Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, au quotidien "Le Parisien" le 3 octobre 2001, sur le bilan de sa tournée au Maghreb, la riposte américaine et l'éventualité de la participation française à une opération militaire, la lutte contre le terrorisme.

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Circonstance : Tournée de M. Hubert Védrine au Maghreb les 1er et 2 octobre 2001

Média : Le Parisien

Texte intégral

Q - Dites-vous toujours que l'Amérique est en état de légitime défense ?
R - Les Nations unies et les membres de l'Otan l'ont reconnu. Bien entendu, cela ne veut pas dire que le monde entier accepterait que les Etats-Unis fassent n'importe quoi Mais ils n'ont nullement cette intention.
Q - Faut-il renverser le régime des Taleban à Kaboul ?
R - Oui, mais il ne faut pas seulement souhaiter un autre régime aux Afghans et aux Afghanes, ce peuple martyrisé. Il faut aussi qu'ils trouvent un avenir.
Q - Y a-t-il un risque de dérapage si les Etats-Unis ne parviennent pas à s'emparer de Ben Laden ?
R - Beaucoup craignent un éventuel dérapage. Ce serait le cas si les Etats-Unis s'en prenaient sans justification à des régimes ou à des pays arabes. C'est probablement ce que souhaitent les terroristes et c'est précisément ce que les Etats-Unis veulent éviter.
Q - Les présidents tunisien et algérien, le roi du Maroc vous ont dit tous les trois qu'ils craignent l'amalgame entre Islam et terrorisme...
R - Les dirigeants du Maghreb sont, sur ce point, tout particulièrement vigilants et très sensibles au fait que les autorités françaises se sont très vite exprimées pour mettre en garde contre ce risque. Ils comptent sur nous. Nous serons effectivement vigilants. Mais, à ce jour, aucun incident n'a été relevé dans les communautés maghrébines en France.
Q - Les Américains ont-ils demandé aux Français de participer à des opérations militaires ?
R - Pour l'essentiel, les Américains organisent eux-mêmes leur riposte militaire. Et ils ont demandé des facilités logistiques à certains pays de l'Asie centrale. Pour le reste, s'il y a des demandes précises adressées à la France, le président de la République et le Premier ministre y répondront dans un esprit ouvert et constructif.
Q - Combien de temps faudra-t-il pour vaincre le terrorisme ?
R - C'est une lutte de longue haleine. On peut imaginer à court terme des actions militaires relativement efficaces et ciblées pour démanteler les réseaux. Ensuite, il faudra annihiler les sources de financement de ces réseaux et les complicités dont ils bénéficient. Enfin, il s'agira d'éradiquer les causes qui, à travers le monde, alimentent le terrorisme. Il ne faut donc pas s'enfermer dans un calendrier, mais être résolu et déterminé, comme nous l'étions dès 1999 lorsque nous avons présenté à l'ONU un projet de convention internationale contre le financement du terrorisme. Maintenant, nous allons être suivis, et c'est très bien.
Q - Qu'avez-vous envie de dire aux Tunisiens, au Algériens et aux Marocains de France ?
R - Je leur dis qu'ils doivent être confiants et convaincus de la volonté des autorités françaises de tout faire pour éviter toute dérive, tout amalgame. Mais je crois pouvoir affirmer que le peuple français a résisté et saura résister de lui-même à ces tentations.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2001)