Déclaration de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur la croissance du trafic aérien et la concentration des vols internationaux sur les aéroports parisiens, la contribution du trafic aérien à l'accroissement des émissions de gaz à effet de serre, les nuisances sonores, la proposition de taxer le kérosène et les études pour l'implantation de nouveaux aéroports, Paris le 7 février 2001.

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Circonstance : Premières rencontres parlementaires sur le transport aérien, sur le thème "Activités aéroportuaires, aménagement du territoire et développement durable", Paris le 7 février 2001

Texte intégral

Mesdames et messieurs les parlementaires, Mesdames, Messieurs,
Je voudrais d'abord remercier les initiateurs de ces rencontres parlementaires, Nicole BRICQ et Yvon COLLIN, pour avoir retenu ce sujet d'une grande actualité, si l'on pense aux manifestations du week-end dernier en Essonne ou dans l'Aisne. Mais plus qu'un sujet d'actualité, c'est un sujet de société, qui interpelle le politique.
C'est sur ce plan que je voudrais situer mes réflexions, en clôturant vos échanges qui, je n'en doute pas à la lecture du programme et vu la qualité des intervenants, ont permis de faire le tour des principaux enjeux du développement aéroportuaire et de poser la question du rôle des pouvoirs publics, à l'échelle nationale et communautaire, dans la régulation du système.
La croissance et même, à certains égards, l'explosion du trafic aérien, est bien un phénomène marquant des dernières décennies. Plusieurs facteurs se conjuguent pour expliquer cette évolution, parmi lesquels l'intégration de l'économie mondiale, l'augmentation du niveau de vie et du temps consacré aux loisirs, dans un contexte de baisse des prix et de libéralisation du transport aérien.
Force est de constater que ce mouvement s'est largement opéré jusqu'ici, sans que les enjeux de l'environnement et de l'aménagement du territoire aient été reconnus et traités avec l'importance qu'ils méritent .
Sur le plan de l'aménagement du territoire, le transport aérien reste marqué - c'est l'exception française - par une hyper-concentration des vols internationaux sur les aéroports parisiens, qui en assurent près de 80%. Le transport aérien a largement échappé jusqu'ici aux efforts de rééquilibrage entre Paris et la province opérés ces dernières années pour les transports terrestres. Cette situation ne s'explique pas par le seul poids démographique de la région - capitale. Elle résulte de la conjugaison de la stratégie des compagnies aériennes et de choix politiques.
S'agissant de l'environnement, le transport aérien apporte une contribution croissante à l'effet de serre, c'est même le mode de transport qui présente le bilan le plus défavorable de ce point de vue par kilomètre parcouru. C'est aussi le secteur qui présente la plus forte croissance des émissions de CO2. Quant aux nuisances sonores, elles sont de plus en plus mal acceptées par les riverains des plate-formes, malgré les efforts réalisés en vue de mieux les maîtriser et la montée en régime des aides accordées pour les travaux d'insonorisation.
Le projet de schéma de services de transports, arrêté par le gouvernement, ne se contente pas de planifier le développement des plate-formes existantes ou la construction de nouvelles plateformes, il affiche une stratégie aéroportuaire empreinte d'un réel volontarisme et dont les points forts sont la maîtrise de la croissance du nombre des mouvements, l'intermodalité avec le rail, avec notamment le transfert des vols courts sur le TGV, le rééquilibrage entre Paris et les différences places de province, en développant sur ces dernières l'offre vers les autres pays d'Europe et à l'international.
Cette stratégie mérite un vrai débat de société. Si l'usager trouve normal de se déplacer en avion plus souvent - c'est un mode de transport qui s'est peu à peu démocratisé - le riverain s'inquiète de voir passer de plus en plus d'avions au-dessus de sa tête, et il a du mal à se convaincre que le bruit diminue, malgré les indices qui lui sont présentés. Il a aussi l'impression, de ne pas avoir son mot à dire dans les décisions qui sont prises, en dépit de la mise en place des commissions consultatives de l'environnement, et que, sous couvert de contraintes techniques, on cherche à lui imposer des décisions dont la rationalité véritable reste cachée. Cette situation est d'autant plus mal acceptée que, de plus en plus souvent, les associations de riverains comprennent dans leurs rangs des professionnels avertis des questions aériennes et à même de faire des propositions dignes de considération. Je constate que, malheureusement, le dialogue a souvent du mal à s'instaurer, car il y a, à la base, un déficit de confiance.
Je suis interpellée tous les jours sur ces problèmes, et je dois dire que je comprends toujours l'inquiétude des riverains, même si je ne peux pas toujours en partager les arguments, lorsque ceux-ci consistent simplement à demander que les nuisances soient renvoyées chez le voisin.
La question de l'accroissement du trafic aérien est bien la question première. Si l'on admet qu'il est inéluctable que le trafic augmente à l'avenir de 3 à 4 % chaque année, voire même qu'une telle augmentation est souhaitable, au nom du droit à la mobilité, alors il faut bien admettre que les avions doivent se poser quelque part.
