que nous, les Français, vous rappelez . Je crois que j'étais venu d'ailleurs à votre micro, nous avions dit c'était en juillet de l'année dernière : ce qu'il faut, monsieur Bachar el-ASSAD n'a pas d'avenir et il faut donc que ce soit l'opposition modérée qui vienne. À l'époque, il n'y avait pas d'Iraniens en Syrie, il n'y avait pas de Hezbollah, il n'y avait pas de terroristes. C'était faisable. Mais on ne nous pas entendus et aujourd'hui, vous avez d'un côté monsieur Bachar el-ASSAD qui a repris du poil de la bête si je puis dire ; de l'autre les terroristes, et au milieu l'opposition modérée que nous soutenons. Mais cette opposition doit se battre sur les deux fronts et il faut trouver une solution. Donc c'est très, très, très compliqué.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, parce que j'ai entendu les partisans de Bachar el-ASSAD dire : « C'est l'homme de la transition. C'est lui qui conduira la transition en Syrie ». Vous avez entendu comme moi.
LAURENT FABIUS
Est-ce que raisonnablement on peut penser que quelqu'un qui a présidé un État où il y a eu cent vingt-cinq mille morts va rester dans son fauteuil en disant : « On continue comme avant » ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc vous demandez toujours son départ.
LAURENT FABIUS
La conférence de Genève dit, l'objet de cette conférence c'est un gouvernement de transition doté de tous les pouvoirs exécutifs donc des pouvoirs de monsieur Bachar. Voilà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sans monsieur ASSAD.
LAURENT FABIUS
Le gouvernement de transition devra avoir les pouvoirs que détient aujourd'hui monsieur Bachar.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc sans monsieur ASSAD.
LAURENT FABIUS
À terme, évidemment.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sans monsieur ASSAD. Bien, c'est une réponse apportée aux partisans de Bachar el-ASSAD. L'Ukraine, c'est un coup d'État ou pas ?
LAURENT FABIUS
Non, ce n'est pas un coup d'État. Il n'y a pas eu de militaires qui sont intervenus. Non, l'origine du problème c'est quoi ? L'Ukraine, la question est de savoir est-ce que vous passez un accord d'association avec l'Union européenne ou bien est-ce que vous décidez de refuser cet accord d'association ? Le président de l'Ukraine, qui s'appelle monsieur IANOUKOVYTCH a discuté avec les Russes, et cætera, et les Russes ont fait pression sur lui. Du coup, monsieur IANOUKOVYTCH a dit : « Moi, je ne peux pas signer cet accord d'association. Les Russes me proposent des choses très intéressantes ». La population, enfin une partie de la population n'est pas d'accord, d'où les mouvements que vous voyez. Moi, ma position est simple : nous n'avons pas à nous ingérer dans l'affaire de l'Ukraine mais c'est à l'Ukraine, au peuple ukrainien, aux institutions ukrainiennes de décider ce qu'ils veulent faire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vous dis ça parce que j'ai vu que le Ministre allemand des Affaires étrangères était allé à Kiev manifester avec les opposants. Vous iriez, vous, à Kiev manifester avec les opposants ?
LAURENT FABIUS
Écoutez, moi j'ai invité Guido WESTERWELLE est allé là-bas et je pense qu'il a eu un succès légitime.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Vous iriez ou pas ? Sincèrement ?
LAURENT FABIUS
Moi, plus modestement, j'ai invité le chef de l'opposition à venir à Paris et il a accepté. Il sera ici dans une dizaine de jours.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais vous iriez ou pas ?
LAURENT FABIUS
Si j'y allais, je serais certainement très applaudi. Mais je n'ai pas prévu ça dans l'immédiat. Il y a certains applaudissements auxquels parfois
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a des limites ?
LAURENT FABIUS
Non, non, non, mais
JEAN-JACQUES BOURDIN
« Il y a certains applaudissements auxquels » ?
LAURENT FABIUS
Parfois il faut renoncer.
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'accord.
LAURENT FABIUS
Cela dit, monsieur WESTERWELLE est un ami.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, c'est un ami.
LAURENT FABIUS
Non, non, le point important Le point important
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non mais attendez, parce que l'Ukraine demande son attachement à l'Union européenne.
