Interview de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement à I-Télé le 6 janvier 2014, sur l'interdiction des spectacles de l'humoriste Dieudonné et la présentation des 45 mesures pour les droits des femmes.

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Média : Itélé

Texte intégral


BRUCE TOUSSAINT
L'interview politique d'I TELE, avec notre invitée, ce matin, Najat VALLAUDBELKACEM. Bonjour.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bonjour.
BRUCE TOUSSAINT
Porte-parole du gouvernement, ministre des Droits des femmes. C'est une journée importante, notamment sur ce sujet, on va en parler dans un instant avec Christophe BARBIER. Mais d'abord, la tournée de Dieudonné démarre à Nantes, jeudi, on sait qu'une manifestation est prévue à Nantes, il est attendu également à Tours et à Orléans ce week-end. Ma question est très simple, pour démarrer : le gouvernement va-t-il tenter d'interdire ses spectacles ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Vous savez, la règle est bien simple, autant il est impossible, au niveau national, d'interdire une série de spectacles, autant au niveau local, les préfets doivent avoir la marge de manoeuvre nécessaire pour juger si ce spectacle porte atteinte à l'ordre public ou pas. Le Premier ministre voit Manuel VALLS ce matin même, ils finaliseront ensemble la circulaire qui va être adressée aux préfets, et dans laquelle il sera recommandé à ces derniers, sitôt que l'atteinte à l'ordre public est évidente, d'interdire, de fait le spectacle de monsieur Dieudonné, et ça devrait être le cas, d'ailleurs, à Nantes.
CHRISTOPHE BARBIER
Par exemple, à Nantes, le fait qu'il y ait une manifestation la veille et le spectacle le lendemain, ça peut justifier un trouble à l'ordre public, un danger sur l'ordre public.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C'est cela. Ce qu'on considère généralement comme trouble à l'ordre public, c'est quand la tension est telle, et les oppositions à la tenue d'un spectacle sont un élément de tension, la tension est telle qu'elle risque de dégénérer.
CHRISTOPHE BARBIER
Donc, vous appelez aussi les militants antiracistes à manifester à Tours, à Orléans, ailleurs, pour à chaque fois créer les conditions de ce trouble ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Pas nécessairement. Le trouble à l'ordre public peut aussi être constitué par le simple fait que les propos tenus par l'humoriste lui-même, soient des propos de haine, qui, là encore, génèrent une tension dans la population, dans la ville, dans la commune considérée, c'est aux préfets d'en juger.
CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce qu'il ne faut pas faire pression sur les propriétaires des salles ou les exploitants des salles, généralement subventionnées, pour qu'ils ne programment plus Dieudonné ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il y a une part de liberté de la part des gestionnaires de salles, donc c'est aussi à eux de dire quelle est leur position sur le sujet.
CHRISTOPHE BARBIER
Mais il y a de l'argent public, souvent.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Alors, par exemple, dans le théâtre qui accueille monsieur Dieudonné à Paris, eh bien c'est un...
CHRISTOPHE BARBIER
Ah, c'est le sien.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
... théâtre privé, donc il n'y a pas d'argent public. Là où il y a de l'argent public, il y a toujours un dialogue entre les élus locaux, ceux qui subventionnent ces salles de spectacles et puis les directeurs de spectacles... de salles, pardon, mais moi je pense qu'il faut laisser à la fois la règle qui est la liberté d'expression, et ensuite, en fonction notamment des atteintes à l'ordre public, pouvoir intervenir et c'est ce que la circulaire adressée aux préfets ce matin permettra de préciser.
CHRISTOPHE BARBIER
Sur le fond, est-ce que l'antisémitisme progresse, en France ? Il y a du monde dans ses spectacles.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je crois malheureusement, qu'il s'agisse du racisme ou de l'antisémitisme, rien n'a jamais vraiment disparu, et que, d'une période à l'autre on voit ressurgir des tentations, qui se manifestent et qui s'expriment, sous forme de dérapage langagier, qu'on accepte plus ou moins, qu'on banalise plus ou moins, et c'est la banalisation du mal qui doit toujours nous inquiéter plus encore que le mal lui même, parce que la banalisation du mal emporte avec elle beaucoup de gens qui ne seraient pas antisémites naturellement, mais qui rient aux blagues antisémites par exemple, et donc, nous devons veiller à toujours dire que l'antisémitisme, par exemple, ça n'est pas l'humour, l'antisémitisme ça n'est pas une opinion, ça n'est pas même un esprit antisystème, c'est de la haine, c'est éminemment condamnable, c'est d'ailleurs condamné par la loi, et ne rien laisser passer, et donc Dieudonné, en l'occurrence, a été condamné et il faut qu'il soit en règle avec la loi.