Mais une partie de cette croissance est liée à des prix artificiellement bas. Il n'est pas normal, que le transport aérien échappe à toute taxe sur les carburants, alors que sa part dans les émissions de gaz à effet de serre produites par les transports est aujourd'hui de 12 % et pourrait atteindre 15 % en 2010 : qui paiera alors les coûts externes ?
Je me réjouis d'ailleurs de voir que la récente proposition de la commission européenne relative au programme d'action environnemental de l'union, préconise la taxation du kérosène.
Par ailleurs, certains chiffres d'évolution des trafics me laissent rêveuse : je relève en effet que, d'après une enquête réalisée en 1999 auprès de 11 aéroports européens parmi les plus grands, le trafic global a augmenté de 53 % sur la période 1990-1998, mais le trafic terminal de 28 % seulement et le trafic de correspondance de 150 % (et de plus de 500 % sur Paris Charles de Gaulle)? Ces chiffres reflètent évidemment le développement des hubs, c'est à dire le rabattage par les compagnies de la clientèle sur quelques grandes plateformes, système qui présente certes des avantages économiques pour les compagnies aériennes, mais qui multiplie le nombre de mouvements et qui, poussé à l'extrême, confine à l'absurdité.
Je crois que ces questions méritent d'être posées et débattues avec nos concitoyens, qui sont à la fois usagers et riverains et qui comprennent très bien qu'on ne peut pas, à la fois, se déplacer davantage en avion et , en même temps, refuser que ces avions se posent quelque part.
Encore faut-il alors que tous les efforts soient faits pour contenir et réduire les nuisances liées à cette activité. Des actions importantes ont été menées dans ce domaine par l'actuel gouvernement , même si j'ai conscience que cela ne suffit pas. Je citerai simplement le dispositif de maîtrise des nuisances sonores mis en place sur Roissy ; la création par la loi du 12 juillet 1999 de l'Autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires, présidée par Monsieur LERON, dotée de pouvoirs de sanction à l'égard des compagnies aériennes ; le renforcement substantiel du rôle des Commissions consultatives de l'environnement, dont je souhaite que le renouvellement s'achève dans les meilleurs délais ; enfin, la réforme en profondeur du dispositif d'aide à l'insonorisation des riverains, géré désormais par l'ADEME, et dont j'ai doublé les crédits.
Pour autant, d'importants progrès restent à faire dans tous les domaines , notamment pour réduire les nuisances nocturnes, particulièrement insupportables et néfastes pour la santé des populations exposées, en interdisant partout où c'est possible ou en réduisant drastiquement les vols nocturnes, en élargissant les plages horaires de couvre-feu et, en tout état de cause, en écartant les avions les plus bruyants. Je me réjouis, à cet égard, de l'intérêt croissant que porte l'Union européenne à ce sujet. Et, à la suite de la communication de la Commission de décembre 1999 sur " Transport aérien et environnement ", j'appuie très fortement l'idée d'une modulation des redevances aéroportuaires en fonction des types d'avions et des horaires.
La lutte contre le bruit n'est pas seulement une affaire de justice sociale, nous devons tous être convaincus qu'elle conditionne le développement à long terme de cette activité.
Venons-en à l'aménagement du territoire.
C'est un sujet qui déchaîne souvent des passions , au point que le débat tourne très vite à l'opposition caricaturale entre deux termes : création d'emplois et nuisances.
La réalité, c'est qu'il y a aujourd'hui en France un déséquilibre profond entre Paris et la province, puisque Roissy assure la quasi-totalité des vols internationaux. Faut-il conforter cette tendance, alors que 40 % de la clientèle internationale des aéroports parisiens est constituée par la province, ou faut-il opérer un rééquilibrage , en offrant aux provinciaux des services aériens plus proches de chez eux et en renforçant les relations entre les grandes aires métropolitaines françaises et les principaux pôles européens et, pour certaines, avec les pôles mondiaux ?
C'est cela le vrai sujet du débat et non pas le transfert en province de nuisances dont les habitants d'Ile de France ne veulent plus ! Il ne s'agit pas d'opposer les riverains les uns aux autres. Ce rééquilibrage me paraît une nécessité du point de vue de l'aménagement du territoire. C'est la raison qui m'a conduite à critiquer la présentation parfois simpliste qui a pu être donnée de la problématique de la nouvelle plate-forme aéroportuaire à vocation internationale.
Les relations entre aéroports et aménagement du territoire sont doubles. Un aéroport est un pôle d'emplois important, puisqu'il génère environ 1.000 emplois directs par million de passagers transportés, plus les emplois indirects , C'est un chiffre considérable. On évoque moins souvent le trafic induit par la desserte terrestre des aéroports et les nuisances qui en résultent pour les riverains ; or un aéroport de 20 à 30 millions de passagers entraîne directement 80.000 déplacements par jour, dont 10.000 à l'heure de pointe, sans même compter les déplacements induits par l'activité aéroportuaire. Et bien sûr , ce ne sont pas les mêmes personnes ni les mêmes territoires qui bénéficient des avantages et qui subissent les nuisances. Cette question a été clairement soulevée lors de la décision de construire les deux nouvelles pistes de Roissy et l'on sait bien qu'il est difficile de la résoudre de manière pleinement satisfaisante.