LAURENT FABIUS
Ah, ça dépend qui. Ça dépend qui. Une grande partie du peuple, nous nous le souhaitons, mais le président IANOUKOVYTCH dit non. Donc, comment ça va se trancher cette affaire-là ? Il ne faut pas le trancher par la violence, il faut le trancher démocratiquement. Est-ce qu'il y aura des élections ? Est-ce qu'il y aura un changement de Premier ministre ? Je n'en sais rien. Ce qu'il faut ajouter, si vous voulez, c'est que moi je suis pour l'accord d'association entre l'Ukraine et l'Union européenne mais ça ne veut pas dire qu'on est hostile à la Russie. C'est là où les choses sont présentées parfois de façon binaire. L'Ukraine peut très bien se rapprocher de l'Union européenne sans devenir un adversaire de la Russie. C'est ça qu'il faut faire comprendre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, c'est ce que ne comprend pas monsieur POUTINE ?
LAURENT FABIUS
Monsieur POUTINE a une vision, comment dire ?, un peu plus univoque de ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Univoque ! Univoque ! La Russie qui dénonce l'ingérence des pays de l'OTAN dans cette affaire.
LAURENT FABIUS
Oui, enfin ça, bon ! Je pense que quand on est dans une situation difficile, on est poussé à reprocher aux autres de faire ce qu'on fait soi-même.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Est-ce qu'il faut élargir d'ailleurs l'OTAN à la Géorgie ? à la Bosnie ? à la Macédoine ?
LAURENT FABIUS
C'est autre chose, c'est encore autre chose.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais enfin attendez, comme les Russes souhaitent garder leur influence sur tous les pays satellites qui faisaient partie de l'URSS autrefois, comme la Géorgie
LAURENT FABIUS
Bien sûr mais la question est la suivante : les Russes nous disent, et il faut entendre ce qu'ils disent : « Nous ne voulons pas être encerclés ». On comprend ça. L'OTAN, c'est une alliance politique et militaire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et militaire, oui.
LAURENT FABIUS
Les Russes ne sont pas nos ennemis mais ce n'est pas parce qu'ils ne veulent pas être encerclés que pour autant, le glacis doit se reconstituer. C'est un peu différent.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Laurent FABIUS, la réforme fiscale : on ne vous a pas entendu.
LAURENT FABIUS
Non, parce que comme vous l'avez noté parce que vous êtes très observateur, je ne suis pas ministre des Finances.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui ! Elle est indispensable ?
LAURENT FABIUS
Mais ce n'est pas facile à faire et surtout surtout ! Surtout ! Surtout, monsieur BOURDIN
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quels conseils donneriez-vous ?
LAURENT FABIUS
1/ De regarder d'abord du côté des dépenses parce qu'il n'y a pas de miracle. Si on veut alléger les impôts comme il faut le faire
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc c'est à l'État de
LAURENT FABIUS
Pas seulement l'État : État, collectivités locales, sécurité sociale. Il faut alléger les dépenses, ça nous donnera un peu de marge et à ce moment-là on pourra je l'espère faire un certain nombre de choses sur le plan fiscal. Mais si on n'allège pas les dépenses, je ne vois pas comment on pourrait faire des choses qui soient à la mesure de ce que les gens attendent. Donc d'abord les dépenses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Lorsqu'on présente une réforme fiscale, il faut dire aux Français : « Voyez les efforts que nous faisons ».
LAURENT FABIUS
Bien sûr. C'est une simple question d'arithmétique. Si vous gardez les mêmes dépenses et que vous voulez faire une réforme fiscale, la réforme fiscale c'est la réforme des impôts (l'impôt sur le revenu, les sociétés et tout ça), comme vous allez vouloir alléger, je l'espère, un certain nombre de contributions, si vous n'avez pas en même temps
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc il faut alléger les impôts.
LAURENT FABIUS
Oui, bien sûr ! Mais si vous n'avez pas en même temps une baisse des dépenses, vous allez être obligé d'augmenter les impôts des autres. C'est ce que personne ne souhaite, en tous cas pas moi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc l'objectif c'est allégement des impôts.
LAURENT FABIUS
Allégement des dépenses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et allégement des dépenses.
LAURENT FABIUS
Allégement des dépenses, et s'il y a une marge à ce moment-là, il faut alléger un certain nombre d'impôts en essayant d'être juste et efficace. Parce que le problème numéro un de la France, c'est le problème de la compétitivité. Si on a un grand problème d'emploi, c'est parce que la croissance n'est pas suffisante. Si la croissance n'est pas suffisante, c'est parce que nos entreprises sont en difficulté, parce qu'elles ne sont pas assez compétitives. On a baissé la compétitivité. Moi, j'étais ministre de l'Économie en 2000.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais oui ! Eh oui, c'est pour ça que je vous en parle.
