Déclaration de M. Thierry Repentin, ministre des affaires européennes, sur la politique de sécurité et de défense commune, l'Union économique et monétaire, la politique économique et sociale de l'Europe et sur l'élargissement de l'Union européenne, à l'Assemblée nationale le 7 janvier 2014.

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Circonstance : Audition devant les commissions des affaires étrangères et des affaires européennes de l'Assemblée nationale, le 7 janvier 2014

Texte intégral

L'année qui s'ouvre sera importante pour l'Europe en raison des élections européennes du 25 mai prochain, qui vont mobiliser nos formations politiques respectives, et du renouvellement des institutions européennes, notamment de la Commission. J'espère que la France sortira renforcée de cette échéance en choisissant des représentants capables de peser dans les débats au sein du Parlement européen.
En cette rentrée, j'ai bien sûr une pensée pour nos amis lituaniens, qui ont assuré avec sérieux et efficacité la présidence du Conseil de l'Union européenne pour la première fois de leur histoire. Grâce à leur mobilisation, les règlements sous-tendant les grandes politiques européennes ont été adoptés. Ils permettent de mettre en oeuvre sans tarder le cadre financier de l'Union pour la période 2014-2020.
J'ai également une pensée pour nos amis grecs qui prennent le relais et que nous avons rencontrés dès le mois de décembre pour leur indiquer les priorités de la France. Ils assumeront cette tâche dans un contexte difficile, marqué à la fois par les élections européennes et une Commission qui aura en tête son renouvellement. Mais nous comptons sur eux pour faire avancer un certain nombre de dossiers, notamment l'application de la directive sur le détachement des travailleurs : si celle-ci a fait l'objet d'un accord à la majorité qualifiée, un travail a été engagé début janvier entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen, dont sortira le texte définitif, prévu pour fin février. Je crois d'ailleurs qu'une proposition de loi du groupe socialiste devrait être inscrite à l'ordre du jour de votre assemblée sur ce sujet avant les élections municipales.
Une pensée, enfin, pour la Lettonie qui, en devenant le dix-huitième État membre de la zone euro, permet au coeur du réacteur de l'Union européenne de s'élargir.
La zone euro fut d'ailleurs au coeur des débats qui ont eu lieu lors du Conseil européen des 19 et 20 décembre. Trois points principaux étaient à l'ordre du jour.
Le premier, la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), était, pour la première fois depuis cinq ans, l'un des points majeurs, à la demande de la France.
Certains journalistes ont estimé que nos amis britanniques étaient les grands gagnants de ce Conseil européen. En fait, le premier ministre britannique a abordé celui-ci en cherchant à introduire différents amendements visant à affirmer une priorité à l'OTAN, à subordonner la politique de sécurité et de défense commune à l'action de celle-ci et à faire obstacle à la mise en place de capacités militaires européennes. Il a d'ailleurs déclaré à la presse être venu pour s'assurer qu'il n'y aura pas d'armée européenne. Mais ce débat était factice dans la mesure où il n'était pas question de mettre en place des moyens militaires propres à l'Union.
Nous avons quant à nous refusé le langage inféodant la PSDC à l'OTAN et maintenu l'engagement à progresser sur le développement capacitaire.
En définitive, la posture britannique n'a pas affecté les résultats que nous attendions de ce Conseil européen, qui étaient très concrets et visaient à réaliser des progrès pratiques.
La PSDC est un élément majeur de notre autonomie stratégique européenne, comme elle représente un véritable enjeu industriel pour l'ensemble des États membres. Ce Conseil européen a donc permis de réaffirmer notre objectif commun, qui est de rendre cette politique commune plus visible et plus efficace.
Pour atteindre cet objectif, nous nous sommes mis d'accord pour que différents aspects soient renforcés. D'abord, l'amélioration des modes de financement des opérations de PSDC militaire. Car face aux crises émergeant ces dernières années, il apparaît plus que nécessaire que l'Union se dote d'instruments pour améliorer la sécurité aux frontières ainsi que les capacités de formation des armées, africaines notamment, et définir un cadre d'action en matière de cyberdéfense de même qu'une stratégie de sûreté maritime d'ici à juin 2014.
