Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, et interview à Radio France internationale, sur l'engagement français en Afrique, l'importance des liens francophones, le projet d'une force de maintien de la paix en Afrique et sur la situation en Algérie, au Congo et au Cameroun, Abidjan le 11 octobre 1997.

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Circonstance : Voyage en Afrique du 8 au 11 octobre 1997-au Gabon le 8, en Afrique du Sud le 9, en Ethiopie le 10, en Côte d'Ivoire le 11

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

VOYAGE EN AFRIQUE
CONFERENCE DE PRESSE DU MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES,
M. HUBERT VEDRINE
(Abidjan, 11 octobre 1997)
Mesdames, Messieurs, si vous le voulez bien, je vais vous dire quelques mots brièvement, avant de répondre à vos questions.
D'abord, j'indiquerai que j'ai voulu venir en Afrique rapidement après ma prise de fonction comme ministre des Affaires étrangères. Il s'agit de bien montrer que l'Afrique est un élément important de la politique étrangère de la France, sur le même plan que tous les autres grands sujets et les grands axes de cette politique étrangère. D'autre part, j'ai voulu, en Afrique, naturellement, rendre visite à des amis proches, anciens, traditionnels de la France, des partenaires très importants, hier aujourd'hui et demain, et d'autre part, élargir, compléter cet ancrage fondamental pour la France par une ouverture, un dialogue avec d'autres pays importants qui jouent un rôle sur ce continent, ce qui est le sens des étapes que la délégation qui m'accompagne et moi-même, avons fait en Afrique du Sud et en Ethiopie.
En Ethiopie, sous l'angle double des relations bilatérales et du siège de l'Organisation de l'unité africaine. C'était donc un voyage placé sous le signe de la fidélité de l'ouverture, et par ailleurs, de l'adaptation, puisque la politique africaine de la France doit constamment s'adapter, surtout dans un monde qui change, qui s'est globalisé, et qui s'est ouvert à toutes les influences.
L'étape d'Abidjan, dans ce contexte, s'imposait, compte tenu du rôle de ce pays, compte tenu de la stabilité dont il bénéficie, grâce à la sagesse de ses dirigeants successifs, de son rôle régional, au dynamisme de son économie et de l'étroitesse des liens, je le répète, sur tous les plans entre ce pays et la France. Et nous avons aujourd'hui, tant moi même que la délégation qui m'accompagne et notamment les parlementaires, eu des entretiens d'un extrême intérêt sur tous les sujets bilatéraux, régionaux, concernant l'Afrique dans son ensemble, même plusieurs grands sujets mondiaux sur lesquels il est normal que les responsables français et ivoiriens échangent leurs vues lorsqu'ils se rencontrent. Voilà ce que je voulais vous dire en préambule après cette journée sympathique, chaleureuse, amicale, et pas tout à fait achevée mais bien entamée. Et maintenant, je répondrais avec plaisir à vos questions.
Q - Vous venez d'effectuer une visite rapide, en commençant par l'Afrique du Sud. Quel sens vous donnez à cette visite, dans le contexte de la Francophonie ?
R - Je vous dirai que, dans la vie internationale d'aujourd'hui, il est fréquent, - c'est dommage, mais c'est un mode de travail qui s'est beaucoup répandu -, de faire des voyages rapides, mais cela ne veut pas dire que l'on ne noue pas des contacts, cela n'empêche pas de commencer à découvrir, et c'est ce qui donne l'envie de revenir naturellement. Mais c'est très fréquent de passer une demi-journée à New York, trois heures en Allemagne, deux heures en Espagne, une journée et demie au Mexique. C'est un mode de travail qui est très largement répandu et je crois que ce serait un malentendu de penser que cela traduit un intérêt insuffisant pour ce grand continent. C'est tout l'inverse.
Je termine un voyage de quatre jours sur le continent africain et des voyages que j'ai entrepris depuis que je suis ministre des Affaires étrangères, c'est le plus long. C'est ce que j'ai pu organiser, compte tenu d'un emploi du temps qui est extrêmement serré, prenant, et notamment à travers une concertation européenne qui est constante.