LAURENT FABIUS
Là, je regarde les choses, je reviens en 2012-2013 : nos entreprises ont reculé. C'est ça la réalité. Elles sont moins compétitives. Si on veut les rendre plus compétitives, il faut alléger un certain nombre de charges.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce qu'on les a assommées de charges peut-être
LAURENT FABIUS
Oui, parce qu'il y a eu ça, parce que on n'a pas assez contrôlé les dépenses, parce que nous avons de nouveaux concurrents, ils ne sont pas les deux pieds dans le même sabot, la Chine, on en parlait à peine il y a quinze ans, bon, ben, maintenant, elle est là. L'Inde, elle est là, le Nigeria, on a une réunion avec les pays africains, je regardais la projection, bon, pour les années qui viennent, on peut se tromper, mais projection de population, Nigeria, en 2100, combien de populations ? J'inverse les rôles, 950 millions de personnes
JEAN-JACQUES BOURDIN
Lagos est l'une des villes les plus peuplées du monde
LAURENT FABIUS
Voilà, donc l'Afrique, c'est une chance extraordinaire, mais pour que nos entreprises y aillent et remportent des marchés, il faut qu'elles soient compétitives.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, alors Laurent FABIUS, encore un mot sur cette réforme fiscale, ça sera mon avant-dernière question, est-ce qu'il faut une fusion CSG/impôt sur le revenu, vous pensez ?
LAURENT FABIUS
C'est très, très compliqué, moi, j'ai étudié ce problème
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est très compliqué. Je sais, c'est pour ça
LAURENT FABIUS
Et Didier MIGAUD, qui avait, avant d'être à la Cour des comptes, avait étudié ce sujet, parce que, au départ, il en était partisan, m'avait mis en garde, en disant : c'est très, très, très compliqué.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous n'y êtes pas très favorable ?
LAURENT FABIUS
Bon, c'est une idée, si vous voulez, c'est une idée séduisante, mais vous savez, les problèmes de fiscalité, c'est des détails, ce qui compte, c'est les gens quand ils regardent leur feuille d'impôts, le reste, c'est de la philosophie, enfin, non, moi, je suis pour la philosophie, c'est de la enfin, vous trouverez le mot.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Laurent FABIUS, dernière question. C'est pour mettre un terme à toutes les rumeurs, est-ce que François HOLLANDE
LAURENT FABIUS
Je me méfie
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais non, est-ce que François HOLLANDE vous a demandé, vous a posé la question, est-ce que vous accepteriez d'être Premier ministre ?
LAURENT FABIUS
Non des calembredaines
JEAN-JACQUES BOURDIN
Des calembredaines ? Oui, ça, tout ça, c'est faux ? Vous accepteriez d'ailleurs ? Je ne suis pas François HOLLANDE, mais je vous pose la question
LAURENT FABIUS
Bon, alors, non, non, mais il ne faut pas se mettre dans cette situation, je l'ai déjà été, donc je sais ce que c'est, et je suis très bien où je suis
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça suffit
LAURENT FABIUS
Et je suis très bien où je suis pour mener la politique extérieure de la France, aux côtés de François HOLLANDE.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 décembre 2013
La France préside le conseil de sécurité de l'ONU pour le mois de décembre, un mois. Adoption aujourd'hui par l'ONU du projet de résolution présenté par la France, projet autorisant le déploiement d'une force africaine soutenue par la France en République Centrafricaine et autorisant le déploiement d'une force française sera voté dans quelques heures, je crois.
LAURENT FABIUS
Oui. Avec le décalage horaire, ce sera voté en France dans l'après-midi, oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Aucun doute sur la résolution : elle sera adoptée.
LAURENT FABIUS
Oui. Il y a eu un gros travail de fait parce qu'au départ, évidemment il y a un travail de conviction, mais elle va être adoptée à l'unanimité, oui, je pense.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Elle va être adoptée à l'unanimité. Il y a déjà des soldats français en République Centrafricaine, ça veut dire que nous allons renforcer la présence française. Quand ? Quelle sera la mission ?
LAURENT FABIUS
La résolution, c'est la deuxième. Il y en avait déjà eu une à la demande de la France et puis là, c'est la deuxième qui est, comme on dit, sous chapitre 7, c'est-à-dire qui autorise la force. L'essentiel va concerner les troupes africaines, ce qu'on appelle la MISCA, et la France est autorisée à venir en appui. Pour faire quoi ? Essentiellement pour éviter les drames humanitaires épouvantables qui existent là-bas, et puis pour rétablir la sécurité. Puis, dans un deuxième temps, pour favoriser une transition démocratique parce qu'il va falloir qu'il y ait des élections et le développement. Donc concrètement, ça va être voté aujourd'hui et le président de la République, dans les jours qui viennent, prendra la décision d'appliquer la résolution. Ça tombe bien, si je puis dire, puisque nous avons entre aujourd'hui et samedi à Paris à la fois les États africains, plus le secrétaire général des Nations Unies qui est là, plus le président de l'Union européenne. Tout le monde est là et nous avons prévu une réunion samedi après-midi autour de la Centrafrique.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc l'annonce de l'intervention officielle française aura lieu ce week-end.
