Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à RFI le 19 juillet 2001, sur le soutien des ministres des affaires étrangères du G8 à la mise en oeuvre du plan Mitchell au Proche-Orient, le programme antimissile américain, le processus de négociation en Macédoine, l'attitude américaine sur les questions globales (désarmement, changement climatique, lutte contre le blanchiment des capitaux) et le clivage avec les Européens, le débat sur la mondialisation.

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Circonstance : Réunion des ministres des affaires étrangères du G8 à Rome les 18 et 19 juillet 2001

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Vous rentrez de Rome où les ministres des Affaires étrangères du G8 ont préconisé l'envoi d'observateurs internationaux au Proche-Orient pour faire appliquer le plan Mitchell. Cette proposition a d'ores et déjà été rejetée par Israël. Est-ce que la diplomatie internationale est impuissante ?
R - Nous avons constaté lors de cette réunion à Rome des 8 ministres des Affaires étrangères du G8 qui prépare le sommet proprement dit, que les Européens, les Nord-américains et les Russes sont tombés d'accord pour dire, comme les Européens l'ont déjà dit en début de semaine, que des observateurs impartiaux seraient vraiment utiles pour les Israéliens comme pour les Palestiniens, pour rétablir un minimum de confiance dans cette atmosphère terrible aujourd'hui, marquée par la haine et la peur, et les provocations, et pour pouvoir commencer à mettre en oeuvre les conclusions de la Commission Mitchell, en tous cas pour les faciliter. Alors, certes, les Israéliens continuent à contester cette proposition mais ils observent quand même qu'elle progresse malgré tout. Le consensus s'élargit à ce sujet. Nous le faisons ni contre les uns, ni contre les autres puisque nous pensons que cela rendrait service à ces deux peuples pour pouvoir avancer. Nous le faisons de bonne foi et nous allons continuer à essayer de persuader les deux protagonistes parce que c'est un des éléments d'une éventuelle amélioration. Ce n'est pas le seul mais c'est un des éléments.
Q - Néanmoins, Monsieur Védrine, un nouvel attentat vient d'être commis près de Netanya, donc la situation sur le terrain est plutôt très tendue et l'Autorité palestinienne craint une opération d'envergure de l'armée israélienne après le Sommet du G8. Selon vous, est-ce que cette crainte est fondée ?
R - Je ne sais pas. J'espère que non. Ce que je peux vous dire, c'est que tous les efforts mondiaux de tous les pays que j'ai cités, plus les efforts de Kofi Annan et d'autres pays voisins raisonnables, visent à empêcher qu'il y ait une nouvelle escalade, une nouvelle détérioration. Nous faisons tout pour qu'au contraire, la retenue l'emporte à nouveau. C'est pour cela que dans les appels des Huit, comme c'était le cas pour les Quinze, nous demandons aux Israéliens de lever les préalables qu'ils posent et d'arrêter les retards qu'ils imposent à la mise en oeuvre du début des conclusions "Mitchell". C'est pour cela que nous demandons aux Palestiniens de redire très clairement qu'ils font tout contre la violence et nous leur demandons tout spécialement de crédibiliser leurs déclarations pour arriver à se faire entendre de cette partie de l'opinion israélienne qui a eu peur ces derniers mois mais qui veut quand même la paix. Il y a donc un déblocage à obtenir et nous avons été contents à Rome, nous les Européens, de voir que les Américains n'avaient pas l'intention de se désengager. Au contraire, nous avons vu le secrétaire d'Etat, Colin Powell très engagé dans la recherche de la paix avec nous et les Russes également. Donc, nous connaissons les difficultés, nous connaissons la gravité, mais c'est précisément pour cela que nous ne voulons pas baisser les bras.
Q - Mercredi prochain, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmed Maher, vient vous rendre visite à Paris. Cette visite s'inscrit bien sûr dans le cadre des consultations entre l'Egypte et la France. Mais, compte tenu de l'extrême tension sur le terrain, sur quel point, plus particulièrement allez-vous mettre l'accent ?
