Conférence de presse de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur les échanges franco-britanniques à propos de la construction européenne, le fossé entre l'opinion et l'Europe, le débat public sur l'avenir de l'Europe et le problème des violences accompagnant les sommets internationaux tels que le G8 ou les réunions du Conseil européen, Paris le 25 juillet 2001.

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Circonstance : Visite de M. Peter Hain, ministre britannique des affaires européennes,à Paris le 25 juillet 2001

Texte intégral

J'ai été très heureux de recevoir Peter Hain pour sa première visite à Paris, comme ministre des Affaires européennes. Ce fut un échange à la fois très franc et très positif. Nous nous sommes d'ailleurs promis que nous continuerions à travailler ensemble, et nous avons convenu de nous retrouver à Londres à la rentrée pour discuter de l'avenir de l'Europe notamment.
Sur l'avenir de l'Europe, au-delà des quelques différences d'approche que l'on connaît, nos échanges ont montré de nombreuses convergences, notamment pour reconnaître que l'Europe devait être faite de deux éléments. D'abord les avancées communautaires, ce que nous nous appelons les "avancées fédérales", même si on ne peut pas revendiquer nécessairement le fédéralisme absolu. Ensuite le rôle des nations, des Etats-nations qui demeurent et demeureront pendant longtemps des sources de légitimité essentielles. Je crois que c'est sur la base de cette double réalité, cette double source de légitimité, que nous devons bâtir l'avenir de l'Europe.
J'ai pu exposer à Peter Hain quelles étaient notre conception et notre organisation du débat en France. Nous nous retrouvons également sur un autre point qui est notre conviction que, avant tout, il faut convaincre nos citoyens des bienfaits pratiques de l'Europe. Le souci des politiques concrètes devance, chez nos concitoyens, la réflexion institutionnelle. Cette réflexion institutionnelle ne doit pas être négligée mais nous devons nous doter de bonnes institutions pour faire de bonnes politiques. Et inversement, pour faire de bonnes politiques, il faut de bonnes institutions. Ces deux points sont étroitement liés. Nous voulons mettre l'accent, les uns et les autres, sur ce que l'Europe peut apporter à ses citoyens, prenant en compte ce que nous observons tous, c'est-à-dire une prise de distance entre citoyens et institutions européennes.
Nous avons aussi eu un échange d'idées sur l'approche de Laeken, sur ce que pourrait être un forum ou une enceinte ouverte inspirée, dans une certaine mesure, de la Convention qui a élaboré la Charte des droits fondamentaux. Il nous faut insister sur le fait que cette convention, cette enceinte, en toute hypothèse, devrait élaborer des options sur la base desquelles les gouvernements puissent ensuite travailler. Ces fondements auront donc été définis par des travaux préparatoires qui tiendront compte du nécessaire pouvoir de décision de la Conférence intergouvernementale qui doit conclure le débat de 2004. Nous n'avons pas été plus loin. Il nous reste à discuter, bien sûr, de nos approches respectives des futures institutions. Au sujet du Sommet de Laeken, il me semble important de parvenir - je le dis avec prudence mais en même temps avec optimisme - à trouver des positions communes. Nous avons également réaffirmé le souhait que l'élargissement se poursuive, que les négociations avancent à un rythme élevé, et que nous puissions définir au plus tôt des positions communes sur les chapitres délicats qui restent à conclure. Je pense notamment à la politique agricole commune ou aux fonds structurels.
Nous avons, enfin, fait un tour d'horizon des questions économiques, notamment la monnaie unique. Peter Hain m'a exposé l'approche qui était celle du gouvernement de Tony Blair à ce propos et comment il souhaitait s'y atteler. Je lui ai manifesté notre confiance et notre attente par rapport à l'entrée de la Grande-Bretagne dans l'Union. Mais une attente patiente, car il revient avant tout aux Britanniques de se déterminer. Nous avons aussi parlé de la libéralisation des services publics, au sujet de laquelle j'ai fait part à Peter Hain de notre souhait que la démarche qui combine le marché intérieur et les services publics continue à être approfondie, là aussi, à un rythme opportun.
Cet entretien a été fructueux, amical, et marque le début d'une série que j'espère longue. Nous, Français et Anglais, avons des relations particulières, des relations très proches, y compris sur le plan politique. Parfois marquées par des différences, mais toujours très franches. Je crois que nous devons multiplier ces rencontres pour définir des positions communes, autant qu'il est possible, et pour gommer nos désaccords. Le pire étant de ne pas se parler.
Q - On parle souvent du fossé entre l'opinion et les institutions européennes. C'est une parole à la mode. Mais quelles sont les idées concrètes pour réduire ce fossé ?
R - Je ne considère pas que ce soit une parole à la mode mais un vrai problème qui se pose à nous. D'une part il y a le besoin de dialoguer avec de nouveaux acteurs ; le besoin de prendre en compte de nouvelles préoccupations liées au sentiment qui se propage aujourd'hui d'un éloignement entre certaines politiques communes et le souhait des citoyens. Nous devons y répondre et pour cela écouter ce que les citoyens nous disent, prendre en compte leurs préoccupations pour définir nos politiques. Ecouter aussi à travers le débat. C'est pour cela qu'en France nous avons souhaité avoir un débat public très ouvert dans chacune des 26 régions françaises. Un débat qui fasse la place à tous, à toutes les sensibilités politiques, à toutes les activités professionnelles, à tous les engagements citoyens dans leur diversité. Nous souhaitons aussi que ce débat soit relayé de façon extrêmement large, bien sûr par les médias nationaux, mais aussi par les médias locaux qui sont intéressés par ces préoccupations pratiques.