CHRISTOPHE BARBIER
Le Premier ministre et vous-même présentez aujourd'hui 45 mesures pour les droits de femmes, il y a une part de bilan, il y a une part de projet, pourquoi ce coup d'accélérateur au début de l'année 2014 ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Parce que, vous savez, on évoque souvent le chiffre des 25 % d'écart de salaires entre les femmes et les hommes, quand on parle des inégalités professionnelles. Et dans l'esprit commun, on croit que c'est parce qu'on discrimine entre les femmes et les hommes et qu'on les paie moins que ce que l'on paie les hommes. En réalité, ces différences de salaires et d'opportunités professionnelles, elles sont beaucoup plus liées au fait que les femmes et les hommes ne font pas les mêmes métiers, et c'est cette question de la non-mixité des métiers en France, seulement 12 % des Français actifs exercent dans des métiers mixtes, ça veut dire que l'immense majorité des Français sont dans des métiers non mixtes, cette non mixité c'est une perte de chances pour notre économie. Pourquoi ? Parce que vous prenez n'importe quelle entreprise non mixte, par exemple, prenez le bâtiment, l'aéronautique, les services à la personne, qui eux sont très féminisés, eh bien cela leur ôte un certain nombre de candidatures de talent qu'ils auraient pu recruter, parce qu'ils n'ont, d'une certaine façon, qu'un sexe qui pourvoit ces candidatures, et donc nous avons tout intérêt à inviter ces entreprises, ces branches d'activités, à développer leurs recrutements, leurs candidatures, et à désexuer, en quelque sorte, leurs recrutements, c'est ce que nous allons faire avec ces grands plans pour la mixité professionnelle que nous lançons cette année et qui vont impliquer toutes les branches d'activités qui connaissaient des déséquilibres.
CHRISTOPHE BARBIER
Et pourtant, quand un métier s'ouvre aux femmes, souvent ça tire les salaires vers le bas, donc ce n'est pas forcément une bonne nouvelle pour ceux qui exercent.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je le prendrais autrement. Généralement, quand un métier très masculin s'ouvre aux femmes, vous savez ce qui se produit ? Eh bien l'entreprise va être amenée à travailler sur l'ergonomie des postes de travail, parce que les métiers très masculins, c'est ceux qui sont très ouvriers, par exemple dans le bâtiment...
CHRISTOPHE BARBIER
Très physiques, souvent très pénibles.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Très physiques, très pénibles, et donc l'entreprise va travailler sur l'ergonomie, la qualité des postes de travail, ce qui va être utile aux femmes comme aux hommes, qui va améliorer les conditions de travail de l'ensemble des salariés, et donc à terme la performance de l'entreprise, puisque la productivité de ses salariés. Donc, ça, c'est ce que l'on constate quand des femmes rejoignent un métier très masculin, et c'est vrai que par ailleurs, ce que l'on constate, quand des hommes rejoignent un métier très féminin, c'est que, eh bien, les salaires, petit à petit, augmentent, parce que c'est ça l'intérêt de la mixité, aussi, c'est que d'une certaine façon on se met à mieux prendre en considération les uns, les autres, et donc, que cela se fait dans l'intérêt de tous.
CHRISTOPHE BARBIER
Et vous ne craignez pas, dans un premier temps, d'envoyer des escouades de femmes, dans des métiers trop pénibles, et dans 10 ans, dans 15 ans, elles le paieront dans leur corps ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je crois que, aujourd'hui, ce que l'on pourrait qualifier de métier très pénible, en réalité correspond à une toute petite minorité de postes, que la plupart des métiers, justement, continue à porter des noms qui laissent croire que la charge physique est très importante, mais que la façon dont les outils technologiques, les postes de travail ont été travaillés, ont été améliorés ces dernières années, permet à quelqu'un qui n'aurait même pas la force physique nécessaire, a priori, de mener à bien ces métiers. Par exemple tout à l'heure, à Versailles, pour vous donner un exemple précis, nous allons visiter un chantier avec le Premier ministre, dans lequel nous allons voir, c'est un chantier du BTP, donc, nous allons voir des grutières, nous allons voir des conductrices de travaux, nous allons voir, voilà, des femmes ouvrières, dans des postes que l'on n'imaginait pas accessibles aux femmes. Aujourd'hui ils le sont, parce que l'environnement, les outils de travail se sont adaptés.