Nous avons en outre un problème à court terme. Je comprends très bien l'inquiétude des riverains de Roissy, qui voient s'approcher rapidement le moment où les 55 millions de passagers seront atteints et qui mettent leurs espoirs dans la réalisation rapide d'une nouvelle plate-forme plus éloignée. Mais il ne faut pas raconter d'histoires. La construction d'un nouvel aéroport ne se fait pas en un jour. Même si l'on décidait de le faire aujourd'hui, il ne serait pas en service avant une quinzaine d'années au mieux. Ce n'est donc pas la réponse immédiate aux préoccupations des riverains de Roissy.
Ce simple constat devrait permettre de trouver un consensus sur la nécessité d'opérer un rééquilibrage marqué au profit de la province et de mettre en uvre une intermodalité plus active avec le train à grande vitesse, que l'on voit déjà se dessiner, mais aussi de mettre en place les moyens de maîtriser une croissance des trafics qui n'est pas soutenable à long terme . Une utilisation plus résolue des droits de trafic, la taxation du kérosène, la régulation déjà décidée des capacités des aéroports parisiens, l'extension du réseau ferroviaire à grande vitesse, doivent constituer des leviers efficaces de ce redéploiement territorial. L'enjeu est considérable puisque, selon différentes études, 15 à 20 millions de passagers pourraient être concernés, peut-être davantage avec des politiques plus volontaristes.
J'ai ainsi la conviction que nous sommes à la croisée des chemins et que les problèmes que nous rencontrons en France sont largement partagés par les autres pays européens. J'entends parfois dire que l'Etat ne peut rien faire, ou si peu. Ce n'est pas ma façon de voir. Pour moi, la libéralisation du trafic aérien ne doit pas constituer un prétexte au laisser-faire. Le rôle de l'Etat, comme celui de l'Union européenne, ne saurait se réduire à accompagner passivement la stratégie des compagnies aériennes et à prendre en charge les coûts collectifs de la croissance des trafics.
Au niveau français, les schémas de services de transport donnent de bonnes orientations, mais il ne suffit pas de faire de bons rapports ou de bons documents d'orientation, il faut les mettre en uvre.
A l'échelle européenne, il est urgent de définir une politique commune du développement aéroportuaire, dont les grandes composantes seraient la mise en place d'un cadre général pour les mesures environnementales, l'adaptation des règles d'attribution et de gestion des créneaux en vue d'une plus grande efficacité et d'une augmentation de l'emport moyen, la libéralisation des droits de trafic internationaux au bénéfice des aéroports non majors, l'accélération de la réalisation du réseau ferroviaire à grande vitesse.
La question de la nouvelle plateforme à vocation internationale ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt, en détournant l'attention de ce qui me paraît être pour le long terme les vraies questions : la maîtrise de la croissance du trafic aérien, sans entraver pour autant la mobilité ; le rééquilibrage de notre territoire ; la réduction des nuisances que l'activité entraîne, tant au niveau global que sur son voisinage ; ces éléments sont pour moi indissociables.
Le débat public qui va s'engager dans les semaines qui viennent, organisé par la Commission nationale du débat public, donnera la parole à nos concitoyens sur tous ces sujets. Ce débat constituera ainsi une première puisque, contrairement aux débats organisés jusqu'ici par la CNDP, il ne portera pas sur un projet déjà défini dont il ne reste plus qu'à préciser les modalités de réalisation mais sur un projet à venir et la problématique dans laquelle il s'inscrit. C'est une préfiguration de la réforme du débat public que je souhaite consacrer dans un projet de loi à venir prochainement. Il faut que chacun prenne sa part dans ce débat. Les délégations parlementaires à l'aménagement du territoire devraient se pencher sur ce dossier essentiel pour l'organisation du territoire français ; le CNADT devrait aussi contribuer à la réflexion.
C'est à l'issue de ce travail et dans le cadre d'une politique d'ensemble du transport aérien qu'une décision motivée pourra être prise sur les conditions de réalisation, les fonctionnalités et le lieu d'implantation de cette plateforme aéroportuaire.
Voilà, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames, Messieurs, les principales réflexions que m'inspire le thème de ces rencontres. Nous sommes bien face à un choix de société qui, plus que des réponses techniques, appelle des réponses politiques. Les réponses politiques ne peuvent être apportées que par le dialogue et l'échange et je vous remercie de l'occasion que vous m'avez donnée aujourd'hui d'y apporter ma pierre.
(source http://www.acast.multimania.com, le 2 août 2001)