Ce Conseil européen a en outre obtenu un large consensus sur la question des capacités, dont la mise en commun de la majeure partie des moyens de transport militaire de plusieurs États membres dans le cadre d'un commandement unique, ou la constitution d'une flotte européenne d'avions ravitailleurs achetés en commun et de drones de surveillance.
Enfin, le Conseil européen a permis de mettre l'accent sur la nécessité de consolider la base industrielle et technologique de la défense européenne. Le programme horizon 2020 doit notamment être mis à contribution pour soutenir la recherche duale, civilo-militaire. De même, nous avons envisagé des mesures destinées à aider les PME dans le domaine de l'industrie de défense.
Cela étant, ce Conseil européen n'est pas un solde de tout compte en matière de défense. Il s'agit d'un point de départ et il a été expressément demandé à la Commission de faire un certain nombre de propositions selon un calendrier déterminé.
Nous entamons donc un processus de moyen terme, dont le rendez-vous des 19 et 20 décembre constituait la première étape clé. Nous pouvons en être satisfaits.
Les chefs d'État et de gouvernement se sont d'ailleurs fixé un nouveau rendez-vous sur le sujet en juin 2015. En cela, la méthode diffère du Conseil européen de 2008, sans véritable lendemain faute d'engagement contractuel.
Je ne veux pas conclure ce point sans évoquer la question de la République centrafricaine, très présente dans les débats. Il a d'ailleurs été demandé au président de la République de faire une présentation sur ce point.
Les chefs d'État et de gouvernement ont apporté leur soutien politique à l'intervention française. La Haute représentante a ainsi reçu un mandat pour faire des propositions d'ici au prochain Conseil des ministres des affaires étrangères du 20 janvier pour stabiliser le pays et mobiliser nos partenaires européens, afin qu'ils participent à l'effort international engagé. Je rappelle que l'Union était déjà à nos côtés, une somme de 50 millions d'euros ayant été prévue par la Commission pour accompagner le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA). Il s'agira de savoir si l'Europe labellise en quelque sorte cette intervention, ce qui pourrait se traduire par le soutien d'un certain nombre de pays sur le terrain et un renforcement de l'aide financière de l'Union.
Deuxième point principal : l'Union économique et monétaire (UEM), qui a été une nouvelle fois abordée avec l'Union bancaire, mais aussi les contrats de compétitivité et de croissance et les mécanismes de solidarité financière associés.
La crise que nous avons traversée a révélé deux faits majeurs. D'abord, le fait que nous ne pouvons pas vivre indépendamment les uns des autres en zone euro : nous devons donc davantage nous coordonner et harmoniser nos règles de fonctionnement, en particulier en matière économique. Ensuite, un besoin de réforme. Tous les chantiers sur lesquels nous travaillons aujourd'hui pour renforcer l'UEM cherchent à répondre à ces deux impératifs, avec un mot d'ordre à l'esprit : la solidarité.
Or on avance sur ce sujet. Le Conseil européen a permis de constater à la fois les progrès et les efforts à poursuivre pour approfondir l'UEM.
Concernant la mise en place des contrats de compétitivité et de croissance et des mécanismes de solidarité associés, la position de la France est très claire et nous l'avons exprimée : si nous sommes, comme d'autres pays, d'accord pour renforcer des mécanismes visant à identifier les secteurs dans lesquels des réformes doivent être réalisées en matière économique, nous souhaitons qu'en même temps, soient mis en place des mécanismes de solidarité à l'égard des pays auxquels on demande des efforts supplémentaires. Nous n'acceptons de bouger sur le premier point que si des dispositions sont prises sur le second.