CHRISTOPHE BARBIER
Cinq entreprises, seulement, ont été sanctionnées parce qu'elles n'avaient pas de plan de rattrapage sur l'inégalité des salaires. Finalement, ça ne va pas si mal, les gens sont de bonne volonté.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Alors, d'abord, que les choses soient claires. Moi, je ne souhaite pas particulièrement qu'on sanctionne les entreprises, donc ça je trouve que c'est déjà beaucoup, mais c'est bien. Il y a, depuis que nous avons adopté les nouvelles procédures de contrôle et de sanctions sur les entreprises qui ne respectent pas l'égalité professionnelle, il y a 550 entreprises qui ont été mises en demeure. Quand vous êtes mis en demeure, ça veut dire que vous avez six mois pour vous conformer à vos obligations et sinon vous êtes sanctionné financièrement, et 5 entreprises qui ont été, de fait, sanctionnées financièrement parce qu'elles n'avaient rien fait au bout de six mois. C'est le dernier stade, la dernière sanction...
CHRISTOPHE BARBIER
La prise de conscience, marche.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
...mais surtout, ce qui importe, c'est la prise de conscience, et le fait que la conséquence de tout cela c'est que près de 4 000 entreprises ont adopté et nous ont envoyé des plans d'action en matière d'égalité professionnelle depuis donc le mois de janvier 2013. C'est énorme. Ça veut dire que la loi qui existe depuis plusieurs décennies, qui était restée inappliquée, eh bien aujourd'hui elle existe pour les entreprises et elles font l'effort, en tout cas, de la mettre en oeuvre chez elles.
CHRISTOPHE BARBIER
Un nouveau calcul va entrer en vigueur pour le temps partiel, on ne pourra pas faire moins de 24 heures par semaine, c'est les femmes qui vont en être victimes, elles risquent de perdre des emplois, parce que les entrepreneurs, eh bien 24 heures ou rien, ça sera rien.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
D'abord, pourquoi est-ce que cette mesure a été adoptée ? Précisément parce qu'on s'est rendu compte que le temps partiel subi s'est développé ces dernières décennies, au détriment notamment des femmes, 80 % des salariés à temps partiel sont des femmes, et notamment le petit temps partiel, c'est-à-dire moins de 20 heures, avec des journées éparpillées, du travail en miettes, des femmes qui commencent par exemple comme femme de ménage, pour donner des exemples, très tôt le matin, 04h00 du matin, puis qui reviennent travailler à midi, puis qui une autre fois l'après midi, avec des employeurs différents, très peu de sécurité professionnelle. Ce temps partiel-là, franchement, est-ce qu'il est acceptable ? C'est une précarisation terrible des salariés concernés, et donc c'est vrai que les partenaires sociaux, quand ils ont signé le fameux accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l'emploi, ont adopté une mesure qui prévoit que le principe c'est 24 heures minimum pour le temps partiel, mais avec, évidemment, des exceptions, liées au fait que les salariés pourraient être des étudiants qui cherchent juste un job étudiant, donc quelques heures de temps partiel, enfin, voilà, donc c'est une mesure pragmatique, en réalité, mais qui pose un principe important, qui d'ailleurs pose un deuxième principe important qu'il faut aussi commenter, c'est le fait que désormais, dès la première heure de temps complémentaire, c'est-à-dire l'équivalent du temps supplémentaire mais pour le temps partiel, dès la première heure de temps complémentaire, les salariés seront sur-rémunérés de 10 %, ce qui n'existait pas avant, c'est-à-dire qu'ils pouvaient faire plus d'heures que prévu, ils étaient payés de la même façon.