LAURENT FABIUS
Entre le vote de la résolution, c'est-à-dire ce soir puisqu'il faut être conforme au droit, et puis la date que choisira le président.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, qui sera probablement ce week-end, parce qu'il faut que l'intervention soit urgente maintenant.
LAURENT FABIUS
Oui, parce que je ne sais pas si vous avez vu, mais ce matin dès cinq heures du matin d'ailleurs, il y a eu des troubles à Bangui. L'ambassadeur me tient au courant heure par heure. On ne sait pas encore l'ampleur de ces troubles mais c'est vrai qu'il y a eu dans ces dernières semaines une amplification. Hier il y a eu douze personnes qui ont été assassinées. Ça prend en même temps un tour religieux qui est extrêmement grave, qui n'est pas dans la tradition de la Centrafrique.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Entre chrétiens et musulmans, oui.
LAURENT FABIUS
Voilà. Donc il faut mettre fin à cette catastrophe humanitaire et puis rétablir la sécurité, mais ce sont d'abord les Africains qui vont le faire. Ça ne ressemble pas à l'affaire du Mali ; souvent on confond. D'abord, ce sera de beaucoup moins d'ampleur.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Combien de soldats en tout ?
LAURENT FABIUS
Il y a deux mille cinq cents Africains déjà, qui doivent monter à trois mille six cents, et les Français aujourd'hui étaient quatre cents, ils sont deux cents de plus, et on devrait aller autour de douze cents.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Douze cents à quelle échéance ?
LAURENT FABIUS
Assez rapide puisqu'on a prévu les choses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire que si ce week-end le président de la République dit : « On y va », les douze cents soldats seront présents sur le terrain dans les semaines qui viennent. Avant la fin de l'année ?
LAURENT FABIUS
Dès que le président de la République aura donné le top, les choses vont aller très vite.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avant la fin de l'année ?
LAURENT FABIUS
Non, non, bien avant. Bien avant.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien avant ?
LAURENT FABIUS
Oui. Les choses ont été préparées.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Embargo sur les armes aussi, j'ai vu. Embargo sur les armes, commission d'enquête sur les droits de l'homme.
LAURENT FABIUS
Oui. Exactions, sur les exactions bien sûr. Et préparation de la transition démocratique parce que nous avons là-bas un président qui s'appelle monsieur DJOTODIA, un Premier ministre qui s'appelle monsieur TIANGAYE mais qui n'ont pas été élus régulièrement. Donc ce sont des autorités de transition et il va falloir avoir un vrai pouvoir légitime. Ça doit être fait entre le moment où la résolution sera acceptée et puis février 2015, c'est-à-dire dans un an. Ça demande un très gros travail parce que, par exemple, l'état civil a été complètement dévasté. À Bangui, il y a un gros travail à faire mais ce sera surtout dans les régions parce que c'est dans les régions que le problème se pose.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est quand même une nouvelle intervention française.
LAURENT FABIUS
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Une nouvelle intervention française. Est-ce que le parlement sera consulté ?
LAURENT FABIUS
Oui, bien sûr. Bien sûr, c'est tout à fait légitime. Le problème de l'intervention, nous n'avons pas du tout vocation à être les gendarmes de l'Afrique mais regardez l'affaire du Mali.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais nous le sommes : Mali, République Centrafricaine.
LAURENT FABIUS
Non mais personne n'était prêt à intervenir. Au Mali, avec le terrorisme, le Mali était mort si on n'était pas intervenu. Ici, il y a des dizaines et des dizaines de gens qui sont tués. Sur quatre millions et demi d'habitants, vous avez un million et demi de personnes qui sont en situation de pré-famine. Vous voyez ce que ça représente ? Un tiers de la population. Sur quatre millions et demi de personnes, il y a sept chirurgiens (cinq et deux). Sur quatre millions et demi de personnes, il y a une mortalité infantile qui dans certains coins atteint vingt pourcents, c'est-à-dire un enfant sur cinq qui meurt. Il se trouve qu'il n'y a pas de force africaine organisée. Il se trouve qu'il n'y a pas de force africaine organisée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
(incompréhensible)
LAURENT FABIUS
Non, c'est difficile. Génocide, c'est spécifique. En tous cas, c'est une situation dramatique et le problème, c'est qu'il n'y a pas aujourd'hui de force africaine organisée pour l'ensemble du continent. Nous avons en ce moment enfin, ça va commencer demain une réunion de l'Afrique et de la France et les Africains demandent, et c'est une excellente chose, à mettre sur pied une espèce de force africaine.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est le devoir de la France ?