D'autre part, je crois que ce voyage est bien équilibré entre ce que j'ai appelé la fidélité qui se marque par rapport à des amis - je me suis arrêté pour dîner avec le président Bongo, car il était important de faire le point des efforts entrepris par celui-ci avec un considérable mérite depuis des semaines à propos de cette crise très navrante au Congo-Brazzaville - et je lui ai confirmé le soutien de la France à ses efforts - et je termine ce bref périple, mais je vous assure bien rempli et très sympathique, par une étape, ici, chez mes amis, parce que c'est avec mes amis que j'ai envie d'en tirer les premières conclusions.
Quant à l'élément francophone que vous mettez en avant, naturellement les liens entre francophones sont indestructibles. Ils sont plus forts que tout. Ils survivront à toutes les adaptations. D'ailleurs, les adaptations sont faites pour moderniser ces liens et pour les rendre plus solides, et pas l'inverse. Mais chez nos amis francophones d'Afrique, j'ai noté une curiosité croissante pour ce qui se passe et ce qui se pense ailleurs sur ce continent, dans le Sud de l'Afrique, dans l'Est de l'Afrique, dans l'Afrique anglophone, dans l'Afrique lusophone, car cette Afrique est à apparemment diverse, mais en même temps, elle est une.
C'est ce que j'ai ressenti en allant à l'OUA et, en sens inverse, je peux vous dire que dans ces étapes et à travers le dialogue politique que j'ai cherché à renforcer ou à stimuler en Afrique du Sud et en Ethiopie, j'ai noté une très grande curiosité et un très grand intérêt pour ce qui se passe dans cette Afrique francophone, où l'on sait aussi qu'il se passe des choses très intéressantes, que certains pays ont des difficultés, que dans d'autres pays, il y a de grandes réussites. Ces autres responsables africains aimeraient mieux comprendre les unes et les autres. Et ils voient dans la France un partenaire important, un acteur durable pour aujourd'hui et pour demain de cette grande transformation prometteuse du continent africain. Donc, je ne vois dans les éléments que vous citez, que des complémentarités.
Q - Apprenant qu'un ministre français était à Abidjan, des amis abidjanais ont tout de suite pensé que vous étiez là pour apporter de l'argent.
R - J'ai parlé avec d'autres amis abidjanais et j'ai constaté qu'ils étaient d'abord désireux d'un vrai dialogue politique. Que l'on parle, sur la base de l'amitié bien sûr et de la compréhension, et sur la base du respect mutuel, des grands sujets qui concernent l'Afrique, cette région, les perspectives d'avenir, la dette... Alors si vous appelez cela de l'agent,s sous bien sur, mais il s'agit de savoir comment nous contribuons en tant que pays d'Europe et tellement lié à l'Afrique par des liens anciens, comment on contribue à la consolidation des économies, à la consolidation des processus de démocratisation. C'est la grande question. Ensuite, il y a une dimension bilatérale. Mais moi cela ne me choque pas du tout qu'à l'occasion de la visite d'un ministre français ou de n'importe quel autre ministre, on se demande aussi quel est le contenu de la coopération concrète. C'est une bonne réaction. Car à ce moment-là, il faut poser les questions que l'on posent à propos de toute coopération. Il faut qu'elle soit d'intérêt mutuel. Il faut qu'elle porte sur des sujets qui concourent au développement dans des domaines précis, que ce soit les institutions, la justice, l'administration, l'agriculture, tout ce que l'on veut, etc...C'est un bon réflexe. Les conversations entre les dirigeants sont faites pour cela.
Q - A Addis-Abeba, la France s'est engagée à financer à hauteur de 17 milliards de francs CFA la formation d'une force africaine de maintien de la paix. Est-ce que cela signifie son désengagement du continent ?
