Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, accordée à l'Agence France Presse le 20 mai 1999, sur la politique culturelle extérieure, sa promotion, la mutation de l'industrie de l'audiovisuel et la "bataille culturelle" entre l'Europe et les Etats-Unis, Paris le 20 mai 1999.

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Circonstance : Festival du cinéma à Cannes du 12 au 23 mai 1999

Média : Agence de presse

Texte intégral

Q - Les films circulent mal à l'intérieur de l'Europe. Vous avez eu, Monsieur le Ministre, des entretiens à ce sujet dans le cadre du Festival de Cannes, quelles perspectives se dégagent pour améliorer cette diffusion ?
R - En tant que responsable de la politique culturelle extérieure, qui constitue à mon sens une dimension essentielle de notre diplomatie, j'encourage les industries audiovisuelles et cinématographiques françaises et européennes à se renforcer. Or, l'un des moyens réside dans la création en ce domaine d'un véritable marché européen, où la circulation et la diffusion d'oeuvres cinématographiques non nationales augmenteraient en Europe, tant dans les salles de cinéma que sur les écrans de télévision. C'est pourquoi j'ai voulu profiter de la réunion à Cannes de tous les professionnels concernés pour écouter certains d'entre eux sur les moyens d'un renforcement de la circulation européenne des oeuvres. Ils ont insisté auprès de moi sur :
- l'incitation à une plus large programmation de fictions européennes non nationales sur nos écrans de télévision ;
- le renforcement des réseaux européens de distribution ;
- et certains d'entre eux, le développement des salles multiplexes.
Avec la Ministre de la Culture, également très concernée, j'examinerai chacune d'entre elles et je verrai quelles solutions peuvent être envisagées au niveau national et celles qui appellent une action de l'Union européenne ou une coopération avec nos partenaires européens.

Q - Le Fonds Sud vient de fêter ses 15 ans. Dans quelle mesure peut-il enrayer le déclin actuel des cinématographies des pays en voie de développement ?
R - Le Fonds Sud, financé pour moitié par le ministère des Affaires étrangères (8 M.F. par an), existe en effet depuis 1984. Il a aidé plus de 200 projets de réalisateurs des pays du Sud et contribué à la naissance de films mémorables. Parmi les réalisateurs aidés, citons Youssef Chahine, Arturo Ripstein, Rithy Panh, Zhang Yimou et Idrissa Ouedraogo, pour ne citer que quelques noms.
En ce moment, en compétition à Cannes, deux films ont bénéficié des Fonds Sud : "La Genèse" de Cheick Oumer Sissoko et "Pas de Lettres pour le Colonel " de Arturo Ripstein.
Cette action de Fonds Sud illustre la politique française de promotion de l'indispensable diversité culturelle. La France ne se bat pas que pour son cinéma et celui des autres Européens.

Q - L'industrie de l'audiovisuel est en pleine mutation (Internet, concentrations etc...), comment voyez-vous son développement en France et en Europe au 3ème millénaire ?
R - Le développement de nouvelles technologies va bouleverser les modalités de diffusion et donc l'industrie de l'audiovisuel.
Une lutte d'influence mondiale est engagée. La France et l'Europe doivent y occuper toute leur place. C'est pourquoi il faut encourager le développement de grands groupes européens, compétitifs à l'échelle mondiale, suffisamment forts pour éviter d'être absorbés ou placés sous contrôle à l 'occasion d'achats de programmes.
A ce sujet, l'Europe devrait éviter se tirer une balle dans le pied avec sa politique de la concurrence.
Nous devons avoir une ambition mondiale, et développer partout la présence de nos images et de nos films, donner la plus grande efficacité possible aux mécanismes existants, réfléchir avec tous les professionnels à de nouvelles incitations et à des mesures d'accompagnement imaginatives.

Q - Une nouvelle bataille culturelle UE/USA se profile à l'horizon. Vous avez rencontré Jack Valenti à Cannes, comment voyez-vous les négociations qui s'annoncent et l'attitude des partenaires européens de la France ?
R - Les futures négociations commerciales internationales vont faire réapparaître cette différence de conception sur les biens culturels. La bataille culturelle à laquelle vous faites allusion est également un enjeu économique et commercial considérable pour l'Union européenne.
En effet, le déficit commercial entre l'Union européenne et les Etats-Unis ne cesse de s'aggraver dans ce secteur : si l'on prend l'ensemble "programmes audiovisuels/cinéma", il est passé de 4 milliards de dollars en 1993 à 6,5 milliards de dollars en 1998.
La diplomatie française s'emploie à convaincre nos partenaires européens de l'importance de cet enjeu et de la double nécessité :
- de maintenir et de diversifier les mécanismes de soutien à la production.
- de la constitution de grands groupes européens de communication à la fois solides et offensifs, susceptibles de rivaliser avec les majors américaines sur un grand marché européen et dans les pays tiers.
J'ai en effet rencontré M. Valenti. Je lui ai redit notre façon de voir et aussi évoqué avec lui les moyens d'améliorer l'accès du cinéma européen, dont la richesse est encore aujourd'hui démontrée à Cannes, sur le marché américain notamment par la suppression d'un certain nombre dentraves.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mai 1999)