LAURENT FABIUS
Bien sûr. Si ce n'était pas le devoir de la France, nous n'aurions pas à notre soutien l'ensemble de la communauté internationale, les Africains et l'Union européenne qui va nous aider. La France ne sera pas toute seule.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Comment, l'Union européenne ?
LAURENT FABIUS
Logistiquement d'une part ; c'est-à-dire qu'il va y avoir des avions, et cætera qui vont être mis à disposition par d'autres pays, et puis financièrement bien sûr. L'Europe a déjà accepté de débloquer cinquante millions d'euros.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Cinquante millions d'euros de l'Europe. Et ça va coûter combien ? Vous avez déjà chiffré le coût de cette intervention ?
LAURENT FABIUS
L'Europe a déjà décidé cinquante millions d'euros, les États-Unis entre trente et quarante millions d'euros, différents pays d'Afrique qui interviennent, nous-mêmes nous avons prévu ça dans ce qu'on appelle les OPEX, c'est-à-dire les opérations extérieures. Le problème n'est pas essentiellement financier, mais le problème c'est qu'il n'existe pas aujourd'hui de force africaine organisée. Donc il faut qu'elle existe et la France, elle, vient en soutien.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Le Mali : le président malien estime que la France a un devoir de solidarité, il a même déclaré : « Pourquoi la France nous empêche-t-elle de rétablir l'autorité de l'État à Kidal, le pays des Touaregs ? »
LAURENT FABIUS
Je suis content que vous me posiez cette question parce que j'ai vu son interview dans Le Monde et puis je verrai le président KEÏTA, qui est un ami, aujourd'hui ou demain. Soyons clairs. Au début de l'année, parce qu'on oublie même le temps, le Mali était quasiment mort. L'intervention a eu lieu au mois de janvier, janvier de cette année. La France est intervenue, on peut dire qu'elle a sauvé le Mali. Ça a permis un rétablissement démocratique, le président IBK a été élu d'ailleurs très largement, il y a des élections législatives en ce moment, donc la situation démocratique est rétablie. Bien, premier point. Deuxième point : maintenant, c'est aux Maliens et singulièrement au président IBK à agir et je suis très clair puisque là, dans son interview, il est question du mouvement qu'on appelle le MNLA.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, le MNLA. « La France contrainte de négocier avec un groupe armé » : c'est ce qu'il dit.
LAURENT FABIUS
Monsieur BOURDIN, je suis clair. Je suis le chef de la diplomatie française, la France ne soutient aucun groupe. C'est aux Maliens, et singulièrement au président malien, d'agir. Il est normal que l'intégrité du territoire soit assurée et la France n'a pas à se mêler de ça. Donc c'est clair et c'est net.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Parlons de l'Afrique encore avec la Libye. Vous avez que la charia a été instaurée.
LAURENT FABIUS
J'ai vu ça, j'ai vu ça, j'ai vu ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Depuis deux jours, la charia.
LAURENT FABIUS
La Libye, c'est un gros, gros, gros problème parce que c'est un État Enfin, « c'est un État » : ce n'est pas vraiment un État et c'est ça le problème. C'est-à-dire qu'il y a une Assemblée, il y a un Premier ministre d'ailleurs remarquable mais ce sont des tribus avec des armes considérables. Le reste de monsieur KADHAFI. Ce qui fait qu'aujourd'hui, un certain nombre de groupes terroristes sont situés dans le Sud de la Libye et toute une série de pays, de puissances internationales (les États-Unis, nous-mêmes, l'Algérie, beaucoup d'autres) se mettent à la disposition du Premier ministre libyen en disant : « Comment peut-on t'aider ? » Mais le problème, c'est qu'il ne suffit pas d'appuyer sur un bouton : il faut que l'État fonctionne.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous savez ce que disent les Libyens ? Ce que j'ai entendu dire de la bouche d'un Libyen ?
LAURENT FABIUS
Dites !
JEAN-JACQUES BOURDIN
« Avant on n'avait qu'un seul KADHAFI, maintenant on en a des dizaines ». C'est un peu excessif
LAURENT FABIUS
Je ne sais pas. Oui, c'est un peu excessif mais il y a quand même une leçon à en tirer. L'intervention en Libye, je pense qu'elle était justifiée mais là où je pense qu'il n'y a pas eu un bon comportement international, c'est qu'il ne suffit pas d'intervenir. Il faut aussi assurer le suivi et là, le suivi n'a pas été assuré.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vous pose la question. Avec le recul, est-ce que l'intervention française en Libye est un échec ou un succès ?