Ces contrats de compétitivité et de croissance, désormais appelés «arrangements contractuels», reposeraient sur le volontariat des États membres. Mais comme les moyens d'accompagnement n'étaient pas finalisés, il a été décidé de remettre ce dossier sur la table des négociations à la fin de 2014. L'Union se donne donc une année supplémentaire pour approfondir le contenu de ces arrangements, tant en ce qui concerne les politiques à mettre en place que l'accompagnement qu'elle pourra apporter.
Cela prouve les vertus d'un dialogue exigeant avec l'Allemagne, laquelle a modifié sa position sur le volet solidarité, sur lequel elle était réticente au départ.
Une petite révolution a par ailleurs été enregistrée sur l'Union bancaire. Il y a dix-huit mois, lorsque le Pacte de relance a été acté, plusieurs États ont considéré que l'Union européenne devait prendre des mesures visant à sécuriser le système bancaire européen et que nous ne pouvions plus être à la merci d'un nouveau crash bancaire qui viendrait bousculer l'équilibre au sein de l'Union. Depuis, a été notamment mis en place un mécanisme de supervision : désormais, toutes les banques seront surveillées par un organisme placé auprès de la Banque centrale européenne (BCE) - sous la présidence d'une Française, Mme Danièle Nouy, nommée en décembre dernier -, pour s'assurer que leur situation nous préserve de faillites liées à une mauvaise gestion.
En outre, un deuxième mécanisme a été adopté à la veille du Conseil européen, lequel l'a endossé : le mécanisme de résolution bancaire. Il s'agit de règles du jeu communes - aux banques de la zone euro et à celles d'autres pays volontaires - applicables à des banques en situation de détresse financière, permettant de déterminer comment celles-ci sont mises en banqueroute ou sauvées. Ainsi, à partir de l'an prochain, les 130 banques les plus importantes - qui représentent 85 % de l'ensemble - cotiseront à un fonds commun de résolution, qui sera opérationnel d'ici à dix ans et doté de cinquante-cinq milliards d'euros. Mais on n'attendra pas dix ans pour faire appel à la solidarité et, si cela ne suffisait pas, l'État concerné par la banque qui aurait une difficulté serait sollicité pour apporter son soutien.
Cette avancée substantielle a donné lieu à beaucoup d'échanges de travail, notamment avec nos amis allemands, qui concevaient mal au départ un système d'assurance qui ne soit pas porté par les États vis-à-vis de leurs propres banques, considérant que ceux d'entre eux qui géraient mieux n'avaient pas à payer pour ceux qui géraient moins bien. Une directive, qui a abouti lors du Conseil, va notamment protéger le dépôt des épargnants dans les banques jusqu'à hauteur de 100 000 euros
Troisième point principal : ce Conseil européen a été l'occasion de revenir sur la politique économique et sociale de l'Europe.
Tout d'abord, il a permis de souligner le bilan du Pacte pour la croissance et l'emploi de juin 2012. Il a en particulier permis de rappeler qu'il était nécessaire que l'initiative pour l'emploi des jeunes soit pleinement opérationnelle dès ce mois de janvier, afin de pouvoir consommer sans tarder à l'échelle de l'Union les 6 milliards d'euros figurant dans le cadre financier 2014-2020 et de concentrer l'effort qui sera réalisé sur la période 2014-2015 en faveur des régions où le taux de chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans est supérieur à 25 %.
Il a également décidé une augmentation du capital du Fonds européen d'investissement, la filiale de la Banque européenne d'investissement en charge des investissements en capital-risque en soutien aux PME - aspect qui avait été un peu oublié par le passé.
Ce Conseil européen a aussi été l'occasion d'appeler à une adoption rapide de la directive sur le détachement des travailleurs après l'accord difficile obtenu sur ce point - grâce notamment au changement de position de la Pologne, qui a accepté le choix d'une solution européenne plutôt que la seule défense de son économie et de ses entreprises. En effet, ce pays n'a pas voulu que cette question soit mise en avant par ceux qui combattent l'Europe lors des élections européennes et entend compter dans le processus décisionnel. Je souhaite que le texte qui sera adopté ne s'éloigne pas trop de ce qui a été décidé, car l'équilibre est fragile et les pays qui ont accepté de faire un pas important doivent pouvoir préserver cet acquis.