R - Sur ce point, comme sur tous les autres, il n'y a pas de désengagement de la France. Il n'y a pas de désengagement parce que, aussi bien le président de la République que le gouvernement ont à l'esprit, au contraire, la volonté de confirmer cet engagement tout en l'adaptant à une Afrique qui change et qui évolue, c'est bien naturel. Et de faire en sorte que des formes concrètes de cet engagement soient constamment les plus adaptées aux besoins de l'Afrique actuelle. C'est un principe général. En ce qui concerne les questions militaires, c'est une très bonne traduction de ce principe. La France a des engagements C'est un pays fidèle qui honore ses engagements et qui est, je le répète, fidèle à ses amis, donc il y a des accords que nous honorons.
Nous expliquons, et je crois que c'est maintenant très bien compris, que cela ne doit jamais être pour nous un engrenage qui nous amène à nous impliquer ou à nous ingérer dans des conflits intérieurs africains, puisque malheureusement dans certains cas il s'en produit.
Mais comment être le plus efficace possible ? Dans ces actions militaires, il n'y a pas qu'une action de présence, il y a aussi une action de formation. De plus en plus, nous notons que les pays d'Afrique eux-mêmes sont désireux d'acquérir une capacité d'interposition ou de maintien de la paix. Ce sont des actions militaires compliquées. Ce n'est pas n'importe quelle opération militaire. Il faut une formation adéquate. Or, il se trouve que la France a de grandes capacités dans ce domaine, notamment parce que, depuis des années et des années, c'est un pays qui contribue à la constitution de forces de maintien de la paix sous le chapeau de l'ONU et que, sur beaucoup de théâtres dans le monde hélas, Yougoslavie, Cambodge, et bien d'autres, Liban à d'autres époques, la France a envoyé des troupes qui ont acquis une formation très spéciale sur ce plan. Nous cherchons à en faire bénéficier nos amis africains qui le souhaiteront.
Cela vient en complément des actions qui sont menées et cela répond à une demande africaine. Il ne faut pas chercher des oppositions ou des différences là où il n'y en a pas. Il faut chercher des complémentarités et voir dans quelle mesure notre démarche s'enrichit, se développe. Ce sont des additions, non des soustractions. Dans le cas d'espèce, nous voulons donc proposer à ceux de nos partenaires africains qui sont intéressés par cela, de mettre à leur disposition nos capacités, notre savoir-faire, notre expérience en matière de maintien de la paix pour développer une formation dans ce domaine.
Et, pour que nos partenaires africains ne soient pas gênés par les concurrences un peu mesquines entre tels ou tels pays occidentaux, nous avons conclu un accord de principe avec les Etats-Unis et les Britanniques pour faire des actions communes. Cela ne veut pas dire que l'on fera tout en commun, mais cela veut dire que l'on fera des opérations de ce type ensemble dans certains cas. Cela n'empêchera pas la coopération bilatérale de se poursuivre encore. Naturellement, mais je ne suis plus là seulement sur le terrain technique et militaire, mais sur le plan de la décision. Tout ce qui est interposition, maintien de la paix, doit résulter non pas d'initiatives isolées de tel ou tel pays d'Afrique ou de tel ou tel pays d'Europe, mais d'une décision claire et légitime de la part de l'ONU et de l'OUA. Mais, c'est une autre chose, c'est un élément complémentaire par rapport à la question que vous me posiez. Donc, n'ayez pas de doute sur ce point, il s'agit d'un complément et d'un élargissement.