Il y a déjà eu trois forums régionaux de ce type en France, qui ont été extrêmement intéressants en ceci qu'ils permettaient de voir à quel point les préoccupations pratiques, les souhaits par rapport à l'Europe concrète, dominaient la réflexion institutionnelle abstraite.
Cette phase d'écoute est un exercice qui nous importe beaucoup, un débat qui se doit d'être un débat libre, décentralisé et pluraliste. Mais l'écoute doit aller plus loin ; elle doit nous aider à réorienter les politiques de l'Union européenne. Par exemple, lors du premier débat qui s'est tenu à Nantes, et où l'ambassadeur de Grande-Bretagne était présent, j'ai été frappé, comme lui je crois, par la demande très concrète, formulée par des jeunes, de faire plus en termes de libre circulation des étudiants, de faire plus en matière d'harmonisation des diplômes, bref de faire progresser encore beaucoup plus vite toute la question de la mobilité des jeunes en Europe.
Voilà un sujet que nous ne prenons peut-être pas suffisamment en compte, voilà des questions sur lesquelles nous devons investir demain davantage. Nous, Français, sommes très attachés à la Politique agricole commune, on sait que nous sommes également attachés aux fonds structurels, mais c'est vrai que du point de vue de l'homme de la rue, ces fonds structurels concernent surtout les élus. On a le plus grand mal à expliquer que c'est quelque chose d'indispensable pour financer nos infrastructures, par exemple. En Irlande aussi on peine à expliquer l'importance de tout cela. Et puis il y a l'épineux sujet de la politique agricole commune, quelque chose qui concerne une grande partie de la population française mais à côté de laquelle il y a une grande part de la population qui n'est pas concernée.
Je souhaite que l'Europe soit capable d'entendre le message de ses citoyens, non pas seulement pour avoir un débat formel, mais bien pour réorienter la construction européenne dans le sens de plus d'emplois, plus de sécurité, plus de protection pour des citoyens qui ressentent un monde plus incertain.
Q - A propos de cette mauvaise perception de l'Europe, avez-vous des commentaires sur le livre blanc sur la gouvernance en Europe rédigé par la Commission européenne ?
R - Je n'ai pas lu par le détail ce texte donc je me garderai de le commenter en profondeur. Je dirai simplement que c'est une démarche de la Commission qui est importante, car effectivement aujourd'hui nous devons nous préoccuper beaucoup des questions de démocratie, de transparence, de légitimité et d'efficacité des institutions européennes. Et à ce titre le livre blanc sur la gouvernance était très attendu. C'est une contribution importante au débat sur l'avenir de l'Europe. Le seul souhait que je puisse formuler c'est qu'il aille loin, suffisamment loin. Les premières moutures me paraissaient réclamer encore un peu plus d'audace. Vous voyez que le gouvernement français est toujours à la pointe dès qu'il s'agit d'aller dans le sens de plus d'Europe.
Q - Après les violences au Sommet de Gênes, le Canada a annoncé la tenue du prochain sommet dans une station de ski des montagnes rocheuses. Les prochains sommets européens continueront-ils de se tenir à Bruxelles ou devront-ils se tenir au Mont-Blanc ?
R - Nous sommes confrontés au problème du message que véhiculent des mouvements antiglobalisation ou antimondialisation. Je crois que nous devons prendre cela en compte.
La position qui est la nôtre, l'analyse que nous en faisons en France, c'est que nous devons retrouver ce qu'étaient les fondements de ce type de rencontres. Des rencontres au sommet qui doivent se tenir de façon libre, avec des délégations réduites, qui doivent permettre aux leaders de prendre les décisions, et qui ne doivent pas se traduire par un engorgement avec des délégations pléthoriques dans les endroits isolés. Effectivement, c'est sans doute la dernière fois que le G8, pour parler de cela, s'est tenu dans ces conditions là.
Mais en même temps, nous ne devons pas baisser pavillon. Je crois que ces rencontres multilatérales, qu'elles soient celles du G8, d'un côté, mais aussi surtout celles de l'Union européennes, doivent continuer à se tenir normalement. Car reculer devant certains de ceux qui profitent de ces mouvements antimondialisation pour mener des actions violentes, ce sera en fait tourner le dos à l'intérêt de nos concitoyens, qui attendent justement des décisions concrètes et pratiques des instances multilatérales, et principalement de l'Union européenne.
C'est pour cela que nous devons articuler trois éléments. D'abord, faire en sorte de retrouver une taille humaine, une dimension humaine, une approche humaine, pour les sommets de l'Union européenne. Ensuite mener le dialogue avec les organisations antimondialisation, notamment avec les organisations non-gouvernementales qui manifestent des sensibilités différentes, et au moins aussi sincères. Ce dialogue doit être conduit, approfondi et organisé. Enfin il convient de n'être ni tolérant ni indulgent avec ceux qui prennent prétexte de ce type de manifestations sincères pour casser. Casser à la fois les biens et les propriétés des individus, mais aussi pour essayer de casser ce mouvement indispensable de confrontation des idées, des nations, que représente l'Europe, et que peuvent aussi représenter à d'autres échelles l'OMC, ou même le G8.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 juillet 2001)