CHRISTOPHE BARBIER
Reconnaissez-vous que le président de la République opère un tournant social-libéral, en ce début 2013 comme ses voeux l'ont indiqué ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, mais je ne vois pas de tournant dans les voeux du président de la République, je vois au contraire une grande constance, une grande cohérence, même s'il y a clairement une accélération du rythme, mais une grande constance dans les priorités qui sont les siennes, l'emploi, priorité numéro 1, le soutien à l'activité économique, sans laquelle on n'aura pas de reprise de l'emploi, précisément, et ce pacte de responsabilités en est la meilleure illustration, c'est-à-dire ok pour faciliter la vie des entreprises...
CHRISTOPHE BARBIER
Mais des embauches.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais des contreparties avec des embauches à la clef, et donc je crois qu'il y a une grande cohérence.
CHRISTOPHE BARBIER
Est-ce qu'on aura des ordonnances pour faire avancer ces nouvelles mesures, vite ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, c'est un souhait du président de la République que d'aller plus vite, clairement, pour faire en sorte notamment dans le domaine de la simplification des démarches, de la simplification de la loi, que l'on puisse avoir des résultats...
CHRISTOPHE BARBIER
On n'attend pas le Parlement.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Evidemment qu'il faut être respectueux du Parlement et ce qui change et réforme structurellement notre pays, doit continuer à passer par la loi, mais quand il s'agit de simplifier notre droit, oui, il vaut mieux aller vite.
CHRISTOPHE BARBIER
Un mot sur la famille DIBRANI, son recours est étudié demain, pour un retour en France, on sait qu'un des enfants est né en France, d'autres en Italie, est-ce qu'ils ne sont pas dans leur bon droit pour revenir ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Eh bien nous verrons les résultats du recours.
CHRISTOPHE BARBIER
S'ils peuvent revenir, ils reviennent.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Nous verrons.
CHRISTOPHE BARBIER
Bruce.
BRUCE TOUSSAINT
Dernière question, c'est la question que nous avons posée à tous les téléspectateurs de « La matinale » d'I TELE, c'est une question qui est disponible également sur ITELE.FR, la voici, elle concerne les intempéries. Alors, évidemment, ce n'est pas la faute du gouvernement s'il pleut, mais on le sait, dans le Finistère, notamment, la situation a été parfois très très sérieuse, la question que nous avons posée est la suivante : « Les services de l'Etat sont-ils dépassés par les intempéries ? ». On a quand même 79 % de oui. Je vous pose la question, Najat VALLAUD-BELKACEM, est-ce que, dans cette situation, est-ce que tout avait bien été anticipé, est-ce que vous avez le sentiment, vous aussi, que parfois, les services de l'Etat ont été dépassés par les évènements climatiques ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
D'abord, je pense qu'un évènement climatique n'est jamais véritablement prévisible, sinon ce ne serait plus un évènement climatique. J'ai eu l'occasion d'entendre notamment Manuel VALLS mais aussi Victorin LUREL, le ministre des Outremers...
BRUCE TOUSSAINT
Oui.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
... s'agissant de la Réunion, s'exprimer sur ce sujet, mercredi dernier, je crois au contraire que les services ont été très présents et qu'on peut sincèrement les féliciter, très nombreux à se mobiliser, très efficaces, notamment pour remettre en marche l'électricité, donc aujourd'hui, la Bretagne, d'une part, la Réunion de l'autre, ont été clairement affectées et c'est pour cela que s'est posée la question de l'état de catastrophe naturelle et que nous sommes totalement aux côtés des habitants, mais je pense qu'il ne faut pas s'en prendre aux services qui au contraire ont fait leur travail, vraiment.
BRUCE TOUSSAINT
Merci beaucoup. Dans un instant, le journal de 08h00. On va revenir sur l'affaire Dieudonné et sur vos déclarations, d'ailleurs, il y a quelques instants, vous avez confirmé qu'une circulaire serait examinée tout à l'heure par Manuel VALLS et Jean-Marc AYRAULT, circulaire pour donner des consignes aux préfets, et le spectacle prévu à Nantes, pourrait être annulé, c'est ce que vous avez laissé entendre tout à l'heure, si effectivement les conditions de sécurité ne sont pas assurées, on sait qu'une manifestation est prévue notamment par les anti-Dieudonné, ça sera jeudi.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 janvier 2014