Q. - L'ambassadeur Sahnoun se rend à Paris. Qu'est-ce qu'on peut faire au Congo ?
R. - Depuis le début de ce drame qui frappe le Congo-Brazzaville, la France n'a eu qu'une seule politique qui est d'abord le refus, en ce qui la concerne, de l'ingérence et de l'implication : il n'y aurait eu aucune raison, cela aurait été incompréhensible et désastreux à tous points de vue. Sa seule politique a été de soutenir la médiation internationale animée par le président Bongo et, parfois, par quelques autres responsables africains, et d'autre part par l'ambassadeur Sahnoun. Il y avait ainsi un chef d'Etat important de la région, l'ONU, l'OUA : une combinaison adéquate. La France l'a donc soutenue par toutes ses initiatives, à la fois sur place, dans ses explications avec ses partenaires africains et au Conseil de sécurité. Nous avons, malheureusement vainement jusqu'ici, mais nous avons du mérite de le faire avec beaucoup de constance et de persévérance, nous avons essayé d'obtenir une décision pour que soit organisée une force d'interposition qui permettrait, soit d'obtenir la concrétisation, soit le respect du cessez-le-feu, ceci n'étant naturellement qu'une étape, vers la recherche d'une solution politique qui devra comporter le moment venu l'organisation des élections qui n'ont pas pu avoir lieu cette fois-ci.
Voilà le cadre de la politique de la France, elle n'en a pas d'autre et elle ne voit pas qu'elle puisse en avoir d'autre.
Q - Mais la mauvaise foi des uns et des autres...
R - Ce que vous décrivez fait partie du problème, sinon il n'y aurait pas de problème, donc c'est une des composantes de cette situation dans laquelle le Congo-Brazzaville a été tragiquement entraîné. Que faire d'autre que ce que je vous ai indiqué simplement : être persévérant, tenace.
Q - Selon le Canard enchaîné, la France aurait livré des missiles à l'une des parties ?
R - C'est totalement faux.
Q - C'est le Canard enchaîné qui le dit...
R - Cela ne change rien à ma réponse.
Q - Est-ce que la France a les moyens d'une politique continentale ?
R - La France a un dialogue politique avec tous les pays qui comptent sur tous les continents. Nous dialoguons, nous parlons politique, politique générale et des grands sujets, avec les grands pays de l'Asie, de l'Amérique latine, de l'Europe, de l'Amérique du Nord, donc n'ayez pas de crainte, ce n'est pas parce que la France va se mettre à parler plus des sujets du moment, de l'Afrique et d'ailleurs, avec un certain nombre de pays qui comptent sur le continent africain à l'Est, au Sud de l'Afrique, que cela va entamer en quoi que ce soit la nature très particulière des relations que nous avons avec nos amis, nos partenaires très proches, traditionnels et actuels de l'Afrique francophone.
Ce n'est pas un phénomène de vases communiquants, c'est un phénomène d'élargissement.
Je répète quelque chose que j'ai dit déjà tout à l'heure : il me semble que c'est souhaité de part et d'autre. Nos amis d'Afrique francophone trouvent un certain intérêt à ce que la France ait la capacité de parler avec les autres pays d'Afrique, c'est dans notre intérêt commun. Et de la part de ces pays, j'ai noté, à travers deux étapes, mais qui sont, je crois, des étapes significatives, et représentatives, une grande curiosité sur ce qui se passe dans cette partie de l'Afrique que peut-être d'autres pays d'Afrique ne connaissent pas bien. Ils voient dans la France un partenaire important, très engagé. C'est parce qu'en Afrique du Sud ou dans l'Est de l'Afrique on connaît la permanence de nos engagements envers nos amis, qui ne font de doute pour personne, qu'on a envie de nous parler. C'est donc un dialogue qui s'élargit, sans s'appauvrir dans sa dimension de fidélité, et dans lequel nous avons tous à gagner.
Q - Pouvez-vous nous en dire plus sur le Centre de formation au maintien de la paix, son lieu d'établissement...?
R - Non, Madame, c'est trop tôt pour vous donner plus de précisions. Je vous confirme simplement l'idée. Je confirme aussi la Côte d'Ivoire. Pour le reste, je vous invite à questionner mon collègue ministre de la Défense, M. Alain Richard, qui vient ici dans quelques jours.
C'est une des concrétisations de cette orientation, puisqu'en effet, pour cette politique, qui va consister à proposer à ceux qui le voudront, de communiquer notre savoir faire en matière de maintien de la paix, il faut choisir des implantations qui aient une capacité de rayonnement régional et qui forment eux-mêmes un cadre stable. La Côte d'Ivoire se trouve naturellement au premier plan.