En conclusion, ce Conseil européen a en grande partie répondu à nos attentes.
(Interventions des parlementaires)
En matière de PSDC, le verre est-il à moitié plein ou à moitié vide ? Avant de porter un jugement définitif, attendons ce qu'il en sera à l'issue des dix-huit prochains mois. On peut considérer que le verre a été à moitié rempli dès le Conseil européen des 19-20 décembre. Des objectifs, ainsi qu'un calendrier, ont été fixés. Ainsi, pour ce qui concerne la sécurité des frontières en Afrique, notamment dans la zone sahélo-saharienne, les décisions seront prises d'ici à la fin 2014, et mandat a été donné de ne pas dépasser cette échéance. Pour la stratégie de sécurité maritime, laquelle a produit par le passé, avec la mission Atalante, des résultats très positifs au large de la Somalie, la date-butoir a été fixée à juin 2014, de même que pour la prise en compte financière des opérations de PSDC. Nous maintiendrons la pression sur les institutions européennes pour que le calendrier soit tenu. Les ministres des affaires étrangères feront régulièrement le point.
Le 20 janvier prochain, ils se réuniront pour débattre spécifiquement de l'accompagnement que l'Union européenne en tant que telle et certains pays de l'Union pourraient fournir à la France en République centrafricaine. Depuis le Conseil européen des 19-20 décembre, plusieurs pays, précisément dans la perspective de cette réunion du 20 janvier, ont engagé chez eux un dialogue à ce sujet. Cet accompagnement - ou ce dédommagement - pourra prendre plusieurs formes. La première pourrait être d'envoyer sur le terrain des moyens logistiques et même des personnels. Trois ou quatre pays ne l'ont pas exclu, tout en demandant, comme il est naturel, que leur gouvernement et leur parlement en débattent préalablement. Une autre forme pourrait consister dans une aide financière supplémentaire de l'Union, au bénéfice sur le terrain soit de l'armée africaine, soit des troupes françaises. Pourraient ainsi être pris en charge les surcoûts induits par le transport sur place de nos troupes auparavant stationnées dans les pays voisins ou encore le supplément de logistique nécessaire - bien sûr pas la solde de nos militaires, qui aurait dû être versée même si ceux-ci n'avaient pas été engagés en Centrafrique. S'il est estimé le 20 janvier que l'opération Sangaris concourt d'une certaine façon à la sécurité de l'Union européenne, une aide financière complémentaire sera débloquée, s'ajoutant aux 50 millions d'euros déjà accordés pour des aspects militaires.
Vous avez également évoqué la question des drones. Il a tout d'abord été décidé de créer un club d'utilisateurs de drones, offrant la possibilité d'achats partagés. Puis l'engagement a été pris de lancer un programme de recherche-développement à l'horizon 2025, en mobilisant les crédits du programme Horizon 2020, destinés à favoriser la recherche et le développement industriel. La question du commandement n'a pas été totalement écartée. Dans l'idée de constituer une flotte commune d'avions ravitailleurs, plusieurs pays se sont engagés à acheter dorénavant des appareils en commun. Pour ce qui est d'un commandement unique du transport aérien (EATC, European Air Transport Command), huit États membres ont déjà franchi le pas et plusieurs autres sont prêts à les rejoindre, souhaitant toutefois qu'un débat préalable puisse se tenir chez eux. Il a été par ailleurs demandé à la Commission de réfléchir à des mécanismes d'incitation fiscale ou financière, afin de favoriser la mutualisation. En effet, si par exemple, les Pays-Bas décidaient aujourd'hui d'acquérir un A400M, ils auraient intérêt à le faire par le biais de la filiale de l'OTAN, laquelle bénéficie du taux de TVA réduit, alors que s'ils l'achetaient directement, y compris pour une utilisation européenne dans le cadre d'une mise en commun des moyens, ils devraient s'acquitter de la TVA à taux plein. Et sur de tels matériels, l'écart peut représenter plusieurs millions d'euros.
