Extraits d'une conférence de presse de M. Thierry Repentin, ministre des affaires européennes, sur les avancées de la construction européenne, à Bruxelles le 21 janvier 2014.

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Bonne année à celles et ceux auxquels je n'ai pas encore présenté mes voeux. J'espère que vous avez eu le temps de prendre le café. Moi, j'en ai eu besoin, j'arrive de 5 jours de déplacement, deux jours en Autriche jeudi et vendredi avec le Premier ministre, deux jours à Sofia samedi et dimanche, hier à La Haye avec le président de la République, aujourd'hui, à Bruxelles. C'est aussi une dimension du travail du ministre des affaires européennes. Les relations bilatérales ne sont pas forcément la face la plus visible de la fonction. Je dois régulièrement aller rencontrer tel ou tel membre du gouvernement, voire même le président de la République comme à Sofia ce weekend, le Premier ministre, quelques fois des ministres thématiques, de l'agriculture, de la culture, des affaires étrangères évidemment, des affaires européennes aussi bien sûr.
Je trouvais intéressant que nous puissions nous voir en ce début d'année, sans qu'il y ait un ordre du jour établi, puisque nous n'aurons pas de Conseil européen au mois de février prochain. Il y a beaucoup de travail d'ici aux élections européennes. J'étais la semaine dernière à Strasbourg, pour rencontrer un certain nombre de parlementaires, pour leur parler notamment de la directive sur le détachement des travailleurs. Dans l'esprit de nos concitoyens en France, les choses sont actées, il y a eu un accord politique en Conseil. Nous avons obtenu un très bon résultat mais les choses ne sont pas finies pour autant. Les trilogues ont commencé la semaine dernière, il y a encore 2 réunions, les 23 et le 28 janvier ; et les travaux devraient durer jusqu'au 18 février afin de pouvoir adopter le texte lors de la plénière du Parlement européen de mars. J'ai exprimé aux parlementaires l'avancée que constitue cet accord politique qui a été excessivement difficile à obtenir. Par conséquent, je pense qu'il faut cranter ces avancées, même si elles ne sont pas toujours à la hauteur des attentes de celles et ceux qui sur ces dossiers sont les plus ambitieux. Je leur ai dit qu'il faut que nous puissions avoir un texte définitif pour aller le 25 mai prochain devant nos concitoyens, dans tous les pays en disant qu'en Europe, s'il y a une volonté politique, nous pouvons obtenir des avancée qui protégeront nos concitoyens, du dumping social ou du travail low cost. Ce qui n'empêchera pas qu'avec des majorités politiques plus progressistes, nous puissions retravailler sur ce dossier dans l'avenir, y compris sur pour améliorer la directive de 1996 elle-même.
(...)
Q - Pour revenir sur les travailleurs détachés, vous sembliez optimiste sur le respect de l'accord, est-ce à comprendre que vous avez réussi à convaincre les membres les plus turbulents de votre propre majorité ? Ce n'est pas en demander trop ? Parce que s'il y a un risque...
R - Il y a des membres motivés ! J'ai eu un dialogue avec eux, en leur disant que selon moi, cela n'est pas la fin de l'histoire, vous savez, vous ne revenez jamais en arrière, vous ne pouvez aller qu'en avant. Et honnêtement, le contenu des articles 9 et 12 de la directive d'application telle qu'elle est proposée aujourd'hui amène, contrairement à ce qui est le cas aujourd'hui, une sécurité juridique dans les contrôles que nous pourrons faire sur les chantiers. Nous avons aussi, sur l'article 9, une liste ouverte de documents qui va nous permettre vraiment d'aller au fond des choses. Sur l'article 12 aussi, ce qui est important, c'est qu'on ne sera pas tout seul, nous, pouvoirs publics, sur la bonne application, puisque sera introduite une responsabilisation des entreprises elles-mêmes, des donneurs d'ordre. Ce sont des éléments substantiels par rapport à la situation actuelle. Mais je le redis, acter ceci comme des avancées n'empêche pas que sur l'instauration d'une Europe sociale, qui a fait défaut par le passé, nous allons continuer à travailler ensemble. Lorsque le président de la République évoque un rapprochement économique, social et fiscal, avec l'Allemagne, il y a par exemple la question du salaire minimum. La question du salaire minimum n'est pas totalement disjointe du dossier détachement des travailleurs. Maintenant que l'Allemagne a accepté de mettre en place un salaire minimum, peut-être que la France et l'Allemagne peuvent prendre l'initiative pour convaincre les États membres qui n'en sont pas encore dotés de s'engager dans cette voie.