Sur la mise en oeuvre, vous poserez les questions à M. Richard.
Q - L'Algérie, sujet tabou ? Le Cameroun, faut-il renvoyer les élections à plus tard comme un responsable gouvernemental l'a dit ?
R - Non, l'Algérie n'est pas une affaire française. L'Algérie est un pays indépendant depuis longtemps et la tragédie horrible qui se déroule sous nos yeux en Algérie nous bouleverse, comme elle bouleverse toute personne sensible et qui observe ce qui s'y passe. Mais ce n'est pas plus une affaire française qu'une affaire espagnole ou américaine. Tous les pays qui sont intéressés par l'Algérie, qui ont de la compassion pour ce peuple martyrisé par ces massacres, en effet, se posent la question de savoir comment être utile pour hâter le moment où une solution stable, politique, mais naturellement élaborée par les Algériens eux-mêmes, leur permettra de sortir de cette tragédie. Ce n'est pas une question taboue, elle est très fréquemment posée et les termes de l'interrogation et les dilemmes sont exposés devant l'opinion.
Nous avons déjà eu l'occasion d'exprimer notre disponibilité pour quoi que ce soit qui pourrait être utile si l'ensemble des parties concernées - à commencer par les autorités algériennes - le souhaitaient. Là dessus, nous nous sommes exprimés dans les mêmes termes que beaucoup d'autres pays de différentes régions, mais il n'y a pas de moyens d'actions particuliers. Je vous renvoie par ailleurs aux interrogations exprimées de la même façon par le Secrétaire général des Nations unies. On ne peut que redire notre compassion profonde pour ces souffrances qui sont véritablement bouleversantes et redire notre disponibilité et notre souhait profond de voir une solution politique arriver enfin pour permettre qu'une issue soit trouvée.
En ce qui concerne le Cameroun, la déclaration n'a pas été faite dans des termes aussi nets. C'était une interrogation sur le fait de savoir si toutes les conditions étaient réunies, mais c'est tout ! Et puis la France n'a pas à intervenir et à dire ce qui doit être fait. Maintenant c'est aux responsables camerounais de prendre leurs responsabilités.
Q - Par rapport au Cameroun, les élections de 1992 ont été entachées par de graves irrégularités. Quel regard portez-vous sur le boycott de ses élections ?
R - Nous apprécierons la situation créée par les élections au lendemain des élections en question.
Q - Et est-ce que la coopération française pourrait être revue éventuellement ?
R - Nous apprécierons la situation, encore une fois, après les élections en question. Mais ne me questionnez pas, comme si nous étions les organisateurs de ceci au de cela. Ce temps est révolu.
Q - On a parlé de clause secrète dans l'accord de défense qui lie la France et la Côte d'Ivoire (le 43ème BiMA pouvant intervenir dans le cadre du maintien de l'ordre intérieur). Cela ne s'oppose-t-il pas au principe d'une force africaine de maintien de la paix ?
R - Je me suis peut-être mal exprimé tout à l'heure, mais en tout cas je vais répondre d'un mot à votre question. Sur les accords en question, ils ouvrent des possibilités mais ne créent pas d'engrenage automatique. Donc, il y a une appréciation à faire au cas par cas de la part des responsables des pays africains qui bénéficient d'un accord pour savoir ce qu'il faut demander au titre de cet accord, et de la part des autorités françaises qui ont à décider ce qu'elles répondent. Il n'y a pas d'automatisme. C'est une possibilité qui est ouverte. Et ce n'est pas un élément nouveau. C'est ainsi que c'est interprété et géré depuis extrêmement longtemps. Maintenant la question de l'adaptation de cet accord peut se poser et il est clair que si telle ou telle autorité africaine en demande l'adaptation, celle-ci sera discutée avec les autorités françaises. Il n'y a aucun empêchement sur ce plan.
