Texte intégral
Le handicap pose à la Ministre les mêmes défis qu'aux managers. Et notamment celui-ci, simple dans son énoncé, gigantesque dans ses implications : comment articuler commun et singularité l'éternel singulier était le nom de votre précédent ouvrage, je crois ?
Comment imaginer des politiques publiques destinées au plus grand nombre et veiller à chaque cas dans ce qu'il a de particulier ?
Comment concilier l'aspiration républicaine d'une société égalitaire et la demande des individus à être reconnus dans leur spécificité ?
Comment prendre en compte la différence sans stigmatiser, sans enfermer ?
Comment intégrer sans nier cette différence ?
C'est ce que Henri-Jacques Stiker qualifie de « paradoxe de la différence. »
Ce qui est vrai pour le politique, au niveau de la cité, l'est pour le manager, au niveau d'une entreprise, d'un service, d'une unité.
Et ce qui est vrai pour le handicap l'est pour de nombreuses autres situations : comme l'écrit Mark Hunyadi, les situations de handicap « ne sont qu'une occasion de plus pour le manager d'éprouver ses compétences managériales. » Il nous invite ainsi à considérer les situations de handicap non comme « des situations d'exception mais des situations révélatrices », une sorte d'effet loupe.
Je partage pleinement cette réflexion. C'est pourquoi mon action est guidée par ce principe : faire, tant que possible, du handicap une situation ordinaire. C'est mon fil rouge, ce qui justifie mes grandes orientations budgétaires en faveur du secteur médico-social et de toutes les structures, associations, services qui permettent aux personnes handicapées d'évoluer dans leur environnement habituel, d'avoir une vie sociale, professionnelle, citoyenne semblable à celle des personnes valides.
Ce fut donc le fil rouge du Comité Interministériel du Handicap qui s'est tenu le 25 septembre à mon initiative et sous l'égide du Premier Ministre. Il a réuni douze Ministres, marquant une mobilisation sans précédent pour l'intégration des personnes handicapées, notamment leur intégration professionnelle.
Ce Comité Interministériel a permis de prendre des mesures immédiates et de dresser une feuille de route pour des réformes structurelles.
Premier axe structurel : le développement des échanges entre ESAT, entreprises adaptées et entreprises.
Ces structures doivent favoriser la promotion des travailleurs handicapés et, si possible, leur accès à des emplois en milieu ordinaire de travail. Cependant malgré les dispositions incitatrices de la loi de 2005, le taux de sortie des travailleurs d'ESAT ou d'EA vers les entreprises reste très faible. Le passage des travailleurs de l'un à l'autre, dans un sens comme dans l'autre, sera facilité.
Deuxième axe structurel : l'accès des personnes handicapées à la formation professionnelle et à l'alternance.
Malgré les aides financières existantes, les jeunes handicapés ne représentent que 0,8% des apprentis. Il nous faut donc travailler avec les régions à l'organisation concrète des parcours afin de faire en sorte que les formations puissent s'adapter aux besoins des jeunes. Avant la fin de l'année, un projet de loi de réforme de la formation professionnelle et de l'apprentissage sera déposé. Une négociation a été lancée par les partenaires sociaux sur la formation professionnelle et une concertation, incluant également les régions, est en cours sur l'alternance.
Dans les deux cas, l'objectif consiste à ce que les outils de la formation bénéficient le plus à ceux qui en ont le plus besoin. Pour la négociation, comme pour la concertation, les documents d'orientation que nous avons diffusés comportent des items spécifiques sur la prise en compte des personnes handicapées. Nous préparons ainsi le futur volet handicap qui figurera dans ce texte.
Nous souhaitons également renforcer l'offre de formation professionnelle spécialisée délivrée par les centres de réadaptation professionnelle, et son adaptation aux besoins des entreprises.
Troisième axe structurel : la prévention des inaptitudes, le maintien dans l'emploi et l'accompagnement des demandeurs d'emploi handicapés.
Les outils à disposition des entreprises, des salariés et du service public de l'emploi seront renforcés :
les accords collectifs sur le handicap devront désormais comporter obligatoirement un plan de maintien dans l'emploi, les obligations de reclassement seront étendues, et un accompagnement adapté sera expérimenté avec les licenciés pour inaptitude.
Le cadre réglementaire de l'obligation d'emploi est aussi questionné, non pas pour remettre en cause le taux de 6%, mais pour favoriser son respect par les employeurs, soutenir les travailleurs indépendants handicapés, clarifier et simplifier certaines dispositions, notamment la liste des dépenses déductibles de l'obligation d'emploi.
Dans cet axe, deux mesures concernent particulièrement les managers.
La première concerne la formation des responsables RH et des managers de proximité.
Dans le secteur public, des formations seront déployées dans chaque Région pour les cadres des différentes administrations de l'Etat. Ces formations seront inscrites dans les axes interministériels prioritaires des plans de formation.
Dans le privé, un cahier des charges sera élaboré en lien avec les organisations professionnelles pour que ces formations se développent dans les entreprises.
La seconde mesure a trait à l'accompagnement des personnes handicapées et de leur employeur tout au long de leur parcours professionnel. Pour bien des handicaps je pense par exemple au cas de l'autiste Asperger rapporté par Vanessa Olivieri l'adaptation du poste de travail ne suffit pas, c'est bien l'accompagnement, le travail relationnel, qui est la réponse appropriée.
J'ai donc confié une mission parlementaire le soin d'étudier ce qui se fait de satisfaisant dans ce domaine en France et à l'étranger. Je veux que nous débouchions sur des propositions opérationnelles dès le début de l'année 2014.
Je vous ai brossé les orientations du CIH dans le domaine de l'emploi à grands traits ; beaucoup de mesures importantes, mais techniques ont été prises ou pour le moins engagées.
Ces décisions ne figent par la réflexion pour autant. Loin de là. Je reste à l'écoute. J'ai toujours agi, à l'image de ce gouvernement, dans la concertation et le dialogue.
Avec ce livre, vous faites une contribution importante à la discussion. Une discussion de managers, mais je m'autorise à « piquer » quelques idées et à y travailler dans une perspective politique.
Et j'espère que nous aurons l'occasion d'en reparler ensemble bientôt. Je vous remercie.
Source http://www.social-sante.gouv.fr, le 25 novembre 2013