Trois directives ont été adoptées la semaine dernière au Parlement européen, sur les marchés publics et les concessions. Ce sont de grandes avancées qui sont passées sous silence alors qu'elles donnent des règles du jeu connues à celles et ceux qui veulent faire du business, en même temps qu'elles sécurisent aussi les salariés. Lorsque les conditions d'attribution d'un marché permettent par exemple de ne pas être tenu de prendre le moins disant, c'est-à-dire celui qui propose le prix le plus bas, c'est en bout de course une sécurisation des salariés eux-mêmes.
Q - Il y a en ce moment des tensions entre le France et la Grande-Bretagne, et des déclarations de ministres britanniques assez dures sur la France et son économie. Est-ce que la France va réagir officiellement ?
R - Je ne partage pas cette analyse.
(...)
Q - Une question pour revenir à la stratosphère technique : il y a quelques jours, le gouvernement a décidé d'aligner la TVA de la presse en ligne sur la TVA de la presse écrite. Apparemment, vous craignez plus Mediapart que quelques séquelles de la part de la Commission européenne, puisque cette mesure n'est pas tout à fait en ligne. Est-ce que vous avez eu une discussion préalable avec la Commission sur le fait de rouvrir la question de la TVA, et notamment la TVA réduite, ou est-ce que vous dites on passe en force, et comme d'habitude, on verra ce qui se passe à Bruxelles ? Comment ça s'est passé ? Ce n''est pas tout à fait compatible avec les mesures actuelles...
R - On peut voir aussi s'il y a des marges d'évolution positive et intelligente sur la TVA. Par exemple, les 19 et 20 décembre, nous avons aussi demandé à ce qu'on regarde d'une façon très concrète les TVA à taux réduit pour tout ce qui pourrait favoriser l'industrie de défense, ou plus précisément d'ailleurs l'utilisation de capacités communes. J'étais hier aux Pays-Bas. Les Hollandais qui pilotent le dossier des avions ravitailleurs au sein de l'agence européenne de défense sont prêts aussi à acheter du matériel. Pour payer une TVA à taux réduit sur cet achat qui va être utilisé par plusieurs pays, ils doivent passer par une agence qui dépend de l'OTAN. S'ils le font en direct, ils paient une TVA à taux plein, donc on regarde aussi si la TVA ne peut pas tenir compte d'un certain nombre de projets intelligents en termes de développement économique.
Évidemment, s'il y a une initiative législative en France sur une TVA à taux réduit sur la presse en ligne, elle sera concertée avec les autorités communautaires, vous pouvez en être sûr.
Q - Mais vous avez un engagement de la Commission d'accepter de rouvrir ce dossier avant les échéances qui étaient prévues ? Oui ? Non ?
R - Je n'ai pas eu d'échange direct avec la Commission sur ce sujet.
Q - Et d'autres à votre place aujourd'hui ?
R - Je pense que celles et ceux qui travaillent sur ce sujet ont ce souci.
Merci pour cet échange.
(...)
J'ai eu aussi à rencontrer des parlementaires européens sur l'Union bancaire.
Le 18 décembre à l'ECOFIN, nous avons trouvé une solution qui a été endossé par le Conseil européen des 19 et du 20 décembre derniers. À l'époque, j'ai parlé d'une mini-révolution, aboutissement de pas loin de 18 mois de travaux, dans des conditions politiques pas simples. Il faut être clair, certains pays ne souhaitaient pas d'accord sur l'Union bancaire, par crainte d'une remise en cause de leur souveraineté nationale, par crainte que leurs concitoyens soient appelés en solidarité en cas de banqueroute d'une banque dans un autre pays. Je continue à penser qu'il s'agit d'un tournant substantiel de la construction européenne, même si le dossier de l'Union bancaire nécessitera de la part du Parlement européen et des États membres, un vrai volontarisme pour trouver une solution avant la fin de la législature.