Ce que je voulais dire tout à l'heure, c'est qu'il n'y a pas d'ingérence dans les conflits internes. La phase d'un accord de défense, la base ferme d'un accord de défense, même si cela ne crée pas d'obligations automatiques, concernent la réponse à une agression extérieure, et caractérisée comme telle. On sait bien que la difficulté résulte souvent dans le fait que malheureusement quand tel ou tel drame est apparue, il y avait une combinaison de facteurs./.
(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr/actu/bulletin.asp, le 22 juillet 2002)
VOYAGE EN AFRIQUE
ENTRETIEN DU MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES,
M. HUBERT VEDRINE,
AVEC "RFI"
(Abidjan, 11 octobre 1997)

Q - Hubert Védrine, bonjour. Vous venez de terminer votre premier voyage en Afrique que vous avez voulu placer sous le signe de l'adaptation de la politique africaine de la France et du développement d'un dialogue plus global avec l'Afrique. Alors concrètement, quels changements cela va-t-il impliquer ?
R - Plus exactement, je l'ai placé sous le signe combiné de la fidélité et de l'ouverture. J'ai en effet voulu venir en Afrique assez vite après ma nomination comme ministre des Affaires étrangères pour bien montrer que l'Afrique est un élément important de la politique étrangère globale, générale de la France et non pas quelque chose de particulier qui ne mériterait pas le même traitement. Donc, c'est un élément très important dans toutes ses dimensions, politique, diplomatique, économique, de coopération, ce sur quoi je travaille la main dans la main avec M. Josselin, et tous les autres aspects. Au cours de ce premier voyage, il s'agit d'apporter des indications, des messages, des informations sur la façon dont la France entend adapter sa politique, comme il faut le faire en permanence bien sûr. En même temps, il faut aussi apprendre nous-mêmes et écouter, et savoir ce que pensent nos interlocuteurs. J'ai voulu à la fois aller chez des amis, des partenaires traditionnels de la France, très proches d'elle comme la Côte d'Ivoire, pays dans lequel je termine ce périple, et en même temps aller dans des pays avec lesquels nous avons un dialogue politique, soit insuffisant, soit presqu'inexistant, et qu'il faut, de toutes façons, renforcer et développer. C'était le cas de l'Afrique du Sud et de l'Ethiopie, sous le double aspect bilatéral et de l'Organisation de l'unité africaine. Voilà donc, différents éléments qui se complètent : l'ouverture à un dialogue plus large, plus global, à l'échelle du continent africain tout entier, à partir d'un point fixe qui est celui de la fidélité à nos amis de toujours.
Q - Précisément, les partenaires privilégiés de la France en Afrique francophone, les pays dit du "pré-carré'', sont toujours un peu inquiets quand on parle d'élargissement de la politique africaine de la France.
R - Vous me dites cela, mais ce n'est pas l'impression que j'ai eue puisque, notamment ici à Abidjan, j'ai rencontré des interlocuteurs, à commencer par le président de la République, mais aussi le ministre, parfaitement au fait des raisons pour lesquelles la France adapte à juste titre sa politique africaine. Elle l'adapte, en réalité, comme les Africains eux-mêmes adaptent leur politique de développement et leur politique étrangère. Je crois que c'est bien compris. Le monde change. L'Afrique s'ouvre à des influences multiples. Il est tout à fait naturel, par exemple, que la France essaie de moderniser et d'améliorer ses mécanismes de coopération et d'aide au développement, pour les simplifier et les rendre plus efficaces. Il est tout à fait logique et, je crois, parfaitement compris que la France est en train de professionnaliser son armée - ce qui l'amène à avoir, que ce soit sur le territoire français ou ailleurs moins d'implantations, avec moins d'hommes, mais mieux formés et plus mobiles. Donc, il est bien compris que des mesures du même type soient prises sur le continent africain ; bien compris également que ce gouvernement travaille à adapter et à assouplir certaines dispositions concernant les visas, naturellement à l'intérieur du cadre de la régulation nécessaire et obligatoire des flux migratoires. Il y a quand même des échanges humains et culturels qui doivent être, non seulement maintenus, mais dans certains cas revitalisés, ce qui est dans l'intérêt des uns et des autres. Tout ça me semble parfaitement compris. Et quand nous parlons avec des partenaires très proches de la France, et qui le resteront, comme le président Konan Bédié, comme le président Bongo, il me semble qu'ils trouvent extrêmement intéressant que nous soyons nous-mêmes en train de développer des échanges politiques avec l'Afrique du Sud compte tenu de l'influence croissante qu'elle a sur ce continent, avec un pays de l'Est africain, avec des pays anglophones ou lusophones. Non, je crois au contraire que c'est très bien compris et que cela ne peut que renforcer la densité et l'utilité de notre engagement en Afrique, puisque tout cela, naturellement, s'inscrit à l'intérieur d'un engagement maintenu, poursuivi, enrichi.