R - Je dirais que, malheureusement, nous n'avons pas le choix. Cela fait des années qu'il y a une bonne entente, une bonne compréhension et une grande synergie entre les diplomaties française et égyptienne et à chaque fois, nous avons la même préoccupation : voir, compte tenu de nos moyens, ce que nous pourrons faire de mieux pour la paix en agissant sur les uns et sur les autres. Nous allons donc reprendre le problème tel que nous venons de le décrire il y a quelques instants. Nous verrons ce que nous pouvons faire pour l'enclenchement des conclusions de la Commission Mitchell. Et nous verrons dans quels termes nous devons parler aux Israéliens, parler au Palestiniens, pour convaincre chaque partie dans ce qu'elle a à faire, ce qui est sous sa responsabilité.
Q - Monsieur Védrine, durant cette préparation du G8 à Rome, les Russes se sont clairement opposés au programme américain antimissile. La France et l'Allemagne se sont montrés plus nuancées. Est-ce à dire qu'il n'y a pas de tronc commun entre Européens et Russes sur cette question ?
R - Nous sommes arrivés, au niveau des ministres, à un communiqué, qui rappelle l'attachement aux efforts de désarmement. Il y a même une mention du Traité ABM que les Américains acceptent tout en disant que cela n'est valable que le temps qu'il n'est pas modifié ou abandonné d'ailleurs.
Q - Les essais antimissiles américains sont une remise en cause du Traité ABM justement ?
R - C'est une grande question. Vous me questionnez sur la Réunion de Rome, je peux vous dire que cela n'a pas été spécialement l'objet de cette réunion. Les positions des différents pays dans le monde sont connues. Il y a des réserves, des interrogations à différents sujets. Cela a été l'objet de beaucoup de discussions lors de la première visite du président Bush en Europe. Le président Bush et son administration ont expliqué pourquoi ils voulaient continuer à faire des essais : pour crédibiliser ce projet. Je dirais que l'on verra bien. Pour le moment, on n'en est pas au stade ou les uns et les autres devons faire des choix. C'est encore simplement un projet que certains trouvent excellent et d'autres problématique. C'est une question moins immédiate qu'on ne le dit.
Q - Mercredi, votre réunion du G8 avait été précédée d'une rencontre des ministres du groupe de contact sur l'ex-Yougoslavie. Cette réunion n'a donné lieu à aucune déclaration commune et pendant ce temps, en Macédoine, le processus de négociation est en panne. Sur quoi ce processus s'achève-t-il ?
R - Non, le processus de négociation n'est pas en panne. C'est une négociation. Une négociation qui n'a pas encore abouti n'est pas une négociation en panne. C'est une négociation qui se poursuit et si les choses étaient simples, on le saurait et elles auraient été réglées depuis longtemps. C'est une négociation qui avance, qui se bloque, qui avance à nouveau ; sur certains points il y a des reculs, mais la négociation se poursuit. M. Léotard continue son travail sous l'autorité de M. Solana. M. Pardew représente les Etats-Unis.
Le Groupe de contact s'est réuni parce que les six ministres qui en font partie étaient présents à Rome et il n'y a pas eu de communiqué particulier parce que souvent il n'y en a pas et que nous avions la réunion du G8 juste après. Cela ne signifie donc pas de désaccord sur quoi que ce soit. Au contraire, il y a un vrai consensus sur le fait qu'il faut régler les problèmes de la Macédoine par la négociation. Il faut trouver une solution politique ; il faut définir un cadre politique en modifiant certaines choses, notamment de la Constitution de la Macédoine, pour permettre à la minorité albanaise de Macédoine de se sentir à l'aise dans son pays, comme les Slavo-macédoniens. Il faut arriver à des modifications sur lesquelles il puisse y avoir consensus des uns et des autres. Cela pose des problèmes délicats sur les pouvoirs des uns et des autres, l'existence ou non d'un vice-président, les pouvoirs de police, l'utilisation des langues, ce ne sont pas des sujets faciles. La négociation a lieu, notamment grâce aux propositions que Robert Badinter a faites à la demande du président Trajkowski et à partir desquelles le dialogue s'est noué. Le dialogue est compliqué mais il avance et les grandes lignes de la solution politique que je rappelais ont fait l'objet du consensus des participants du groupe de contact et ensuite, de la réunion du G8.
Q - Monsieur le ministre, traité antimissile, changement climatique, lutte contre le blanchiment des capitaux... Doit-on constater avant l'ouverture du G8 une réelle ligne de fracture entre l'Amérique de George Bush et l'Union européenne ?