J'ai bien noté que notamment mes amis sociaux-démocrates, je pense notamment à Elisa Ferreira, la rapporteur portugaise sur ce texte, trouvent que l'accord politique n'est pas allé suffisamment loin, en particulier s'agissant des pouvoirs donnés à la Commission européenne. Ils trouvent trop importante la place donnée à l'accord intergouvernemental au détriment de la dimension communautaire. Ils jugent également trop longue - 10 ans - la mise en place du fonds de résolution.
Je crois qu'il est important que les ministres directement concernés puissent aussi avoir ce débat avec les parlementaires européens, entre responsables politiques. Hier, M. Schaüble était devant les députés concernés. Pour ma part, j'ai encouragé Pierre Moscovici à venir expliquer tout le chemin qui a été parcouru. Je continue à penser que l'accord est engageant, parce ce dossier est maintenant dans une direction où l'aspect communautaire, l'aspect portage, intégration de domaines de la vie politique sont clairement inscrits dans une dimension européenne. Il faut tenir compte, pour avancer à 28, de la nécessité de dégager des compromis. Il y a 18 mois, à titre personnel, je n'étais vraiment pas sûr que nous tiendrions l'échéance que nous nous étions fixée de décembre 2013. Je n'en étais vraiment pas sûr, parce que, notamment, certains pays ne souhaitaient absolument pas la moindre remise en cause d'une quelconque souveraineté sur ce sujet-là.
J'observe aussi que d'ici le mois de mars, nous devrons également avancer sur la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales. Là, pour le coup, alors que nous nous étions fixés aussi une échéance en décembre 2013, nous nous sommes donnés un délai de trois mois supplémentaires, c'est-à-dire jusqu'en mars prochain, pour trouver un accord engageant avec les deux derniers États membres qui ont le plus de réticences : nos amis luxembourgeois et autrichiens. À l'occasion de notre déplacement à Vienne la semaine dernière ce fut un message très direct du Premier ministre Jean-Marc Ayrault et des ministres qui l'accompagnaient, dont je faisais partie. Nous avons redit que nous avions pris un engagement, qu'il y a eu un accord politique à l'occasion du Conseil européen Nous comprenons que, dans l'application, il faille du temps. Il faut expliquer aux opinions publiques respectives pourquoi nous avançons ensemble. Mais nous ne pouvons pas aller au-delà du mois de mars. Le Conseil devra trouver une solution sur les «directives épargne».
(...)
Q - Pour revenir à l'Union bancaire, on voit mal comment le Parlement pourrait empêcher la mise sur pied d'un accord inter-gouvernemental pour élaborer le fonds de résolution. Qu'est-ce qu'on pourrait lui octroyer en échange ? Est-ce qu'il faut revenir sur la procédure décisionnelle pour donner à la Commission plus de pouvoir que ce que les États membres envisagent ou quelle garantie il faudrait offrir aux députés ?
R - Sur ce sujet, il y avait matière à un travail approfondi pour trouver les bases d'un accord qui n'est aujourd'hui pas complètement ficelé. Vous avez fait référence à une avancée sur le processus décisionnel pour que la Commission soit plus en capacité de piloter. Je note, je ne l'ai pas encore dit, que même si j'ai senti chez les parlementaires européens une forme de réticence, parce que le compte n'y était pas selon eux, il y a néanmoins une volonté de trouver les voies et moyens d'un accord d'ici la session du mois de mars prochain sur la question de l'Union bancaire. Donc il n'y a pas de volonté de blocage mais d'un approfondissement, d'une amélioration du dispositif tel qu'il a été dessiné par le Conseil. Je fais confiance aux parlementaires européens pour voir comment les choses peuvent être améliorées. Le Parlement a un rôle important car le règlement relatif au fonds de résolution relève de la procédure de co-décision.