Q - Hubert Védrine, vous vous êtes arrêté en Afrique du Sud et en Ethiopie, est-ce que vous avez le sentiment, après ce voyage, qu'il y a vraiment dans ces deux pays, une demande, un intérêt pour discuter plus systématiquement avec la France des affaires africaines ?
R - Il y a des intérêts, mais de plusieurs sortes. Le premier intérêt, c'est les relations bilatérales. Dans les deux cas, pour des raisons différentes, ce sont des pays qui veulent renforcer la relation. En Ethiopie, nous avons beaucoup parlé de coopération et d'aide au développement. En Afrique du Sud, il y a cet aspect, mais il y a aussi un aspect de développement économique qui relève davantage des échanges, de l'investissement que de l'ouverture, l'investissement étranger, et il y a de multiples projets qui s'y font jour. Mais au-delà de cela, il y a un échange sur la situation régionale, et malheureusement puisqu'il s'en produit, un échange sur beaucoup de situations troublées, sur beaucoup de tragédies qui endeuillent le continent africain. Et au-delà encore, j'ai constaté que dans ces deux pays importants, il y avait un très grand intérêt pour ce que la France pense et sur ce qu'elle projette de faire dans une partie de l'Afrique qu'elle connaît extrêmement bien et que ces pays en réalité connaissent peu. Et c'est là où on retrouve une relation étroite, et une concertation très confiante entre la France et ses partenaires africains proches. Donc, ce dialogue est d'autant plus intéressant que nous sommes un acteur, un partenaire reconnu et durable de ce qui se passe sur le continent africain. Et notamment au moment où ce continent se renouvelle, est engagé dans de vastes mutations. Donc, vous voyez plusieurs centres d'intérêt. J'ajoute qu'il y a en Afrique des grands pays qui sont très intéressés de savoir quelle est la politique de la France au sein de l'Union européenne, concernant la Méditerranée, le Proche-Orient ou d'autres régions du monde. Ce sont des grands dialogues politiques que nous n'avons pas de raisons de ne pas mener avec de bons partenaires, puisque ce sont des choses dont nous parlons avec tous les autres grands pays du monde et j'ai eu ici à Abidjan aujourd'hui des conversations du même type.
Q - Vous avez annoncé à Addis-Abeba, devant l'OUA, que, désormais, les questions de sécurité en Afrique seront traitées par la France dans un cadre multilatéral. Alors précisément qu'est-ce que cela veut dire ? Ne craignez-vous pas un peu un risque d'inefficacité ?