J'en viens aux questions bancaires. Un fonds doté de 55 milliards d'euros suffit-il à prémunir d'une crise bancaire systémique à l'échelle de l'Union européenne ? Non bien sûr, mais tel n'est pas son objet. L'idée est de constituer un fonds entre banques pour que si d'aventure l'une des 130 banques de la zone euro qui représentent 85 % des actifs rencontrait une difficulté, les autres puissent venir à son secours et qu'il ne soit pas nécessaire de faire appel au budget de l'État dont ressortit cette banque. Le dispositif sera opérationnel en novembre 2014. Mais dès ce mois-ci, ces 130 banques seront toutes soumises à des tests de résistance afin d'évaluer leur fragilité potentielle. Cela se fera, je l'ai dit, sous l'autorité de Mme Danièle Nouy. Si la surveillance n'est pas d'emblée en place, c'est parce qu'il faut disposer des hommes et des femmes possédant la capacité technique d'analyser les comptes des établissements. Des appels à candidature ont été lancés pour recruter un millier d'experts.
Cinquante-cinq milliards d'euros, c'est ce qu'il est demandé aux banques d'apporter au fonds. Le mécanisme de résolution prévoit que si une banque rencontre une difficulté, ses actionnaires seront sollicités pour apporter leur juste contribution. Les dépôts des particuliers jusqu'à 100 000 euros, mais aussi ceux des PME, seront ainsi préservés. Ce dispositif n'est sans doute pas parfait. Il n'en constitue pas moins une mini-révolution, comparé à la situation antérieure. Pendant les dix années durant lesquelles va se constituer ce fonds, le Mécanisme européen de stabilité pourra être, si nécessaire, sollicité.
Les contrats de compétitivité et de croissance ne sont pas une idée de l'Allemagne seule. Ces «arrangements contractuels» sont des contrats souscrits volontairement entre un État membre, la Commission et le Conseil. Les partenaires sociaux et les parlements nationaux seront associés à leur élaboration à l'échelle nationale. Les pays sont désireux de cet approfondissement des politiques économiques. Mais il reste à inventer les mécanismes de solidarité à associer à ces contrats, de façon à accompagner les pays auxquels sont demandés des efforts supplémentaires. Comme ce deuxième aspect, auquel nous tenions beaucoup, ne figurait pas dans le dispositif envisagé, nous avons demandé que le sujet soit reporté à la fin de l'année.
Vous aurez la réponse précise à ces questions à la fin de 2014. L'ensemble du projet sera à l'ordre du jour d'un prochain Conseil européen. Le dispositif aurait pu être opérationnel dès le premier trimestre 2014, mais comme il n'était pas finalisé, il a été reporté d'une année.
Un mot de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. On peut être déçu qu'un retard de trois mois ait été pris, mais qu'est-ce au regard des trente ans durant lesquels on a attendu en vain des mesures ? Une directive sur le sujet devait être adoptée pour décembre 2013. Alors que l'Autriche et le Luxembourg s'y étaient pendant des années opposés, ils ont accepté à l'automne dernier, non sans difficulté d'ailleurs, de se mettre autour de la table, en exigeant toutefois qu'on parvienne parallèlement à des accords, si possible de même nature en matière de transparence, avec les cinq autres pays considérés comme des paradis fiscaux aux portes de l'Union européenne : le Liechtenstein, la Suisse, Andorre, Saint Marin et Monaco. Dans les dernières semaines, les choses n'ont que peu avancé avec ces cinq pays. Un délai de trois mois supplémentaires a donc été donné pour autoriser l'échange d'informations fiscales souhaité, mais il a été clairement dit que mars était une date-butoir. À compter de mars, la transparence sera totale, ce qui permettra d'aller récupérer l'argent de la fraude fiscale, laquelle représente 1 000 milliards d'euros à l'échelle de l'Union et 80 milliards en France.