LAURENT FABIUS
Je pense qu'elle était justifiée mais la critique que je me permettrais de faire, c'est qu'il n'y a pas eu de suivi. Ce n'est pas parce que vous envoyez des bombes, ce n'est pas parce que monsieur KADHAFI a disparu que pour autant les choses étaient réglées. Il aurait fallu assurer le suivi, ce qui n'a pas été fait. Alors maintenant, il faut que la communauté internationale aide le pouvoir libyen pour qu'on puisse rétablir de l'ordre parce qu'il n'y en a pas : il n'y en a pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. La Syrie, est-ce que vous demandez toujours le départ du président ASSAD ?
LAURENT FABIUS
La situation en ce qui concerne monsieur ASSAD est claire : maintenant, il y a cent vingt-cinq mille morts. Il y a sept millions de personnes qui ont été déplacées. Dans les pays voisins, vous avez en Jordanie sept cent mille personnes qui sont des réfugiés syriens. Au Liban, qui est un petit pays très proche de la France, vous avez huit cent mille personnes qui viennent de Syrie. Quand on est dans une situation comme ça, personne de raisonnable ne peut penser que le dirigeant qui a conduit à cela va rester en place une éternité, ça n'a pas de sens. Mais le problème, c'est qu'il faut trouver une solution qui ne soit pas militaire, d'où la conférence de Genève 2
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le 22 janvier.
LAURENT FABIUS
Qui doit avoir lieu le 22 janvier mais qui est très difficile, pas seulement à monter mais à faire réussir parce que nous, les Français, vous rappelez . Je crois que j'étais venu d'ailleurs à votre micro, nous avions dit c'était en juillet de l'année dernière : ce qu'il faut, monsieur Bachar el-ASSAD n'a pas d'avenir et il faut donc que ce soit l'opposition modérée qui vienne. À l'époque, il n'y avait pas d'Iraniens en Syrie, il n'y avait pas de Hezbollah, il n'y avait pas de terroristes. C'était faisable. Mais on ne nous pas entendus et aujourd'hui, vous avez d'un côté monsieur Bachar el-ASSAD qui a repris du poil de la bête si je puis dire ; de l'autre les terroristes, et au milieu l'opposition modérée que nous soutenons. Mais cette opposition doit se battre sur les deux fronts et il faut trouver une solution. Donc c'est très, très, très compliqué.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, parce que j'ai entendu les partisans de Bachar el-ASSAD dire : « C'est l'homme de la transition. C'est lui qui conduira la transition en Syrie ». Vous avez entendu comme moi.
LAURENT FABIUS
Est-ce que raisonnablement on peut penser que quelqu'un qui a présidé un État où il y a eu cent vingt-cinq mille morts va rester dans son fauteuil en disant : « On continue comme avant » ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc vous demandez toujours son départ.
LAURENT FABIUS
La conférence de Genève dit, l'objet de cette conférence c'est un gouvernement de transition doté de tous les pouvoirs exécutifs donc des pouvoirs de monsieur Bachar. Voilà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sans monsieur ASSAD.
LAURENT FABIUS
Le gouvernement de transition devra avoir les pouvoirs que détient aujourd'hui monsieur Bachar.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc sans monsieur ASSAD.
LAURENT FABIUS
À terme, évidemment.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sans monsieur ASSAD. Bien, c'est une réponse apportée aux partisans de Bachar el-ASSAD. L'Ukraine, c'est un coup d'État ou pas ?
LAURENT FABIUS
Non, ce n'est pas un coup d'État. Il n'y a pas eu de militaires qui sont intervenus. Non, l'origine du problème c'est quoi ? L'Ukraine, la question est de savoir est-ce que vous passez un accord d'association avec l'Union européenne ou bien est-ce que vous décidez de refuser cet accord d'association ? Le président de l'Ukraine, qui s'appelle monsieur IANOUKOVYTCH a discuté avec les Russes, et cætera, et les Russes ont fait pression sur lui. Du coup, monsieur IANOUKOVYTCH a dit : « Moi, je ne peux pas signer cet accord d'association. Les Russes me proposent des choses très intéressantes ». La population, enfin une partie de la population n'est pas d'accord, d'où les mouvements que vous voyez. Moi, ma position est simple : nous n'avons pas à nous ingérer dans l'affaire de l'Ukraine mais c'est à l'Ukraine, au peuple ukrainien, aux institutions ukrainiennes de décider ce qu'ils veulent faire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vous dis ça parce que j'ai vu que le Ministre allemand des Affaires étrangères était allé à Kiev manifester avec les opposants. Vous iriez, vous, à Kiev manifester avec les opposants ?