(...)
À titre personnel, j'estime aussi que nous devrons avancer sur la taxe sur les transactions financières. Pourquoi ? Parce que la France a été très active pour porter cette initiative. Je plaide pour que nous puissions rapidement trouver une solution. J'espère que le 19 février prochain, date à laquelle les deux gouvernements français et allemand se réuniront à Paris, nous pourrons porter une proposition en commun. Pourquoi fais-je référence à cette date ? Parce que lors de sa conférence de presse, le président de la République a clairement réaffirmé le rôle central de la France et de l'Allemagne dans la construction européenne. Il a indiqué qu'il fallait à la fois avoir une ambition, une méthode et un calendrier pour le franco-allemand. L'ambition, ce sont les trois initiatives présentées par le président de la République : l'initiative sur la convergence économique, sociale et fiscale entre la France et l'Allemagne ; l'initiative pour la transition énergétique et l'initiative sur l'Europe de la défense, la France et l'Allemagne devant assumer une responsabilité commune pour la paix et la sécurité sur la scène internationale.
La méthode, c'est dès le 19 février, cette rencontre à Paris des deux gouvernements, le Président lui-même indiquant que nous devions avoir désormais une coordination franco-allemande en amont sur tous les grands projets de politique européenne. Lorsqu'on regarde les calendriers électifs en France et en Allemagne, on a une fenêtre de tir assez exceptionnelle, puisque que pendant trois ans et demi, nous n'avons pas de grands enjeux présidentiel ou fédéral ou d'élections législatives. Cette concordance dans les temps doit être mise à profit pour assurer une concordance des projets. Il y a une phase que nous devrons aborder ensemble, ces 7-8 mois qui sont devant nous au bout desquels il y aura le renouvellement des institutions européennes, et non simplement du Parlement européen. Cela nécessite de se voir de façon régulière, comme l'ont fait le président de la République et la chancelière le 18 décembre dernier.
Ce même jour, je recevais à dîner Michael Roth, mon nouvel homologue allemand, chargé des Affaires européennes, et je le reverrai d'ailleurs le 5 février, à Berlin, quelques jours avant le conseil des ministres franco-allemand, pour cadrer les dernières choses, puisque les ministres des affaires européennes en France et en Allemagne sont aussi Secrétaires généraux de la coopération franco-allemande. Il nous revient donc de faire en interministériel des propositions pour faire avancer la coopération entre nos deux pays. Cette coopération est constante, puisqu'aujourd'hui même, Laurent Fabius accueille à Paris son homologue M. Steinmeier.
Q - Je voudrais revenir sur deux points de la conférence du président : le premier, c'est la coordination et la transition énergétique, puisque votre homologue a parlé lui-même finalement du projet d'une entreprise franco-allemande en matière de transition énergétique. Vous avez vu les interrogations qui se sont faites jour, voire les critiques, puisque la comparaison a été faite avec AIRBUS ; quand on a fait AIRBUS, au moins dans les deux pays concernés, il y avait une base industrielle. Cela n'est pas le cas, là, on a des filières, en tout cas en matière de renouvelable, qui se développent de manière un petit peu différente, donc quel est un peu le contour du projet, quel est le périmètre ? Est-ce qu'on met le stockage d'énergie, est-ce qu'on met les renouvelables ? Qu'est-ce qu'on met exactement ? Et puis deuxième question, parce qu'effectivement, hier, j'ai eu l'occasion de rencontrer M. Steinmeier aussi, qui m'a parlé de cette rencontre avec Laurent Fabius ce matin : on s'interroge sur le point de savoir s'il y a le début de l'amorce d'un tournant du côté allemand, c'est-à-dire sur une prise de responsabilité plus grande, en matière de politique de sécurité, peut-être par rapport à l'Afrique. Steinmeier laisse entendre que sur le Mali, il pourra y avoir un début d'appui. Il recentre quand même bien les choses, il dit «le Mali, les Français avaient raison d'y aller». La Centrafrique, il est quand même beaucoup plus circonspect, moi il m'a dit hier «ce qui est important, c'est que l'opération soit une opération européenne, donc il faut revenir dans un cadre européen», donc ma question est simple : où en sont les Allemands ? Est-ce que cela bouge du côté allemand ? Est-ce que cela bouge plutôt du côté du SPD allemand ou est-ce que cela bouge du côté de l'ensemble du gouvernement allemand ?