R - S'il y a une différence, c'est plutôt sur la méthode que sur le fond, parce que les sujets de fond ne se présentent pas tous de la même façon. D'abord, je voudrais rappeler que la fonction de base des G7/G8, c'est la coordination de la politique économique des grands pays pour éviter que, face aux difficultés, les pays réagissent en ordre dispersé. C'est une fonction que les G7/G8 accomplissent très bien depuis des années et des années. Deuxièmement, il y a la discussion sur les crises. Ce sont surtout les ministres des Affaires étrangères qui la préparent mais elle est reprise au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement. Après, il y a les questions globales. Et les questions globales, comme leur nom l'indique, sont vastes et compliquées. On ne peut pas dire qu'il y a des fronts aussi nets que cela. Simplement, il y a une différence de méthode parce que nous avons à faire avec l'administration américaine actuelle - je le dis avec un petit peu de préoccupation - qui veut procéder plutôt de façon bilatérale, qui prend ses décisions, qui se prête à une certaine concertation mais qui n'est pas véritablement une négociation et qui a un peu tendance à dire, peut-être parce qu'ils sont là depuis peu de temps : "Voilà nos positions, c'est à vous de vous organiser autour de nos positions." Ce n'est pas tout à fait une négociation. Là-dessus, il peut en effet y avoir un clivage mais, naturellement, je ne veux pas commenter le G8 avant qu'il ait eu lieu.
Q - Bien sûr, mais néanmoins et sans polémiquer Monsieur le Ministre, cette hyper-puissance américaine n'est-elle en passe de céder à une certaine tentation de l'arrogance si l'on peut dire ?
R - Je ne sais pas si c'est une question de ton parce que quand on travaille avec eux, ils sont simples et directs. Il faut peut-être mieux définir les attitudes, c'est une attitude plutôt souverainiste, c'est-à-dire un pays qui n'a pas tellement envie de souscrire à des engagements supplémentaires par rapport à ceux qu'il a déjà. C'est vrai qu'on retrouve cette question à propos de la Cour pénale internationale, à propos du protocole sur le climat, à propos de certains accords nouveaux en matière de désarmement. Ils veulent plutôt prendre leur décision que de la négocier avec tous les autres. C'est vrai qu'il y a un problème mais c'est aussi une administration qui est au début, dans les premiers mois. Ces choses peuvent évoluer, notamment grâce à des sommets comme celui qui va se tenir.
Q - Dernière question, Monsieur le Ministre. A Rome, vous vous êtes déclaré favorable à l'instauration d'un dialogue avec les organisations qui s'opposent à la logique libérale de la mondialisation. Dans quelles conditions ce dialogue pourrait-il s'instaurer ?
R - Je pense, en effet, qu'il est démocratiquement justifié qu'il y ait un dialogue entre certains des manifestants, certaines des organisations ; je ne pense pas aux casseurs, je ne pense pas aux organisations qui récusent par avance tout dialogue, mais il y en a d'autres que cela intéresse. Je pense que c'est intéressant parce que je vous dirais que nous aussi, les gouvernements et spécialement le gouvernement français qui l'a montré à plusieurs reprises, notamment à travers les discours de Lionel Jospin, ce gouvernement n'accepte pas n'importe quelle forme de globalisation. Nous ne sommes pas pour n'importe quelle globalisation comme si cela allait régler par miracle tous les problèmes de la planète. On sait très bien que cela comporte des aspects positifs et des aspects potentiellement négatifs. C'est pour cela que nous parlons de régulation de la mondialisation, d'humanisation de la mondialisation. Il y a parmi ceux qui manifestent des gens qui posent ces problèmes-là. Alors maintenant, ils sont tellement divers et les gouvernements même sont tellement nombreux, qu'on ne va pas centraliser ce dialogue mais il faut le développer et jouer un certain rôle dans la vie démocratique de chacun de nos pays. Il faut qu'on aborde plus frontalement cette question : "Comment est-ce qu'on régule la mondialisation ? Pourquoi est-ce qu'il y a tant d'obstacles à la régulation que nous proposons et comment peut-on surmonter ces obstacles ?
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juillet 2001)