Un dernier mot du sommet franco-britannique du 31 janvier prochain. Les coopérations bilatérales, comme la coopération franco-britannique prévue dans le traité de Lancaster House, doivent se développer, non comme une fin en soi, mais parce qu'elles peuvent être un moteur entraînant d'autres pays et ainsi faire progresser la capacité des Européens à prendre leur sécurité en mains. D'autres formes de coopération, comme celle existant dans le cadre du Triangle de Weimar qui réunit la France, l'Allemagne et la Pologne, ne doivent pas non plus être négligées. Comme pour la directive sur le détachement des travailleurs, nous devons être très attentifs aux propositions de la Pologne vu ce que représentent ses armées et qu'elle s'apprête à investir près de 30 milliards d'euros pour son système de défense. Le choix qu'elle opérera entre l'industrie française, européenne ou américaine, conditionnera grandement l'avenir de la PSDC, au même titre que le choix de nos amis turcs dans le même domaine.
(Interventions des parlementaires)
Je suis d'accord avec M. Caresche : les choses avancent en matière d'approfondissement de l'union bancaire. Pour ce qui est des arrangements contractuels, plus on imposera des contraintes à un pays, plus le mécanisme de solidarité sera nécessaire pour faire accepter la réforme structurelle. Je me réjouis que ce message ait été entendu. L'Allemagne s'est retrouvée in fine assez esseulée, nouveauté qui n'est pas dénuée d'intérêt. Cela montre bien, en effet, que nous pouvons faire bouger les choses pour peu que nous défendions des positions solides.
Les articles 9 et 12 de la directive relative au détachement des travailleurs constituent une réelle avancée, le premier en garantissant une sécurité juridique aux contrôles que nous effectuons, le second en responsabilisant les entreprises qui seront désormais responsables conjointes et solidaires des sous-traitants en cas d'utilisation abusive du statut de travailleur détaché.
L'adhésion de la Lettonie à la zone euro est le fruit d'un processus de contrôle qui a duré plusieurs années. Les conclusions très positives des rapports de convergence de la Banque centrale européenne et de la Commission européenne, rendus en mai 2013, ont été saluées par un Conseil européen en juin 2013, avant qu'un conseil Ecofin n'ouvre la voie de l'adhésion à l'euro à ce pays en juillet 2013. La Lettonie a été frappée par une crise très dure entre 2008 et 2010 et a consenti d'énormes et très douloureux efforts de réforme structurelle, mais ceux-ci ont été fructueux puisqu'ils ont donné lieu à une analyse positive de la Banque centrale européenne. La décision de devenir membre de la zone euro, d'intégrer le coeur du réacteur de l'Union européenne, appartenait pleinement au gouvernement letton.
Quant à l'élargissement de l'Union, rien n'est prévu à brève échéance. Je ne sais d'ailleurs pas quel sera le prochain pays concerné ; et si nous engageons, le 21 janvier prochain, des négociations avec la Serbie, le processus prendra sans doute une dizaine d'années, le temps pour elle d'atteindre les standards actuels de l'UE. Vous avez d'ailleurs conscience qu'intégrer l'Union européenne est plus difficile aujourd'hui que cela ne l'a été pour les pays fondateurs : les exigences sont plus élevées qu'en 1957. Des efforts supplémentaires ont été demandés au fil du temps aux candidats.
Certains des vingt-huit pays membres de l'UE souhaitent rejoindre la zone euro - la Pologne s'interroge - et nous devons leur réserver une place. Nous nous acheminons vers une Europe différenciée dans laquelle se distinguera le groupe de la zone euro, pourvu le moment venu d'un budget spécifique et menant des politiques de plus en plus intégrées.