LAURENT FABIUS
Écoutez, moi j'ai invité Guido WESTERWELLE est allé là-bas et je pense qu'il a eu un succès légitime.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Vous iriez ou pas ? Sincèrement ?
LAURENT FABIUS
Moi, plus modestement, j'ai invité le chef de l'opposition à venir à Paris et il a accepté. Il sera ici dans une dizaine de jours.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais vous iriez ou pas ?
LAURENT FABIUS
Si j'y allais, je serais certainement très applaudi. Mais je n'ai pas prévu ça dans l'immédiat. Il y a certains applaudissements auxquels parfois
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a des limites ?
LAURENT FABIUS
Non, non, non, mais
JEAN-JACQUES BOURDIN
« Il y a certains applaudissements auxquels » ?
LAURENT FABIUS
Parfois il faut renoncer.
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'accord.
LAURENT FABIUS
Cela dit, monsieur WESTERWELLE est un ami.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, c'est un ami.
LAURENT FABIUS
Non, non, le point important Le point important
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non mais attendez, parce que l'Ukraine demande son attachement à l'Union européenne.
LAURENT FABIUS
Ah, ça dépend qui. Ça dépend qui. Une grande partie du peuple, nous nous le souhaitons, mais le président IANOUKOVYTCH dit non. Donc, comment ça va se trancher cette affaire-là ? Il ne faut pas le trancher par la violence, il faut le trancher démocratiquement. Est-ce qu'il y aura des élections ? Est-ce qu'il y aura un changement de Premier ministre ? Je n'en sais rien. Ce qu'il faut ajouter, si vous voulez, c'est que moi je suis pour l'accord d'association entre l'Ukraine et l'Union européenne mais ça ne veut pas dire qu'on est hostile à la Russie. C'est là où les choses sont présentées parfois de façon binaire. L'Ukraine peut très bien se rapprocher de l'Union européenne sans devenir un adversaire de la Russie. C'est ça qu'il faut faire comprendre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, c'est ce que ne comprend pas monsieur POUTINE ?
LAURENT FABIUS
Monsieur POUTINE a une vision, comment dire ?, un peu plus univoque de ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Univoque ! Univoque ! La Russie qui dénonce l'ingérence des pays de l'OTAN dans cette affaire.
LAURENT FABIUS
Oui, enfin ça, bon ! Je pense que quand on est dans une situation difficile, on est poussé à reprocher aux autres de faire ce qu'on fait soi-même.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Est-ce qu'il faut élargir d'ailleurs l'OTAN à la Géorgie ? à la Bosnie ? à la Macédoine ?
LAURENT FABIUS
C'est autre chose, c'est encore autre chose.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais enfin attendez, comme les Russes souhaitent garder leur influence sur tous les pays satellites qui faisaient partie de l'URSS autrefois, comme la Géorgie
LAURENT FABIUS
Bien sûr mais la question est la suivante : les Russes nous disent, et il faut entendre ce qu'ils disent : « Nous ne voulons pas être encerclés ». On comprend ça. L'OTAN, c'est une alliance politique et militaire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et militaire, oui.
LAURENT FABIUS
Les Russes ne sont pas nos ennemis mais ce n'est pas parce qu'ils ne veulent pas être encerclés que pour autant, le glacis doit se reconstituer. C'est un peu différent.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon. Laurent FABIUS, la réforme fiscale : on ne vous a pas entendu.
LAURENT FABIUS
Non, parce que comme vous l'avez noté parce que vous êtes très observateur, je ne suis pas ministre des Finances.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui ! Elle est indispensable ?
LAURENT FABIUS
Mais ce n'est pas facile à faire et surtout surtout ! Surtout ! Surtout, monsieur BOURDIN
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quels conseils donneriez-vous ?
LAURENT FABIUS
1/ De regarder d'abord du côté des dépenses parce qu'il n'y a pas de miracle. Si on veut alléger les impôts comme il faut le faire
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc c'est à l'État de
LAURENT FABIUS
Pas seulement l'État : État, collectivités locales, sécurité sociale. Il faut alléger les dépenses, ça nous donnera un peu de marge et à ce moment-là on pourra je l'espère faire un certain nombre de choses sur le plan fiscal. Mais si on n'allège pas les dépenses, je ne vois pas comment on pourrait faire des choses qui soient à la mesure de ce que les gens attendent. Donc d'abord les dépenses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Lorsqu'on présente une réforme fiscale, il faut dire aux Français : « Voyez les efforts que nous faisons ».