R - Est-ce que les choses bougent ? Il est un peu tôt pour le dire. Objectivement, la composition du nouveau gouvernement et son installation sont tout à fait récentes. J'observe néanmoins qu'à l'occasion, hier, du Conseil des ministres des affaires étrangères, entre autres sur la RCA, il y a quand même eu une avancée collective qui acte que les européens estiment tout à fait légitime qu'il y ait une intervention sous label européen en République centrafricaine. J'ai souvenir, sans doute vous aussi, du caractère circonspect des réactions qu'a provoquées cette annonce du président de la République dans la salle de la presse lors du Conseil européen en décembre. Voilà, aujourd'hui, on parle de l'ordre de 500 soldats. On parle aussi d'un engagement financier d'un certain nombre d'États, ce qui veut dire que tous les pays ont pesé pour que ce soit une démarche positive. L'Allemagne aussi a soutenu cette démarche visant à avoir une intervention européenne, et certains des États s'engagent au-delà du soutien politique.
Lors du premier dîner que j'ai eu avec mon homologue Michael Rorth, j'ai été surpris que spontanément, il me dise que nous devions approfondir nos échanges sur l'évolution de l'Afrique, et la France, peut sans doute nous aider à mieux comprendre ce qu'il s'y passe, compte tenu de notre histoire avec ce continent. On peut penser qu'il y a une analyse prospective en termes de développement économique à l'égard de l'Afrique, on voit aussi que d'autres grandes puissances sont de plus en plus présentes en Afrique, puisque ce soir-là, nous avons évoqué aussi la Chine, qui investissait beaucoup sur ce continent. Donc y a-t-il une évolution ? En tous cas, il y a un appétit sur cette question de la sécurité en Afrique, un appétit que je ne trouvais pas chez mon précédent homologue. Nous ne sommes qu'à quelques semaines du lancement d'un dialogue sur des bases nouvelles avec l'arrivée du SPD. Est-ce que les choses se confirmeront ? Nous le verrons, mais il y a une ouverture plus marquée qu'elle ne l'était sur le passé sur cette question, et je pense que la concrétisation hier d'idées lancées les 19 et le 20 décembre, montre qu'il y a une plus grande ouverture sur cette question. C'est peut-être aussi lié au fait que d'autres pays, qui étaient par le passé assez atlantistes, se rendent compte que la PSDC est un domaine sur lequel l'Union européenne a une marge pour construire une politique plus concrète qu'elle ne l'a été. Hier aux Pays-Bas, en discutant avec Frans Timmermans, j'ai vu que c'est un sujet qui l'intéressait beaucoup, alors qu'on voyait plutôt les Pays-Bas alignés sur l'OTAN. On se rend compte aussi que les Américains ont des priorités géographiques qui peuvent évoluer, ce qui peut conduire l'Europe à faire plus qu'elle ne fait aujourd'hui.
Au sujet du champion énergétique, est-ce que la situation était la même, lorsque certains pays ont porté sur les fonts baptismaux ce grand champion qu'est AIRBUS aujourd'hui ? Je ne sais pas, mais il y a une vraie conviction que le domaine énergétique représente un gisement d'emplois fabuleux à terme. Or, nous recherchons les domaines dans lesquels il peut y avoir une impulsion publique pour favoriser l'émergence de grands champions et la création massive d'emplois. On aurait aussi pu parler du numérique, comme ce fut le cas lors du Conseil européen d'octobre dernier, mais le président a en l'occurrence pris l'exemple de l'énergie. Il y a dans notre pays des pôles de recherche et développement pointus, notamment sur le développement du solaire. On a aujourd'hui des laboratoires qui travaillent beaucoup sur la question du stockage de l'énergie, de la gestion intelligente de l'énergie, les «smartgrids», de l'optimisation de la consommation. . Est-ce que l'on peut, sous l'impulsion des États, faire que ces industriels, ces centres de recherche, travaillent d'une façon plus coordonnée, notamment entre la France et l'Allemagne ? Ce qui n'exclut pas, d'ailleurs, que cette impulsion franco-allemande puisse, comme ce fut le cas d'ailleurs avec Airbus, être ouverte à d'autres pays. Quand il y a une volonté politique, ça aide aussi à faire travailler ensemble des gens qui spontanément ne voient pas pourquoi ils le feraient.