R - Non, je n'ai pas dit que nous ne devions agir que dans un cadre multilatéral. Il faut reprendre l'ensemble du sujet. La France est un pays fidèle à ses amis et à ses engagements. La France a, avec ses amis, des accords que, naturellement, elle honorera. La France n'entend pas s'ingérer ou s'impliquer dans des conflits internes comme malheureusement il s'en produit. La France observe comme beaucoup d'autres pays qu'il y a des besoins d'interposition, d'actions de maintien de la paix, et qui apparaissent périodiquement sur le continent africain. Dans ces cas-là, il faut trouver des forces capables de traiter ces sujets, qui sont des problèmes très compliqués militairement. Maintenir la paix, s'interposer, ce n'est pas à la portée de n'importe quelle armée. Je veux dire par là que c'est une formation spécialisée ; dissuader, montrer sa force sans l'utiliser, uniquement à bon escient, savoir garder son sang-froid, savoir rester dans le cadre d'un mandat clairement défini par l'ONU et par l'OUA, c'est très compliqué. Donc, il a semblé à la France qu'en plus des coopérations bilatérales de maintien de l'ordre qu'elle maintiendra avec les pays qui le souhaitent, qui le demanderont - car elle ne fait jamais rien sans que cela corresponde à une demande des intéressés bien sûr - il y avait là une tâche de formation extrêmement utile pour permettre à ceux des pays africains qui le souhaitent - ils sont quelques-uns à vouloir prendre en charge leur environnement de sécurité - d'être en mesure de constituer des éléments de force d'interposition. Je le répète, dans le cadre de mécanismes de prises de décision qui doivent être clairs : ONU, OUA. Et ensuite, il faut avoir la capacité militaire, technique, logistique. Nous faisons donc une offre, mais, d'autre part, pour ne pas embarrasser nos amis africains, dans l'hypothèse où ils se trouveraient devant des concurrences un peu désordonnées, nous avons conclu un accord de principe avec les Américains et avec les Britanniques qui ont le même type de projet, pour qu'il y ait une coopération dans ces domaines et pour que nous puissions apporter ensemble, à nos partenaires africains qui le souhaiteront, notre capacité, notre savoir-faire, et nos prestations. Et vous savez que la France a une expérience très remarquable dans ce domaine du maintien de la paix, parce que c'est l'un des pays qui fournit depuis le plus longtemps des contingents à l'ONU pour des actions de ce type. La France a donc conquis une expérience rare sur ces terrains. Donc, voilà le cadre dans lequel cela se situe. J'insiste sur le fait que cela ne vient pas en soustraction, ni en contradiction des engagements qui sont naturellement là, qui seront honorés et qui sont simplement adaptés, comme je le disais il y a un instant, et compte tenu de la façon dont l'armée française globalement s'adapte. Mais cela ne change rien à sa capacité de stabilisation là où elle est, ni à sa capacité de formation. Au contraire.
Q - On a parlé, à propos de ce voyage, d'une reprise en main de la politique africaine par le Quai d'Orsay. C'est ce que vous souhaitez ?
R - Pas du tout, c'est une présentation que je trouve à la fois biaisée et inutilement polémique. Cela ne se présente pas du tout ainsi. En France, vous avez un président de la République, qui est très engagé dans la politique africaine, qui confirme et manifeste fréquemment cet engagement, un gouvernement qui est tout à fait d'accord avec le président de la République pour confirmer lui-aussi que la France maintiendra un intérêt de premier plan au continent africain. Mais notre pays veut accompagner le continent dans sa globalité, dans son ouverture, dans sa mutation, dans sa modernisation, être là où il faut et préparer les voies de demain. Nous devons mener une politique d'ensemble et, au sein du gouvernement, il y a une coopération visible, je crois, entre le ministère des Affaires étrangères, le secrétariat d'Etat à la Coopération qui est situé auprès du ministère, et, personnellement, je travaille beaucoup avec M. Josselin, et cette coopération s'étend au ministère de la Défense - je suis là, M. Richard sera en Côte d'Ivoire dans quelques jours, nous avons échangé nos vues sur les sujets qui nous sont communs. Cet état d'esprit préside aussi à nos relations avec M. Strauss-Kahn, le ministre de l'Economie et des Finances. Donc, c'est une politique du gouvernement dans son ensemble, et il faut regarder plutôt son contenu et ses perspectives d'avenir, plutôt que de prendre ça par le biais, non fondé en plus, des relations entre telle ou telle administration. Ce n'est pas ainsi que cela se présente. L'essentiel, c'est qu'il en sorte une politique forte pour la France et forte pour nos amis africains./.

(Source : http://www.diplomatie.gouv.fr/actu/bulletin.asp, le 22 juillet 2002)