Le SEAE, créé en 2010, est une jeune institution à laquelle il faudra du temps pour imposer une politique étrangère de l'UE. Nous avons créé ex nihilo le poste de Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité qui doit s'imposer face à la Commission. Il convient de souligner le travail considérable mené par ce service et par Mme Ashton dans le cadre de la conférence sur la paix en Syrie (Genève II), des négociations préalables à l'accord d'association avec la Géorgie et la Moldavie, mais aussi et surtout des relations entre la Serbie et le Kosovo, deux pays qui n'acceptent de se rencontrer que sous l'égide de l'UE. Mme Ashton n'est pas responsable de tous les maux s'agissant d'un dossier sur lequel elle a parfois été seule. Son successeur pourra partir de ce qu'elle a construit.
Certains ont regretté le manque de solidarité de l'Union européenne qui n'en a pas moins apporté 210 milliards d'euros à la Grèce au cours des dernières années, et a aussi aidé le Portugal, l'Irlande, l'Espagne et Chypre. Que seraient devenus ces pays sans cette solidarité, même si les contreparties ont été durement vécues par les populations ? On peut toujours mieux faire, mais l'UE a répondu présent.
S'agissant de l'Ukraine, une certaine presse a présenté le sommet de Vilnius comme un échec de l'Union européenne. Délégué par Laurent Fabius, j'ai participé à trois conseils des affaires étrangères relatifs à l'accord d'association avec l'Ukraine. Il y a dix-huit mois, l'UE demandait à ce pays, en contrepartie de la signature de cet accord, la mise en oeuvre de réformes structurelles en matière de droits, de système politique, de liberté de la presse et exigeait la libération de Mme Timochenko. Or le régime ne souhaitait pas signer l'accord, ou il ne pouvait pas le faire en raison de la pression exercée par son voisin.
Mais plus nous nous approchions du sommet de Vilnius, moins nous nous montrions exigeants sur la fin de la justice sélective, sur la liberté de la presse, la possibilité pour chacun de se présenter aux élections, pour ne plus nous accrocher qu'à la symbolique libération de Mme Timochenko. M. Ianoukovitch a néanmoins fermé la porte des négociations et nous avons dû prendre acte, à Vilnius, que l'Ukraine faisait un autre choix sans pour autant accepter l'union douanière avec la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan - la porte reste donc ouverte. Les mêmes journalistes qui prétendaient qu'il s'agissait d'un échec de l'Union européenne auraient été aussi agressifs contre celle-ci si l'accord avait été obtenu contre la seule libération de Mme Timochenko.
L'histoire dira si M. Ianoukovitch a en fait rendu un service à la fois à l'UE et à la population ukrainienne en permettant d'ouvrir le débat. À Kiev j'ai pu constater que le mouvement émanait de la population, M. Ianoukovitch ayant réussi l'exploit de provoquer un appétit d'Europe et de fédérer contre lui toutes les oppositions. Nous verrons comment évolueront les choses à l'occasion des élections.
L'accord d'association ne se jouait pas à quelques milliards d'euros près ; les raisons de son échec sont plus fondamentales. J'ai en effet été très surpris d'entendre le chef de l'État et le chef du gouvernement faire des discours politiques en ukrainien et dialoguer ensuite avec nous en russe. Il en a été de même au somment de l'OSCE à Kiev.
Nous devons continuer d'affirmer que l'Union européenne est prête à un accord d'association pour autant que l'Ukraine montre qu'elle partage une partie de ses valeurs, qu'elle engage des réformes en matière de respect des droits. Il faut maintenir le lien avec ce pays et exercer une pression pour permettre à ceux qui manifestent pour la liberté d'opérer une prise de conscience. Nous y avons intérêt et Laurent Fabius rappellera cet esprit d'ouverture quand il rencontrera Vitali Klitschko, catalyseur de cette opposition.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 janvier 2014