(...)
Q - Dans la sympathique relation entre Mme Merkel et M. Hollande, est-ce qu'on parle de la répartition des candidatures pour la Commission européenne et autres fonctions ?
R - Comme il s'agit d'un échange entre François Hollande et Angela Merkel, vous y avez fait vous-même référence, il n'y a qu'eux deux qui peuvent vous répondre.
Q - Vous n'en parlez jamais avec vos homologues allemands ?
R - On parle souvent de l'évolution des institutions et de celles et ceux qui les feront vivre, tous les jours.
Q - Mais si la CDU soutient un socialiste, est-ce que le parti socialiste va soutenir M. Barnier ?
R - Le président de la République a répondu à cette question le 14 janvier en indiquant qu'il respecterait l'esprit du traité de Lisbonne, qui indique très clairement que le Conseil européen choisit une candidate ou un candidat en tenant compte du résultat des élections.
Q - Il a parlé de M. Schulz en terme un peu distancés...
R - Il est dans sa fonction présidentielle. Le président de la République prend de la distance par rapport à ses engagements politiques, il est chef de l'État.
Q - Oui, mais il a des relations quand même régulières, chaleureuses avec M. Martin Schulz, il aurait pu le saluer...
R - Cordiales, régulières, et c'est normal, M. Schulz est président du Parlement européen, c'est quelqu'un qui compte sur la scène européenne.
Je le vois moi-même régulièrement...
Q - Mais c'est la première fois que je vois autant un président du Parlement européen à l'Élysée ...
R - C'est un signe de respect et d'attention à l'égard d'une institution qui n'a jamais eu autant de pouvoir qu'aujourd'hui. Ce que je constate au demeurant, c'est que le camp social-démocrate s'est donné un leader, s'est donné un programme qui sera complètement définitif à l'occasion d'une rencontre à Rome fin février, que les listes ont été constituées. Il y a donc une dynamique, effectivement, avec un leader affiché, ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui dans la principale formation opposée, à savoir le PPE. À ce sujet je peux vous indiquer que j'ai beaucoup plaidé pour celles et ceux qui avaient dans le Parlement européen sortant un rôle et une fonction, et une perspective de réélection, car ce qui se joue aussi, c'est l'influence française au sein du Parlement européen.
Q - Mais quelle influence pourrait avoir M. Martin, dans quelle commission est-ce qu'il pourrait jouer un carte intéressante pour la France ?
R - Écoutez, ce n'est pas moi qui vais choisir pour Edouard Martin s'il a une appétence plus pour la Commission des affaires sociales ou sur les affaires économiques. Il connaît les entreprises. Il a vécu ce que pouvait produire une certaine conduite du monde économique, je pense aussi que c'est une figure qui peut faire qu'on s'intéresse aux élections européennes Il faut avoir des figures qui parlent aux gens comme Cohn-Bendit l'a été avec les Verts. Edouard Martin, dans la région où il est, et y compris sur la scène nationale, peut permettre qu'il y ait un intérêt pour cette campagne. Ce qui m'importe aussi, c'est que la députée de cette circonscription, qui compte aussi du Parlement européen, ait la certitude d'être élue. Catherine Trautmann est en capacité d'exercer des responsabilités importantes au Parlement européen. Sa position de numéro 2 sur la liste ne constitue pas un obstacle dans cette perspective.