LAURENT FABIUS
Bien sûr. C'est une simple question d'arithmétique. Si vous gardez les mêmes dépenses et que vous voulez faire une réforme fiscale, la réforme fiscale c'est la réforme des impôts (l'impôt sur le revenu, les sociétés et tout ça), comme vous allez vouloir alléger, je l'espère, un certain nombre de contributions, si vous n'avez pas en même temps
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc il faut alléger les impôts.
LAURENT FABIUS
Oui, bien sûr ! Mais si vous n'avez pas en même temps une baisse des dépenses, vous allez être obligé d'augmenter les impôts des autres. C'est ce que personne ne souhaite, en tous cas pas moi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc l'objectif c'est allégement des impôts.
LAURENT FABIUS
Allégement des dépenses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et allégement des dépenses.
LAURENT FABIUS
Allégement des dépenses, et s'il y a une marge à ce moment-là, il faut alléger un certain nombre d'impôts en essayant d'être juste et efficace. Parce que le problème numéro un de la France, c'est le problème de la compétitivité. Si on a un grand problème d'emploi, c'est parce que la croissance n'est pas suffisante. Si la croissance n'est pas suffisante, c'est parce que nos entreprises sont en difficulté, parce qu'elles ne sont pas assez compétitives. On a baissé la compétitivité. Moi, j'étais ministre de l'Économie en 2000.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais oui ! Eh oui, c'est pour ça que je vous en parle.
LAURENT FABIUS
Là, je regarde les choses, je reviens en 2012-2013 : nos entreprises ont reculé. C'est ça la réalité. Elles sont moins compétitives. Si on veut les rendre plus compétitives, il faut alléger un certain nombre de charges.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce qu'on les a assommées de charges peut-être
LAURENT FABIUS
Oui, parce qu'il y a eu ça, parce que on n'a pas assez contrôlé les dépenses, parce que nous avons de nouveaux concurrents, ils ne sont pas les deux pieds dans le même sabot, la Chine, on en parlait à peine il y a quinze ans, bon, ben, maintenant, elle est là. L'Inde, elle est là, le Nigeria, on a une réunion avec les pays africains, je regardais la projection, bon, pour les années qui viennent, on peut se tromper, mais projection de population, Nigeria, en 2100, combien de populations ? J'inverse les rôles, 950 millions de personnes
JEAN-JACQUES BOURDIN
Lagos est l'une des villes les plus peuplées du monde
LAURENT FABIUS
Voilà, donc l'Afrique, c'est une chance extraordinaire, mais pour que nos entreprises y aillent et remportent des marchés, il faut qu'elles soient compétitives.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, alors Laurent FABIUS, encore un mot sur cette réforme fiscale, ça sera mon avant-dernière question, est-ce qu'il faut une fusion CSG/impôt sur le revenu, vous pensez ?
LAURENT FABIUS
C'est très, très compliqué, moi, j'ai étudié ce problème
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est très compliqué. Je sais, c'est pour ça
LAURENT FABIUS
Et Didier MIGAUD, qui avait, avant d'être à la Cour des comptes, avait étudié ce sujet, parce que, au départ, il en était partisan, m'avait mis en garde, en disant : c'est très, très, très compliqué.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous n'y êtes pas très favorable ?
LAURENT FABIUS
Bon, c'est une idée, si vous voulez, c'est une idée séduisante, mais vous savez, les problèmes de fiscalité, c'est des détails, ce qui compte, c'est les gens quand ils regardent leur feuille d'impôts, le reste, c'est de la philosophie, enfin, non, moi, je suis pour la philosophie, c'est de la enfin, vous trouverez le mot.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Laurent FABIUS, dernière question. C'est pour mettre un terme à toutes les rumeurs, est-ce que François HOLLANDE
LAURENT FABIUS
Je me méfie
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais non, est-ce que François HOLLANDE vous a demandé, vous a posé la question, est-ce que vous accepteriez d'être Premier ministre ?
LAURENT FABIUS
Non des calembredaines
JEAN-JACQUES BOURDIN
Des calembredaines ? Oui, ça, tout ça, c'est faux ? Vous accepteriez d'ailleurs ? Je ne suis pas François HOLLANDE, mais je vous pose la question
LAURENT FABIUS
Bon, alors, non, non, mais il ne faut pas se mettre dans cette situation, je l'ai déjà été, donc je sais ce que c'est, et je suis très bien où je suis
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça suffit
LAURENT FABIUS
Et je suis très bien où je suis pour mener la politique extérieure de la France, aux côtés de François HOLLANDE.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 décembre 2013