Q - Avant les élections européennes, il y a la question de l'investiture du PPE pour le candidat PPE. Est-ce que le président de la République peut demander à Mme Merkel de soutenir M. Barnier ? On dit que c'est Mme MERKEL qui va déterminer qui sera le candidat du PPE pour la Commission européenne.
R - Ce n'est pas très respectueux à l'égard des autres chefs d'État et de gouvernement qui sont issus du PPE. Je pense qu'il y aura une discussion dans cette famille politique. Et par ailleurs, ce n'est pas au président de la République française de dire quel sera le candidat du PPE. Je pense qu'il y aura une discussion bien plus large que la seule responsabilité de la présidence de la Commission. Il y a beaucoup d'institutions qui se renouvellent, il y a des postes très importants à assumer. Il faudra prendre en compte des équilibres, zone euro - hors zone euro, anciens - nouveaux États membres, petits - grands États, hommes - femmes également...
Q - Sur la séquence européenne du commissaire, sans nom, est-ce que vous pouvez nous expliquer comment cela va se passer au niveau français ? On a bien compris qu'on allait faire un choix, mais comment va se passer au niveau du gouvernement français ce choix ? Est-ce que vous pouvez, parce que j'ai regardé, je n''ai rien trouvé dans les textes sur la nomination du Commissaire en tant que tel.
R - Le choix appartiendra au président de la République.
Q - Au niveau français, voilà... Il consulte, il en discute ?
R - Le président de la République aura une vision générale de tous les postes qui seront en renouvellement durant l'année 2014 dans toutes les grandes institutions européennes. Et c'est le président de la République qui choisira, et lui seul.
Q - Est-ce que vous diriez que Michel Barnier est, si on peut dire, hollando-compatible ?
R - Michel Barnier peut être le candidat du PPE.
Q - Il renonce, puisqu'il fait campagne. Mais vous n'avez pas tout à fait répondu à la question de mon confrère : est-ce que Michel Barnier...
R - Le président de la République ne manquera pas de candidats et de candidates issus de sa propre formation politique, je peux vous l'assurer. La France, par ailleurs, a toute légitimité pour réclamer de grands postes dans les institutions...
Q - Mais comment concilier la nouvelle procédure de nomination du président ? Est-ce que vous êtes en train de dire... Comment allez-vous concilier les deux choses ?
R - Je ferai tout comme ministre des affaires européennes, issu du Parti socialiste, pour que ce cas de figure n'arrive pas et pour que ce soient plutôt les socialistes qui soient en tête à l'élection du mois de mai prochain.
Q - Sur les postes importants, que vous avez décrits en 2014, outre les postes de la Commission, quels sont les postes importants parmi ceux qui vont être renouvelés en 2014 ?
R - Il y a l'ensemble du Collège des commissaires. Il y a la présidence de l'Eurogroupe aussi, notamment si elle est désormais à temps plein, c'est une dimension importante. La France est un grand pays qui a une légitimité à demander et à assumer des rôles majeurs dans les institutions européennes. Et nous aurons des candidates et des candidats dont le profil peut effectivement nous permettre d'assumer et de demander ces postes.
Q - M. Hollande a vu M. Juncker récemment, à l'Élysée, est-ce que cela veut dire que M. Hollande préfère nommer M. Juncker, plus que M. Barnier, par exemple ?
R - Non.
Q - Et au sein de la Commission, les portefeuilles qui sembleraient vous intéresser ? Si ce n'est pas la présidence ? On peut créer de nouveaux portefeuilles qui correspondent à relance, croissance, industrie ?
R - L'influence française ne se mesure pas exclusivement sur les postes de Commissaires. Il y a au sein même de la Commission des postes qui sont très importants, en particulier les postes de directeurs généraux. Je note avec satisfaction que nous avons un directeur général français à l'énergie, depuis quelques jours, M. Dominique Ristori, qui vient d'entrer en fonction. Il y a un travail tout au long de l'année pour regarder de façon = stratégique où il peut y avoir des candidats français sur des postes importants. C'est la même chose au Parlement européen, nous serons très vigilants. Nous avons d'ailleurs déjà commencé à en discuter, c'est normal.
(...)
Q - Une question d'actualité, qui est la visite de M. Erdogan, le Premier ministre turc. Selon vous, quelle position devrait adopter l'Union européenne ? Faut-il être plus sévère ? Comment voyez-vous l'évolution des négociations ? Il y a eu un petit regain d'activité, mais on a l'impression qu'on risque de retomber dans un mauvais cycle. Comment voyez-vous les choses ?
R - Vous me posez cette question alors que ma venue à Bruxelles est notamment liée au fait que nous avons tenu aujourd'hui une conférence intergouvernementale pour l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Serbie. Il y a 18 mois, il n'était pas du tout évident que nous en serions là aujourd'hui. Il y a beaucoup de pays qui étaient très circonspects sur la capacité de ce pays à mener des réformes structurelles profondes et à normaliser les relations avec Pristina. Pourquoi je dis cela ? Parce que même dans les cas difficiles, je crois qu'il peut y avoir des leviers, et l'agenda européen est un levier, me semble-t-il, pour des changements structurels profonds, tant en ce qui concerne des politiques économiques que des éléments de démocratie. Vous le savez, le président Hollande a accepté la réouverture des discussions avec la Turquie sur le chapitre 22. Il se rendra la semaine prochaine pour deux jours à Ankara et Istanbul. Nous avons toujours dit, je l'ai dit moi-même d'une façon directe à l'occasion d'un déplacement récent en Turquie, que cette ouverture de la France était liée à des contreparties. Il y a une ouverture d'un côté. Elle doit se traduire de l'autre côté par des signes sur la question de l'État de droit de la liberté de la presse, du droit de manifester.
Ce ne sera pas l'unique objet de ce déplacement, qui a une forte connotation économique. Il y a aussi des questions liées à la défense : ce pays est à la jonction, à la charnière de deux mondes avec des choix importants à faire, y compris sur son système de défense dans les années qui viennent. Il y a aussi les questions d'immigration qui sont posées. On a noté positivement que l'accord de réadmission est une question qui a été rouverte. C'est pour cela que je dis qu'il y a des choses qui paraissent quelque fois improbables, difficiles en tout cas, c'est sûr, mais qui peuvent être surmontées. Et la visite aujourd'hui, de M. Erdogan à Bruxelles tombe plutôt bien parce que j'imagine qu'il y a du terrain qui va pouvoir être déblayé, si vous me permettez l'expression, dans un dialogue avec MM. Van Rompuy et Barroso.
Q - Que pensez-vous concrètement de la purge du système judiciaire, qui était la réponse de M. Erdogan aux accusations de corruption d'une partie des membres de son gouvernement, dont feu le ministre à qui vous faisiez référence ? Vous trouvez que c'est une réponse justifiée, normale ?
R - Ce que nous demandons, c'est qu'il y ait des réformes législatives qui soient non seulement adoptées mais appliquées, sur des standards qui se rapprochent des standards européens. Et nous jugerons l'évolution dans les mois qui viennent de ce qui sera engagé.
Q - Vous n'avez pas l'impression que le levier dont vous parlez est complètement cassé à ce stade ?
R - Les sujets dont nous parlons sont notamment couverts par les chapitres 23 et 24 des négociations d'adhésion. Ce sont des tests qui sont conséquents et qui montrent une volonté politique ou non. Le choix qui est fait est celui du dialogue.
Q - C'est aux politiques de ré-aborder l'histoire du génocide arménien ? Les historiens turcs et arméniens se parlent depuis quelques années. C'est quelque chose que vous allez remettre en avant ? On sent le lobby arménien et français qui pousse un peu, de nouveau ?
R - Ce n'est pas à l'ordre du jour du calendrier législatif tel que je le connais aujourd'hui en France.
Q - Non mais vous avez laissé entendre, ou peut-être que j'ai mal compris, que c'était un chapitre, comme le chapitre chypriote, les questions arméniennes...
R - C'est forcément un des éléments de contexte du dialogue à l'égard de la Turquie. Vous savez aussi que cela compte. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 janvier 2014